Wimmin's Fire Brigade

Déclaration d'Ann Hansen à son procès

5 juin 1984



Lorsque je regarde en arrière, sur l'année et demie passée, je réalise la leçon que j'ai apprise. Non pas le type de leçon que certaines personnes aimeraient que j'apprenne, mais plutôt celle issue de l'expérience directe de la vie. J'ai réappris ce que je comprenais avant théoriquement - que les procès n'ont rien à voir avec la justice et que la prison est l'endroit où l'on punit les victimes de la société.

Depuis de longues années maintenant, j'ai compris que le système juridique, pris dans un contexte social plus large, était actuellement un système d'injustice. Je suis consciente que le Parlement est le lieu où des hommes font des lois pour protéger les grandes entreprises, les riches et le statu-quo.

La police est employée pour renforcer les lois, les tribunaux sont créés pour poursuivre ceux qui les brisent, et les prisons sont construites pour punir les coupables.

Ma confiance dans le système juridique a commencé à s'éroder lorsque j'ai grandi et que je vis les grosses entreprises voler le peuple en vendant de misérables produits à un prix élevé, les sociétés de matières premières détruire et piller la terre, le gouvernement produire un arsenal militaire capable de détruire la vie sur la planète, lorsque je vis les magasins pornographiques normaliser et valoriser l'inceste et les attaqués sexuelles et les Indiens parqués dans des réserves pour y mourir.

Tous ces crimes contre l'humanité et la terre sont des crimes légaux.

Ils sont protégés et autorisés par le Parlement, les tribunaux, la loi et la pôlice.

Tout cela et terrible.

A Oakallà, où j'ai passé les seize derniers mois, 70 % de la population carcérale étaient des indiens « Womyn », alors que la population indienne représente seulement 1 % de l'ensemble de la population.

Ce nombre disproportionné d'Indiens emprisonnés est un indice de la population carcérale du pays et reflète le. racisme de notre société.

Tous ceux que j'ai rencontrés en prison étaient pauvres.

Aucun ne possède de voiture, de maison, de terre ou autre bien. Ils sont là parce qu'ils ont été contraints de commettre des crimes pour survivre dans une société où il n'y a pas de place pour eux.

Ils n'ont jamais possédé de compagnies forestières qui violent des montagnes entières et leurs forêts, ou manipulé d'armements nucléaires meurtriers ou encore pillé le pétrole des pays arabes pour le vendre à des prix dérisoires en Amérique du Nord.

Au début de mon incarcération, je fus intimidée et écrasée par les tribunaux et les prisons.

Cette crainte m'a poussée à croire qu'en jouant le jeu légal, je serais acquittée ou que j'aurais peut-être bénéficié d'une moindre peine.

Cette crainte a obscurci ma vue et m'a imprégné de l'idée que je pouvais obtenir un répit de la part du système juridique.

Mais ces huit derniers mois de procès ont aiguisé mes perceptions et consolidé mes convictions politiques, je sais, maintenant, que le jeu légal est truqué et que les prisonniers politiques y sont marchandés.

Depuis le début janvier 1983, la police orchestrait illégalement des conférences de presse et fournissait aux médias preuves, photos et informations qui furent les bases des nouvelles histoires répandues dans tout le pays, faisant de nous des terroristes.

Nous fûmes présentés comme de dangereux criminels psychotiques sans rien de politique.

Puis nos inculpations furent séparées en quatre différentes accusations dont la première fut l'action contre la Brinks par laquelle nous pouvions être criminalisés. Ceci rendait plus difficile la compréhension de notre identité politique pour nos futurs procès.

Il est devenu évident pendant le « voir dire » , à travers les témoignages que les différents services ont commis des actes illégaux pendant les enquêtes.

Le « Security service » a très probablement observé la Wimmins fire brigade (Wfb) alors qu'elle posait des bombes incendiaires, pendant, que Julie et moi étions sous surveillance intensive du SS, 24 h sur 24, avant et le jour même de l'incendie.

Le Cleu (Coordinated Lew Enforcement Unit) a commis des effractions illégales afin d'installer des microphones chez nous et dans l'appartement de Doug.

Un exemple parmi tant d'autres...

Mais, malgré cela, le juge a admis les témoignages reposant sur les écoutes téléphoniques.

Tout cela me confirme qu'il y a une loi pour le peuple et aucune pour la police.

Mais, pour moi, le fait le plus politisant du procès, fut la condamnation de Julie : me juge n'a pas tenu compte du fait qu'elle avait négocié et la condamnait à la peine maximum : 20 ans.

Lors de la condamnation, le juge estima que l'affaire était criminelle et non politique.

Pourtant, les 20 ans contredisent cette appréciation et reflètent, au contraire, la nature politique réelle de ces façons d'agir.

La sentence, pour le juge, devait avoir un effet social préventif.

Cette nécessité indique qu'ils se sentent tellement menacés par le potentiel de soulèvement social qu'ils doivent donner 20 ans pour en décourager d'autres.

Ceci est politique.

Il semble que la sévérité de la sentence soit directement proportionnelle au niveau de mécontentement perçu dans la société.

Je comprends pourquoi j'ai participé au système légal jusqu'à présent, mais, à en juger rétrospectivement, pour être fidèle à mes principes politiques, j'aurais dû refuser de collaborer avec cette légalité feinte et, plutôt, affirmer simplement les raisons politiques qui m'ont conduite à faire ce que j'ai fait.

Mais, alors, je ne l'ai pas fait, et j'ai maintenant l'occasion de le faire.

Au cours des deux derniers jours ; nous avons entendu des témoins qui militaient sur différentes questions.

Ils ont longuement parlé des efforts fournis par eux et par d'autres groupes pour empêcher les essais des Cruise, la construction de Cheekye-Dunsmûir et pour arrêter les Red Hot Video. Je pense qu'il est devenu vraiment clair, à travers leurs témoignages, qu'ils ont, dans chaque cas, épuisé tous les canaux légitimes de la protestation sociale pour arrêter ces projets et ces entreprises.

C'était parce qu'il n'y avait pas de loi légale pour mettre fin à ces crimes contre l'humanité et le monde que j'ai jugé nécessaire d'avoir recours aux actions illégales.

Je n'ai pas seulement pensé que c'était possible, mais plutôt que c'était une tâche, que j'avais la responsabilité de faire tout ce qui était en mon pouvoir pour arrêter ces crimes.

A ce point crucial de l'histoire de l'Humanité, nous avons la responsabilité morale de stopper cette course aux armements, à la pornographie violente et à la destruction du monde.

Cette responsabilité morale outrepasse de loin toute obligation à adhérer à ces lois factices.

J'aurais pu préférer vivre en paix mais, si je regarde autour de moi, je ne la trouve nulle part.

Partout, les terres ont été détruites, les Indiens ont été victimes du génocide, les peuples du tiers monde ont été opprimés et massacrés.

Les gens vivent dans des terrains vagues industriels, les femmes sont violées et les enfants battus.

Je ne pourrais jamais vivre en paix, seulement tranquille, la tranquillité des cimetières.

Même si je savais que quelques actions directes militantes ne feront pas la révolution, ni n'arrêteront ces projets, je croyais qu'il était nécessaire de commencer à développer un mouvement de résistance clandestin qui soit capable de sabotages et d'expropriations et puisse travailler en échappant à toute surveillance policière.

Le développement d'un mouvement de résistance efficace n'est par affaire d'une nuit, son évolution demande des décennies.

Il doit commencer quelque part, à un petit nombre, et, qu'il croisse ou non, qu'il devienne efficace et victorieux, dépendra surtout de ce que nous en ferons.

Je crois que ces actions directes de sabotage complètent le mouvement radical légal et sert les objectifs que celui ci ne peut accomplir.

Non que le mouvement légal soit impuissant, car bien que leurs efforts ne suffisent presque jamais à arrêter un projet, leur travail augmente la conscience du peuple. La chose importante est que, le travail public et le travail clandestin se soutiennent mutuellement, car notre force réside dans l'unité et la diversité.

Quoique je fis ces trois actions politiques, elles ne furent pas le résultat du point culminant des luttes légales sur ces terrains respectifs.

En fait, l'objectif d'un mouvement de résistance clandestin est de développer des analyses et des actions politiques stratégiques qui s'appuient sur une compréhension des décisions économiques et politiques des Etats.

Plutôt que de réagir à chaque question qui surgit, nous réalisons des actions qui sont fondées par des analyses.

Ceci vaut si un mouvement de résistance efficace se développe.

Nous pouvons être des sujets qui déterminent l'histoire et non pas simplement réagir à chaque symptôme particulier du dérèglement du système.

Les options politiques de Direct action saisirent l'interconnection du militarisme, du sexisme, de la destruction de l'environnement et de l'impérialisme.

Nous comprîmes que tous ces problèmes sont enracinés dans le système des valeurs et la façon de penser appelés capitalisme et patriarcat.(...)

Contrairement aux théories de la Cour et de la police, Direct action et les Wfb furent deux groupes différents.

Alors que cinq d'entre nous furent accusés de la bombe incendiaire du Red Hot Video, seules Julie et moi y avons participé. Il n'y eut pas d'hommes impliqués dans cette action.

Doug, Brent et Gerry vivaient simplement avec nous ou passaient nous voir.

La Wfb n'était pas un groupe clandestin durable, ce n'était qu'un groupe de femmes qui se sont regroupées dans le but d'incendier le R.H.V., parce qu'il n'existait pas d'autre façon pour nous d'arrêter la prolifération de la pornographie violente.

Direct action a réalisé les actions contre Litton et Cheekye Dunsmuir.

Je regrette sincèrement que des gens furent blessés lors de l'explosion de Litton.

Toutes les précautions furent prises pour éviter ces torts.

Il fut publié immédiatement après l'explosion, les raisons pour lesquelles cela se produisit.

Mais je dois aussi ajouter que je critique l'action contre Litton elle-même, parce que c'était faux pour Direct action de placer une bombe à côté ou dans un immeuble où des gens travaillent.

Et cela en dépit du nombre de précautions prises pour empêcher que personne ne soit blessé.

Dans la réalisation des actions, les révolutionnaires ne devraient jamais compter sur là police ou les vigiles de sécurité pour vider les immeubles et sauver les vies humaines.

Il n'y a aucune excuse à ces erreurs, et je vivrai toujours avec le remord d'en être responsable. Mais ces erreurs ne seront jamais comparables aux incroyables douleurs et souffrances dont Litton est responsable chaque jour et au potentiel de destruction de la planète que les missiles Cruise incarnent.

Chaque jour, des millions de gens meurent lentement de faim parce que tant d'argent et d'efforts humains sont détournés vers l'industrie internationale de guerre au lieu d'être utilisés pour nourrir les peuples du monde.

Au Canada, les services sociaux essentiels sont privés de l'argent que le gouvernement peut investir dans l'industrie de guerre et dans les mégaprojets.

Par exemple, le gouvernement fédéral a versé à Litton 26,4 millions de dollars canadiens de subvention pour construire le système de guidage des Cruise.

L'usage des divagations de 1984 est devenue une partie importante de la guerre psychologique d'aujourd'hui contre la conscience radicale croissante des peuples.

Nous l'expérimentons chaque jour, même au tribunal.

J'appelle terrorisme qui essaie d'imposer sa volonté par la force et l'intimidation, par la Cour et la presse.

Mais je ne suis pas une terroriste. Je suis une personne qui pense avoir une obligation morale à faire tout ce qui est humainement possible pour empêcher la destruction du monde.

Les grandes entreprises telles que Litton, l'Hydro et Red Hot Video sont responsables de crimes contre l'Humanité et le monde, mais pourtant libres de poursuivre leurs activités illégales.

Alors que ceux qui résistent, ceux qui sont leurs victimes, restent en prison.

Comment pouvons-nous faire, nous qui n'avons pas d'armées, d'armement, de pouvoir ou d'argent, pour arrêter ces criminels avant qu'ils ne détruisent la terre ?

Je crois que le seul espoir pour le futur dépend de notre combat.