Article paru dans AKWESASNE NOTES

NICARAGUA : UNE PERSPECTIVE

1982

Il est nécessaire de soutenir le peuple du Nicaragua contre l'impérialisme U.S. et contre le colonialisme en général. Il est nécessaire d'être solidaire du processus révolutionnaire. Il est possible de croire que les Sandinistes essayent, selon leurs définitions de prendre des positions de principes à l'égard des problèmes de la Côte Atlantique.

La querelle entre le gouvernement révolutionnaire du Nicaragua et les Indiens de la Côte Atlantique, est cependant plus compliquée que les habituelles questions posées par les principes de la lutte révolutionnaire. En bref, le conflit n'est pas de ceux que l'on peut décrire simplement, en termes de révolution et de contre- révolution. C'est un conflit qui affectera profondément les futures luttes révolutionnaires des Amériques.

Les Sandinistes ont admis avoir fait des erreurs dans le passé, dans leurs relations avec les Indiens Il est apparemment possible qu'ils fassent des erreurs dans leur politique actuelle.

Cela ne veut pas dire que les Indiens ont une position absolument infallible. Notons seulement que les Sandinistes ne sont pas parfaits tout le temps et qu'ils peuvent faire des erreurs.

On ne peut par principe, soutenir des politiques erronées, et je ne pense pas que ce soit contre révolutionnaire, d'être en désaccord, même avec un gouvernement révolutionnaire, quand sa politique envers les Indiens est désastreuse.

L'étude minutieuse de la déclaration de 1977 révèle que l'IITC [International Indian Treaty Council] et l'AIM [American Indian Movement] adhèrent à la position (telle qu'elle est formulée par de nombreux gouvernements traditionnels indiens) selon laquelle les peuples indiens ont droit à tous leurs territoires aborigènes.

Si la position Sandiniste était adoptée par les Etats Unis, les Black Hills seraient automatiquement perdues et les revendications Sioux seraient limitées aux superficies déterminées par les villages connus sous le nom de Pine Ridge, Wamblee Calico etc...

Le Commandant Ramirez, ministre de l'INNICA estime que les droits des Indiens se limitent aux droits des citoyens du Nicaragua. Il est tout à fait formel sur ce point. En somme, il propose l'idée que l'assimilation est un objectif révolutionnaire.

Cette position du gouvernement du Nicaragua place les indiens progressistes d'autres pays dans une position difficile. Les Indiens de la Côte Atlantique revendiquent leur droit à la terre en tant qu'aborigènes, ainsi qu'aux ressources naturelles, à la chasse, à la pêche et à l'autodétermination.

Les peuples Indiens qui ont soutenu les Miskitos dans leurs luttes pour leurs droits aborigènes contre le régime fantoche du gouvernement Somoziste, vont-ils les abandonner quand ces droits sont menacés par des gouvernements révolutionnaires ?

Les Indiens ont soutenu de façon logique les principes selon lesquels les peuples Indiens ont le droit d'exister en tant que peuples distincts , qu'ils ont le droit de posséder leurs propres territoires, de s'opposer aux projets de développement massifs qui leurs sont imposés par des intérêts extérieurs. Doit-on abandonner ces principes dans des pays socialistes? N'y-a-t-il pas d'alternative à l'extinction?

Il y a quelques aspects prometteurs et positifs dans la politique et la pratique Nicaraguayenne à l'égard des Indiens, mais la déclaration du 12 août 1981, contient des points de dénégation tellement clairs et absolus de la plupart des droits fondamentaux d'un peuple indien à se libérer et à utiliser ses terres, et une dénégation tout aussi complète de leurs droits aux ressources naturelles, qu'il est difficile de croire qu'un peuple indien qui l'a soigneusement étudiée puisse l'accepter.

La question n'est pas de savoir si il y a des Miskitos ou d'autres Indiens réactionnaires, qu'ils soient au Nicaragua ou en exil. La question concerne le soutien les droits fondamentaux des Indiens à vivre libérés des politiques génocidaires, y compris du génocide culturel.

Si la subsistance d'un peuple indien dépend de son territoire de chasse, et si la libre utilisation de ce territoire est catégoriquement niée par l'Etat, l'Etat n'est-il pas coupable de pratiquer une politique de génocide culturel ? Un peuple progressiste peut-il soutenir une telle politique?

Aux Etats-Unis la stratégie de dépossession des peuples natifs a souvent pris la forme d'un affranchissement, cela signifiait que l'on offrait aux peuples natifs la citoyenneté américaine, de manière à nier leurs droits garantis par traités. Si les Indiens deviennent citoyens des Etats-Unis ils n'auront plus de droits en tant qu'Indiens.

Le but de cette stratégie est de trouver un moyen rationnel qui séparera les Indiens de leurs revendications sur la terre et les ressources naturelles.

Le Nicaragua se sert des mêmes arguments contre les Miskitos. Le mouvement indien cherche à établir et promouvoir les droits des Indiens à la terre, à l'autodétermination, à la culture, la langue, la chasse la pêche, et contre toutes les formes de colonialisme, y compris le colonialisme culturel et économique. Si la politique indienne des Sandinistes était adoptée par le Canada, par exemple, le mouvement indien en Amérique du Nord en serait injurié.

Le Canada pourrait prétendre qu'il n'a pas d'obligation dans les traités signés entre la Grande Bretagne et les Nations Indiennes, lesquels garantissaient les droits des Indiens. Les Indiens marcheraient sur Washington et Ottawa par dizaines de milliers et nous protesterions jusqu'à notre dernier souffle.

Quand le même type de politique est adopté par un gouvernement révolutionnaire, le premier en Amérique qui ait une population assez forte d'Indiens, on fait pression pour que nous nous taisions, on nous fait croire que nous sommes moralement et politiquement en faillite si nous soutenons que la négation des droits indiens est un grand tort, sous prétexte que cette position est devenue maintenant contre-révolutionnaire. Cette logique est difficile à suivre, elle est fausse et ne sert qu'elle même.

Si le gouvernement sandiniste continue avec une politique qui ne donne pas plus que de vains services aux droits des Miskitos à maintenir leur existence, cela érigera un mur entre les luttes de libération nationale de gauche et les Indiens en Amérique Centrale, qu'aucune espèce de rhétorique sur la révolution ne pourra détruire.

Et il ne peut y avoir de lutte de libération en Amérique latine sans la participation et le soutien des Indiens dans les luttes de libération.

Soutenir cette politique c'est forcer les Indiens du Nicaragua à se retrancher dans un recoin sans issue. Être en accord avec les Sandinistes revient à abandonner tous les droits d'exister sur les terres d'origine, et s'y opposer c'est risquer de tomber sous l'influence et les manipulations de la CIA et des Somozistes.

Les Sandinistes sont arrivés au fur et à mesure à persuader la communauté internationale que les Miskitos ne peuvent avoir aucune politique qui puisse concerner les intérêts du peuple Miskito. Selon leur rhétorique, on ne peut regarder la situation Miskito qu'à la lumière du conflit entre l'Est et l'Ouest, entre révolutionnaires et contre-révolutionnaires.

La politique indienne Sandiniste diffère de la politique indienne raciste, capitaliste, seulement par la rhétorique qui la justifie .

Le racisme dans le Nouveau Monde est né avec l'arrivée des européens dans les Amériques; ses bases philosophiques et politiques ont été établies lors de la controverse de Valladolid en Espagne en 1541.

On y débattait pour savoir si les Indiens avaient une âme ou pas, c'était une discussion féodale qui avait pour but de savoir si les Indiens étaient réellement des êtres humains ou des bêtes de trait, qui pouvaient être légalement et moralement mis en esclavage.

L'argument raciste du jour fut adopté par le philosophe espagnol Sepulveda qui chercha à démontrer que l'Indien n'était pas plus qu'une brute, un animal n'ayant pas la capacité d'atteindre ce qu'ils nommaient "la grâce". C'est au moyen de cette raison qu'on a justifié l'esclavage indien.

La question de savoir si les Indiens avaient droit à l'existence culturelle n'a jamais été posée par les conquérants espagnols. Ils ont répandu la parole de Dieu et établi le pouvoir de la couronne du royaume d'Espagne au 16ème siècle; tandis que les Indiens n'avaient que le droit d'accepter cette version de la réalité ou de mourir par l'épée.

La contrepartie moderne de cette discussion est de savoir si les peuples Indiens sont des peuples légitimes avec droit à l'autodétermination et droit à l'existence. L'argument que les Indiens sont au mieux citoyens d'un Etat-Nation et que leurs moyens d'existences sont légitimement à la disposition de cet Etat-Nation, n'est que la version moderne d'un discours qui exprime les mêmes objectifs. Le gouvernement révolutionnaire du Nicaragua n'a pas prêté assez d'attention à ces contradictions apparentes.

En même temps le Nicaragua doit faire face à un défi très sérieux concernant sa propre existence. Personne ne pourrait avancer que les Indiens auraient une meilleure situation si le gouvernement Sandiniste tombait et était remplacé par un gouvernement réactionnaire.

Le Nicaragua a créé une zone démilitarisée dans la région frontalière avec le Honduras, et il est peu probable que les militaires aient l'intention de changer bientôt cette situation. Ils doivent composer avec une opposition très réelle du gouvernement Américain; celui-ci cherche à proposer et soutenir les activités des Etats clients pour soutenir les forces contre- révolutionnaires dont l'objectif est le renversement du gouvernement Sandiniste.

Ceci n'est pas l'objectif des Indiens Miskitos.

Mais c'est ce qui a motivé l'intervention de certains gouvernements comme celui de l'Argentine qui a apparemment offert des armes et une aide militaire au Nicaraguayens qui sont maintenant au Honduras [il s'agit des groupes de Contras].

En ce moment le gouvernement du Nicaragua semble avoir décidé de poursuivre une action qui défend une politique indienne semblable à celle des pays réactionnaires de l'hémisphère occidental, on remarque notamment que les Miskitos se battent pour leur pays avec l'aide de ces mêmes pays réactionnaires.

Le seul moyen pour sortir de ce dilemme à la fois pour les Sandinistes et pour les Miskitos, serait un compromis qui reconnaîtrait de la part des Sandinistes l'existence des Nations Indiennes et de leurs droits à déterminer le développement de leur propre pays.

Ce compromis pourrait reconnaître le droit du peuple Nicaraguayen à déterminer cette ligne de développement dans la Côte Atlantique, cela conduirait à la formation d'une alliance révolutionnaire qui assurerait aux Indiens que le soutien à la révolution est aussi le soutien de leurs propres intérêts, tout en offrant à la révolution un puissant allié en la personne des peuples de la Côte Atlantique.

Voilà les problèmes qu'il faut discuter. Les gouvernements révolutionnaires comme les Indiens font des erreurs, une partie de la politique indienne du gouvernement Sandiniste est fausse, il n'y a pas de doute que certaines des positions prises par les dirigeants Indiens du MISURASATA sont également fausses.

Les organisations Indiennes du Nord sont dans une situation embarrassante, car en critiquant un gouvernement révolutionnaire qui lui-même subit une pression très forte de la part de la droite, elles deviennent la cible des secteurs révolutionnaires qui peuvent les accuser d'être vendues.

La question se pose: Défendre les droits des Indiens est-ce une position contre-révolutionnaire?

Les Miskitos sont un peuple colonisé, ils ont subit des siècles de colonisation; les Sandinistes sont aussi colonisés et même dans leur lutte révolutionnaire ils sont victimes de certains effets inconscients de cette colonisation.

Les expériences des Miskitos et des Sandinistes sont historiquement très différentes, mais les deux ont pour objet la décolonisation; les dirigeants Miskitos sont actuellement en conflit avec Managua, dont l'objectif premier est la décolonisation du pays. Un tel peuple n'est pas contre-révolutionnaire, même s'il se dispute avec un gouvernement révolutionnaire.

Les Miskitos s'affrontent à un problème immédiat: ils font face à une forme de colonisation née à Managua, et Managua est exposée à une lutte à mort contre l'impérialisme U.S.

Les Miskitos et le gouvernement peuvent commencer un dialogue sur la base de leurs processus respectifs de décolonisation.

Les Sandinistes et la direction des Miskitos ont besoin de négocier les termes d'une entente qui rencontre les besoins de chacun.

Il n'est pas encore sûr que ça arrive, mais Managua doit comprendre que la position des Miskitos n'est pas par définition réactionnaire, et les Miskitos ont besoin d'analyser leur relation avec les forces de droite à la lumière de l'objectif qu'est la décolonisation. Il est de toute urgence que les deux se rencontrent à mi-chemin et qu'un dialogue commence, qui puisse assurer la paix et la coopération sur la Côte Atlantique.