ILAL AMAM
DICTATURE ET DÉMOCRATIE
1971
1. - CONCEPTION BOURGEOISE
Les concepts de dictature et de démocratie nous sont apportés par la science politique bourgeoise.
Ils sont de ce fait chargés du contenu même que leur a donné le développement du capitalisme.
Ce développement rendait nécessaire de libérer l'individu des contraintes et des carcans de la société féodale européenne. Le commerçant qui voulait étendre ses affaires avait besoin de la liberté du commerce, l'industriel naissant devait recruter librement ses ouvriers.
Mais cette bourgeoisie montante, si elle proclamait cyniquement ses appétits, avait besoin de la force du peuple pour briser la structure féodale.
Aussi la liberté du commerce ou la liberté de l'exploitation des ouvriers salariés a-t-elle été intégrée dans des concepts plus larges, plus « humanistes », tels que la liberté individuelle et l'abolition des privilèges et de l'esclavage.
Et certes les petits-bourgeois, et avec eux les artisans, les paysans, les premiers ouvriers, ont pu se battre avec enthousiasme pour ces objectifs.
Ainsi a été fondé l'Etat de démocratie bourgeoise.
Dans cet Etat, dans cette conception, l'homme politique qui « seul avec sa conscience » suivant la formule consacrée, choisit son bulletin de vote, est censé être, à ce moment précis, différent de ce qu'il est dans sa vie quotidienne, ouvrier, paysan, femme de ménage, bourgeois. Le suffrage universel, le droit de vote à tous apparaît ainsi comme une victoire sur la puissance financière, sur la puissance tout court.
Et pourtant, ce droit de vote empêche-t-il l'ouvrier d'être soumis à l'arbitraire du patron, ce droit de vote empêche-t-il le paysan de dépendre du crédit, ce droit de vote supprime-t-il les inégalités devant l'école bourgeoise ?
Telle est pourtant la démocratie bourgeoise.
En fait, et nous n'avons pas besoin de longues démonstrations sur ces problèmes vécus par les masses, tout Etat est toujours une dictature. L'Etat de démocratie bourgeoise est l'Etat de dictature de la classe capitaliste sur l'ensemble du peuple, ouvriers et paysans.
Dans l'évolution même du capitalisme vers la concentration économique entre les mains de quelques grandes firmes, les monopoles, dans son évolution vers la forme contemporaine de l'impérialisme, les contradictions de classe s'accentuent entre la couche sociale du grand Capital et l'ensemble de la nation.
Ces contradictions deviennent d'autant plus dangereuses pour le grand Capital lorsque la classe ouvrière disposant cependant dans le cadre de la démocratie bourgeoise de la liberté de réunion et d'organisation, de possibilités, restreintes certes, de publier une presse autonome, lorsque cette classe ouvrière s'organise sous la direction de partis authentiquement révolutionnaires.
Dans ces conditions qui étaient celles des années 1920-1930 dans plusieurs pays d'Europe, le grand Capital a dévoilé ouvertement sa dictature en passant à la dictature fasciste.
Actuellement, dans les principaux pays capitalistes, cette dictature déclarée n'est plus nécessaire du fait du glissement vers le réformisme des Partis Communistes de ces pays.
Cependant, elle s'exerce effectivement comme telle à rencontre des organisations et des courants révolutionnaires, comme c'est le cas aux Etats-Unis contre les noirs-américains.
Dans les pays soumis à l'oppression néo-coloniale, les différences entre l'apparence démocratique et le contenu dictatorial deviennent caricaturales.
C'est ainsi que, par exemple, le gouvernement fantoche de l'impérialisme américain au Sud-Vietnam procède à des « élections » !
Cette caricature devient également flagrante lorsqu'il arrive néanmoins que, malgré toutes les précautions, la démocratie bourgeoise laisse trop se développer les forces révolutionnaires et antiimpérialistes. Alors l'impérialisme international se dépêche d'y mettre bon ordre, par l'intervention directe et par la dictature fasciste de ses valets.
Tel est le cas en Grèce, au Brésil, en Turquie, en Indonésie.
Tel est le cas aussi au Guatemala et en République Dominicaine, grâce à l'intervention ouverte des armées américaines. Certes, aujourd'hui, l'impérialisme américain n'a pu encore intervenir directement au Chili ou un gouvernement de gauche issu des élections menace ses intérêts, mais les provocations auxquelles se heurte ce gouvernement montrent déjà que les forces populaires ne pourront consolider leurs premiers succès si elles ne s'organisent pas comme dictature révolutionnaire.
2. _ CONCEPTION PROLETARIENNE
Ceci nous amène à la conception prolétarienne, opposée à la conception bourgeoise, de la démocratie et de la dictature.
La conception prolétarienne ne sépare pas artificiellement la réalité politique de la réalité économique. La séparation, dans les mots, que fait la bourgeoisie entre Etat et société est dénoncée ouvertement. Pour le prolétariat, tout Etat est une dictature.
La distinction se t'ait entre l'Etat bourgeois et l'Etat autocratique, d'une part, qui sont une dictature de la minorité sur la majorité, et l'Etat prolétarien ou populaire, d'autre part, qui est une dictature de la majorité sur la minorité.
Mais pourquoi une dictature de la majorité !
Parce que la minorité sur laquelle s'exerce cette dictature dispose de forces autrement plus puissantes que son seul nombre.
Elle dispose de l'appui de tout l'impérialisme international, elle dispose du pouvoir corrupteur de l'argent, elle dispose du poids des habitudes de soumission acquises dans la longue période d'oppression.
Aussi, le front révolutionnaire des ouvriers et des paysans pauvres doit exercer sa dictature pour déraciner l'emprise impérialiste, pour mettre hors d'état de nuire ses agents intérieurs, pour modifier la structure même de la société, pour créer une société nouvelle, une société socialiste.
Cette dictature est la dictature du prolétariat.
La dictature du prolétariat va vers le dépérissement de l'Etat comme tel, vers une société où (ouïe forme d'oppression, où toute culture d'oppression, où toute forme d'aliénation de l'homme ayant disparu, les hommes pourront s'épanouir et organiser leurs activités sociales sans Etat.
Ce processus dans lequel l'homme lui-même doit changer est un long processus historique qui ne pourra réellement se consolider qu'après la liquidation à l'échelle mondiale de l'impérialisme et du capitalisme.
Mais la dictature du prolétariat est déjà inscrite dans ce processus et
n'a de sens que si elle s'y inscrit.
Ceci signifie que le pouvoir réel doit
être celui des ouvriers et des paysans organisés en comités révolutionnaires et ne
saurait être un pouvoir bureaucratique.
Ainsi la réforme agraire y est l'oeuvre même de ces comités révolutionnaires paysans comme
cela a été le cas en Chine ou dans les premières années de la Révolution Soviétique.
De même les choix stratégiques de la planification, de l'orientation même de la société,
doivent émaner de ces comités ouvriers et paysans, dialectiquement unis par et avec le parti du prolétariat.
La Révolution Culturelle Chinoise est venu démontrer au monde ce qu'est la réalité d'un tel pouvoir.
En ce sens, au grand dommage des bureaucrates et des technocrates, il y
a dépérissement de l'Etat, de même qu'Engels disait que la Commune de Paris n'est plus
un Etat au sens strict du terme.
Mais s'il y a un lien entre dictature du prolétariat et dépérissement de l'Etat,
ce lien n'est pas spontané, unilatéral, mais dialectique.
La garantie du progrès vers
le dépérissement de l'Etat est le renforcement de la dictature du prolétariat
contre ceux qui veulent retourner en arrière vers le capitalisme.
La garantie de la marche vers le
socialisme est la constitution du prolétariat comme classe, assumant ainsi son hégémonie idéologique, sa direction de l'ensemble du peuple.
Ainsi des mots d'ordre petits-bourgeois comme « l'usine aux ouvriers » ne servent qu'à semer des illusions petites-bourgeoises dans la classe ouvrière, l'illusion de l'ouvrier devenu actionnaire capitaliste !
La dégénérescence de la société yougoslave montre où cela mène.
Le mot d'ordre « l'usine aux ouvriers » permet en fait aux bureaucrates petits-bourgeois de conserver le pouvoir de l'Etat sous leur contrôle !
Telle est certes l'ambition ici d'un Abdallah Ibrahim.
Si la paysannerie, y compris la paysannerie pauvre, doit passer par l'étape de sa réalisation économique comme classe paysanne propriétaire de la terre pour accéder, sous la direction du prolétariat, à l'étape du socialisme, le prolétariat ne peut s'organiser pour la révolution même qu'en dépassant ses intérêts immédiats de classe.
« S'il est incapable de libérer l'humanité tout entière, le prolétariat ne pourra pas parvenir non plus à sa propre libération finale » (Mao Tsé-Toung).
C'est ce dépassement comme classe qui lui permet d'assurer la direction des forces révolutionnaires.
C'est bien pourquoi, comme l'a bien montré l'actuel Président de la République Démocratique du Viet-Natn, Truong-Chinh, le chemin vers le socialisme dans un pays à structure paysanne dominante passe par la dictature démocratique révolutionnaire des ouvriers et des paysans pauvres, elle-même catégorie de la dictature du prolétariat, parce que le prolétariat, par son organisation de classe et son idéologie de classe, assume la direction idéologique et stratégique du front révolutionnaire des ouvriers et des paysans pauvres, noyau dynamique de l'ensemble des forces nationales.
Cette dictature est démocratique dans le sens où ne séparant pas
le politique de l'économique, la structure socio-économique de la
société reste pour une large part une structure d'économie bourgeoise.
Elle est révolutionnaire dans le sens où la dictature s'exerce
comme nous l'avons dit pour déraciner l'ennemi impérialiste et ses agents.
Elle est une dictature des ouvriers et des paysans pauvres parce que
seules ces classes dans leur union révolutionnaire peuvent déraciner cet ennemi.
La petite et moyenne bourgeoisie qui ont leur place dans une telle société ne
sauraient exercer cette dictature parce que, laissées à elles-mêmes, elles
viseraient au contraire à construire le capitalisme, ce qu'elles ne peuvent
faire qu'avec l'appui de l'impérialisme.
L'évolution actuelle de la R.A.U. est à cet égard fort significative.
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