PROCLAMATION
DU FRONT DE LIBÉRATION DE LA BRETAGNE
(décembre 1968)
Nous, conseil politique national du Front de Libération de la Bretagne - F.L.B.,
réunis en conseil
extraordinaire, en plein accord avec l'Etat-Major et
les Volontaires de l'Armée Républicaine Bretonne
(A.R.B.), après analyse des différentes déclarations et
projets du Chef de l'Etat français et de son
entourage, avons décidé de préciser par cette déclaration
le sens profond de notre lutte, afin qu'elle ne
soit plus détournée de sa véritable signification,
et pour mettre fin aux interprétations fantaisistes ainsi
qu'aux exploitations dont elle est l'objet.
1. - Origine et raisons de notre combat
Le F.L.B. est né d'une prise de conscience politique longuement et
mûrement réfléchie sur la
situation catastrophique de notre présent et sur l'angoisse et
le désespoir qui en découlent sur notre
avenir si nous ne sortons du système actuel.
Sans revenir sur cet accident de l'histoire qui fait que
le peuple breton, après mille ans d'histoire
glorieuse et de luttes pour son indépendance, a été
réduit par la force des armes à accepter une
domination étrangère qui n'a jamais hésité à réprimer dans
le sang toutes ses tentatives
d'émancipation à travers les siècles, nous retenons surtout
le fait que cette domination que cette
domination n'a été qu'un « génocide » permanent sur tous les
plans: politique, économique, social et
culturel, qui ont façonné les traits majeurs de notre visage
d'aujourd'hui et ont fait de nous ce que nous
sommes, un peuple dépossédé et dépersonnalisé, un peuple de
pauvres, un peuple de prolétaires, sans
âme et sans voix.
Nous n'avons pas été dépossédés à un moment précis de notre histoire, nous l'avons été
progressivement et ce mécanisme n'a fait que s'accentuer depuis un demi-siècle.
Nous vivons dans un
territoire, un pays aux mains des étrangers.
Nous pouvons sans cesse être
conviés au massacre (1870,
1914-18,1939-1945, Indochine, Algérie), bousculés, utilisés « comme réservoir de
main-d'oeuvre »,
déportés selon les besoins économiques sans pouvoir jamais riposter;
nous sommes étrangers à ce qui
constitue la part importante et responsable des activités de notre pays.
L'Etat français nous écarte et
nous a toujours écartés d'une participation active, créatrice, des
projets qui règlent l'avenir de notre
peuple; nous devons subir en silence toutes ses initiatives qui
ne sont, en règle générale, que
déprédation, occupation et domestication.
Nous sommes dans une situation
coloniale type, où un
poignée d'entrepreneurs capitalistes étrangers, représentés par
l'Etat français, exploitent et
transforment à leur gré et selon leurs désirs et leurs intérêts les
richesses naturelles et humaines d'une
communauté indigène, impuissante et asservie, assimilée, c'est-à-dire
presque détruite.
Or cette situation a été maintenue et continuera à être
maintenue par l'Etat français contre le cours
de l'histoire et les événements dans le monde, dont
ses dirigeants n'auront su tirer la leçon comme
toujours que trop tard, la pseudo-régionalisation
et la pseudo-décentralisation proclamées n'étant
qu'un masque destiné, par l'intermédiaire des pouvoirs
dictatoriaux attribués aux super-préfets, à
renforcer le contrôle et la mainmise de l'Etat (qui
n'octroiera que quelques miettes et des bonnes
paroles).
Cette évidence résulte logiquement du système politique
français: nationaliste, capitaliste et
impérialiste, tel que quatre ou cinq siècles d'histoire l'ont forgé.
Quant à nous, il ne nous est plus possible de
vivre dans cette soumission masochiste à un système
politique baptisé hypocritement démocratie, qui
a toujours sacrifié d'un coeur léger les intérêts
matériels et spirituels des peuples dominés et
en particulier du peuple Breton.
Nous refusons
désormais à qui que ce soit, et surtout aux C.R.S.,
le droit de refuser au peuple Breton le « droit
d'être ». Et nous nous proclamons aujourd'hui la conscience du peuple Breton.
Le contexte historique et politique de ces vingt dernières années
dans le monde a permis cette prise
de conscience à un nombre incalculable de peuple opprimés.
Il est banal de dire que notre époque est
celle de la décolonisation.
Elle s'achève déjà dans une grande partie du monde et n'est plus contestée
que par les Etats réactionnaires ou retardataires.
On voit mal pourquoi cette évolution épargnerait demain les lambeaux de ce qui fut l'Empire
français et jusqu'en métropole même, où cet impérialisme et cette colonisation ont commencé.
Il est normal que le continent européen, où les structures de domination coloniale
sont les plus
anciennes et les mieux enracinées, soit le dernier à suivre le mouvement;
l'assimilation plus poussée a
conduit les peuples qui les ont suivies à un degré plus profond d'aliénation
envers leurs propres
valeurs et de conditionnement (culturel et économique) à des valeurs
étrangères et fausses.
Mais la
mutation n'en sera que plus brutale et plus radicale.
Le peuple Breton est fier d'être en Europe l'un des premiers peuples à avoir
commencé le combat et
à donner l'exemple à tous les peuples opprimés.
Par ce combat,
le peuple Breton ne fait d'ailleurs que
se joindre à tous les hommes de toutes races et de toutes couleurs qui luttent,
souffrent et meurent
pour la liberté et la justice d'un bout à l'autre du monde.
Pour tous, cela ne fait qu'une seule cause et
un seul espoir.
2. - Orientation politique du F.L.B.
Nous dénonçons tout d'abord le fait qu'un peuple et une entité distincte
soit privée du pouvoir
politique de gérer ses propres affaires en raison de la domination
coloniale et impérialiste qui les
affecte.
Il n'y a plus aujourd'hui dans un tel système de coexistence possible avec notre
dignité de Bretons.
Il n'y a plus qu'une agression continue du
groupe majoritaire qui nous pousse à
l'étouffement et à la disparition à tous les niveaux culturels,
socio-économiques et démographiques;
chacun sait que l'immigration n'est qu'un moyen traditionnellement employé
par les puissances
dominantes pour noyer les minorités récalcitrantes.
De plus, l'économie bretonne est fondamentalement coloniale comme
nous l'avons déjà démontré,
puisque conçue, dirigée, pratiquée et exploitée par un Etat
impérialiste étranger et à son seul profit.
La
Bretagne n'étant donc plus qu'un cas particulier de situation coloniale,
la lutte pour notre
indépendance doit nécessairement emprunter les schémas et
les méthodes qui ont fait leurs preuves
dans la lutte anticolonialiste dans le monde.
Dans notre cas, il nous semble inconcevable de penser qu'un peuple,
appauvri, dépouillé, spolié,
puisse vivre « librement » accolé à son voisin riche et puissant,
sans être immédiatement happé et
asservi à nouveau par ses capitaux (comme cela s'est produit
dans bon nombre d'ex-colonies
françaises) en persistant à vivre dans un système politique
de même conception.
Le socialisme de Cuba
n'a pas eu d'autre origine au départ.
Le peuple breton n'étant qu'un peuple prolétaire et de prolétaires,
maintenu volontairement à ce
stade par les intérêts capitalistes maîtres de l'Etat français,
nous pouvons donc concevoir notre combat
que dans une adhésion aux principes généreux du socialisme.
Mais notre socialisme refuse quoi que ce
soit de commun avec le socialisme étatique, bureaucratique, autoritaire et impérialiste,
pratiqué par
les Etats qui n'ont fait que remplacer le capitalisme privé par
un capitalisme d'Etat tout autant
oppresseur.
Les événements les plus récents en Europe centrale ont montré qu'il ne
pouvait y avoir en Europe
de socialisme véritable qu'indépendant et particulier à chaque peuple.
Notre socialisme sera donc
adapté aux besoins du peuple breton et fait à sa mesure.
Il repoussera l'oppression collectiviste et
étatiste.
Il sera humaniste, coopératiste, fédéraliste
et communautaire, respectueux de toutes les
libertés humaines, inspiré par les traditions de liberté et
de spiritualisme de notre civilisation celtique.
Il assurera également à chaque Breton la participation la
plus large à tous les échelons de la société
politique, économique et sociale.
Si nous sommes avant tout nationalistes et indépendantistes,
c'est parce que nous savons que la construction de notre socialisme
passe par la libération politique de la Bretagne et du peuple breton,
par la création d'une société bretonne dégagée de toute hégémonie étrangère.
Ceux qui, en Bretagne, se disent socialistes ou
communistes, mais rejettent l'indépendantisme, ne
sont que des hypocrites, des ignorants, des traîtres.
Nous rejetons en soi le romantisme révolutionnaire et anarchique qui
fait de la violence l'arme absolue de la révolution (nous sommes
d'ailleurs restés volontairement en dehors de toute action pendant
les événements de mai et jusqu'à ce que la situation ne soit à nouveau clarifiée).
Nous ne considérons la violence que comme un moyen et même un devoir d'autodéfense, que
comme un langage révélateur de notre volonté de lutte, et
chargé d'exprimer notre colère et notre
frustration de peuple pauvre, tenu volontairement par
intérêts et par égoïsme à l'écart de la civilization
du XXe siècle, et employé seulement dans la mesure où le
régime qui nous asservit l'utilise pour
empêcher la libre expression de la volonté du peuple breton.
3. - Finalité de notre combat
Nous savons maintenant qu'il est en train de se former irréversiblement
un parti et une armée
révolutionnaire enracinés au sein des masses bretonnes.
Cela, la situation politique et économique non
seulement le permet, mais le rend plus nécessaire que jamais.
Car le peuple breton se trouve aujourd'hui devant ce dilemme.
Ou bien il démissionne et se laisse
assimiler avec toutes les conséquences socio-économiques que
cela comporte, ou il se relève et
restructure globalement sa société en la pensant en Breton en Bretagne.
Et cela est déjà en soi une
véritable révolution.
Nous savons que la police française cherche par tous les moyens à briser
l'élan qui nous pousse, par
la force brutale, la calomnie et la répression.
L'Etat impérialiste français n'a jamais accepté
l'émancipation de ses colonies que contraint et forcé et après
avoir tenté de la noyer dans le sang
(comme cela s'est produit en Algérie, Indochine, Tunisie, Maroc,
Madagascar, etc.), et rien ne prouve
qu'il y ait quelque chose de changé aujourd'hui en France.
Mais rien ne nous arrêtera plus, car nous représentons une force vive dont la pureté, le
désintéressement, la conviction d'agir et de tout risquer
pour une cause juste exercent une séduction et
un rayonnement invincibles.
Aucune répression n'aura raison de notre foi, car nous
croyons à la
justice, à la liberté et pensons au sort de notre Patrie
plus qu'à notre propre sort.
Nous savons aussi que, selon son habitude, l'Etat français va nous
couvrir d'une débauche de
formules généreuses autant qu'illusoires.
Sa prétendue réforme
de régionalisation n'aboutit en fait
qu'à mieux assurer son emprise.
Il est vraisemblable même que l'on cherche à acheter une partie de
l'opinion par des subsides comme cela s'est fait pour certains syndicalistes.
Mais, quelles que soient les
mesures employées, nous refusons catégoriquement de nous laisser acheter.
Nous refusons
l'assimilation par la charité et même l'enrichissement que cette
pseudo-générosité à retardement n'est
qu'un moyen pour cet Etat de maintenir des liens qui soient
utiles à son économie, à sa culture, à son
prestige, à son orgueil et à ses intérêts.
Il est possible aussi qu'un référendum soit tôt ou tard tenté, ce procédé
étant devenu entre les
mains du système un moyen pratique d'exploitation dirigée de l'opinion.
Brimés depuis des siècles,
trahis par nos élites féodales, bourgeoises, parlementaires (et mêmes
cléricales), nous avons accumulé
suffisamment de rancoeur et de frustration pour faire éclater aujourd'hui
la camisole de force
capitaliste, colonialiste, impérialiste qui nous étouffe.
La Bretagne possède une position géographique, des ressources énergétiques et
des ressources
naturelles amplement suffisantes, non seulement
pour assurer la renaissance et la survie de l'Etat
souverain qu'elle a été pendant près de dix siècles,
mais encore pour lui permettre un essor dynamique
et un avenir florissant.
Qu'une solution d'association soit à trouver en fonction du caractère propre
des liens ancestraux et
géographiques de la Bretagne et de la France, nous n'en disconvenons pas.
Celle-ci pourrait se faire
dans un cadre européen mais, nous le réaffirmons, aucune solution ne
pourra intervenir qu'après qu'aura
été reconnue la légitimité de notre aspiration à la majorité politique
et selon des nonnes que le
peuple breton aura décelées par la discussion et la négociation.
Nous le répétons : pour nous Révolutionnaires Bretons, notre devoir est de faire la
Révolution.
Il
ne s'agit pas de nous limiter aux revendications matérielles, ni de négocier une quelconque
participation avec l'Etat français dans son optique actuelle.
Nous réclamons la gestion totale de nos
propres affaires, car l'oppression culturelle nous semble aussi
inquiétante que la faim, et il est
impensable pour nous de lutter pour notre socialisme sans lutter
en même temps pour notre
indépendance politique.
Il est impensable de dissocier le combat
pour la justice et le combat pour la
liberté, l'émancipation de peuple et l'émancipation de classe.
Aussi, jusqu'à ce que ce contrat avec notre conscience et avec notre
rôle dans le monde soit rempli,
le Conseil Politique National du F.L.B., en accord total avec
l'Etat-Major de l'Armée Républicaine
Bretonne, a décidé la poursuite et l'intensification des actions de libération.
Notre combat obligera l'Etat français, ou à s'aligner sur les principes et
idéaux qu'il prétend
défendre, ou à dévoiler cyniquement son véritable visage au monde.
Nous Bretons, qui n'avons pas hésité à donner des centaines de
milliers de vies à des causes qui ne
nous concernaient pas, nous saurons d'autant plus mettre ce
courage, que nul ne peut nous contester,
au service du combat pour la justice et la libération de notre
propre peuple et par extension à celui de
tous les peuples opprimés du monde.
Pour le F.L.B. :
Le Conseil Politique National
et l'Armée Républicaine Bretonne
P.B. - Nous tenons ici aussi à témoigner notre amitié et
notre reconnaissance au peuple Français pour
tous les appuis, encouragement et aide que nous y rencontrons
(car nous sommes convaincus, avec
beaucoup, que la France ne retrouvera son vrai visage et son rôle
que lorsqu'elle aura définitivement
tourné le dos à sa honte d'Etat colonialiste et oppresseur),
ainsi qu'à l'aide morale qui nous arrive du
monde entier, et en particulier des Canadiens, des Basques et de nos frères Celtes.
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