Organisation Communiste Irlandaise

LES ASPECTS ÉCONOMIQUES DU RÉVISIONNISME

(1969)

Il y a dix ans, la situation et les perspectives de la lutte de classe historique entre les ouvriers et la bourgeoisie se manifestaient ainsi : un camp socialiste fort et uni existait de l'Europe centrale jusqu'au Pacifique.

Un marché socialiste en expansion face à un marché capitaliste rétrécissant, l'essor des luttes de libération nationale contre l'impérialisme, et la perspective de l'approfondissement de la contradiction entre travailleurs et capitalistes dans les pays impérialistes, sous la poussée de l'expansion du marché socialiste mondial et des luttes de libération nationale.

Tout cela laissait présager une très courte espérance de vie pour l'impérialisme mondial.

Aujourd'hui, ce serait tromper son monde que de présenter les choses de cette façon. Même si l'impérialisme est toujours en crise, et devra le rester tant qu'il existera, il a survécu depuis le milieu des années 50 en surmontant la situation particulière qu'il a rencontré.

Il a réussi à le faire en liquidant pour un temps une partie substancielle du camp socialiste, en se servant d'une arme : le révisionnisme moderne.

Nous sommes parvenus à une assez bonne compréhension de la politique du révisionnisme ces trois dernières années, mais nous n'avons pas prêté assez d'attention à ses aspects économiques.

1. les marchandises

Marx commence le Capital avec ce constat : "la richesse des sociétés dans lesquelles règne le mode de production capitaliste s'annonce comme une immense accumulation de marchandises, la marchandise étant la forme élémentaire de cette richesse."

Staline a dit, à propos des marchandises : "La marchandise est un produit qui se vend à tout acheteur; et au moment de la vente, le propriétaire de la marchandise perd son droit de propriété, tandis que l'acheteur devient propriétaire de la marchandise : il peut la revendre, la mettre en gage, la laisser pourrir."

Une marchandise a deux aspects : elle a une valeur d'usage, ce qui signifie que quelqu'un veut l'utiliser.

Si ce n'était pas le cas, la produire n'aurait aucun sens.

Mais la valeur d'usage à elle seule ne fait pas d'un produit une marchandise.

C'est son autre aspect, sa valeur d'échange, qui en fait une marchandise. La valeur d'échange s'ajoute à la valeur d'usage et la suppose. La production marchande, c'est la production pour l'échange.

Depuis un siècle et quart, les marxistes ont toujours soutenu que la production capitaliste est le plus haut développement de la production marchande, de la production pour la vente (et donc pour le profit), alors que la production socialiste est la production pour l'usage, donc en contradiction avec la production marchande.

Concernant le capitalisme et la production marchande, Marx dit dans le Capital que "le mode de production dans lequel le produit prend la forme de la marchandise, c'est à dire qu'il est produit directement pour l'échange, est la forme générale et embryonnaire de la production bourgeoise" "... la production marchande ne devient le type normal, dominant de la production que lorsque la production capitaliste lui sert de base."

"Ce n'est pas le fait de produire des marchandises qui distingue le capitalisme des autres modes de production, c'est bien plutôt que le fait d'être des marchandises est le caractère dominant et déterminant de ses produits...

En outre, déjà implicite dans la marchandise, il y a la matérialisation des rapports sociaux de production et la personnification de ses conditions matérielles."

Et Staline : "la production capitaliste est la forme suprême de la production marchande."

Il a toujours été fondamental aux yeux du marxisme que l'abolition du capitalisme signifiait l'abolition du système marchand.

"La prise de contrôle de tous les moyens de production par la société met un terme à la production marchande et par conséquent à la domination du produit sur le producteur." Engels, Anti-Dühring.

"Le socialisme, nous le savons, signifie l'abolition de l'économie marchande."

Lénine, La Question agraire.

Après la révolution d'octobre, la production marchande n'a pas été abolie d'un seul coup en Union Soviétique.

En fait, elle a beaucoup grandi pendant les années suivant 1921. Les destructions de forces productives pendant la guerre civile avaient rendu cela nécessaire. Pour relancer la production, il fallait libérer pour un temps la production et l'échange marchands, parallèlement à l'édification des grandes forces productives détenues par l'Etat des ouvriers et des paysans.

A la fin des années 20 et au début des années 30, la production industrielle était entièrement prise en charge par l'Etat.

Et, après une période d'intenses luttes de classe dans les campagnes, la classe des paysans riches a été abolie, et les paysans pauvres et moyens, guidés par la classe ouvrière, se sont d'eux-mêmes organisés dans des fermes collectives. La collectivisation a rendu possible l'industrialisation rapide de l'Union Soviétique dans les années 30.

La collectivisation des terres a aussi été un moyen, sous la dictature du prolétariat, de guider les masses paysannes vers le socialisme.

Cependant, l'échange entre le secteur public de l'économie et les kolkhozes est resté marchand. La collectivisation n'a donc pas aboli la production marchande.

Dans son dernier ouvrage, les problèmes économiques du socialisme en URSS, Staline a consacré beaucoup d'attention à ce problème.

Il écrit : "les kolkhozes n'acceptent pas aujourd'hui d'autres relatios économiques avec la ville que celles intervenant dans les échanges par achat et vente de marchandises.

Aussi la production marchande et la circulation des marchandises sont-elles chez nous, à l'heure actuelle, une nécessité pareille à celle d' il y a trente ans par exemple, lorsque Lénine proclamait la nécessité de développer au maximum la circulation des marchandises." Cette sphère de la production marchande était destinée à disparaître à un niveau ultérieur du développement du socialisme.

Elle serait dépassée "lorsqu'au lieu des deux principaux secteurs de production, Etat et kolkhoze, il se formera un seul secteur englobant toute la production et investi du droit de disposer de tous les produits de consommation du pays. La circulation des marchandises avec son économie monétaire disparaîtra comme un élément inutile de l'économie nationale."

Pour une période déterminée du développement du socialisme, la production et l'échange marchand ont joué un rôle positif, dans le sens où la dictature du prolétariat a pu être maintenue et consolidée, dans le sens où la sphère de la production socialiste pour l'usage a pu être parallèlement renforcée et étendue, dans le sens où le niveau de conscience des masses a pu être élevé. Mais sur le long terme, la production et l'échange marchands sont incompatibles avec le socialisme. Cette position marxiste-léniniste a été clairement établie par Staline en 1952.



2. les "erreurs de Staline"

Le triomphe des anti-staliniens dans le PCUS a abouti par la suite aux soit-disant "développements créatifs du marxisme".

"Récemment, a gagné une grande audience l'idée que la circulation des marchandises est incompatible avec la perspective de passer du socialisme au communisme. Une telle formulation de la question est erronée. La dialectique de l'économie socialiste consiste précisément en ceci que nous arriverons à éliminer la production marchande et la circulation d'argent dans la phase supérieur du communisme, et cela comme résultat d'un développement supérieur des relations marchandises-argent dans la phase socialiste du développement." Ostrovitianov, Marxism Today, août 1958.

Comme on le voit, l'idée que la production capitaliste est la forme suprême de la production marchande et que le socialisme implique l'abolition de l'économie marchande devient sous leurs plumes une des "erreurs de Staline".

Ce n'est plus le capitalisme, mais le socialisme qui est la forme suprême de l'économie marchande. Effectivement, ce que le capitalisme a de mauvais, ce n'est pas d'être marchand, mais au contraire de faire obstacle à la production marchande!

Maurice Dobb (du Parti Communiste de Grande-Bretagne) a ajouté son "développement créatif" en 1961 : "Une question cardinale doit être soulevée, d'un grand intérêt, au moins pour les économistes.

Alors que grandissent les forces productives d'un pays, ainsi que la demande de biens de consommation, qui deviennent plus abondants, il est possible que l'aspect de valeur d'usage de ces biens gagne en importance par rapport à leur aspect de valeur d'échange.

Cette perspective effraie les économistes bourgeois." Marxism Today, novembre 1961.

Voilà donc une nouvelle théorie de l'abolition du capitalisme : si la productivité du travail sous le capitalisme s'élève suffisamment, le flux croissant des marchandises qui en résultera conduira à ce que la valeur d'échange de ces marchandises (ce qui en fait des marchandise en dernière analyse) "perde en importance" par rapport à leur valeur d'usage.

Selon le révisionniste Dobb, les gens ne seront plus intéressés par la valeur d'échange : l'intensification de la production marchande pour la vente la transformera en production de valeur d'usage, en production socialiste.

Marx a dû faire une erreur quelque part à ce qu'il semble!

Cependant en vérité personne ne s'est trompé. Que les idéologues du révisionnisme proclament que la contre-révolution bourgeoise en URSS, c'est la transition au communisme et décrivent le socialisme comme un système marchand planifié, cela ne signifie pas qu'ils se soient "trompés".

Ils servent loyalement les intérêts bourgeois dans la lutte des classes.

3. le marché mondial

"Le résultat économique le plus important de la deuxième guerre mondiale a été la désagrégation du marché mondial unique, universel... le résultat économique de l'existence de deux camps opposés fait que le marché unique, universel, s'est désagrégé, si bien que nous avons maintenant deux marchés mondiaux parallèles qui s'opposent l'un à l'autre...

Il s'ensuit que pour les principaux pays capitalistes, la sphère d'exploitation des ressources mondiales ne s'étendra pas, mais diminuera; que les conditions, quant aux débouchés mondiaux, s'aggraveront pour ces pays et que la sous-production s'y accusera. C'est en cela précisément que consiste l'aggravation de la crise générale du système capitaliste mondial à la suite de la désagrégation du marché mondial." (Staline).

Voilà, nous disent les révisionnistes, une autre "erreur de Staline".

L'essor du révisionnisme et l'extension de la production marchande dans les ex-pays socialistes de l'Est, ont évidemment conduit à formuler des "réfutations" de cette "erreur".

Cette réfutation est liée à la nouvelle théorie de la "division socialiste internationale du travail", qui "libère la division du travail de la forme antagoniste" qui est la sienne sous le capitalisme, et ainsi facilite son plein développement. (Les marxistes ont toujours soutenu que le socialisme abolirait la division du travail-encore une "erreur de Staline" qui remonte à Marx et Engels)

"La division socialiste internationale du travail n'implique en aucune façon l'autarcie (auto-suffisance économique) du camp socialiste. Il suit du principe léniniste de coexistence pacifique que les systèmes économiques capitalistes et socialistes forment ensemble une seule économie mondiale.

Elle forme la base économique de la coexistence pacifique. Plus sera développée la division socialiste internationale du travail, plus grandes seront les opportunités d'échange entre les deux systèmes.

Le fait que les prix mondiaux sont aussi utilisés comme base pour la fixation des prix dans le marché mondial socialiste indique bien que les marchés capitalistes et socialistes font partie d'un seul marché mondial" ("La division internationale du travail", Revue Marxiste Mondiale, déc. 1958.)

De fait, pour les révisionnistes et pour la bourgeoisie, il y a un seul marché mondial. Cela ne signifie pas que Staline avait tort, ou que Trotsky avait raison quand il soutenait que le socialisme devait être construit à l'intérieur du marché capitaliste mondial. Cela signifie que le révisionnisme ne peut pas cacher sa nature. Il est une variété de capitalisme.

4. la tâche principale dans la construction du faux communisme

Lire le rapport de Kossiguine sur les "nouvelles méthodes de management économique" (Rapport au plénum du comité central du PCUS, 27/09/1965), revient à lire le rapport d'une entreprise bourgeoise.

Même la terminologie est identique à celle des économistes bourgeois.

D'après Kossiguine, la tâche principale en Union Soviétique est de parvenir à un management économique et rationnel de l'économie nationale, à un "usage rationnel des ressources humaines".

La rationalisation est donc le problème prioritaire. Boukharine, qui a tenté de mener l'Union Soviétique sur la voie capitaliste il y a plus de trente ans était le précurseur de Kossiguine. Pour lui aussi la priorité était de rationaliser la production.

Quel est le problème économique central qui se pose pour ces communistes?

C'est celui-ci :
"calculé en rouble, le produit national brut et le rendement industriel ont quelque peu décliné ces dernières années, nos avoirs fixes ne sont pas assez utilisés, il y a eu une baisse du rendement par rouble de capital fixe... il est important d'intéresser les entreprises non seulement à l'augmentation de la somme totale de leurs profits, mais aussi à l'augmentation de la part de ces profits affectée aux investissements productifs."

En bref, nous retrouvons ici le vieux problème capitaliste : économiser le capital constant pour augmenter non seulement la masse du profit mais sutout le taux de profit. Il faut obtenir de l'ouvrier qu'il utilise aussi efficacement et économiquement que possible des matériaux et des machines non entretenus.

C'est un problème sans fin pour les capitalistes, car sous le capitalisme "l'ouvrier considère la nature sociale de son propre travail -c'est à dire le fait d'entrer en combinaison avec le travail des autres pour un but commun- comme un pouvoir étranger.

Ce dans quoi se réalise cette combinaison, c'est la propriété d'un autre, dont le gaspillage lui serait tout à fait indifférent s'il n'était pas contraint d'en user avec économie.

C'est pourquoi, puisque les moyens de production sont en même temps les moyens d'exploiter son travail, l'ouvrier n'est pas plus concerné par le fait que leur prix soit bas ou élevé qu'un cheval n'est concerné par le prix de son mors ou de ses brides.

La situation est tout à fait différente dans les fabriques appartenant aux travailleurs...

L'insistance fanatique des capitalistes sur l'économie des moyens de production est bien compréhensible. Le fait que rien ne soit perdu ni gâché et que les moyens de production soient utilisés comme il se doit dépend en partie de l'intelligence et de l'adresse des ouvriers et en partie de la dicipline imposée par le capitaliste au travail commun.

Cette discipline deviendra superflue dans un système social où les ouvriers travailleront pour leur propre compte." Marx, le Capital.

Nous voyons que le problème central de Kossiguine dans une société où l'industrie socialiste à grande échelle, l'industrie appartenant aux ouvriers, a été établie depuis pus de 30 ans, c'est l'usage efficace des moyens de production, le problème typique des capitalistes dont les ouvriers, en utilisant les moyens de production plus efficacement ne font qu'intensifier leur propre exploitation.

Dans un système socialiste, où les moyens de production appartiennent aux ouvriers, ceux-ci ne devraient normalement rechercher rien d'autre que leur meilleure utilisation possible. Cela, chaque ouvrier le sait.

Même avec les moyens existant, il pourrait augmenter énormément leur productivité s'il était à son avantage de le faire, si ce faisant il n'augmentait pas encore sa propre exploitation.

Le problème de Kossiguine devrait être le cadet des soucis d'une société pénétrant dans la phase de transition au communisme, comme c'est soi-disant le cas de la société soviétique. Pourquoi cela?

C'est parce que la force de travail en URSS a repris son caractère de "capital variable" qui est le sien dans la société bourgeoise. Si ce n'était pas le cas, il serait inconcevable que l'usage efficace de la force de travail soit le problème prioritaire de la société soviétique.

5. qu'est-ce que le socialisme?

La question du renversement de la société soviétique, passée de socialiste à bourgeoise, est capitale. Elle a reçu trop peu d'attention lorsque le révisionnisme soviétique a fait sa première apparition publique au XXè congrès du PCUS en 1956, et qu'elle a été traitée de question "académique" par les "anti-révisionniste" opportunistes.

Dans le mouvement anti-révisionniste pris comme un tout, il est devenu habituel de se focaliser sur les aspects politiques du révisionnisme, et ainsi d'obscurcir le fond du problème. Celui-ci ne peut être dégagé que par une analyse marxiste de l'économie politique et du développement historique du révisionnisme.

Tout autre traitement du problème doit être considéré comme un abandon du socialisme scientifique et un recul dans l'utopisme.

Trotsky, qui soutenait que le socialisme ne pouvait être édifié en Russie, avait soutenu par la suite que le système bourgeois ne pouvait y être restauré (sauf en cas d'invasion armée des puissances capitalistes).

Les révisionnistes modernes restaurent le système bourgeois en Union Soviétique, tout en déclarant comme Trotsky que la restauration est impossible.

Que voulons-nous dire précisément quand nous disons d'un pays qu'il est socialiste? Essentiellement que le travail est l'aspect dominant de la contradiction entre le travail et le capital.

Nous ne voulons pas dire que cette contradiction a été éliminée.

Elle existe, mais le travail prend le dessus. L'Etat représente les intérêts du travail au lieu de représenter ceux du capital.

"Le lendemain de la prise du pouvoir politique par le prolétariat, la société nouvelle existe non telle qu'elle s'est développée sur ses propres fondations, mais au contraire telle qu'elle émerge de la société capitaliste.

C'est donc dans tous ses aspects, économiques, moraux et intellectuels qu'elle est affectée des marques de naissance de l'ancienne société du berceau duquel elle émerge."
Marx, Critique du programme de Gotha.

Dans les premières phases de la dictature du prolétariat, il y a même des sections entières du prolétariat qui restent fortement influencées par l'idéologie bourgeoise.

Les rapports sociaux et l'idéologie doivent être consciemment reconstruits sur une nouvelle base de classe.

La révolution prolétarienne n'abolit pas la lutte des classes.

Ce qu'elle fait, c'est prendre des armes puissantes et des positions à la bourgeoisie qui passent alors entre les mains du prolétariat.

La dictature du prolétariat n'est pas dans sa première forme le règne de la classe ouvrière tout entière, elle est, comme Lénine l'a dit, exercée par l'avant- garde consciente de la classe organisée en Parti Communiste.

Mais une de ses tâches les plus importantes est d'aider la classe ouvrière tout entière à devenir politiquement consciente de soi et de son rôle historique. Si elle échoue dans cette tâche, ele ne peut se soutenir elle-même. Dans les premiers moments du socialisme, des inégalités existent inévitablement.

Elles ont été rendues inévitables par le passé bourgeois de la société. "La première phase du communisme ne peut pas produire la justice et l'égalité; des différences, et d'injustes différences dans les richesses continueront d'exister, mais l'exploitation de l'homme par l'homme aura été rendue impossible, parce qu'il sera impossible de s'approprier les moyens de production, d'en faire sa propriété privée." Lénine, L'Etat et la révolution

L'attaque du système bourgeois n'est pas une seule et dernière bataille frontale, c'est une série d'assauts, à la fois frontaux et sinueux, sur les principaux bastions du pouvoir bourgeois tels qu'ils se dressent à certains moments déterminés de la révolution. Ces principaux bastions sont le pouvoir d'Etat, le contrôle de la production, la domination idéologique. Et ils doivent être pris dans cet ordre.

Il existe donc dans les premiers moments de la dictature du prolétariat à la fois des inégalités et des injustices dues au passé féodal et bourgeois de la société et aussi des bastions du pouvoir bourgeois encore intacts.

Lénine a écrit à ce sujet:

"Dans sa première phase ou étape, le communisme ne peut pas être économiquement débarassé et entièrement libéré de toutes les traditions et traces du capitalisme.

D'où le phénomène particulier que le communisme dans sa première phase reste maintenu dans l'horizon étroit du droit bourgeois.

Evidemment, le droit bourgeois dans la distibution des biens de consommation présuppose inévitablement l'existence de l'Etat bourgeois, qui n'est rien d'autre qu'un appareil capable de contraindre à la sticte application du droit.

Par conséquent pour un temps, non seulement le droit bourgeois, mais aussi l'Etat bourgeois demeurent sous le communisme, mais sans la bourgeoisie." Lénine, l'Etat et la Révolution.

Ainsi, ceux qui soutiennent la ligne de Mao en Chine sont dénoncés aujourd'hui par les opportunistes pseudos marxistes-léninistes comme étant des trotskystes et des démocrates petits-bourgeois, alors qu'en réalité ils ne font que se baser fermement sur cette analyse faite par Lénine dans l'Etat et la Révolution.

6. Deux façons d'élever la productivité du travail

Parce que des bastions essentiels du pouvoir bourgeois demeurent dans la première phase du socialisme, et pour correspondre à la nature profonde du communisme, il est fondamental que dans la lutte des classes pendant le socialisme, la conscience et l'initiative des masses soit en essor permanent : que les masses deviennent toujours plus capables d'assumer les fonctions autrefois réservées aux capitalistes, spécialistes de la production et spécialistes du savoir, pour prendre en main la production et la vie sociale en totalité.

"Comptabilité et contrôle : ce sont les deux activités principales qui sont nécessaires pour mettre sur pied et faire fonctionner correctement la première phase du communisme...

Quand la majorité du peuple commencera à tenir une telle comptabilité et à maintenir un tel contrôle sur les capitalistes (maintenant transformés en employés) et sur l'ensemble des intellectuels qui conservent leurs moeurs capitalistes, alors ce contrôle deviendra universel, général, national.

Il n'y aura alors plus d'issue pour eux, ils n'auront nulle part où aller... Sous le socialisme, une bonne part de la "démocratie primitive" reviendra à la vie puisque, pour la première fois de l'histoire de la société civilisée, les masses populaires s'élèveront à une participation indépendante à l'administration quotidienne des affaires publiques."
Lénine, l'Etat et la révolution.

Sous la dictature du prolétariat, émerge une plus haute forme de lutte contre la bourgeoisie. Il y a une "transition qui fait passer de la tâche très simple d'exproprier à fond les capitalistes à une autre tâche, beaucoup plus compliquée et ardue, qui consiste à créer les conditions dans lesquelles il deviendra impossible à la bourgeoisie d'exister ou à une nouvelle bourgeoisie de refaire son apparition."
Lénine, les tâches immédiates du gouvernement soviétique.

En dernière analyse, il n'y a qu'un facteur qui puisse empêcher l'arrivée d'une nouvelle bourgeoisie, c'est l'activité socialiste consciente des masses.

Une élévation de la productivité du travail est nécessaire au socialisme.

La défaite finale de l'impérialisme comme système mondial ne peut survenir que si la production socialiste devient plus puissante que la production bourgeoise.

Mais c'est aussi une question de classe.

La question de la productivité du travail n'est pas détachée de la question des classes comme le prétendent révisionnistes et trotskystes. La productivité doit être élevée d'une manière précise. "Le socialisme fait appel aux masses et à la conscience de classe pour une plus haute productivité du travail que dans le capitalisme. Le socialisme doit avancer à sa façon à lui, avec ses méthodes propres." Lénine, ibid.

De cette façon, l'élévation de la productivité mène du socialisme au communisme; de la façon opposée, elle ne mène qu'à intensifier l'exploitation. Sur le long terme, c'est seulement lorsqu'elle est élevée par les masses politiquement conscientes qu'elle mène du socialisme au communisme.

En URSS, les bastions bourgeois que sont le pouvoir d'Etat et la propriété des moyens de production ont été pris par la classe ouvrière. Mais la bourgeoisie détenait le bastion de l'idéologie et de la culture face aux assauts menés contre elle par les ouvriers conscients guidés par Staline et Jdanov, et s'en est servi comme base arrière pour mener la lutte pour reconquérir le pouvoir d'Etat et le contrôle de la production.

7. politique et économie

Qu'est-ce que le révisionnisme?

Chiang Ching, une des leaders de la révolution culturelle en Chine, dit : " l'impérialisme, c'est le capitalisme agonisant, parasitique et pourissant. Le révisionnisme moderne est un produit de la politique impérialiste et une variété du capitalisme."

Dans le mouvement anti-révisionniste britannique, il y a eu une hésitation dans l'analyse de la nature sociale des développements révisionnistes.

Certains ont considéré qu'il ne s'agissait que d'excroissances sur une base socialiste inaltérable. Or il est vital de déterminer si le révisionnisme peut changer la nature de la société socialiste, s'il peut la transformer en une société bourgeoise. S'il ne le peut pas, il est moins une menace que dans le cas contraire.

L'avocat le plus connu de cette thèse fut Trotsky, pour qui la base économique socialiste continuera de se fortifier pourvu que la production s'élève en gardant sa forme de propriété nationalisée, même si l'Etat n'est plus composé de l'avant-garde politiquement consciente de la classe ouvrière.

En 1921, Lénine disait que Trotsky ne comprenait pas la nature de la dictature du prolétariat. Cela a été amplement prouvé par Trotsky dans les années qui ont suivi. Trotsky a écrit : "En dernière analyse, un Etat ouvrier, c'est un syndicat qui a pris le pouvoir."
Trotsky, En défense du marxisme (1939/40).

Il a dit que de même qu'il pouvait y avoir des syndicats servant la bourgeoisie, il peut y avoir des Etats ouvriers servant la contre-révolution.

Mais ces "Etats ouvriers dégénérés" sont incapables de changer les rapports socialistes de propriété qui sont à leur base : l'industrie nationalisée.

Suivant Trotsky, les révisionnistes modernes soutiennent qu'il est absurde de dire que le capitalisme se développe en URSS, parce que l'industrie est nationalisée et n'appartient pas aux capitalistes privés. Ils disent aussi que l'extension de la production marchande, qui devient la forme générale de la production, ne peut mener au capitalisme parce qu'elle est planifiée, et que la production pour le profit n'est pas bourgeoise, vu qu'il s'agit d'un "profit socialiste".

Depuis longtemps, les révisionnistes n'ont eu de cesse de vulgariser l'analyse marxiste du capitalisme, afin de cacher leur trahison.

En Grande-Bretagne, ils ont remplacé l'interprétation léniniste du Capital par celle de Rosa Luxembourg. Bien qu'elle ait vécu et soit morte en révolutionnaire, Rosa Luxembourg a commis nombre d'erreurs théoriques sérieuses, dont une fausse critique du Capital de Marx, qui ont été réfutées par Lénine.

Dans leur vulgarisation, le capitalisme signifie la propriété des entreprises par les individus. Cela n'a été la caractéristique principale que d'un stade du développement du système capitaliste. Le système capitaliste est le système de la production marchande, la production pour le profit, dans lequel la force de travail apparaît comme une marchandise qui est échangée contre du capital variable sous la forme de salaires.

La question centrale concerne la nature du système de production. La question de la propriété des entreprises par des individus est secondaire.

Si tel n'était pas le cas, la seule nationalisation des entreprises les rendraient non-capitalistes. Or les mines de charbon britanniques, l'industrie de l'électricité et du rail ne sont pas possédées par des individus. Bientôt, la plus grande partie de l'industrie de l'acier ne sera plus la propriété d'individus. Mais les ouvriers de ces industries restent des ouvriers salariés exploités par le capital.

"Ni la transformation en sociétés par actions, ni la transformation en propriété d'Etat ne supprime la qualité de capital des forces productives... L'Etat moderne n'est à son tour que l'organisation que la société bourgeoise se donne pour maintenir les conditions extérieures générales du mode de production capitaliste contre les empiétements venant des ouvriers comme des capitalistes isolés...

Plus l'Etat fait passer de forces productives dans sa propriété, et plus il devient capitaliste collectif en fait, plus il exploite de citoyens. Les ouvriers restent des salariés, des prolétaires. Le rapport capitaliste n'est pas supprimé, il est au contraire poussé à son comble." Engels, Anti Duhring.

Que la propriété d'Etat soit bourgeoise ou socialiste dépend donc de la nature de classe de l'Etat.

L'argument des trotskystes, qui est repris par les révisionnistes pour cacher leur trahison (et que Trotsky a développé pour cacher la sienne) comme quoi l'Etat est ouvrier s'il détient les principales industries et les indusries sont socialistes si l'Etat les possède, n'est rien qu'un boniment.

L'idée que la simple introduction d'une planification dans la production marchande la rendrait socialiste a été réfutée par Engels il y a presque un siècle dans sa critique de 1891 du programme-guide du Parti social-démocrate allemand. Ce programme soutenait que l'absence de planification résidait dans la nature même de la propriété privée capitaliste.

A cela Engels a répondu : " les sociétés par actions ne sont plus la propriété d'un individu privé, mais celle de plusieurs comptes associés. Non seulement la production privée mais aussi l'absence de planification disparaissent quand on passe des sociétés par actions aux trusts qui contrôlent et monopolisent des branches entières de l'industrie."

Chen po ta, un des leaders de la révolution culturelle en Chine, a écrit : "il n'y a rien d'étonnant à ce que certaines formes de propriété publique soient tolérées dans une société gouvernée par la classe exploiteuse, pourvu qu'elles ne soient pas une menace, ou même contribuent aux intérêts fondamentaux de cette classe exploiteuse... Dans une société capitaliste, une société anonyme par actions peut être considérée comme une forme capitaliste de "propriété publique" et des ouvriers peuvent même en posséder des parts, ("le révisionnisme yougoslave", Revue de Pékin n°16, 1958)

Sans planification, le capitalisme moderne s'effrondrerait très rapidement sous le poids de sa propre crise. Il ne peut plus se passer de planification, mais celle-ci ne peut empêcher la crise, mais seulement la modifier de manière à pouvoir la surmonter.

Alors qu'il y a cent ans, le système capitaliste était assez fort pour laisser les crises se surmonter elles-mêmes par le jeu aveugle des forces économiques auxquelles on laissait libre cours, aujourd'hui au contraire la force de la classe ouvrière est telle que les capitalistes n'osent plus laisser la crise suivre son cours en roue libre.

La planification fait désormais partie du capitalisme et de sa crise (...) Dans l'état actuel de la lutte des classes, la production marchande non planifiée devient impossible pour le système bourgeois.

On nous dit aussi que sous le socialisme réalisé, la force de travail n'est plus une marchandise, et que donc la production marchande n'est plus bourgeoise dans ces pays.

Mais si l'Etat n'est pas prolétarien et si les travailleurs se louent à lui, alors la force de travail est une marchandise, échangée contre du capital variable.

8. les capitalistes

La vision du capitaliste en propriétaire individuel de l'entreprise est périmée depuis longtemps, en tous cas pour les formes dominantes de la production bourgeoise.

Des milliers de propriétaires individuels d'entreprises demeurent, mais ce n'est pas ainsi que les plus grandes entreprises bourgeoises sont possédées aujourd'hui.

Nous n'examinerons pas ici les diverses formes de la propriété bourgeoise.

Marx a dit à propos du capitaliste : " en tant que capitaliste, il n'est que le capital personnifié. Il est l'âme du capital... Le capital devient au fur et à mesure un pouvoir social dont l'agent est le capitaliste."

C'est le capital qui est la notion fondamentale.

Comme Marx l'a continuellement souligné, le capital est un rapport social; sur la base de ce rapport social, le capitaliste peut revêtir une grande variété de déguisements. Quelle est donc le rapport qu'entretiennent les ouvriers soviétiques avec les moyens de production? Ceux-ci dans l'industrie sont principalement propriété d'Etat. L'Etat a cessé d'être prolétarien.

Les ouvriers peuvent ils détenir les moyens de production si l'Etat qui les possède n'est plus prolétarien? Bien sûr que non. En perdant le pouvoir politique les ouvriers ont été dépossédés. L'idée que la "base socialiste" puisse préserver le socialisme voire le mener au communisme, même avec un Etat qui n'est plus prolétarien, n'a rien à voir avec la réalité d'une révolution socialiste.

Le développement économique spontané ne peut pas être autre chose qu'un développement capitaliste. Les rapports de production en URSS aujourd'hui ne sont pas socialistes mais bourgeois. La nouvelle classe dirigeante soviétique a été correctement définie par le PC de Chine comme "capitaliste bureaucratique".

Nous résumerons ici ce que nous disions dans le pamphlet de l'I.C.O : Marxisme et socialisme de marché (1969). La production marchande n'est possible que s'il y a propriété privée des moyens de production.

Sans la propriété privée, il n'y a pas de base objective pour l'échange marchand. La propriété de groupe est dans ce sens une forme de la propriété privée. Dans les pays révisionnistes, la propriété collective de la production industrielle par la classe ouvrière est réduite à une simple formule légale.

La production industrielle n'est plus contrôlée directement par l'Etat représentant les intérêts de la classe ouvrière. Le contrôle de la production est de plus en plus fragmenté. Les dirigeants de chaque entreprise deviennent de plus en plus les contrôleurs effectifs de sa production, et au sens plein vendent leur produit sur le marché.

Celui-ci devient un vrai marché composé d'entreprises plus ou moins indépendantes en concurrence. Pendant la période de Staline, la substance des rapports marchands avait été progressivement érodée, même si cette forme restait tout à fait omniprésente.

Dans les économies révisionnistes, la production est de plus en plus prise en charge par des propriétaires séparés (ou "contrôleurs de la production", mais ces deux termes ont le même sens) qui s'engagent dans un rapport marchand. Les propriétaires séparés sont en pratique des propriétaires privés. Sans cette propriété privée, fragmentée, il n'y aurait pas d'aliment pour le développement des relations de marché qui est en cours dans les économies révisionnistes. L'échange marchand ne peut avoir lieu qu'entre propriétaires séparés.

Dans ce pamphlet, "propriété privée" a seulement le sens de propriété individuelle, avec la reconnaissance légale de ce droit. Dans ce sens limité, le capitalisme peut se passer de la propriété privée. Mais en son sens plus profond, la propriété privée (qui inclut les sociétés anonymes par actions, les groupes bureaucratiques contrôlant les entreprises séparées, et les "conseils ouvriers" des syndicalistes) est essentielle à tout rapport marchand.

9. stimulants matériels

"... nous proposons d'intensifier les stimulants économiques dans la production à l'aide d'indices comme les prix, les gains, les bonus et les crédits. Il est nécessaire d'intéresser davantage chaque entreprise à l'augmentation de sa production, de ses revenus et à l'optimisation de l'utilisation des avoirs fixes assignés à chacune d'entre elles." " un fonds particulier destiné aux stimulants matériels des travailleurs sera mis en place dans chaque entreprise."
Kossiguine, Les nouvelles méthodes du management économique.

" Les stimulants matériels ne sont pas inconnus dans la société capitaliste", mais le socialisme a fait voler en éclats les chaînes de la disribution capitaliste, et les stimulants matériels sont devenus un facteur puissant et permanent du progrès des forces productives." (Socialisme et stimulants, Revue maxiste mondiale). Derrière le constat surprenant que les stimulants matériels ne sont pas chose inconnue dans le capitalisme (ce qui veut dire que ces stimulants ne jouent pas un rôle vraiment important dans le système capitaliste - dont la production est pourtant uniquement motivée par le gain matériel) se cache l'idée que sous le capitalisme les salaires ne constituent pas une partie de la production.

Sous le capitalisme, on paie aux travailleurs la valeur marchande de leur force de travail pour ensuite les contraindre à produire le plus possible. Les salaires ne sont donc pas reliés au profit.

Le travailleur n'est pas stimulé à travailler plus dans l'espoir d'obtenir sa part du produit croissant de son travail.

Marx a montré que la condition indispensable pour qu'existe le travail salarié est qu'une partie de la population soit entièrement dépossédée de tout moyen de production et soit donc vouée à mourir de faim, à moins d'accepter de vendre sa force de travail aux propriétaires des moyens de production.

La menace de mort, étant le stimulus fondamental qui fait que dans un système bourgeois le prolétariat travaille et produit du profit pour la classe des capitalistes, est bien un stimulant matériel très puissant.

Un stimulant plus puissant peut difficilement être imaginé. Les révisionnistes disent que leur stimulant matériel est d'un type différent, non pas négatif : la crainte de mourir de faim, mais positif : l'espoir de partager des bénéfices.

Ils disent que cela est seulement réalisable dans le socialisme.

Cependant, c'est seulement dans les premiers stades du capitalisme que le stimulant "crainte de mourir de faim" est suffisant. Au fur et à mesure que la conscience de la classe ouvrière se développe et que la production se complexifie, beaucoup de méthodes utilisées au 19è siècle deviennent inadéquates.

Même là où la conscience de la classe n'a pas encore été en mesure d'en finir avec le capitalisme et où celui-ci n'a pu être limité que par la conscience trade-unioniste ou social-démocrate, d'ordre essentiellement bougeois, cela a pourtant suffi à contraindre les capitalistes à changer leurs méthodes.

De plus, la complexité croissante du processus de production signifie pour les capitalistes une plus grande dépendance envers l'habileté, l'intelligence et l'initiative des travailleurs.

Cela signifie que les stimulants matériels du type positif dont les révisionnistes se targuent d'être les propriétaires a été utilisé de plus en plus tout au long du 20è siècle dans le capitalisme, et particulièrement après la Deuxième Guerre mondiale.

La menace de mort reste le stimulant fondamental qui fait vendre aux prolétaires leur force de travail.

Cette menace gît sous les autres stimulants, plus subtils. Mais les exigences du processus de production et l'organisation des travailleurs ont forcé les capitalistes à faire un usage croissant des autres stimulants.

C'est dans ces circonstances que l'idée d'un partage du profit est née dans les sociétés bourgeoises avant même qu'elle ne soit introduite dans les sociétés socialistes par les révisionnistes de Yougoslavie et plus tard d'URSS.

La force de travail reste une marchandise dans ces sociétés, mais on ne peut plus dire aujourd'hui que le prix de la force de travail n'est pas relié à la productivité du travail. Une productivité croissante devient de plus en plus la base de revendications salariales sous le capitalisme. Cela n'implique en aucune façon une rupture avec les rapports capitalistes.

Les révisionnistes prétendent que "les stimulants matériels sont devenus un facteur puissant et permanent dans le progrès des forces productives" sous le socialisme, cela montre que, comme M. Wilson, ils pensent que le socialisme est un plus joli nom pour le capitalisme.

Les stimulants matériels ont indéniablement un rôle à jouer dans le développement du socialisme. Ceci a été démontré par Lénine quand Trotsky proposait l'idée d'enrégimenter les ouvriers pour construire le socialisme.

Le besoin de ces stimulants provient du fait que le socialisme doit commencer dans une société "qui sous tous ses aspects, économiquement, moralement et intellectuellement, est affectée par les marques de naissance de la vieille société du berceau duquel elle émerge." {Marx, Critique du programme de Gotha)

Mais, avec le développement de la société socialiste, l'usage des stimulants matériels doit nécessairement décroître et la production consciente pour toute la société doit devenir progressivement la règle. (Depuis les débuts, Lénine a souligné l'importance de la production consciente pour la société, dont la première expression a été le mouvement "Subbotnik" - samedi socialiste- dans lequel on travaillait le samedi sans rien en échange)

Les conditions spécifiques de l'industrialisation soviétique ( une société socialiste isolée avec une économie arriérée, confrontée à l'imminence d'une invasion impérialiste) ont rendu nécessaire l'usage très étendu des stimulants matériels.

Mais même l'usage de puissants stimulants matériels ne peut pas expliquer l'édification d'une industrie moderne en Union Soviétique dans les dix ans qui ont précédé l'invasion nazie. Cette édification n'aurait pas pu avoir lieu s'il n'y avait pas eu une élévation volontaire, issue de la conscience de classe, de la production pour les besoins sociaux.

C'est une toute autre histoire lorsque l'usage des stimulants matériels est augmenté dans une société qui a déjà une industrie lourde moderne et qui a quarante ans de développement socialiste derrière elle.

Si dans ces circonstances un usage croissant des stimulants matériels est nécessaire pour assurer un usage efficace des moyens de production, cela signifie que les travailleurs ont été aliénés de ces moyens de production et qu'il n'est plus dans leur intérêt direct de les utiliser le plus efficacement possible.

Dans ces circonstances, l'usage croissant des stimulants matériels reflète un développement bourgeois passé, et en annonce un nouveau.

10. le droit bourgeois dans la distribution sous le socialisme

Marx a montré que l'inégalité doit demeurer dans les premiers stades du socialisme, pendant lesquels la dictature du prolétariat doit se débarasser des habitudes et de l'idéologie de la société bourgeoise. Le travailleur, alors, doit être payé seulement en fonction de son travail.

"Ici évidemment restent en vigueur les mêmes principes qui régissent l'échange des marchandises, pouvu que ce soit un échange de valeurs égales"

Mais comme les hommes ont des capacités inégales et que les circonstances de leurs vie, familiales par exemple, sont différentes, "ce droit égal est un droit inégal pour un travail inégal... c'est, dans son contenu, un droit de l'inégalité, comme dans tout droit."

L'égalité ne peut exister que lorsque tous les résidus de la société bourgeoise ont été dépassés, lorsque "le travail sera devenu non seulement un moyen de vivre, mais le premier besoin de la vie, lorsque l'horizon étroit du droit bourgeois aura été entièrement oublié et que la société écrira sur ses bannières : à chacun selon ses besoins, de chacun selon ses capacités." Marx, ibid.

Lénine est arrivé à la conclusion que l'inégalité bourgeoise existe dans les premiers stades du socialisme, où l'Etat bourgeois persistait sans la bourgeoisie, à cause de la persistance du droit bourgeois dans la distribution des biens de consommation.

Les révisionnistes accentuent cet aspect en le rendant définitif, en le transformant en principe fondamental du socialisme, "oubliant" ainsi que ce principe est bourgeois et que le socialisme a pour tâche d'en finir avec lui.

Ils négligent aussi de mentionner avec Lénine que la persistance de ce principe sous le socialisme "présuppose inévitablement l'existence de l'Etat bourgeois" dans la période socialiste (ce qui indique clairement que la lutte des classes continue sous le socialisme).

Le révisionnisme ne voit que les aspects du système bourgeois qui continuent inévitablement sous le socialisme, et les transforme en "principes du socialisme".

Mais en vérité le socialisme est une période de transformation révolutionnaire de la société toute entière, au cours de laquelle toute trace du système bourgeois doit être éradiquée. En bref, les résidus bourgeois qui continuent fatalement d'exister dans les premiers pas du socialisme ne sont pas des principes du socialisme, mais au contraire des cibles de la révolution prolétarienne sous le socialisme.

Si le socialisme cesse d'être cette transition révolutionnaire entre le capitalisme et le communisme, il cesse d'être le socialisme. Mais le révisionnisme transforme le communisme en une idée utopique, en un voeu pieux : donc les résidus bourgeois deviennent des principes du socialisme.

Il supprime les développements révolutionnaires et déclare que la lutte des classes est une chose du passé, dans la période qui doit au contraire être celle de la lutte des classes la plus révolutionnaire, puisqu'il s'agit de la mener à son terme : le Communisme, la société sans classes.

Le révisionnisme quand il devient dominant, transforme la société socialiste en société bourgeoise, fait de la bourgeoisie une fois encore l'aspect dominant de la contradiction entre capital et travail, et bien sûr prépare les conditions de son renversement final par le prolétariat révolutionnaire.

Dans la période du socialisme, le choix est toujours entre la consolidation des résidus bourgeois par le révisionnisme, comme cela a été le cas en URSS depuis plus de 10 ans, et l'intensification de la lutte révolutionnaire des masses contre les résidus bourgeois, comme cela est en cours sous la direction marxiste-léniniste qui est développée par Mao Zedong.