Ulrike Meinhof
Histoire
de la RFA et de la gauche traditionnelle
(1976)
le système impérialiste mondial s'est développé
sous l'hégémonie du capital américain, la
politique extérieure des états-unis en est la manifestation
politico-militaire et l'armée américaine, l'instrument
principal.
en 1945, les états-unis
ont créé trois états pour servir de bases
opérationnelles à leur politique extérieure
: l'allemagne fédérale, la corée du sud
et le viet-nam du sud.
pour l'impérialisme
américain, ces états ont servi, et cela dès
le début, de bases opérationnelles à deux
titres :
pour l'armée
américaine, dans la stratégie de l'encerclement
et du roll-back final de l'union soviétique ou, plus justement,
de l'armée rouge.
pour le capital
u.s., pour soumettre aux intérêts du capital u.s.,
là-bas, les régions de l'asie du sud-est et de
l'est, ici, les régions de l'europe de l'ouest.
l'histoire de la
république fédérale nous intéresse
pour deux raisons : d'abord pour l'histoire de la gauche traditionnelle,
de la vieille gauche qui en 1966, au moment de l'entrée
des sociaux-démocrates dans la grande coalition de bonn,
s'est fait récupérer en tant qu'opposition et donc
s'est trouvée paralysée.
et puis pour le
rôle de la r.f.a. dans le système mondial du capital
américain, point essentiel pour nous qui définissons
la politique révolutionnaire par l'internationalisme prolétarien,
d'adenauer à schmidt, la ligne est la même :
anti-communisme,
subordination de l'europe de l'ouest à la politique extérieure
américaine sur le plan politique, économique et
militaire.
autrement dit, l'orientation
de la politique du gouvernement ouest-allemand d'adenauer à
schmidt est fonction de la politique intérieure mondiale
des états-unis, c'est-à-dire : du rôle de
police mondiale qu'exercent les états-unis depuis 1945.
c'est une banalité
de dire que la politique intérieure et extérieure
de la corée du sud et du sud-viet-nam étaient directement
dirigées par la c.i.a., étant donné la faiblesse
économique de la bourgeoisie compradore dans les état
néo-colonisés.
un état qui
a le potentiel économique de l'allemagne fédérale
et qui, depuis trente ans déjà, ne dispose pas
de son propre pouvoir politique, rend particulièrement
difficile une orientation politique radicale et, comme notre
expérience nous l'a montré, la lutte anti-impérialiste
ne peut être, dans ces conditions, qu'une lutte armée.
nous ne connaissons
pas d'autres pays où la gauche refuse aussi obstinément
de prendre connaissance de sa propre histoire, de l'histoire
de ses défaites, ce qui ne veut pas dire que les luttes
qu'elle a menées n'étaient pas importantes et ne
valaient pas la peine d'être étudiées, ce
sont les italiens
- et nous avons
déjà eu recours à eux -
qui ont produit
les analyses les plus pertinentes de la politique social-démocrate,
de sa fonction en faveur du capitalisme en allemagne; c'est de
france que viennent les analyses réellement valables du
fascisme allemand, de la politique économique du troisième
reich comme politique du capitalisme monopoliste d'état
allemand.
et pour ce qui est
de la grande mobilisation anti-impérialiste qui a agité
les métropoles en 1966-1967, il faut bien admettre que
la gauche officielle a spéculé là-dessus
et l'a monnayée, en souvenirs euphoriques directement
consommables, mais elle n'a jamais fait l'effort de comprendre
ce qui s'est passé réellement, d'où le mouvement
étudiant prenait sa force explosive, la pertinence politique
du facteur subjectif.
il ne pouvait sans
doute en être autrement; en tout cas, les expériences
des révolutions anti-colonialistes, celle du peuple algérien
par exemple,
- telle que fanon
l'a fait connaître à la gauche révolutionnaire
dans le débat international - peuvent être utilisées
en allemagne fédérale, du fait de son statut spécifique
de colonie dans le système des états sous dépendance
américaine.
il faudrait que,
replacée dans le contexte de l'internationalisme prolétarien,
l'histoire du peuple, celle du peuple allemand et donc notre
histoire - dont nous avons honte - cesse d'être une histoire
dont presque tous les communistes ont honte depuis 1933.
car l'histoire des
allemands, celle du capital monopoliste, de la social-démocratie,
des syndicats - c'est de n'avoir pas été capable
d'empêcher deux guerres mondiales impérialistes
et douze ans de fascisme, c'est de n'avoir pas su le combattre
efficacement, telle est l'histoire du mouvement ouvrier allemand,
réalité incontournable quand on veut donner une
identité historique à la guérilla.
l'histoire de la
gauche traditionnelle en allemagne fédérale, c'est
de s'être laissée transformer en instrument, vider
de tout contenu de lutte par le parti communiste, simple appendice
de la république démocratique allemande et de s'être
laissé corrompre par la social-démocratie avec
ses grandes " figures ", plus exactement ses fantoches
: (l'ex président) heinemann et (le premier ministre)
brandt.
en fait, la gauche
traditionnelle a fini par comprendre qui était brandt
en 1958, quand il passait dans toutes les grandes entreprises
berlinoises avec son masque de maire de berlin, directement manipulé
par la c.i.a. comme tous les maires de berlin. tout en menant
une violente campagne anti-communiste, il s'était mis
à la tête du combat qui se déroulait à
ce moment-là dans les entreprises contre le projet de
Bonn d'équiper l'armée fédérale en
bombes atomiques, dans l'unique but d'usurper, d'étouffer
la lutte, et de lui imposer un caractère anti-communiste.
depuis le début,
le projet politique poursuivi par les états-unis en tant
que force d'occupation dominante dans les trois zones d'occupation
occidentales - globalement réactif et défensif,
offensif et prospectif dans son expression régionale,
en accord avec le gouvernement allemand - n'avait aucune légitimité
:
la restauration
du capital monopoliste, la reconstitution du pouvoir économique
et politique des vieilles élites, dans le but de perpétuer
la dictature de la bourgeoisie désormais sous l'égide
du capital américain, la remilitarisation et l'intégration
des trois zones ouest dans le système politico-militaire
de l'impérialisme américain, l'anti-communisme
comme idéologie dominante, c'était le prix à
payer pour sauvegarder l'unité nationale en tant qu'état,
l'unité nationale n'étant rien d'autre que pur
opportunisme.
" le prolétariat
comme masse manuvrable ", (c'est-à-dire en
fait l'exclusion du prolétariat de la scène politique)
- on ne peut vraiment pas dire que ce soit l'idéal.
cette politique
n'a bien sûr jamais été discutée,
il n'y a pas eu de vote, tout s'est décidé à
Washington, quand des élections ont enfin pu avoir lieu
en 1949, après la fondation de l'allemagne fédérale,
la monnaie allemande était déjà intégrée
dans le système du dollar, élaboré à
bretton wood, le conseil parlementaire avait déjà
élaboré une constitution d'après les projets
des alliés, c'est-à-dire des états-unis,
cette constitution
donne à une seule personne, le chancelier, le pouvoir
de définir les grandes lignes politiques,
si pour une fois
on part de la réalité et de la pratique du gouvernement
adenauer et non pas des rationalisations du droit constitutionnel
permettant de dire qu'on avait tiré les leçons
de weimar, il s'agit de constitution pour régime de marionnettes,
à l'intérieur de la social-démocratie, les
luttes de pouvoir s'étaient terminées par la victoire
de la tendance anticommuniste de schuhmacher -
dorénavant
financée par le capital américain, elle avait repris
son vieux rôle de 1918, de rempart contre l'influence communiste
et contre toute ébauche de construction d'un mouvement
ouvrier autonome, dans les conseils fédéraux des
syndicats et dans la fédération des syndicats (d.g.b.),
tous les postes clefs étaient occupés par d'anciens
fonctionnaires qui déjà, sous weimar, s'étaient
prononcés pour l'intégration de la lutte des classes
dans la stratégie du capital, toute tentative de reconstruire
les organisations du prolétariat à partir des groupes
ayant, dans l'illégalité, dirigé la résistance
sous le fascisme - chose qui paraissait évidente - était
vouée à l'échec.
la fonction propre
à l'allemagne au sein du bloc impérialiste américain
et donc dans la stratégie du capital américain,
résulte de son histoire, de sa position de counter-state
mis en place par les états-unis dans le conflit est-ouest,
à partir de là, s'explique aussi quel rôle
particulier prit la social-démocratie allemande dans la
stratégie américaine, après la guerre du
viet-nam.
il faut prendre
en compte la continuité de la politique fédérale
depuis le troisième reich et l'extrême agressivité
qu'a toujours dû manifester le capital monopoliste allemand,
vu sa position sur le marché mondial,
c'est-à-dire
son extrême dépendance par rapport à l'exportation,
pour comprendre les racines historiques de son rôle de
seconde puissance à l'o.t.a.n. et de sa conception de
la politique impérialiste, la plus expansionniste après
celle des u.s.a.
quant aux conditions
intérieures, qui ont fait de l'allemagne fédérale
l'instrument de la politique extérieure des états-unis,
les voici :
dans les trois zones
occidentales de l'après-guerre, c'est le capital américain,
avec l'aide de la social-démocratie, vendue au capital
américain, et des syndicats, financés et contrôlés
par la c.i.a., qui organisa directement le prolétariat,
depuis le début il s'agissait de dépolitiser les
luttes de classes en allemagne et de structurer, d'organiser
dans la légalité, toute l'opposition politique,
sur la base de l'anti-communisme.
c'est ainsi qu'il
peut s'expliquer qu'aucun mouvement
d'opposition ne
se soit développé en r.f.a., jusqu'à l'époque
du mouvement étudiant - tout mouvement d'opposition ayant
été usurpé et étouffé par
la social-démocratie.
à ce parti
restera attachée l'infamie particulière d'avoir
été, depuis toujours, le parti révisionniste
du prolétariat et, en tant que tel, l'agent du capital
au sein du prolétariat, depuis toujours, et tout à
fait ouvertement aujourd'hui, il s'est plié aux directives
de clay à berlin, de la c.i.a., du pentagone, etc.
et cette évolution,
l'alignement de la ligne politique officielle du parti social-démocrate
sur celle de la politique extérieure des états-unis,
et donc aussi sur celle du parti démocrate chrétien,
s'accorde bien avec les efforts acharnés qu'il mena pour
détruire les mouvements d'opposition qui existaient encore
jusqu'en 1960
- mouvement contre
la remilitarisation, contre l'infiltration fasciste dans les
appareils d'état, contre l'intégration de î'allemagne
dans l'o.t.a.n., contre l'équipement atomique de l'armée
fédérale -
jusqu'au moment
où wehner, pour réaliser la " grande coalition
", se prononça ouvertement, en 1960, pour l'intégration
dans l'o.t.a.n., pour l'intégration de l'allemagne fédérale
dans l'europe de l'ouest, et finalement pour la même "
politique de l'est ", que prônait adenauer - le "
roll-back ", autrement dit, la prise à revers, pour
la politique extérieure des états-unis, ce fut
bien le signe que la social-démocratie avait rempli son
contrat d'après guerre : écraser et détruire
l'opposition légale en allemagne.
ce qui caractérise
la dépendance spécifique de l'impérialisme
ouest-allemand c'est qu'outre que l'état est obligé
de s'adapter aux conditions de reproduction du capital hégémonique
dans sa politique et ses institutions, dès l'instant où,
comme tous les états sous la dépendance du système
mondial américain, il est soumis à la totale hégémonie
du capital américain,
c'est que, dans
cet état, le pouvoir politique n'a jamais été
remis à ces propres organes constitutionnels. ce qui signifie
en clair : qu'il est un instrument de la politique.
d'emblée,
d'ailleurs, il ne s'agissait pas uniquement de droits d'occupation,
il s'agissait de stratégie institutionnelle;
autrement dit, après
1945, le capital américain a non seulement intégré
la constitution de l'allemagne fédérale dans ses
éléments opératoires (une démocratie,
dirigée par un chancelier; et un parlement, aux compétences
restreintes par le fédéralisme; l'intégration
des fonctionnaires fascistes par l'appareil judiciaire et l'admi-
* nistration allemande);
il a de plus mis
la main sur toutes les autres instances de contrôle caractérisant
l'état impérialiste (les partis, les organisations
du patronat, les syndicats, les mass-média).
on peut dire que
jusqu'au mouvement étudiant, en allemagne, les luttes
de classe restaient factices, là où elles atteignaient
une dimension politique, et étant donné leur méconnaissance
des véritables rapports de force en allemagne, restaient
un pur théâtre d'ombres.
prenons par exemple
le mouvement anti-atomique, qui s'est développé
à partir des débats parlementaires de mars 58.
en février,
il y avait eu controverse entre heinemann et dehler, d'une part,
et, de l'autre, adenauer, mettant en cause sa politique de réconciliation,
et les propositions faites par Staline en 1952-1955 d'autoriser,
une fois l'allemagne neutralisée, des élections
en allemagne démocratique sur le modèle des élections
occidentales,
c'est lorsque le
parlement décida d'équiper l'allemagne fédérale
d'avions pouvant transporter aussi des bombes atomiques que prit
naissance ce mouvement, mais cette décision ne faisait
que ratifier une décision prise à l'o.t.a.n., chose
dont le mouvement n'avait pas pris conscience, voilà qui
est bien exem-plaire de la structure gouvernementale en pays
vaincu et occupé :
où toutes
les décisions d'importance doivent s'intégrer dans
une stratégie institutionnelle où il est exclu,
ou risque d'être exclu, de permettre des élections
réellement démocratiques (c'est-à-dire influant
sur la vie du pays) dès l'instant où le militaire
domine le productif, ce qui importe c'est que cet état
n'a pu parvenir à la fonction qu'il a aujourd'hui pour
le capital américain que grâce au rôle et
à la fonction spécifique de la social-démocratie
allemande.
jusqu'en 1960, resta
paralysée l'ancienne gauche extra-parlementaire, qui s'était
opposée à tous les processus de division des deux
allemagnes, à la militarisation, à l'intégration
dans l'o.t.a.n., à la politique de reconquête des
prétendus territoires de l'est, quant à l'opposition
au sein des syndicats, et surtout au sein du syndicat de la métallurgie,
où la fraction du s.d.s. (mouvement des étudiants
socialistes), exclue du parti social-démocrate, avait
encore trouvé une base politique, elle fut dissoute au
cours des années suivantes, ou plutôt s'est laissée
user et dissoudre, lors de l'adoption des lois d'urgence,
malgré les
protestations de la gauche démocratique, en se faisant
le porte-parole permanent de la critique des projets de loi gouvernementaux,
le parti social-démocrate a réussi à en
dégrader le contenu (portant sur l'utilisation de l'armée
pour la répression des grèves à l'intérieur
du pays, la destitution du parlement, la mobilisation de la population
en cas d'urgence),
se cantonnant à
des débats d'experts en droit constitutionnel, l'opposition
a perdu sa base populaire, toujours grâce au même
vieux tour de passe-passe de la social-démocratie, qui
est d'institutionnaliser le débat, en l'occurrence, dans
des colloques publics où on discute entre experts et où
la question du pouvoir est exclue de l'ordre du jour.
pour dire en un
mot comment la social-démocratie s'est finalement qualifiée
pour le service du capital américain, c'est par la démagogie.
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