Textes
L'art et la médecine
Enfermé dans les lois rigides et implacables de son matériau, le corps humain, le chirurgien ne peut se permettre les libertés que prennent les artisans de la pierre, du bois ou du métal.Lhumour et la fantaisie que peuvent manifester les artistes lui sont interdites, même sil a lui-même lâme dun artiste créateur.
La nature du matériau quil travaille restreint la sienne propre.
Comme chez la plupart des hommes, son sens créateur se voit imposer une unique voie, une seule porte de sortie.
Linvention de lanesthésie a libéré le chirurgien de la hâte que lui imposait la douleur et lui permet de travailler à loisir.
Le temps, et sa conséquence immédiate la précision permettent et même favorisent la pleine ex­pression du sentiment artistique du chirurgien.
Ces sentiments artistiques et leur satisfaction sont néanmoins limités par ce que lon appelle la «technique chirurgicale.
L'Artiste et la révolution
Le véritable artiste sabandonne. Il est naturel.
Il nage aisément dans le cours de son propre tempérament.
Il sécoute, il se respecte.
Il retrouve la lumière chaque jour comme un léviathan des abysses, qui émerge à la surface lisse des choses acceptées, gai, sérieux, enjoué. Son appétit de la vie est immense.
Il entre volontiers dans la vie de lhomme, de tous les hommes. Il devient lui-même tous les hommes.
Lartiste a pour fonction de troubler, pour devoir déveiller les dormeurs, débranler la complaisance du monde.
Il lui rappelle son sombre passé, lui dit le présent et lui montre le chemin de sa nouvelle naissance. Il est à la fois le produit et le précepteur de son temps.
Après son passage, nous sommes troublés et incertains de nos faciles réalités. Il rend inconfortable ce qui est statique, figé, inerte.
Dans un monde que terrifie le changement, il prêche la révolution, qui est le principe même de la vie.
Il est agitateur, il trouble la paix: il est vif, impatient, agité, inquiétant. Il est lesprit créateur incarné dans lhomme.
Une conviction internationaliste
«Quand je tai vue à Montréal avant mon départ pour Vancouver, jai tenté de texpliquer pourquoi jallais en Chine. Je ne sais pas si jai réussi .
. . Que jaie été en Espagne ne me donne pas le droit, plus quà quiconque, de rester calmement à lécart. LEspagne est une cicatrice sur mon coeur. Tu comprends?
Une cicatrice qui ne guérira jamais. La douleur ne me quittera jamais, me rappelant les choses que jai vues.
Je refuse de vivre dans un monde qui engendre la corruption et le meurtre, sans lever le petit doigt. Je refuse dapprouver, par inaction ou par insouciance, les guerres que des hommes avides font contre dautres. . .
LEspagne et la Chine sont des batailles dune même guerre. Je vais en Chine parce que cest là que le besoin est le plus grand et que je suis le plus utile . .
Avec mes meilleurs souhaits.»
L'air malsain des villes«Voilà ce quil en advient, dit-il. Les villes de lavenir sont ensevelies sous les ruines des villes actuelles.
Jai une gamine à lhôpital qui meurt parce que le poumon humain nest pas conçu pour respirer lair malsain des taudis.
Mais si je me rends à Ottawa pour dire aux fonctionnaires, en son nom: voici les plans dune ville où les enfants pourront grandir et vivre sans inquiétude, à qui madresserai-je?
Aux hommes qui préfèrent leur confort à leur conscience et qui laissent les villes croupir et aujourdhui périr sous les bombes.»
L'engagement communiste
«Pas du tout! Je naccepte pas cela! Je suis communiste.
Cela me regarde, jai droit à mes opinions.
Si je dis que le lait est bon pour les enfants, est-ce que les anti-communistes vont désormais se mettre à prétendre le contraire?
Et si je dis que les gens ont besoin de pain, cela signifie-t-il quils nen ont pas besoin, simplement parce que lhomme qui dit ces choses considère le socialisme comme la forme de société la plus équitable, la plus morale et la plus évoluée politiquement?»
«Mon pauvre ami perdu ... Pourquoi suppôt de Moscou? Pourquoi pas un suppôt de Londres?
La théorie du socialisme a été publiée à Londres soixante ans avant la révolution dOctobre.
Si la Russie disparaissait demain de la surface de la terre, pensez-vous que le communisme disparaîtrait avec elle? Je suis certain que si le Christ revenait sur terre prêcher la fraternité entre les hommes, il se trouverait quelquun pour le traiter de «suppôt de Moscou».
Sur son retour d'URSS
Les récits des voyageurs sont toujours très révélateurs. Ils ont quelque chose dautobiographique. La critique, au fond, révèle surtout le critique lui-même.Et cela est vrai de tous les voyageurs, de ceux qui dans la Bible décrivent la Palestine comme une terre de lait et de miel, ce qui nétait pas vrai, jusquà Marco Polo, Christophe Colomb et même le baron Munchausen.
Je dois vous dire en toute franchise que je ne suis pas allé en Russie, comme mes collègues, pour assister à un congrès de physiologie.
Je suis allé en Russie pour des raisons beaucoup plus importantes.
Je suis allé avant tout pour voir les Russes. Jy suis allé aussi pour voir ce quils faisaient pour vaincre lune des moins invincibles de toutes les maladies contagieuses, la tuberculose.
Jai quelques idées, et fort nettes, sur la façon de réaliser cela, avec la détermination et les fonds nécessaires. Je ne dirai rien du congrès, puisque je nai assisté quà la première séance.
Jétais beaucoup trop occupé à nager dans la Neya, à marcher librement dans la rue, à regarder les vitrines et à visiter les muséesun naïf en voyage un peu mâtiné du voyeur.
Jaurais peut-être dû intituler mon allocution Réflexions dans un mi­roir. On aurait tout de suite cru que je voulais comparer la Russie au Pays du Miroir de Lewis Carroll.
Il serait facile de parodier ce conte ou décrire un article intitulé Malice au pqys des merveilles.
Mais la moquerie et la dérision sont des phénomènes psychologi­ques intéressants parce quils sont des façons de se protéger. Il est plus facile de se moquer que de célébrer.
Il faudrait bien noter quil est impossible de dire que la Russie est à lenvers, ou sens-dessus-dessous, sans entretenir un doute rai­sonnable: les choses que lon a vues sont-elles réellement à lenvers.
Il peut en effet sagir dune illusion doptique due au fait que lobservateur se tient sur la tête! Chose certaine, on pourrait écrire au-dessus du grand portail de la Russie: «Abandonnez toutes notions dépassées, vous qui entrez ici».
Staline pourrait jouer le rôle du Morse, Lénine celui du Charpen­tier et les défenseurs de la Nouvelle politique économique de 1921 celui des Huîtres abandonnées sur la grève.
Il serait intéressant dappliquer à la Russie daujourdhui, pour peu quon les sorte du contexte, les propos de certains personnages dA travers le miroir.
On pourrait, par exemple, comparer la Russie à la Salle des miroirs, quAlice trouvait si semblable à sa chambre, si ce nest que tout y était à lenvers, avec des livres qui ressemblaient aux siens, mais quil fallait lire de droite à gauche ...
« Confiture hier, confiture demain, pourquoi pas aujourdhui ... pourrait ser­vir de mot dordre à ceux qui trouvent que les conditions de vie ne sy améliorent pas assez vite.
Le souvenir que la Reine blanche a de la semaine prochaine pourrait tenir lieu dexemple de lopti­misme et de la foi immense que les Russes ont en lavenir.
Et lon pourrait citer la réponse de la Reine à Alice qui lui disait: «Je ne puis pas croire cela.
Vraiment? dit la Reine. Essayez encore. Respirez profondément et fermez vos yeux.
On ne peut pas croire a des choses impossibles.»
Et la Reine répond: «Permettez-moi de vous dire que vous navez guère de pratique. Il marrive moi de croire six choses impossibles avant mon petit déjeuner».
Comme la Reine, les Russes trouvent facile de croire à bien des choses impossibles, ou du moins que les autres considèrent impossibles.
Il y a aussi beaucoup de vérité dans lexclamation dAlice qui découvre que le feu de lâtre est réel.
«Jaurais donc aussi chaud ici que dans la vieille chambre, plus chaud même parce quil ny aura personne pour me gronder et me dire de méloigner du feu».
Puis elle regarda en bas de la colline et vit que tout le pays était un échiquier, que la vie même était une partie déchecs à léchelle du monde et elle dit: «Cest la Reine que jaimerais le mieux être».
Ce à quoi la Reine répliqua: «Cest facile.
Installez vous dans la deuxième case, vous serez le pion de la Reine.
Rendue a la huitième case, vous deviendrez Reine et nous régnerons ensemble. Nous ne ferons que festoyer et nous amuser.» Cest là, en un mot, tout lespoir et toute la foi des communistes.
Isadora Duncan, dans son autobiographie, décrit ainsi son accou­chement: «Je gisais, fontaine de sang, de lait et de larmes». Que penserait quelquun qui verrait pour la première fois une femme en couches sans savoir ce qui lui arrive? Ne serait-il pas glacé d'horreur par le sang, la douleur, l'apparente cruauté des gens qui se pressent autour de la parturiente, le côté révoltant des techni­ques obstétriques? Il crierait au meurtre, à la police.
Mais dites-lui quil assiste à lapparition dune nouvelle vie, que la douleur seffacera, que le sang et la cruauté sont le fait de toutes les naissances et le resteront. Sachant tout cela, que dira-t-il de cette femme qui repose sous ses yeux. Nest-elle pas horrible à voir? Oui, Nest-elle pas admirable? Oui. Nest-elle pas grotesque, ne fait-elle pas pitié? Oui. Nest-elle pas sublime, et magnifique? Oui. Et tout cela serait vrai.
La Russie est en couches.
Les sages-femmes et les médecins étaient occupés à sauver lenfant et n'ont pas eu le temps encore de nettoyer le gâchis, ce gâchis qui choque le regard et lodorat des vierges timides, hommes et femmes, dont lâme est stérile et qui manquent dimagination pour voir derrière le sang la signification de la vie.
La création nest pas et na jamais été un geste doux. Cest un geste rude, violent et révolutionnaire.
Mais aux âmes courageuses qui croient à lavenir de lhomme, à la destinée divine quil ne tient quà lui de réaliserà tous ceux-là, la Russie offre aujourdhui le spectacle enivrant de lémergence de lesprit progressif et héroïque de lhomme, libéré par la Réforme. Nier cela, cest nier notre foi en lhomme, ce qui serait véritablement le péché capital, lapostasie totale.