FRELIMO - M.P.L.A. - P.A.I.G.C.
Intervention commune des mouvements
de libération des colonies portugaises festival panafricain d'Alger (1969)
Le combat pour la libération nationale, combat multiforme
engagé par nos peuples, en est aujourd'hui à des stades différents : la plupart
des pays africains ont déjà accédé à l'indépendance politique - fait dont nous sommes fiers -, dans d'autres, la lutte pour l'indépendance économique porte les promesses d'un avenir de progrès social.
Nous nous rejoignons cependant dans le contenu même du combat essentiel que nous menons contre l'aliénation et les séquelles tant morales que culturelles de la colonisation.
Pour nous, ce combat pour la libération nationale revêt encore la forme d'un violent affrontement suscité par la contradiction entre l'affirmation culturelle nationale représentée par nos organisations politiques et l'aliénation assimilationniste imposée par les baïonnettes coloniales.
Nos réalités culturelles
Ce symposium fournit une heureuse occasion aux mouvements de libération nationale des colonies portugaises d'apporter leur contribution à l'approfondissement d'un débat qui intéresse le devenir culturel des peuples africains.
S'agissant du rôle de la culture, il nous semble que les réalités auxquelles nous faisons face doivent être rappelées, afin de pouvoir dégager ensemble les grandes lignes de notre orientation pour l'épanouissement de la personnalité culturelle de l'Afrique.
Cette personnalité, diversifiée dans ses composantes, trempée aux sources spécifiques de nos cultures, nous la voulons largement ouverte sur la modernité, nous la voulons pour l'homme, ou, comme dirait le poète, « pour la faim et pour la soif universelles ».
C'est au feu même de l'action armée, au détour des embuscades tendues à l'ennemi, dans l'attaque des casernes ou sous une pluie de bombes que s'esquissent les traits de la physionomie culturelle de nos peuples.
Parce que la lutte armée de libération nationale ne laisse dans l'ombre aucun des aspects qui composent la vie communautaire des hommes en situation de combat, elle apparaît comme un acte culturel, par excellence.
Il est certain que la prise de conscience des réalités culturelles de l'Afrique a constitué un élément moteur de la prise de conscience politique, au premier stade du déclenchement du mouvement libérateur. Se vouloir et s'affirmer tout simplement africain, c'était déjà à l'époque, une forme avancée de manifestation politique.
Mais c'est la lutte de libération qui fournit le cadre matériel et permet les conditions idéales pour le développement de la culture.
Celle-ci est, à son tour, l'élément fécondant nourricier de la lutte de libération.
On voit toute la richesse de la relation dialectique entre la lutte de libération nationale et la culture.
Nous avons maintes fois répété que la domination coloniale, acte barbare par excellence, bloque le développement de
la culture d'un peuple.
Les structures sociales et l'autonomie politique sont profondément atteintes par l'impact de la conquête étrangère et la culture cesse d'être une création continue.
Avant l'irruption de la présence portugaise, les cultures africaines évoluaient dans leur cadre propre, en rapport avec le développement historique de l'époque tels le royaume Mandingue ou la confédération Fulbé en Guinée Bissao, les royaumes de Kongo et Lunda en Angola, l'empire de Monomotaya au Mozambique.
Avec l'installation du système colonial, on assiste à une distension des liens de solidarité entre les éléments de la société : économies ébranlées, groupes sociaux disloqués par la détribalisation.
Car la culture doit être comprise comme le grand lien de solidarité des structures sociales.
Dès lors qu'un élément de cette structure est brisé, les manifestations culturelles s'en ressentent.
D'un côté, les grandes communautés, surtout au niveau des villages, subissent l'occupation administrative, l'implantation du système économique et social amené par la colonisation, et elles fournissent en tant qu'individus leur force de travail à l'économie de marché.
On voit surgir, de l'autre côté, au niveau des villes, des couches sociales intégrées au système de l'assimilation. La situation coloniale engendre la dualité culturelle.
Le phénomène de la dualité culturelle est marqué par l'écart entre les hommes des communautés villageoises qui défendent les traits essentiels de la culture nationale et ceux que le colonisateur tente de récupérer en tant qu'assimilés travaillés mentalement par la culture portugaise.
Deux formes de résistance culturelle s'organisent : d'une part ce peuple s'attache souvent dans la clandestinité, à préserver le patrimoine traditionnel dont les manifestations sont frappées par une véritable répression ; d'autre part une minorité de la couche privilégiée accédant à l'intelligence du fait colonial, nie la négation, c'est-à-dire l'aliénation culturelle.
Ainsi s'est dessiné dès la fin du siècle dernier, le mouvement culturel du fait colonial.
Réagissant contre le système de domination, les intellectuels vont permettre à travers leurs écrits, la cristallisation d'une prise de conscience d'assimilés en rupture avec les modèles coloniaux.
L'assimilé prend sur soi d'assumer sa condition privilégiée pour en faire un instrument de défense de la communauté nationale dans son ensemble.
Mais la portée réelle des manifestations de la création artistique ou littéraire reste limitée.
S'il est vrai que cette création qui dénonce le fait colonial compose le fondement de la prise de conscience politique, elle ne suffit pas à dépasser les contradictions suscitées par la dualité culturelle.
En revanche, avec l'irruption de la lutte armée de libération nationale, les contours de la vie culturelle d'un peuple colonisé commencent à se préciser.
Au caractère de totalité dominatrice revêtu par le système colonial va s'opposer, dans un premier stade, l'engagement des hommes dans le renversement des structures sociales et politiques engendrées par l'occupation étrangère.
Une telle contestation organisée à l'échelle du peuple requiert des intellectuels le double engagement dans la destruction des vieux rapports et la construction d'une nouvelle culture.
A des degrés divers et avec plus ou moins d'ampleur, l'Etat colonial portugais présente déjà depuis quelques années, le visage d'un monde en décomposition.
En Angola, en Guinée et au Mozambique, le système colonial se désagrège par l'assaut conjugué des forces nationalistes.
Et la lutte armée porte en elle la solution de la contradiction entre la colonisation et les aspirations de nos peuples à l'indépendance nationale.
Ayant repris par la voie armée l'initiative de détruire les fondements de la colonisation, nous sommes en mesure de réaliser le déblocage de la culture.
Dès l'instant que le son des armes se décide en notre faveur dans les zones de combat, on assiste à 1'effondrement graduel de l'édifice sur lequel reposait la domination coloniale...
Le Parti politique organise sa présence et c'est autour de lui que s'établit le moteur de la culture.
La vie culturelle dans les régions libérées
A l'heure actuelle, la dénonciation de l'exploitation coloniale est dépassée par la forme armée que revêt notre combat.
C'est en premier lieu dans le domaine littéraire, en particulier dans l'expression poétique, orale et écrite, que la nouvelle praxis est plus nettement traduite, en annonçant les transformations profondes en cours dans nos pays.
Tout d'abord en reliant le présent à la tradition ancestrale de résistance.
Ainsi au Mozambique, un poète maquisard chante :
nos vaillants ancêtres
combattirent l'invasion colonialiste
ancêtres exemplaires
apprenons leurs enseignements
détruisons les vieilles conceptions
en créant un nouvel esprit de patriotisme
Ce même lien se retrouve dans la transformation de certains poèmes anciens, poèmes de lamentation devenus aujourdhui poèmes d'espoir.
La poésie assume en outre une tâche de mobilisation directe s'adressant à ceux qui n'ont pas encore rejoint la lutte armée :
Qu'attendez-vous frères ?
Les jours passent
et jamais les Portugais ne changeront
Rejoins les autres,
et demain
Tes frères de l'oppression seront libérés.
Elle chante aussi l'épanouissement de l'homme, artisan de son propre destin.
Guérillero,
Le temps de la joie est arrivé,
C'est la révolution.
Cette mutation thématique est radicale car elle correspond
à un mode de vie totalement nouveau où le combat armé, le prestige
du combattant, le fracas des armes, l'enthousiasme populaire dans la construction nouvelle,
le sentiment excitant d'oeuvrer ensemble, sont chantés et représentés.
Tes douleurs
et les miennes
étouffant l'oppression,
tes yeux
et mes yeux
parlent de révolte
Ton sang
Et le mien
arroseront les semences de la victoire
Le théâtre sert aussi de support à l'expression artistique des préoccupations nées dans le nouveau cadre politico-social qui s'affirme dans les régions libérées de nos pays.
Les troupes théâtrales des pionniers en Guinée Bissao représentent des pièces où les colonialistes sont ridiculisés, les faits valeureux des combattants glorifiés, la confiance profonde de notre peuple dans la victoire finale exaltée.
Ce sont encore ces thèmes qui inspirent les ballets du Mozambique, où les formes plastiques traditionnelles s'allient au chant et à la danse revitalisés par un nouveau contenu politique et idéologique.
La sculpture s'épanouit pleinement en se libérant des contingences commerciales de la période colonialiste, la création plastique reprend la richesse traditionnelle des formes, en même temps qu'elles modèlent les protagonistes de la guerre de libération.
Les artistes-soldats créent au sein des structures politico-militaires où ils militent : images en bois, en terre cuite, par lesquelles ces artistes représentent la stature du guérillero, ou de la milicienne.
C'est toute une nouvelle conception artistique qui s'élabore dans nos pays.
Comme l'affirmait le poète et dirigeant mozambicain, Marcelino dos Santos, nul ne peut nier le caractère populaire et surtout la beauté de la création artistique dans cette phase de la lutte de libération nationale.
« Point d'avant-garde ou, du moins, ce qu'on entend habituellement comme telle : l'homme-élite, celui qui sait tout.
C'est le peuple entier qui se chante lui-même, chaque homme inventant les couleurs et les formes nécessaires.
L'avant-garde c'est le meilleur paysan, le meilleur ouvrier et le meilleur guerillero, le meilleur poète et le meilleur alphabétiseur, le meilleur infirmier, c'est celui qui, dans l'accomplissement de sa tâche, élargit la création humaine, oeuvre le mieux pour le progrès collectif, approfondit les horizons de la révolution.
VOILA LA VERITE PREMIERE DE NOTRE REVOLUTION : la réaffirmation culturelle est avant tout l'affirmation de l'homme travailleur, celui qui crée, revendique et assume la direction de sa destinée, qui réalise l'action armée de libération nationale dans une perspective révolutionnaire » (Fin de citation).
Dans ce contexte, l'enseignement subit une transformation profonde à la fois qualitative et quantitative ; la libération des cultures s'exprime nécessairement dans le contenu du nouvel enseignement dispensé dans les écoles des régions libérées.
Contrairement à l'enseignement discriminatoire, culturellement répressif et tourné avant tout vers l'apprentissage manuel, nos écoles sont ouvertes à tous, enfants et adultes, visant à donner à chacun la possibilité de jouer un rôle chaque jour plus important dans la destruction du passé colonial et dans la construction de l'avenir.
L'enseignement conçu comme une entreprise totale du savoir est mis en pratique en Angola par les Centres d'Instruction Révolutionnaire.
On s'imagine le profond bouleversement apporté dans nos campagnes par le « fusil de fer » que chante le poète, la mitrailleuse, l'anti-aérienne !
Connaissance essentielle, vitale pour la poursuite du combat, pour la survie même du peuple en guerre.
Quel processus grandiose de transformation totale, d'éducation à la fois politique, technique et sociale, n'apportent ces années de notre expérience !
Comptant sur leurs propres ressources, sous l'effet stimulant de la guerre révolutionnaire, nos peuples affirment leur ingéniosité et leurs capacités d'invention dans les domaines aussi divers que la nutrition, la médecine, la planification de la production et du ravitaillement.
Imprégnant toute la création artistique et toute la vie sociale, il y a finalement une affirmation puissante des valeurs collectives : le raffermissement des liens entre les individus engagés dans la même lutte de libération, la conscience des mêmes buts et des mêmes tâches sociales, politiques, et culturelles ont créé de nouvelles valeurs unitaires et sont devenus ainsi des ferments de la conscience nationale.
Voilà l'image de nos réalités culturelles.
Nos propositions
Nous avons essayé de définir brièvement les traits de notre personnalité culturelle qui se dégage dans le cadre de notre processus libérateur.
En nous efforçant, d'autre part, de vous indiquer les mutations opérées dans la création littéraire et artistique, au fracas des armes, nous avons voulu apporter une pierre à la construction d'un commun édifice.
II s'agit de bâtir une politique de la culture. Pour atteindre un tel objectif, il nous faudra partir de nos réalités spécifiques, évaluer l'apport de l'enrichissante diversité de nos cultures, dans le vivant creuset de l'unité africaine.
Nous sommes confrontés quant à nos mouvements de libération nationale en lutte armée en Angola, en Guinée, au Mozambique, à une vaste entreprise de renaissance de nos cultures.
La réalisation de ce projet appelle nécessairement le concours de tous ceux qui nous ont précédés dans la voie de l'indépendance.
Si nous voulons le rayonnement de nos valeurs spirituelles, si notre énergie créatrice est tendue vers l'affirmation de la personnalité culturelle de notre continent, il faut que toutes les cultures s'épanouissent au grand soleil de la liberté.
La guerre de libération nationale que nous menons en Angola, en Guinée et au Mozambique est le moyen qui nous permet d'exister culturellement.
Nous avons affirmé que nous poursuivons une oeuvre de reconstruction nationale dans les régions déjà libérées de la domination coloniale.
Les campagnes d'alphabétisation d'adultes, les écoles, les centres d'instruction révolutionnaire constituent autant de domaines de la diffusion du savoir et de la culture.
Ce Festival dont la vocation première est de réhabiliter nos valeurs de civilisations et d'annoncer une vivante renaissance de nos cultures vient à son heure.
A l'instar des mécanismes politiques de soutien que l'OUA a mis en oeuvre, il nous faudra rechercher ensemble les structures d'un organisme de solidarité culturelle.
Nous sommes certains d'en être les premiers bénéficiaires, en raison de la phase historique que traverse notre lutte et en raison de l'étendue de nos tâches.
Nous pouvons indiquer d'ores et déjà le cadre de la coopération qui pourrait valablement s'établir entre cet organisme culturel de l'OUA et les mouvements de libération nationale :
- une circulation des expériences de décolonisation culturelle entamée par les Etats Africains dans les diverses disciplines du savoir : adaptation des manuels scolaires aux réalités du continent, fixation des langues africaines de culture, leur utilisation, dans l'alphabétisation des masses, dans la scolarité et leur adaptation aux besoins du monde moderne ;
- une utilisation accrue des infrastructures culturelles déjà existantes au service de notre combat libérateur : presse, moyens audio-visuels ;
- une collaboration active des universitaires africains dans l'élaboration de nos programmes d'enseignement.
En dehors de ce cadre, les artistes et les intellectuels africains ont leur rôle à jouer : témoigner pour notre guerre de libération nationale.
Nous sommes en droit de demander qu'une part de leur création exprime les sacrifices consentis par nos peuples dans les maquis et les prisons de l'Angola, de la Guinée et du Mozambique.
Les vertus révolutionnaires incarnées par nos peuples en lutte sont une puissante source d'inspiration créatrice.
Où sont donc les poètes et les cinéastes africains des pays indépendants qui aient enrichi le panthéon de la culture universelle grâce à une approche directe de nos souffrances et de nos espoirs ?
Il en est encore temps !
La culture vit d'un incessant courant d'échanges.
Les Etats africains indépendants nous apportent l'expérience de l'édification nationale.
Mais pour l'harmonie de l'édifice de l'unité africaine, il est nécessaire d'intégrer les valeurs révolutionnaires portées par le combat de nos peuples.
Une fois de plus, l'Afrique aura été présente à l'élaboration de la culture universelle.
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