ACTION SOCIALISTE (1986-2000)

Petite histoire d'une riche expérience

 

(Article paru dans la revue Socialisme Maintenant ! no 8, été 2002)

(SM !) — Suite à la tenue de la Conférence communiste révolutionnaire qui a eu lieu en novembre 2000 à Montréal, les membres du groupe Action socialiste ont convenu de mettre fin aux activités de cette organisation et de joindre les rangs du nouveau Parti communiste révolutionnaire (comités d’organisation), créé au terme de la conférence.

Fondé en janvier 1986, Action socialiste aura donc lutté pendant près de 15 ans avant de finalement voir apparaître ce qui est maintenant le noyau solide du futur parti communiste de la classe ouvrière canadienne.

Un an et demi après la création du PCR(CO), nous avons posé quelques questions à un des fondateurs d’Action socialiste, aujourd’hui membre du PCR(CO), afin de retracer la petite histoire de cette organisation, et surtout d’en tirer quelques leçons.

D’où venait le groupe Action socialiste ? Et dans quel ­contexte a-t-il été créé ?

Le groupe Action socialiste a été créé en janvier 1986 à l’initiative d’un petit collectif regroupant des jeunes radicales et radicaux, le Centre étudiant de recherche et de formation (CEREF).

Les militantes et militants du CEREF étaient actifs depuis quelques années déjà au sein du mouvement étudiant et de la jeunesse où ils tentaient de développer les luttes revendicatives, et surtout de construire un mouvement totalement indépendant de l’État, qui essayait à l’époque de récupérer et d’organiser sous son aile les différents mouvements sociaux — ce qu’il a d’ailleurs réussi à faire pour une très large part.

Au bout d’un certain temps, les militantes et militants du CEREF ont été amenés-es, presque naturellement, à élargir leur champ d’action et à se préoccuper d’autres questions que les strictes luttes étudiantes et celles de la jeunesse : luttes ouvrières, mouvement des femmes, solidarité internationale, etc.

Se posa donc la question d’une lutte plus générale contre l’État, et éventuellement d’un mouvement qui amènerait une transformation globale, révolutionnaire, de la société dans laquelle nous vivons.

Il faut se rappeler que le contexte social et politique au Québec (car c’est au Québec seulement que le CEREF était basé) était alors bien différent de ce qu’on connaît maintenant.

La gauche réformiste officielle dominait de façon quasi hégémonique le milieu militant.

Les grandes organisations marxistes-léninistes — En lutte ! et le Parti communiste ouvrier (le PCO) —, qui avaient amorcé dans les années 70 la critique du révisionnisme et tenté de remettre la révolution à l’ordre du jour, avaient toutes les deux été liquidées, en 1982 et 1983 respectivement.

Ce qu’il y avait de plus « à gauche », si on peut dire, c’était les organisations trotskistes, ainsi qu’une petite mouvance anarchiste moins nombreuse qu’aujourd’hui, et surtout bien moins radicale — les Philippe Duhamel et autres pacifistes du même acabit étaient alors nombreux au sein du mouvement…

Le mouvement syndical, quant à lui, apparaissait encore pour plusieurs comme étant un outil de changement social ­(c’était d’ailleurs notre point de vue à nous aussi).

La FTQ venait tout juste de mettre sur pied son Fonds de solidarité, et les grands discours syndicaux des années 70 visant à « casser le régime » avaient déjà largement commencé à faire place à un syndicalisme plus « responsable» ; mais néanmoins, le mouvement syndical possédait toujours une certaine force d’attraction auprès de ceux et celles qui voulaient lutter contre l’oppression et l’exploitation.

D’autant plus qu’il n’y avait alors pas vraiment d’autre alternative !

Les organisations trotskistes, dont la plus importante était déjà Gauche socialiste, cherchaient surtout à radicaliser les syndicats.

En fait, c’est là ce qu’elles disaient souhaiter : mais en pratique, pour elles, radicaliser les syndicats (et les mouvements sociaux), c’était d’abord et avant tout, tenter de les amener sur ce qu’elles appelaient le « terrain politique» : présentation de candidatures ouvrières et populaires aux élections, mise sur pied de coalitions politiques, et éventuellement formation d’un parti de masse basé sur les syndicats — l’équivalent de ce que le NPD était déjà au Canada anglais.

C’est donc dans ce contexte qu’Action socialiste a été mis sur pied. Les raisons qui ont fondé la décision de créer une nouvelle organisation ont été couchées sur papier dans une petite brochure, le Document de fondation du groupe Action socialiste, qui représentait alors notre base d’unité.

Nous souhaitions essentiellement donner un cadre, une perspective générale, au travail que nous faisions déjà dans différents milieux.

L’idée était que notre intervention, sur quelque question que ce soit (luttes étudiantes, luttes des femmes, luttes ouvrières, écologie, solida­rité internationale, etc.), devait servir à « la construction d’une organisation révolutionnaire — un parti révolutionnaire — qui sera à même d’organiser et de développer la lutte de masse des travailleurs et des travailleuses au Québec et au Canada ».

L’objectif de cette « lutte de masse », c’était bien sûr, pour nous, le socialisme : mais on était encore loin d’une compréhension claire (voire, d’une compréhension minimale, tout simplement !) de ce que ça voulait dire…

Certes, on reconnaissait que le capitalisme était à la source de l’exploitation et de l’oppression, que la société était divisée en classes, que la lutte des classes était le moteur de l’histoire, et que le prolétariat était la principale classe révolutionnaire, sinon la seule.

Mais nous aussi, comme les trotskistes, croyions qu’il fallait surtout de radicaliser les luttes — la différence, c’est qu’on était pas mal plus radicaux qu’eux, et aussi qu’on avait la volonté de faire avancer la critique de l’État.

Notre point de vue était finalement très empirique et reposait lui-même sur une expé­rience somme toute pas mal limitée : quelques années à peine, au Québec seulement, parmi les étudiants et la jeunesse.

On était loin de partir d’une analyse scientifique de l’histoire, et surtout de la société dans laquelle on se trouvait.

Pas d’analyse des classes, pas de perspective stratégique, pas de programme, et pas nécessairement de volonté d’en avoir non plus !

C’était un peu, aussi, comme si on repartait à zéro ; comme s’il n’y avait pas eu quelques expériences intéressantes avant nous (est-ce que l’URSS était ou non, en 1986, un pays socialiste ?

C’était là, pour nous, une question à laquelle il allait bien falloir répondre, éventuellement… une fois qu’on en aurait terminé avec les « choses plus importantes », comme par exemple de déterminer quelles revendications il fallait mettre de l’avant pour amener les étudiants et étudiantes à sortir de nouveau en grève générale…).

Mais le principal point positif, néanmoins, de cette décision — outre notre volonté de lutter et de s’organiser qui étaient déjà acquises avant la création d’Action socialiste —, c’est qu’on a quand même réussi à établir clairement la nécessité d’un parti révolutionnaire, d’un parti d’avant-garde capable de diriger la lutte des masses.

Il s’agissait là d’une démarcation fondamentale avec le trotskisme, qui jusque là nous avait influencé quelque peu, ainsi qu’avec les anars — même si leurs idées désorga­nisatrices étaient alors moins présentes.

Justement, quelles conséquences la fondation du groupe a-t-elle entraîné ?

Disons qu’au départ, on a tout de suite connu un certain succès.

En quelques semaines, le noyau initial venu du CEREF a vite été multiplié par trois.

Des premières cellules ont été mises sur pied, à l’extérieur de Montréal notamment. En avril est paru le premier numéro du journal Socialisme Maintenant !

Il y avait clairement un besoin, chez plusieurs militantes et militants, de coordonner leurs interventions, d’agir dans un cadre plus orga­nisé.

C’était, en tous cas, ce qui en a motivé plusieurs à joindre nos rangs. Cela fut d’ailleurs très évident lors des premières sorties publiques que nous avons faites, où plusieurs membres brillaient par leur absence : on était bien prêts à participer à toutes sortes de réunions internes, s’agissant de coordonner notre activité dans les luttes immédiates, mais dès lors qu’il était question de présenter notre ligne politique (même embryonnaire) aux masses, ou encore de discuter de questions plus générales, plusieurs s’évanouissaient dans la nature (littéralement).

Ceci dit, le fait même d’avoir « osé » aller de l’avant, d’avoir fondé une organisation telle que la nôtre qui prétendait en arri­ver à diriger la lutte des masses au nom du socialisme, a eu des conséquences très positives.

En fait, c’est un peu comme si la lutte des classes nous avait rattrapés et nous avait forcés à clarifier nos analyses et nos opinions.

Pour publier un journal, notamment, il a fallu évidemment élaborer nos points de vue et nous situer sur un tas de questions.

Les débats de ligne sont donc vite apparus, sans qu’on ait nécessairement la capacité de les mener tous correctement ; néanmoins, ces débats nous ont amenés à progresser, à préciser notre ligne politique, et éventuellement notre ligne idéologique aussi.

Les premiers débats sérieux ont porté sur la question nationale québécoise, et éventuellement sur la lutte pour la libération des femmes.

Dans les deux cas, ça nous a amenés à préciser notre analyse des classes, et surtout à raffermir notre point de vue en faveur des intérêts du prolétariat.

Les débats sur ces questions se sont étendus sur près de quatre ans !

Pendant ce temps, on continuait à s’impliquer, à plein, dans les luttes étu­diantes, le mouvement des femmes, le mouvement populaire.

Éventuellement, en 1990, les événements qui ont entouré la résistance de la nation mohawk contre l’agrandissement d’un terrain de golf sur un cimetière traditionnel à Kahnesatake, nous ont permis de voir comment une ligne politique juste pouvait nous permettre d’intervenir correctement (politiquement parlant), et non pas juste efficacement (du strict point de vue organisationnel) dans le cadre d’une lutte.

Notre opposition au nationalisme québécois bourgeois, notre soutien militant et inconditionnel à la lutte des Mohawks et notre défense vigoureuse du principe de l’égalité absolue des langues et des nations nous ont permis d’influencer très positivement les éléments avancés au sein du prolétariat québécois — ceux qui luttaient pour la défaite de « notre propre bourgeoisie » et qui se sont solidarisés avec la résistance autochtone.

Il est malheureux, toutefois, que les camarades d’Action socialiste n’aient alors pas tous bien intégré la signification politique de ces événements ; du fait qu’il était possible et nécessaire de défendre un point de vue clair, et parfois même d’aller à contre-courant, pour rejoindre, influencer et organiser les éléments d’avant-garde.

Autre fait marquant, pour nous, de toute cette période — qui va, disons, de la création du groupe jusqu’en 1990 —, ce fut le ralliement et l’intégration d’ex-militants et militantes des organisations M-L des années 70.

Parmi elles et eux, il faut noter en particulier un groupe d’ex-membres du Parti communiste ouvrier, qui avaient poursuivi leur activité politique dans le cadre d’un groupe appelé « Libération » après la liquidation du PCO en janvier 1983.

Incapables d’assurer la viabilité de leur organisation, ceux-ci nous ont contactés, début 1988, pour nous faire part de leur volonté d’entreprendre une démarche d’unité avec nous.

Devant l’enthousiasme suscité de part et d’autre par cette possibilité, les débats initialement prévus avec les membres de Libération, qui auraient peut-être permis d’identifier et de clarifier un certain nombre de divergences, et éventuellement de déboucher sur une unité idéologique minimale, ont rapidement été abandonnés, au profit d’une intégration rapide et sans principes.

L’intégration des membres de Libération, dont la plupart étaient surtout des syndicalistes, allait enfin permettre au groupe Action socialiste — c’est du moins ce que nous souhaitions — d’intervenir dans le mouvement syndical.

Mais en l’absence d’une solide unité idéologique (on commençait à s’identifier comme étant « marxistes-léninistes», mais on était loin d’en avoir une définition claire), cette «diversification » de nos secteurs d’intervention allait nécessairement amener l’accélération des divisions internes.

C’est comme si à défaut de nous unir autour d’un même point de vue (représentant, disons, l’intérêt général du prolétariat), tous se sentaient autorisés à tirer la couverture de leur propre côté.

Un peu au même moment, la réémergence du mouvement nationaliste bourgeois, qui a refait surface suite à l’échec de ­l’accord du Lac Meech, avait commencé à nous placer dans une situation difficile dans certaines des organisations de masse dans lesquelles les militantes et militants d’AS étaient impliqués-es.

De fait, toute l’organisation était alors fortement marquée par ce que nous avons appelé l’économisme, qui se manifestait par une intervention tous azimuts dans les luttes immédiates (les luttes économiques), au détriment de l’agitation, de la propagande et de l’organisation communistes.

L’économisme, c’est une forme d’opportunisme de droite qui fait que pour ses partisans, le mouvement représente tout, alors que le but final (le communisme) ne signifie plus rien.

Ce faisant, on néglige de grossir le camp de la révolution et on en vient inévitablement aux pires compromis, pour obtenir des gains rapides et immédiats.

Plusieurs camarades occupaient alors des postes de direction, à la tête d’associations étudiantes, de groupes populaires ou de syndicats.

L’important pour nous, c’était de conquérir la direction organisationnelle du mouvement de masse ; et on y arrivait parfois, voire même souvent et assez facilement, parce qu’on avait certains talents d’organisateurs.

Sauf que ça ne reposait pas nécessairement (plus souvent qu’autrement, ça ne reposait même pas du tout) sur une direction idéologique et politique.

La contradiction entre notre orientation « communiste » et les points de vue bourgeois dominants, y compris parmi les masses, devenait de plus en plus évidente au fur et à mesure qu’on « montait » dans la hiérarchie des grandes organisations de masse (et il faut dire que pour plusieurs d’entre nous, plus on montait, et plus on avait le sentiment de faire quelque chose d’intéressant…).

Ce qui a tendance à se produire à ce moment-là, c’est soit qu’on mette de côté et qu’on « cache » nos véritables points de vue — voire même qu’on défende des points de vue avec lesquels on n’est pas d’accord parce que tel est le mandat qu’on est tenu de respecter (et tant pis pour les idées communistes) ; soit qu’on commence à développer des pratiques bureaucratiques, pour imposer nos points de vue, malgré qu’ils soient minoritaires, et préserver les positions qu’on a conquises dans tel ou tel mouvement.

C’est un peu ce qui s’est produit, en particulier dans le mouvement étudiant, où nos camarades dirigeaient depuis plusieurs années la principale association étudiante nationale, l’ANEEQ.

Les courants nationalistes plus ou moins liés au PQ, alimentés par les trotskistes et aussi — étrangement — par certains anars, ont petit à petit réussi à nous évincer des trois ou quatre asso­ciations étudiantes locales où on était présents.

Si bien qu’à un moment donné, notre pratique est même devenue une sorte de caricature d’économisme, alors qu’on s’est retrouvés à occuper la tête de l’association étudiante nationale, sans même disposer d’un seul appui dans au moins une association locale.

Quel impact cela a eu sur l’organisation ?

En fait, tout ça nous a amené à entreprendre une critique de l’économisme ; mais cette lutte, qui aurait dû normalement nous permettre de rectifier le tir et d’améliorer notre pratique, a elle-même été menée d’une manière totalement bureaucratique et sans principes !

Plusieurs camarades étudiantes et étudiants se sont alors tout simplement éloignés-es de notre organisation, la plupart d’entre elles et d’entre eux ayant même carrément cessé toute activité militante.

La critique de l’économisme a en effet été dirigée par les camarades qui semblaient avoir le plus d’expérience politique pour ce faire — à savoir les anciens membres du groupe Libération, dont on parlait tantôt.

Mais cette critique s’est avérée absolument non convaincante, voire désastreuse.

Elle a été menée de façon dogmatique, à grands coups de citations le plus souvent mal comprises.

Surtout, elle visait à cacher le propre économisme de ceux qui la portaient (de fait, elle n’est justement pas arrivée à le cacher, d’où le malaise).

Car en effet, la pratique de nos camarades en milieu syndical n’était pas bien différente de celle qu’on avait en milieu étudiant.

Sauf qu’on la justifiait en disant qu’il s’agissait du mouvement ouvrier, et que comme ­c’était plus important que le mouvement étudiant (ce qui n’était pas nécessairement faux), on pouvait y faire plus de « compromis » (ce qui était parfaitement erroné !).

On s’est donc retrouvés, au tournant des années 90, dans une situation plus difficile, où les divisions internes s’avéraient plus aiguës, pendant que le ralliement, à l’externe, commençait à stagner.

Pour aller de l’avant, c’était de deux choses l’une : ou bien on en profitait pour consolider notre unité idéologique, préciser nos perspectives stratégiques et aller aux masses avec une orientation beaucoup plus claire et stimulante ; ou bien on tentait une fuite en avant en adoptant le plus petit dénominateur commun et en alignant notre travail sur les éléments les plus arriérés d’un mouvement de masse en reflux.

La lutte entre ces deux options s’est poursuivie jusqu’à son terme, en 1994.

Tu fais référence ici au cinquième congrès du groupe et à l’importante lutte de lignes qui a culminé à ce moment-là…

Oui, en effet.

Mais il faut dire, avant d’aller plus loin, que pendant toute cette période allant, disons, de 1990 à 1994, cette lutte a commencé à prendre forme petit à petit et a été marquée par différents événements, sans pour autant qu’elle éclate au même niveau où elle l’a fait en 1994.

Il y avait, fort heureusement, dans l’organisation, plusieurs camarades, dont certaines et certains venaient eux aussi du mouvement M-L (soit d’En lutte ! ou du PCO), qui voyaient bien la nécessité de mener la lutte idéologique afin de renforcer notre unité.

Ces camarades ont d’ailleurs souvent insisté pour que l’organisation étudie les révolutions du passé et s’empare de l’expér­ience tant positive que négative du mouvement communiste international, afin d’éviter qu’on reproduise les mêmes erreurs et aussi pour qu’on actualise le projet communiste.

On a aussi poussé pour que l’organisation participe aux débats qui traversaient le mouvement communiste international au début des années 90, afin d’apprendre de l’expérience de nos camarades qui eux aussi poursuivaient la lutte, dans des conditions pas toujours faciles, un peu partout dans le monde.

Une organisation amie, portant le nom de Voie prolétarienne en France, a elle aussi mené la lutte auprès de nous pour qu’on s’empare de l’idéologie révolutionnaire du prolétariat et qu’on se lie aux expériences révolutionnaires les plus avancées de l’époque actuelle (cette organisation, qui existe encore aujourd’hui, a toutefois malheu­reusement tourné le dos au maoïsme et s’en tient désormais aux vieilles positions sclérosées de la IIIe Internationale).

C’est ainsi qu’on a commencé à s’approprier, collectivement — bien que de façon inégale —, des acquis de la révolution ­chinoise, notamment de la lutte menée par Mao contre le révisionnisme soviétique et de la Grande révolution culturelle ­prolétarienne, qui constitue la plus formidable avancée réalisée par le mouvement révolutionnaire dans la lutte pour renverser la bourgeoisie, édifier le socialisme et aller vers le communisme.

On s’est enfin mis à l’étude des apports de Mao à la science révolutionnaire du prolétariat, ce qui nous a entre autres permis de comprendre l’importance de l’analyse des classes, du développement d’une ligne stratégique claire, de la nécessité de faire corres­pondre notre pratique à la théorie, et aussi d’appliquer ce que Mao appelle la ligne de masse.

En même temps, l’organisation a commencé à développer un travail de solidarité, qui s’est avéré déterminant sur la suite des choses, avec la guerre populaire menée par le Parti communiste du Pérou et dirigée par le président Gonzalo (Abimael Guzmán, un leader révolutionnaire de haut calibre).

C’est qu’après la longue période de reculs qui avait suivi la mort de Mao et la restauration du capitalisme en Chine, la guerre populaire initiée par le PCP au Pérou, qui a atteint des sommets inégalés au début des années 90, a fortement contribué à relancer le débat sur la nécessité et la validité du projet révolutionnaire.

Le PCP a démontré en pratique qu’il était possible d’avancer sur la voie de la révolution, à condition d’adopter une ligne idéologique et politique juste et de s’appuyer sur l’expérience bien comprise et bien assimilée des 150 ans d’histoire du mouvement communiste international, une expérience synthétisée dans ce que nous appelons maintenant le marxisme-léninisme-maoïsme (et principalement le maoïsme).

Ce travail de solidarité avec la révolution péruvienne nous a en outre permis d’entrer en contact avec un certain nombre de militantes et de militants anti-impérialistes, venus-es de pays du tiers-monde, dont l’expérience et les qualités exceptionnelles ont aussi fortement contribué à faire progresser la lutte idéologique.

Fin 1993, un événement qui normalement aurait dû s’avérer banal et sans conséquence est toutefois venu bouleverser la vie de notre organisation.

À l’usine Expro de St-Timothée, où nous allions parfois diffuser, le syndicat affilié à la CSN a accepté, suite à un vote serré, de signer un de ces fameux « contrats ­sociaux » avec l’employeur, prévoyant la paix sociale pour cinq ans (contrairement à ce que stipulent les dispositions régulières du code du travail qui limitent la durée des conventions collectives à trois ans), des baisses de salaires, de nombreux autres reculs et surtout, la mise à pied de 150 travailleurs et travail­leuses, avec la complicité du syndicat (qui se voyait même accorder la possibilité de dire son mot sur qui allait ou non conserver son emploi !).

Un excellent éditorial fut alors publié dans les pages du journal Socialisme Maintenant ! pour critiquer cette décision, plus ou moins imposée par la direction du syndicat local appuyée par les plus hautes instances de la CSN.

Ce fut là l’occasion qu’ont choisie les camarades venus du groupe Libération pour passer à l’attaque et tenter d’imposer une ligne totalement opportuniste et vendue à notre organisation.

Il s’avérait que le syndicat local chez Expro était encore dirigé en sous-main par Marc Laviolette — celui-là même qui préside aujourd’hui la CSN (enfin, peut-être plus pour longtemps, mais ça, c’est une autre histoire…).

Laviolette avait déjà été président du syndicat d’Expro dans les années 70, alors qu’il militait au sein du PCO — c’est en effet un autre de ces anciens « marxistes-léninistes » maintenant reconvertis aux ­vertus du « capitalisme à visage humain ».

En 1993, il dirigeait la Fédération de la métallurgie de la centrale et s’apprêtait à postuler un poste à l’exécutif de la CSN.

Nos camarades impliqués dans les instances de cette centrale croyaient qu’il valait mieux ne pas le critiquer, ni critiquer le contrat social qu’il avait difficilement réussi à faire avaler aux travailleurs et aux travailleuses d’Expro (et que plus de 40 % d’entre eux avaient dignement rejeté en assemblée générale), parce que c’était supposément un allié de la «gauche syndicale » et qu’il fallait l’appuyer dans sa tentative de se hisser à la tête de la CSN.

Soudainement, c’est comme si un gouffre était apparu entre nous et les camarades venus du groupe Libération. Plus qu’une simple question de tactique, il s’agissait d’une réelle divergence de fond.

Pour eux, il n’y avait pas de problème à accepter un tel contrat de travail qui impose la paix sociale.

Malgré le Fonds de solidarité de la FTQ, malgré le fonds d’investissement semblable de la CSN (Fondaction), malgré les discours favorables à la « gestion participative » et à un syndicalisme raisonnable qui dominaient désormais y compris les secteurs réputés les plus à gauche du mouvement syndical (comme à la CSN), malgré les trahisons multiples et incessantes, rien n’avait vraiment changé, selon nos camarades : pour eux, le mouvement syndical était encore et toujours le principal outil de changement social, comme dans les années 70.

Et tout ce qui pouvait semer le doute là-dessus devenait soudainement dangereux et condamnable.

Ainsi, selon eux, le journal Socialisme Maintenant ! parlait trop de la révolution et des luttes de libération qui se déroulent dans les pays du tiers-monde, ce qui n’intéressait plus personne ou presque dans les syndicats ; il critiquait trop ouvertement le PQ, ce qui était susceptible de déplaire à certains « alliés » ; il ne proposait pas assez de «revendications immédiates » et de suggestions susceptibles d’améliorer le fonctionnement du capitalisme, en attendant le « grand soir » (telle une réforme de la fiscalité, un plan de croissance de « l’industrie canadienne », etc.).

Bref, la contradiction avec les anciens du groupe Libération allait rapidement devenir antagonique.

Lors d’une conférence interne tenue fin 1993, les ex-membres de Libération, qui méprisaient souverainement le travail que certaines et certains camarades menaient depuis plusieurs années en direction du prolétariat inorganisé et surexploité (un secteur qui ne pouvait nécessairement qu’être qualifié «d’arrière-garde », puisque non-syndiqué…), ont proposé, en préparation au cinquième congrès du groupe, qu’Action socialiste abandonne ce secteur, ainsi que son travail anti-impérialiste, et concentre toutes ses forces à l’intérieur du mouvement syndical.

C’était là, et seulement là, selon eux, qu’on pouvait trouver les éléments avancés du prolétariat — en fait, selon leur conception, c’est même surtout en montant dans les hautes instances du mouvement syndical qu’on retrouve les éléments les plus avancés, parce que plus expérimentés (plus expérimentés dans les magouilles et les trahisons, pourrions-nous ajouter).

Pendant les mois qui ont suivi, et sur la base des acquis ­nouvellement assimilés du maoïsme, la direction du groupe a organisé et dirigé la lutte entre les deux lignes dans le but de cla­rifier les divergences et de susciter l’élaboration d’une position juste qui corresponde aux intérêts généraux du prolétariat.

Une étude approfondie a été entreprise sur la situation du prolétariat au Canada, pour mieux comprendre quelles couches en font ­partie, comment se développe l’exploitation, quels rapports le prolétariat entretient avec la bourgeoisie canadienne, quel est son niveau de conscience politique, son niveau d’organisation, etc.

Un regard approfondi a notamment été porté sur la situation qui prévalait à l’intérieur du mouvement syndical et sur les développements que celui-ci avait connus au cours des 10 ou 15 dernières années.

Cette étude, qui a été publiée sous le titre « Perspectives pour le prolétariat canadien », se concluait par un appel à descendre « en profondeur » parmi les masses proléta­riennes, afin d’y faire vivre la politique révolutionnaire.

L’analyse et les propositions contenues dans ce document cons­tituent une application vivante des principes de la ligne de masse élaborés par Mao.

L’ensemble du document représentait d’ailleurs un modèle «d’analyse concrète d’une situation concrète », à l’opposé des formules toutes faites et des dogmes véhiculés par les opportunistes, qui mérite encore aujourd’hui d’être lu, étudié et appliqué.

Malheureusement, sachant que leur point de vue était minoritaire, et sans doute aussi parce qu’ils savaient qu’il était indéfendable, les anciens membres de Libération ont quitté l’orga­nisation avant même la tenue du congrès.

Après avoir tenté en vain de créer leur propre organisation, ils se sont finalement réfugiés, il y a trois ans, au sein du vieux Parti communiste canadien révisionniste, où on leur a accordé quelques prébendes.

En leur absence, le cinquième congrès d’Action socialiste a répudié le courant opportuniste de droite qu’ils représentaient, ratifié les thèses inclues dans le document «Perspectives… » et adopté une résolution très importante, qui clarifiait notre ligne idéologique et formalisait notre adhésion au marxisme-léninisme-maoïsme.

Que s’est-il passé après coup ?

Les tenants de la ligne opportuniste comptaient parmi les militants les plus expérimentés de notre organisation.

Nous avons d’abord dû passer par une courte période de réorganisation, avant de pouvoir entreprendre sérieusement une campagne de rectification et de traduire, dans notre travail quotidien, l’orientation stratégique adoptée à notre congrès.

La décision la plus importante que nous ayons prise au cours de cette période fut de lancer un nouveau journal de masse gratuit, Le Drapeau rouge, et de transformer notre ancien journal Socialisme Maintenant ! en une revue politique marxiste-­léniniste-maoïste.

Nous avons donc commencé à diffuser systématiquement Le Drapeau rouge, dans les usines (syndiquées ou non…), dans les quartiers populaires, autour des écoles, à l’extérieur de Montréal et aussi à l’extérieur du Québec (occasionnellement).

Parallèlement, nous avons mené des campagnes politiques de plus grande envergure, comme celle qui a précédé la tenue du Sommet du Québec et de la jeunesse en février 2000.

Le Drapeau rouge s’est alors avéré un outil de tout premier ordre pour populariser les mots d’ordre que nous mettons de l’avant (tel « Attaquons le Sommet ! ») et pour organiser l’action révolutionnaire des masses.

Autour du Drapeau rouge se sont constitués petit à petit des cercles de discussion et de formation, et éventuellement quelques comités qui, avec les membres du groupe Action socialiste, ont pris l’initiative de convoquer, préparer et organiser l’historique Conférence communiste révolutionnaire qui a eu lieu en novembre 2000.

C’est à cette conférence que des militantes et militants révolutionnaires venus-es de plusieurs villes canadiennes ont pris la décision de fonder le PCR(CO) et de faire circuler un projet de programme en vue de pouvoir tenir, dans les meilleurs délais, le premier congrès du Parti communiste révolutionnaire.

Les membres d’Action socialiste ont alors convenu de mettre un terme aux activités du groupe et de joindre les rangs du PCR(CO), afin d’œuvrer au succès de la nouvelle organisation.

Maintenant que le PCR(CO) existe et que le travail révolutionnaire avance sérieusement au Canada, quelles leçons peut-on tirer de l’expérience d’Action socialiste ?

Du point de vue de l’histoire du prolétariat canadien et du mouvement communiste international, les presque 15 ans d’histoire du groupe Action socialiste représentent finalement bien peu de choses.

Mais elles sont néanmoins riches en leçons et en enseignements.

En fait, n’eût été de l’intrépidité (qui fut parfois aussi témérité, voire insouciance…) des camarades qui ont fondé Action socialiste et de ceux et celles qui s’y sont joints pour mener la lutte jusqu’à terme, nous serions sans doute moins bien outillés-es aujourd’hui, pour tirer notre épingle du jeu dans la nouvelle période d’affrontements et de soulèvements révolutionnaires dans laquelle nous entrons.

L’expérience d’Action socialiste nous a montré la nécessité d’élaborer, d’adopter et d’appliquer une ligne idéologique et politique juste, basée sur une analyse scientifique des classes, de la lutte des classes et de l’évolution des rapports sociaux, au Canada comme dans l’ensemble du monde.

Elle a également prouvé que la lutte entre les deux lignes, entre les deux grandes conceptions du monde (celle de la bourgeoisie et celle du prolétariat), constitue une réalité objective, permanente et incontournable ; sachant cela, nous pouvons et nous devons l’utiliser comme un facteur de progrès et de consolidation, pour apprendre constamment de nos erreurs, les rectifier, et avancer toujours plus sur la voie de la révolution.

Dans un pays impérialiste comme le Canada, où existe une aristocratie ouvrière assez large et où les couches salariées de la petite-bourgeoisie dominent et dirigent une bonne partie du mouvement des masses, la lutte contre les conceptions bourgeoises s’avère drôlement importante.

En l’absence d’un mouvement révolutionnaire de masse qui soit en mesure d’ébranler un tant soit peu son pouvoir, la bourgeoisie impérialiste maintient autant que possible un climat de « liberté » (une liberté factice qui n’a rien à voir avec la véritable démocratie prolétarienne), dans lequel les points de vue opportunistes ont tout le loisir de s’exprimer.

Comme le disait Lénine, l’opportunisme est « le fruit de la léga­lité », et l’expérience d’Action socialiste, comme celle d’ailleurs de toutes les organisations prétendant au communisme dans les pays impérialistes, montre que l’opportunisme de droite est un danger quotidien contre lequel il faut lutter à chaque instant.

Ce que nous pouvons retenir également, c’est la nécessité de faire correspondre notre pratique à la théorie révolutionnaire.

On peut bien adopter les plus belles positions de principe et écrire les plus belles analyses, mais si notre pratique se résume à faire la même chose qu’un Marc Laviolette ou une Françoise David, à suivre le mouvement de masse, ou au mieux à le pous­ser tout juste un peu plus vers l’avant, et si on ne porte pas le point de vue révolutionnaire au cœur même du mouvement de masse et qu’on n’organise ni n’accumule de forces pour la révolution, alors on se cantonne à n’être que des « révolutionnaires » sur papier.

Pour faire la révolution, il ne faut pas juste en parler. Il y a quelques années, un ex-camarade qui critiquait le point de vue des opportunistes au sein de notre organisation disait que pour être révolutionnaire, il ne suffisait pas d’ajouter une petite phrase « communiste » à la fin d’un article ou d’un tract économiste pour se donner bonne conscience (c’est ce qu’il appelait la « queue rouge », qui terminait souvent nos articles à une certaine époque).

Si on veut faire la révolution, alors il faut l’entreprendre, et sérieusement.

En commençant par forger les instruments dont le prolétariat a obligatoirement besoin pour la réaliser — un parti, une armée et un mouvement de masse révolutionnaire.

Le problème fondamental de toute révolution, c’est celui du pouvoir, c’est-à-dire de la destruction du pouvoir des classes réactionnaires (ici au Canada, c’est la bourgeoisie) et de la conquête et l’établissement du nouveau pouvoir révolutionnaire.

Dès aujourd’hui, notre activité pratique doit être conséquente avec ce principe, elle doit viser constamment à faire avancer la lutte pour le pouvoir.

Dans le contexte canadien, la stratégie de la guerre populaire prolongée, évoquée dans le projet de programme du PCR(CO), est celle qui correspond le mieux à cette exigence.

Aux lecteurs et lectrices de la revue Socialisme Maintenant ! déjà impliqués-es dans la lutte révolutionnaire, membres d’un comité d’organisation du PCR(CO), d’un cercle d’étude, d’un comité du Drapeau rouge ou qui travaillent, dans telle ou telle ville, à construire le parti communiste révolutionnaire, nous disons : continuez à oser lutter, oser aller de l’avant et oser vaincre !

En luttant comme vous le faites, vous gagnez votre propre libération et vous ouvrez la porte à l’émancipation de toute l’huma­nité.

Et aux autres, nous disons : n’attendez plus, camarades, et joignez-vous, vous aussi au combat : vous n’avez rien à perdre que vos chaînes et vous avez un monde à gagner !