INTERVIEW DE HUEY
P. NEWTON À LA REVUE "THE MOVEMENT" (1968)
THE MOVEMENT
: la question du nationalisme est une question vitale dans le
mouvement noir d'aujourd'hui. Certains ont fait une distinction
entre le nationalisme culturel et le nationalisme révolutionnaire.
Pourriez-vous commenter ces différences et nous donner
votre point de vue?
HUEY P. NEWTON : II y a deux sortes
de nationalismes, le nationalisme révolutionnaire et le
nationalisme réactionnaire.
Le nationalisme révolutionnaire
dépend d'une révolution populaire avec comme but
final de rendre le pouvoir au peuple.
Donc, pour être un nationaliste
révolutionnaire, vous devez nécessairement être
un socialiste.
Si vous êtes un nationaliste
réactionnaire, vous n'êtes pas un socialiste et
votre but final, c'est d'opprimer le peuple.
Le nationalisme culturel, le nationaliste
boutiquier comme je l'appelle parfois, repose sur une perspective
politique erronée.
Cela ressemble plus à une
réaction, au lieu d'être une réponse à
l'oppression politique.
Les nationalistes culturels sont
touchés par l'idée du retour à l'ancienne
culture africaine, symbole pour eux d'identité et de liberté.
Autrement dit, ils croient que la
culture africaine leur rendra automatiquement la liberté
politique.
Très souvent, les nationalistes
culturels tombent dans les rangs des nationalistes réactionnaires.
Papa Doc à Haïti est
un excellent exemple de nationalisme réactionnaire.
Il opprime le peuple, mais il met
en avant la culture africaine.
Il est contre tout ce qui n'est
pas noir, ce qui à première vue est très
bien, mais pour lui il s'agit seulement de tromper le peuple.
Il a tout simplement mis dehors
les racistes et les a remplacé par lui comme oppresseur.
Beaucoup de nationalistes dans ce
pays semblent avoir ces objectifs.
Le Black Panther Party, qui est
un groupe révolutionnaire de Noirs, a conscience que nous
devons avoir une identité.
Nous devons prendre conscience de
notre héritage noir pour nous donner la force d'avancer
et de progresser.
Mais cela ne signifie pas retourner
à l'ancienne culture africaine, ce n'est pas nécessaire
et ce n'est pas avantageux sur de nombreux points.
Nous croyons que la culture en elle-même
ne nous libérera pas.
Nous allons avoir besoin d'un remède
plus fort.
Un bon exemple de nationalisme révolutionnaire a été
la révolution en Algérie lorsque Ben Bella a vaincu.
Les Français ont été
mis dehors, mais cela fut une révolution populaire parce
que le peuple a obtenu le pouvoir.
Les leaders qui ont vaincu n'étaient
pas intéressés par le profit qu'ils auraient pu
faire en exploitant le peuple et en le maintenant dans un état
d'esclavage.
Ils ont nationalisé l'industrie
et remis les bénéfices aux mains de la communauté.
Le socialisme, en deux mots, c'est
cela. Les représentants du peuple sont aux affaires strictement
sur mandat du peuple.
Les finances du pays sont contrôlées
par le peuple et on y touche quand on fait des modifications
dans l'industrie.
Le Black Panther Party est un groupe
nationaliste révolutionnaire et nous voyons une contradiction
majeure entre le capitalisme de ce pays et nos intérêts.
Nous voyons que ce pays est devenu
de plus en plus riche sur la base de l'esclavage, et nous voyons
que l'esclavage est ce à quoi aboutit le capitalisme.
Nous avons deux maux à combattre,
le capitalisme et le racisme.
Nous devons détruire à
la fois le racisme et le capitalisme.
THE MOVEMENT
: Directement reliée à la question du nationalisme
est la question de l'unité à l'intérieur
de la communauté noire.
Il y a eu un
débat là-dessus depuis que le Black Panther Party
a fait concourir ses candidats contre d'autres candidats noirs
aux dernières élections de Californie. Quelle est
votre position à ce sujet?
HUEY : C'est une question bien particulière
et qui ne date pas d'aujourd'hui.
Historiquement, il y a ceux que
Malcolm X appelle le nègre des champs et le nègre
de maison.
Le nègre de maison avait
des privilèges, quelques privilèges.
Il portait les habits usés
du maître, et ne devait pas travailler aussi dur que les
Noirs des champs.
Il en est venu à respecter
le maître à tel point qu'il s'est identifié
à lui, étant donné qu'il recevait de lui
quelques miettes, ce que les Noirs de champs n'avaient pas.
A cause de cette identification,
il voyait les intérêts du maître d'esclaves
comme ses intérêts propres.
Parfois, il protégeait le
maître d'esclave plus que celui-ci ne l'aurait fait lui-même.
Malcolm fait remarquer que si un
jour la maison du maître prenait feu, le nègre de
maison en faisait plus que lui pour éteindre le feu et
sauver sa maison.
Tandis que, pendant ce temps, les
nègres des champs priaient pour que la maison brûle
en entier.
Le Noir de maison s'identifiait
tellement au maître que lorsque celui-ci tombait malade,
le nègre de maison disait "Maître, nous sommes
si malades!"
Nous, le Black Panther Party, nous
sommes les Noirs des champs, nous souhaitons que le maître
meure s'il tombe malade.
La bourgeoisie noire, il semble
qu'elle joue le rôle du nègre de maison. Ils sont
pour le gouvernement.
Ils aimeraient bénéficier
de quelques concessions, mais si on voit les choses du point
de vue de l'ensemble, ils possèdent un peu plus de biens
matériels, un peu plus d'avantages, un peu plus de privilèges
que les Noirs prolétaires, la couche inférieure.
De cette façon, ils s'identifient
à la structure du pouvoir et voit les intérêts
du pouvoir comme si c'était les siens.
En réalité, ce n'est
pas le cas.
Le Black Panther Party a été
obligé de tracer une ligne démarcation.
Nous sommes pour tous ceux qui sont
pour la promotion des Noirs prolétaires, ce qui représente
à peu près 98% des Noirs ici en Amérique
du nord.
Nous ne sommes pas contrôlés
par les radicaux blancs de la mère-patrie, nous ne sommes
pas non plus contrôlés par la bourgeoisie noire.
Nous avons notre propre conscience.
Et si la bourgeoisie noire ne peut
pas s'aligner sur notre programme tout entier, alors la bourgeoisie
noire devient notre ennemie.
Et elle sera attaquée et
traitée comme telle.
MOVEMENT : Le
Black Panther Party a eu des contacts très importants
avec les Blancs radicaux dès les débuts. Comment
voyez-vous le rôle qu'ils peuvent jouer?
HUEY : Les radicaux blancs de la
mère-patrie sont la fine-fleur des enfants de la bête
qui a pillé le monde en exploitant tous les peuples, se
concentrant particulièrement sur les peuples de couleur.
Ce sont les enfants de la bête
qui désormais recherchent la rédemption, car ils
se rendent compte de la nature de leurs anciens héros
: des maîtres d'esclaves et des meutriers, qui propageaient
des idées qui n'étaient que des façades
pour cacher l'injustice qu'ils infligeaient au monde entier.
Ces enfants rejettent leurs pères.
Les Blancs radicaux de la mère-patrie,
lorsqu'ils résistent au système, font quelque chose
d'abstrait pour ainsi dire, parce qu'ils ne sont pas aussi opprimés
que les Noirs.
C'est un fait que leur oppression
est assez abstraite, tout simplement parce qu'ils ne sont pas
forcés de vivre dans une réalité d'oppression.
Les Noirs en Amérique et
les gens de couleur dans le monde ne souffrent pas seulement
de l'exploitation, mais souffrent aussi du racisme.
Les Noirs ici en Amérique,
dans la colonie noire, sont opprimés en tant que Noirs
et exploités.
Les Blancs sont des rebelles, la
plupart d'entre eux viennent de la classe moyenne, qui n'est
pas le lieu de l'oppression ouverte.
C'est pourquoi j'affirme que leur
rejet de l'oppression est quelque chose d'abstrait.
Ils sont en quête de nouveaux
héros, ils veulent se débarasser de l'hypocrisie
que leurs pères ont montré au monde.
Ce faisant, ils voient ceux qui
se battent réellement pour la liberté.
Ils voient les peuples du monde
qui réellement veulent la justice, l'égalité,
la paix.
Ce sont les peuples du Vietnam,
d'Amérique Latine, d'Asie, d'Afrique, et le peuple Noir
ici en Amérique.
Ceci pose parfois un problème pour les révolutionnaires
noirs, mais surtout pour les nationalistes culturels. Les nationalistes
culturels ne comprennent pas les révolutionnaires parce
qu'ils ne peuvent pas voir pourquoi un Blanc se retournerait
contre le système.
Ils pensent alors que c'est encore
un peu plus d'hypocrisie de la part des Blancs.
A mon avis, il y a beaucoup de jeunes
révolutionnaires blancs qui sont sincères dans
leur volonté de se réconcilier avec l'humain et
de transformer en réalité les principes moraux
élevés que leurs parents et ancêtres n'ont
fait qu'exprimer.
En se cherchant de nouveaux héros,
les jeunes révolutionnaires blancs les ont trouvés
dans la colonie noire ici chez eux, et dans les colonies du monde
entier.
Les jeunes révolutionnaires
blancs ont lancé le cri de colère pour le retrait
des troupes du Vietnam, pour le retrait d'Amérique Latine,
pour le retrait de la République Dominicaine, et aussi
pour le retrait de la communauté noire ou colonie noire.
On a donc une situation où
les jeunes révolutionnaires blancs tâchent de s'identifier
aux peuples opprimés des colonies, contre les exploiteurs.
Le problème est de savoir
quel rôle ils peuvent jouer.
Comment peuvent-ils aider la colonie?
Comment peuvent-ils aider le Black
Panther Party ou tout autre groupe révolutionnaire noir?
Ils peuvent aider les révolutionnaires
noirs d'abord en rejetant les institutions, et ensuite en choisissant
leurs amis.
Par exemple, ils ont le choix entre
être l'ami de Lyndon Johnson ou bien l'ami de Fidel Castro.
L'ami de Robert Kennedy ou l'ami
d'Ho Chi Minh. Ce sont des opposés directs.
Un ami à moi ou un ami à
Johnson.
Après avoir fait ce choix,
les révolutionnaires blancs ont un devoir et une responsabilité
à accomplir.
Le système impérialiste
ou capitaliste occupe des zones.
Il occupe le Vietnam actuellement.
Ils l'occupent en envoyant des soldats
et des policiers là-bas.
Ces policiers et soldats ne sont
qu'une arme dans les mains des institutions.
Ils font que le raciste est en sécurité
dans son racisme.
L'arme dans les mains des institutions
lui permet d'exploiter en sécurité. Il est clair
alors que le premier problème est de retirer l'arme des
mains des institutions.
Jusqu'à récemment,
les radicaux blancs n'ont pas vu de raison d'entrer en conflit
avec les policiers dans leurs propres communautés.
Je dis "jusqu'à récemment",
parce que maintenant les révolutionnaires blancs tentent
de mettre quelques unes de leurs idées en pratique, il
y a ce point de friction.
Nous disons que cela devrait être
quelque chose de permanent. (...)
A mon avis, la conclusion raisonnable,
c'est d'abord de voir l'ennemi, voir son plan, et si quelque
chose se passe dans la colonie noire, alors les étudiants
révolutionnaires blancs et tous les autres Blancs qui
soutiennent la colonie devraient répondre en nous défendant,
en attaquant l'ennemi dans leurs communautés.
A chaque fois que nous sommes attaqués
dans notre communauté, il devrait y avoir une réaction
de la part des révolutionnaires blancs.
Ils devraient répondre en
nous défendant, en attaquant une partie des forces de
sécurité.
Une partie des forces de sécurité
qui est déterminée à mener à bien
les buts racistes des institutions américaines.
La position de notre parti, c'est
que le Black Panther Party est composé entièrement
de Noirs, parce que nous pensons comme Malcolm X qu'il ne peut
y avoir d'unité entre Noirs et Blancs sans avoir d'abord
réalisé l'unité entre les Noirs.
Nous avons un problème dans
la colonie noire qui est spécifique à la colonie,
mais nous sommes preneurs d'une aide de la mère-patrie
pourvu que les radicaux de la mère-patrie prennent acte
du fait que que nous avons une concience propre, comme Eldridge
Cleaver le dit dans Soul On Ice.
Nous avons regagné notre
conscience qui nous avait été arrachée et
nous allons décider de nos propres options politiques
et pratiques.
Nous ferons la théorie et
nous mènerons la pratique.
C'est le devoir des révolutionnaires
blancs de nous aider en cela.
Par conséquent, le rôle
des radicaux de la mère-patrie, et ils ont un rôle
à jouer, c'est d'abord de savoir qui est son ami et qui
est son ennemi -cela ils l'ont fait- et ensuite ils ne doivent
pas se contenter d'expliquer leur désir de regagner des
principes moraux et de rejoindre l'humain, mais ils doivent mettre
cela en pratique en attaquant les protecteurs des institutions.
MOVEMENT : Vous
avez beaucoup parlé des protecteurs du système,
les forces armées. Pourriez-vous expliquer pourquoi vous
insistez là-dessus?
HUEY : La raison qui me pousse à
traiter le sujet des protecteurs du système, c'est simplement
parce que sans cette protection de l'armée, de la police,
les institutions ne pourraient maintenir leur racisme et leur
exploitation.
Par exemple, maintenant que les
Vietnamiens chassent les troupes impérialistes américaines
de leur pays, les institutions racistes de l'Amérique
impérialiste cessent automatiquement d'exercer leur oppression
sur ce pays particulier.
Ils ne peuvent pas appliquer leur
programme raciste sans les armes.
Les armes, ce sont les militaires
et la police.
S'ils étaient désarmés
au Vietnam, alors les Vietnamiens seraient victorieux.
Nous sommes dans la même situation
ici en Amérique. A chaque révolte, le gouvernement
envoie ses hommes fortement armés.
Si c'est une grève des loyers,
à cause des logements indécents qui sont les nôtres,
ils envoient la police jeter nos meubles par les fenêtres.
Mais les gouverneurs ne viennent
pas eux-mêmes.
Ils envoient leurs protecteurs.
C'est pourquoi, pour atteindre l'exploiteur
corrompu, tu dois d'abord avoir affaire à son protecteur,
la police qui reçoit ses ordres de lui.
C'est inévitable.
MOVEMENT : Pourriez-vous
être plus précis au sujet des conditions qui rendent
possible une alliance ou une coalition avec des groupes à
majorité blanche? Pourriez-vous nous en dire plus sur
votre alliance avec le California Peace and Freedom Party?
HUEY : Nous avons une alliance avec
le Peace and Freedom Party.
Ce parti a soutenu notre programme
intégralement et ceci est le critère pour s'allier
avec les groupes révolutionnaires noirs.
S'ils n'avaient pas soutenu le programme
tout entier, nous n'aurions vu aucune raison de passer alliance
avec eux, étant donné que la réalité
de l'oppression, c'est nous.
Pas eux.
Ils sont opprimés seulement
abstraitement, nous sommes opprimés pour de bon.
Nous sommes les vrais esclaves!
C'est un problème dont nous
souffrons plus que tous les autres, c'est le problème
de notre libération.
Donc c'est à nous de décider
quelles mesures, quels instruments, quels programmes utiliser
pour nous libérer.
Beaucoup de jeunes révolutionnaires
blancs reconnaissent cela et je ne vois pas de raison de ne pas
nous allier avec eux.
MOVEMENT : D'autres
groupes noirs ont l'air de penser d'après leur expérience
passée qu'il leur est impossible de travailler avec des
Blancs et de passer des alliances avec eux. Voyez-vous une bonne
raison à cela et pensez-vous que l'histoire du Black Panther
Party fait que le problème se pose différemment?
HUEY : II y avait autrefois quelque
chose d'assez malsain dans le rapport entre les libéraux
blancs soutenant les Noirs et les Noirs essayant de regagner
leur liberté.
A mon avis, un bon exemple serait
la relation du SNCC avec ses propres Blancs libéraux.
Je les appelle comme cela car ils
sont clairement différents des Blancs radicaux.
Le rapport qui existait, c'était
le contrôle des Blancs sur l'organisation, qui a duré
très longtemps.
Depuis le tout début jusqu'à
très récemment, les Blancs étaient la conscience
du SNCC.
Ils contrôlaient le programme,
le financement, l'idéologie et toutes les positions tenues
par le SNCC.
L'activité des Noirs était
limitée à ce programme, ils ne pouvaient pas faire
plus que ce que les Blancs libéraux leur laissaient faire,
ce qui n'était pas grand chose.
En agissant ainsi, les libéraux
blancs ne travaillaient pas à l'auto-détermination
de la communauté noire.
Ce qu'ils voulaient, c'était
obtenir quelques aménagements de la part de la structure
du pouvoir.
Ils ont coulé le programme
du SNCC.
Stokely Carmichaël est arrivé
et, voyant cela, il a cherché à suivre le programme
du Black Power de Malcolm X.
Cela a effrayé beaucoup de
libéraux blancs qui soutenaient le SNCC.
Les blancs ont eu peur quand Stokely
est arrivé avec le Black Power, quand il a dit que les
Noirs avaient une conscience propre, que le SNCC ne serait plus
composé que de Noirs et que le SNCC rechercherait l'auto-détermination
pour la communauté noire.
Les libéraux blancs ont alors
retiré leur soutien et ont abandonné l'organisation
en état de faillite financière.
Les Noirs qui étaient dans
l'organisation, Stokely et H. Rap Brown, en sont sortis très
en colère contre les libéraux blancs qui les avaient
aidés en leur faisant croire qu'ils étaient sincères.
Ils ne l'étaient pas.
Par conséquent, la direction
du SNCC tourna le dos aux libéraux blancs, ce qui fut
une très bonne chose.
Je ne pense pas qu'ils aient fait
de différence entre libéraux blancs et révolutionnaires
blancs, parce que ces derniers sont blancs aussi, or ils craignent
d'établir quelque contact que ce soit avec des Blancs.
Au point de nier que les révolutionnaires
blancs puissent venir en renfort, en soutenant le programme du
SNCC dans la mère-patrie.
Non pas en établissant des
programmes ou en devenant membre de l'organisation, mais simplement
en résistant.
De la même façon que
les Vietnamiens se savent soutenus dès que d'autres peuples
opprimés dans le monde résistent.
Tout simplement parce que cela fait
s'éparpiller les troupes.
Cela exténue le pays militairement
et économiquement.
Si les radicaux de la mère-patrie
sont sincères, cela sera incontestablement un plus dans
l'attaque que nous menons contre la structure du pouvoir.
Dans notre programme, nous reconnaissons
que la révolution dans la mère-patrie nous aidera
sans aucun doute dans notre libération et qu'elle rejoint
tout à fait notre combat.
Je pense que l'une des grandes tares
du SNCC est d'avoir été contrôlé par
le dirigeant traditionnel, le commandeur tout-puissant, le Blanc.
Il était la conscience du
SNCC. Puis le SNCC a regagné sa conscience, mais je crois
qu'il a perdu sa perspective politique.
A mon avis, il a été
une réaction plus qu'une réponse.
Le Black Panther Party n'a JAMAIS
été contrôlé par les Blancs.
Le Black Panther Party a toujours
été un groupe noir.
Nous avons toujours uni la conscience
et le corps.
Comme nous n'avons jamais été
contrôlés par les Blancs, nous n'avons pas peur
des radicaux de la mère-patrie.
Notre alliance est celle de groupes
noirs organisés avec des groupes blancs organisés.
Donc nous n'acceptons pas de domination
liée à la couleur de la peau.
Nous ne haïssons pas les gens
blancs, nous haïssons l'oppresseur.
S'il se trouve que l'oppresseur
est blanc, alors nous le haïssons.
S'il ne nous opprime plus, alors
nous ne le haïssons plus.
Or, de nos jours, les maîtres
d'esclaves forment un groupe blanc.
Nous sommes en train de le renverser
par la révolution dans ce pays.
Je pense que la responsabilité
des révolutionnaires blancs est de nous aider en cela.
Et quand nous sommes attaqués
par la police ou les militaires, alors c'est au tour des radicaux
de la mère-patrie d'attaquer les meurtriers et de répondre
comme nous le faisons, en suivant notre programme.
MOVEMENT : Vous
dites qu'il y a un processus psychologique qui a existé
dans l'histoire, entre les Noirs et les Blancs, et qui doit changer
dans le cours de la lutte révolutionnaire. Pourriez-vous
expliquer ce point?
HUEY : Oui.
La relation historique entre les
Blancs et les Noirs dans ce pays a été la relation
entre le maître et l'esclave, le maître étant
la conscience et l'esclave le corps.
L'esclave accomplissait les ordres
que la conscience exigeait de lui.
Ce faisant, le maître prenait
son humanité à l'esclave parce qu'il lui retirait
sa conscience.
Il a retiré aux Noirs leur
conscience.
Mais dans ce processus, le maître
d'esclave a perdu son propre corps.
Comme Eldridge l'a écrit,
le maître devenait "le commandeur tout-puissant"
et l'esclave devenait "le domestique surmâle".
Ce rapport a placé l'un au
poste de commandement, l'autre dans les champs.
Toute cette relation se développe
au point que le commandeur tout-puissant et le domestique surmâle
deviennent des contraires.
L'esclave devient un corps fort
accomplissant toutes les tâches pratiques, tout dans ce
qu'il fait devient masculin.
Le commandeur tout-puisssant, dans
le processus où il se sépare de toutes les fonctions
corporelles, s'aperçoit à la fin qu'il s'est émasculé.
Ceci est très vexant pour
lui.
Ainsi, l'esclave perd sa conscience
et le maître perd son corps.
Cela a conduit le maître d'esclave
a devenir jaloux de l'esclave parce qu'il se le représente
comme étant plus qu'un homme et, le pénis étant
une partie du corps, comme étant supérieur à
lui sexuellement parlant.
Le commandeur tout-puissant baisse
dans sa propre estime lorsqu'il s'aperçoit que son projet
d'asservir l'homme noir a une contrepartie, lorsqu'il s'aperçoit
qu'il s'est émasculé.
Il cherche alors à castrer
l'esclave.
Il fait donc tout pour prouver que
son pénis peut battre celui du domestique surmâle.
Il dit "moi, le commandeur
tout-puissant, je peux avoir accès aux femmes noires".
De son côté, le domestique
surmâle a aussi une attraction psychologique pour la femme
blanche "la créature hyperféminine",
pour la simple raison qu'elle est le fruit défendu.
Mais le commandeur tout-puissant
décréta que les contacts de ce type seraient punis
de mort.
En même temps, pour renforcer
son désir sexuel, pour confirmer, pour prouver le fait
qu'il est un homme, il allait dans les quartiers d'esclaves pour
avoir des relations sexuelles avec la femme noire, "l'amazone
confiante en soi".
Non pas pour se satisfaire, mais
seulement pour confirmer qu'il est un homme.
Le seul fait de posséder
l'amazone confiante en soi prouve à ses propres yeux qu'il
est bien un homme.
Parce qu'il n'a pas de corps, pas
de pénis, il désire castrer l'homme noir psychologiquement.
L'esclave a toujours été
à la recherche de sa propre unité : une conscience
et un corps.
Il a toujours voulu être capable
de décider, de gagner le respect de sa femme.
Parce que les femmes veulent des
hommes comme cela.
Je vous livre ce schéma pour
qu'il nous permette de comprendre ce qui arrive de nos jours.
La structure du pouvoir blanc en
Amérique se définit toujours comme étant
la conscience.
Ils veulent contrôler le monde
entier.
Ils partent piller le monde.
Ils sont les policiers du monde
exerçant leur contrôle spécialement sur les
peuples de couleur.
L'homme blanc ne peut pas regagner
son humanité, ne peut pas se réunir avec son corps
parce que le corps est noir.
Le corps est symbolique d'esclavage
et de force.
L'esclave est dans une situation
nettement plus favorable, parce que devenir pleinement humain
est pour lui une question psychologique, et c'est toujours plus
facile de faire une transition psychologique qu'une transition
biologique.
S'il reprend sa conscience, s'il
reprend ses couilles, alors il perdra toute peur et sera libre
de déterminer sa destinée.
C'est cela qui se passe de nos jours
dans la rébellion des peuples opprimés contre les
dominants.
Ils reprennent leur conscience et
affirment que nous avons une conscience propre.
Ils affirment que nous voulons la
liberté de déterminer la destinée de nos
peuples, en unissant la conscience avec le corps.
Ils la reprennent en l'arrachant
des mains du commandeur tout-puissant, du dominant, de l'exploiteur.
En Amérique, les Noirs eux
aussi chantent cela : nous avons une conscience propre.
Nous devons gagner la liberté
de déterminer notre destinée.
C'est presque quelque chose de spirituel,
cette unité, cette harmonie.
L'unité de la concience et
du corps, donc celle de l'homme en lui-même.
Je trouve que certains slogans du
président Mao montrent bien cette théorie de l'unité
de la conscience et du corps à l'intérieur de l'homme.
Par exemple quand il appelle les
intellectuels à aller à la campagne.
Les paysans à la campagne
sont tous des corps; ils sont les travailleurs.
Mao les a envoyés là-bas
parce que la dictature du prolétariat ne laisse pas de
place au commandeur tout-puissant, il n'y a aucune place pour
l'exploiteur.
Par conséquent, il doit aller
à la campagne pour regagner son corps, il doit travailler
de ses mains.
Ainsi, on lui fait vraiment une
faveur, parce que le peuple le force à unir sa conscience
avec son corps en les mettant tous les deux au travail.
En même temps, l'intellectuel
lui apprend l'idéologie politique, il l'instruit, unissant
ainsi la conscience et le corps du paysan.
Leur corps et consciences sont unis
et peuvent diriger leur pays.
Je pense que c'est un très
bon exemple de cette unité, et c'est l'idée que
je me fais de l'homme parfait. (...)
MOVEMENT : Comment
est-ce que vous définiriez l'état d'esprit des
Noirs en Amérique aujourd'hui? Sont-ils désenchantés,
ou veulent-ils une plus grosse part du gâteau, sont-ils
aliénés ou au contraire refusent-ils de rentrer
dans une maison en flammes, refusent-ils de s'intégrer
à Babylone? Que faut-il pour qu'ils deviennent révolutionnaires?
HUEY : J'allais dire désillusionné,
mais je ne crois pas que nous ayons jamais eu l'illusion d'être
en liberté dans ce pays. Cette société est
totalement décadente et nous le savons.
Les Noirs s'en rendent compte chaque
jour un peu plus.
Nous ne pouvons pas gagner notre
liberté dans le système actuel, le système
qui mène sa politique de racisme institutionnalisé.
Votre question porte sur ce qu'il
faut faire pour les stimuler à faire la révolution.
Je pense que c'est déjà
en train d'être fait. Ce n'est plus qu'une question de
temps, à nous de les éduquer par notre programme
et de leur montrer la voie de la libération.
Le Black Panther Party est le phare
qui montre aux Noirs la voie de la libération.
Vous avez remarqué les insurrections
qui ont eu lieu dns tout le pays, à Watts, à Newark,
à Détroit.
Elles étaient toutes des
réponses du peuple exigeant la liberté de déterminer
sa destinée, rejetant l'exploitation.
Désormais, le Black Panther
Party ne pense plus que les émeutes traditionnelles, ou
les insurrections qui ont eu lieu, soient la réponse.
Il est vrai qu'elles se dirigeaient
contre les institutions, contre l'autorité et l'oppression
à l'intérieur de la communauté, mais elles
étaient inorganisées.
Cela étant, les Noirs ont
appris de chacune de ces insurrections.
Ils ont appris de Watts.
Je suis sûr que les gens de
Détroit ont été éduqués par
ce qui s'est passé à Watts.
Peut-être était-ce
une mauvaise éducation.
Les cibles ont été
manqtiées. Ce n'était pas la pratique la plus correcte,
mais les gens ont été éduqués par
la pratique.
Les gens de Détroit ont suivi
l'exemple des gens de Watts, en y ajoutant un peu du leur.
Les gens de Détroit ont appris
que la façon d'attaquer l'Etat, c'est de faire des cocktails
molotov et descendre dans les rues en masses.
Cela a été une matière
de leur enseignement.
Le slogan est alors arrivé
"Burn, baby, burn!".
Les gens ont été éduqués
par l'activité, la pratique, qui s'est répandue
dans tout le pays.
Les gens ont appris à résister,
mais peut-être pas de la façon correcte.
Ce que nous devons faire en tant
qu'avant-guarde de la révolution, c'est de corriger ces
défauts, par l'activité.
La grande majorité des Noirs
sont illettrés ou semi-illettrés. Ils ne lisent
pas.
Ils ont besoin d'une activité
à suivre.
Cela vaut pour tous les peuples
colonisés.
La même chose est arrivée
à Cuba où douze hommes, avec Fidel Castro à
leur tête, ont vu la nécessité de prendre
le maquis pour attaquer le gouvernement corrompu, pour attaquer
l'armée qui était la protectrice des exploiteurs
à Cuba.
Ils auraient pu faire de la propagande
par voie de tracts ou écrire des livres, mais le peuple
n'aurait pas répondu.
Ils devaient agir, et le peuple
a vu et entendu cela, et de cette façon il a pu apprendre
à répondre à l'oppression.
Ici, nous les révolutionnaires
noirs, nous devons montrer l'exemple.
Nous ne pouvons pas faire exactement
comme à Cuba, parce que Cuba c'est Cuba et qu'ici ce sont
les USA.
A Cuba il y a beaucoup de terrains
pour protéger la guérilla.
Ici, le pays est principalement
urbain, nous devons trouver de nouvelles solutions pour compenser
la supériorité technologique du système,
sa rapidité de communication et de réaction, etc.
Nous avons des solutions à
ces problèmes, et nous les mettrons en pratique.
Je ne souhaite pas rentrer trop
dans les détails, mais en tous cas, nous allons éduquer
par l'action.
Nous allons engager des actions
pour faire que les gens lisent notre littérature.
Parce qu'ils ne sont normalement
pas poussés vers tout ce qui s'écrit, il y a trop
d'écrits.
Trop de livres fatiguent.
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