Black Panthers Party

 



5-Le BPP se développe: théorie et pratique

a)le programme du BPP

Octobre 1966. Programme du Black Panther Party.
Ce que nous voulons, en quoi nous croyons

1. Nous voulons la liberté. Nous voulons les pleins pouvoirs, définir le destin de notre peuple noir.
Nous pensons que nous, noirs, ne seront pas libres avant de pouvoir définir nous-mêmes notre destin.

2. Nous voulons le plein-emploi pour notre peuple.
Nous pensons que le gouvernement des Etats-Unis est responsable et doit faire en sorte que chacun ait un travail ou un revenu assuré. Nous pensons que, si les hommes d'affaire blancs américains ne nous donnent pas le plein-emploi, alors les moyens de production doivent être pris aux hommes d'affaire et donné au peuple, afin que tous les membres du peuple puissent être organisé et employé et atteindre un haut niveau de vie.

3. Nous voulons que notre peuple noir ne soit pas plus longtemps volé [par l'homme blanc] [par les capitalistes].
Nous pensons que ce gouvernement raciste nous a volés, et nous exigeons maintenant la dette en souffrance de " quarante hectares et deux mulets ". Quarante hectares et deux mulets nous ont été promis il y a cent ans comme réparation pour le travail d'esclave et le génocide.

Nous prenons aussi comme contrepartie l'argent que nous distribuerons dans nos nombreux quartiers. Les Allemands aident maintenant les Juifs en Israël à cause du génocide à l'encontre du peuple juif . Les Allemands ont tué six millions de Juifs. Les racistes américains ont participé au meurtre de plus de cinquante millions de noirs, nous considérons donc notre revendication comme modeste.

4. Nous voulons des logements décents, dignes.
Nous pensons que les propriétaires blancs ne donnent pas à notre peuple noir des logements décents, alors les maisons et le pays devraient être transformés en propriété sociale, afin que notre peuple puisse construire pour ses gens et fournir des logements décents avec l'aide du gouvernement .

5. Nous voulons une formation, qui découvre la véritable essence de la société américaine décadente. Nous voulons une formation, qui nous apprenne notre véritable histoire et nous fasse comprendre notre position dans la société d'aujourd'hui.

Nous croyons en un système d'éducation qui transmette à notre peuple une compréhension de lui-même. Si un quelqu'un ne possède pas une compréhension de soi-même ainsi que de sa position dans la société et le monde, alors il n'a quasiment pas perspective pour comprendre quelque chose d'autre .

6. Nous voulons que tous les noirs soient libérés du service militaire.
Nous pensons que nous, noirs, ne devons pas être obligé à lutter pour la défense d'un gouvernement raciste qui ne nous protège pas.

Nous ne voulons pas combattre ou tuer des membres d'autres peuples de couleur, qui sont comme nous trompé par le gouvernement raciste blanc. Nous voulons nous défendre contre la coercition et la violence de la police raciste et des militaires racistes, et cela quel que soient les moyens nécessaires [by any means necessary].

7. Nous voulons l'arrêt immédiat de la brutalité policière et des meurtres de personnes noires.
Nous pensons que nous pouvons mettre une fin à la brutalité policière dans nos quartiers noirs, dans la mesure où nous organisons des groupes d'auto-défense noirs, qui se donnent comme tâche de défendre nos communes noires contre l'oppression raciste et la brutalité de la police. Le deuxième amendement de la constitution des Etats-Unis accordent le droit d'avoir des armes sur soi. Nous pensons ainsi que tous les noirs devraient être armés pour l'auto-défense.

8. Nous voulons la libération de tous les noirs qui sont emprisonnés dans les prisons fédérales, les prisons d'Etat, de canton et de villes ou dans des pénitenciers.
Nous pensons que tous les noirs devraient être libéré des nombreux pénitenciers et prisons, parce qu'il ne leur a pas été donné de procès juste et sans parti pris.

9. Nous voulons que tous les noirs dans les débats judiciaires soient jugé par un jury qui soient leurs égaux ou viennent du même quartier noir, comme le prévoit la constitution des Etats-Unis.

Nous pensons que les cours de justice devraient s'en tenir à la constitution, afin que soient donné aux noirs des débats judiciaires justes. Le quatorzième amendement de la constitution des Etats-Unis donne à chacun le droit d'être jugé par son semblable, cela signifie du même environnement économique, social, religieux, géographique, du même milieu, de la même histoire et du même environnement racial. Ainsi le tribunal sera obligé de choisir un jury de la communauté d'esprit noire dont provient l'accusé noir. Nous sommes et serons encore exclusivement condamné par un jury blanc, qui n'a aucune compréhension pour " l'homme moyen " du quartier noir .

10. Nous voulons la terre, le pain, les logements, l'éducation, les habits, la justice et la paix; et comme but politique important un référendum mené par l'ONU dans toute la colonie noire, auquel seuls les citoyens noirs ont le droit de participer; ce référendum doit décider de la perspective du peuple noir quant à son destin national.

Quand il est au cours de l'histoire nécessaire à un peuple de défaire des nœuds politiques qui ont été la liaison avec un autre peuple, et de prendre parmi les puissants de cette terre sa situation propre et égale selon les lois de la nature et de son créateur, alors cela réclame une attention mesurée aux avis de l'humanité qui nomme les raisons qui forcent à couper ces liens.

Nous considérons les vérités suivantes comme évidentes: tous les gens sont fait pareils et munis par leur créateur de droits inaliénables; à ces droits appartiennent la vie, la liberté, et la recherche du bonheur.

Pour leur assurance il y a parmi les hommes des gouvernements, dont la justification de la violence provient de l'approbation des personnes régies; quand une forme de gouvernement agit de manière destructive quant à ce but, alors le peuple a le droit de modifier ou abolir cette forme de gouvernement et de mettre en place un nouveau gouvernement; il se construira sur la base et ses pleins pouvoirs s'organiseront dans la forme qui est d'après lui le plus approprié pour entraîner sa sécurité et son bonheur.

Etre malin nécessite ne pas vouloir modifier des gouvernements existant depuis longtemps pour de petites raisons et passagère; conformément à cela toute l'expérience a montré que les gens tendent à supporter, tant que les malheurs sont encore supportables, plutôt d'en arriver à l'abolition des formes habituelles du droit.

Mais s'il y a une longue chaîne d'outrages et de ruptures du droit, qui invariablement suivent les mêmes desseins, qui manifeste l'intention de les soumettre à une domination violente totale, alors les gens ont le droit et le devoir de secouer un tel gouvernement et de prendre de nouvelles dispositions pour sa future sécurité.

b)l'organisation du BPP

Voilà quant au programme. Nous avions parlé du local qui avait ouvert. Revenons y. Chaque mercredi soir des cours sont tenus pour la formation politique. Chaque samedi il y a des réunions, où on discute du programme en dix points. On s'entraîne également à l'utilisation des armes.

L'arsenal grossit de plus en plus, grâce à l'apport des militants ou l'achat. L'argent nécessaire à cela provient de la vente du petit livre rouge de Mao. Achetés à bas prix dans une librairie chinoise de San Francisco ils sont revendus avec bénéfice sur le campus de Berkeley. Les manifestations se révélèrent aussi un bon endroit pour la vente.

Le petit livre rouge était également utilisé de manière interne comme matériel de formation. Ce qui était central pour les panthères consistait en les passages où Mao traitait de la nécessité de la lutte armée, de son rôle dans la lutte de libération. Comme mot d'ordre pour le Black Panther Party, Newton prit une citation de lui: " la politique c'est la guerre sans effusion de sang, et la guerre c'est la politique avec effusion de sang, c'est la continuation de la politique, mais avec effusion de sang ". Et également: " nous parlerons du pouvoir politique qui est au bout du fusil ".

Le pouvoir militaire se voit ainsi confié une grande signification quant à la résolution des problèmes des blacks. Partant de l'analyse que les USA est un système défendant ses intérêts par la violence, et rend ainsi absurde les mouvements de droits civiques non-violents et pacifistes, le Black Panther Party tire la conclusion que la violence est nécessaire pour arriver à ses objectifs.

A côté du petit livre rouge de Mao, et des œuvres de Che Guevara, à côté des œuvres de Malcolm X, le travail de François Fanon est loin d'être déconsidéré. François Fanon est un français assez vite parti en Allemagne. C'est lui le théoricien de la décolonisation des consciences, notamment avec son livre " les damnés de la terre ". Fanon analyse les effets psychologiques de la décolonisation en Algérie, et en arrive à la conclusion de la nécessité de la réappropriation sociale, de la réappropriation de son humanité, par la violence contre la domination .
Comme on le voit, un grand rôle est donné à la conscience. Newton et Seale avaient intensément étudié avant la fondation du parti, et particulièrement le travail de Fanon quant au rôle de la violence dans le processus de libération. Eldridge Cleaver, qui ne rentra que plus tard au BPP, qui était alors journaliste, dit que le livre de Fanon était la " bible " des militants blacks aux USA.

Il définissait ainsi les points centraux de l'analyse de Fanon: " à un certain stade de modification psychologique d'un peuple opprimé, qui a pris en charge la lutte pour sa liberté, il se développe dans l'inconscient collectif un penchant pour la violence. Le peuple opprimé a le souhait indomptable de tuer celui qui le domine. Mais cette sensation réveille immédiatement nombre de doutes; car dès que le peuple est conscient de sa volonté d'aller contre l'esclavagiste, il recule effrayé de cette impulsion.

La violence revient sur elle-même, et les opprimés se battent entre eux: ils s'entre-tuent et se font tout ce qu'ils entendaient faire aux oppresseurs ". Ceci provenant du fait que les opprimés sont impressionnés par l'ennemi et le considèrent comme invincibles. De fait la violence sociale se dirige contre eux-mêmes, au lieu d'assumer la violence révolutionnaire.

La volonté de tuer l'ennemi, l'oppresseur, est vu comme normal; c'est la voie nécessaire pour dépasser la déformation de la personnalité et devenir être humain.
La violence est donc utile dans le processus de libération des blacks, elle est justifiée historiquement, elle est nécessaire, et cette nécessité est un point de départ des panthères.

A côté de la connaissance juridique des ports d'armes, le BPP a fait un bulletin d'informations juridiques en 13 points, afin que les gens puissent mieux se défendre. A tous les niveaux - autodéfense comme pour l'aide juridique ou matérielle, par les repas gratuits - le BPP se veut au service de la communauté. C'est une expérience très forte, qui aujourd'hui encore devrait être un point de départ à nombre de travaux révolutionnaires ici, en France .

c)les activités du BPP

Le BPP, à ce moment là, a comme activité centrale la démonstration de force. Les membres vont armés dans les partys et les rassemblements, servent de gardes du corps à des noirs célèbres, entendent faire comprendre à la police qu'il y a désormais des moyens de se défendre dans la communauté black.

Ainsi, souvent, les black panthers se moquent de la police, jouent les durs à quelques mètres d'eux. Sans qu'il y ait confrontation directe, mais avec une victoire morale qui crée le mythe Black Panther. Le BPP résiste, et tous les jeunes blacks font voir que la résistance est possible, qu'il n'y a plus de soumission morale à faire. Ainsi se pose par la suite la question des modifications de la situation matérielle. Une conscience nouvelle se propage à travers l'activité du BPP. En avril 1967, le BPP est composé d'à peu près centre membres.

Le premier avril 1967, Denzil Dowell, un black est tué par la police dans le North Richmond . Il s'avéra par la suite qu'il n'était pas armé au moment des coups de feu et qu'il avait les mains en l'air. Ce n'est évidemment pas pour autant qu'il y a une commission administrative.

Deux blacks avaient déjà été tué par la police dans le North Richmond en décembre de l'année précédente. Etant donné qu'ils avaient des blessures dans le creux des aisselles, il était clair qu'ils avaient eux aussi les mains en l'air.

Les membres de la famille de Dowell appelèrent les panthères, dont ils avaient entendu parler. Les journaux parlaient de trois blessures alors qu'il y en avait six, disaient que Dowell voulait s'enfuir après un cambriolage mais le bâtiment en question n'a jamais été cambriolé. Tout fut fait (traces de balles, de sang, etc.) pour bien prouver aux panthères que Dowell a bien été assassiné alors qu'il n'avait pas d'armes et ne tentait pas de s'enfuir.

Le BPP en profita pour discuter avec la population, tint des rassemblements dans les rues. Dans ces rassemblements on parle du programme en dix points, de l'expérience du BPP en tant que parti pour le black power et de la nécessité de former des groupes d'autodéfense. " Chacun doit avoir une carabine chez soi - chacun ".

Après le deuxième rassemblement dans la rue, presque tous des 300-400 participants au débat adhérèrent au BPP. Dans la San Francisco Area, le BPP était donc devenu fort et en tout cas le groupe black le plus radical et le mieux organisé. Ils allèrent voir la direction de la police et obtinrent qu'une commission d'enquête soit effectué.

Dans ce cadre sortit le premier numéro de la feuille d'info The Black Panther, Black Community News Service. Tirage: entre 5000 et 6000 exemplaires.

Parlons maintenant de Leroy Eldidge Cleaver, qui va être le responsable du journal. Il est né le 31 août 1935 à Little Rock dans l'Arkansas, comme fils d'un serveur de restaurant qui jouait du piano et d'une prof de collège. Il avait deux frères et deux sœurs. En 1946 la famille part à Phoenix dans l'Arizona puis à Los Angeles où elle rejoint le ghetto. Cleaver va deux fois en maison de correction: 1947 et en 1952, fait trois ans de prison à Soledad (1954-57).

En 1958 il est condamné à 14 années d'emprisonnement pour " viol et tentative de meurtre " contre une femme blanche. En prison il change, s'autocritique, rejoint la Nation of Islam, rompt comme Malcolm X avec elle et devint un de ses partisans. Il lut beaucoup, et commença à écrire. Après la publication de certains de ses travaux il put sortir le 12 décembre 1966.

Il obtint le statut de rédacteur dans la revue Ramparts grâce à ses talents littéraires. Cette revue était à l'origine une revue trimestrielle libérale destinée aux catholiques novices. Il a à partir de février 67 des contacts avec le BPP. S'il émet au départ quelques réserves, lors d'un rassemblement de 65000 personnes contre la guerre du Viêt-Nam le 15 avril 67 il rejoint le BPP et devint rapidement ministre de l'information.

Une loi devant passer contre le port d'armes, le BPP voulut faire un coup d'éclat au Capitole. Il voulait que des hommes armés se mettent devant, fassent lecture à la presse - toujours présente là-bas - d'une déclaration. En fait les panthères rentrèrent dans le Capitole, à Sacramento en Californie, le deux mai 1967.

En ce temps il était possible d'avoir une arme dans la tribune du public. Mais au lieu de rentrer dans cette tribune ils rentrèrent directement au niveau des parlementaires. Ils furent refoulés dans une autre salle, certains se firent prendre leurs armes (pour les récupérer par la suite). Après avoir lu plusieurs fois à la presse la déclaration, ils repartirent.
La déclaration est en fait celle du ministre de la défense, qui appelle toute la population US - particulièrement la population black - à prendre en considération les lois racistes de Californie, qui veulent rendre sans force les noirs face à la violence policière, la brutalité, la terreur, le meurtre et l'exploitation. La guerre du Viêt-Nam est considéré comme " une guerre raciste, de génocide ", et sont critiqués les camps de détention destinés aux jaunes (et utilisé contre les japonais résidant aux USA pendant la seconde guerre mondiale).

Ces camps seront aussi destinés aux noirs qui se rebellent, car la barbarie US est sans limites, depuis le génocide des indiens et le parcage des survivants dans des réserves. Est également parlé d'Hiroshima et Nagasaki, comme quoi la vie des gens de couleur ne compte pas vraiment pour les USA. " Tout prouve le fait que les dominants raciste d'Amérique ne connaissent qu'une seule politique pour les gens de couleur: oppression, génocide, terreur et violence crue ".

Considérant que toutes les complaintes, les prières des Blacks n'ont jamais amené que plus de terreur, de violence, que l'escalade de la violence est parallèle au Viêt-nam (avec les attaques) et aux USA (avec les troupes, l'oppression de la population noire des ghettos), le BPP affirme que le temps de l'autodéfense est venu. Le population noire doit s'armer contre cette terreur " avant qu'il ne soit trop tard ". Il faut tracer une frontière , que la population noire s'élève comme un seul homme.

Si les black panther ne furent pas arrêté en sortant du capitole, ils le furent quelques pâtés de maison plus loin à une pompe à essence. Le mot d'ordre de la direction de la police: " Arrêtez les tous, pour n'importe quelle raison ".
Parmi les arrêtés: Bobby Seale, Bobby Hutton et Eldridge Cleaver (qui était en sursis).

Motif qui fut plus tard développé: offense à l'égard de l'honneur du corps social donnant les lois. Les 24 inculpés purent sortir avec 2.2200 $ de caution chacun, soit 52.000 $ en tout. Bobby Seale et une autre panthère prirent 6 mois ferme, pour les autres ce fut moins grave. Eldridge Cleaver n'eut pas de problèmes puisqu'il fut prouvé qu'il n'avait pas d'armes et qu'il était rentré comme agent de presse.

Mais évidemment l'action fut un grand succès, au niveau national comme international. Le Times de Londres parla d'eux, les reporters se concurrençaient pour avoir des interviews des leaders du BPP. Ainsi sortit le deuxième numéro de The Black Panther, avec comme titre La vérité sur Sacramento. Le parti, jusqu'en octobre 67, augmenta pour atteindre 700 membres. Principalement organisé dans la Bay
Area, il y avait deux groupes qui s'étaient formés sur la côte Est: un à Jersey City (en mai 67) et un autre à Newark (en octobre 67).

6-Le BPP face aux USA

a)la vision des USA du BPP

Le BPP est un mouvement, qui a véritablement comme cœur le primat de la pratique. En son sein, le courant marxiste-léniniste est prédominant. Idéologiquement, le BPP se veut d'ailleurs parti marxiste-léniniste. Le BPP prend le maoïsme et l'adapte à sa situation particulière. Il s'agit d'un processus dialectique, où l'analyse marxiste permet une compréhension et une réadéquation de la lutte révolutionnaire en fonction de la situation donnée.

Les USA sont considérés selon un axe double: société de classe capitaliste et raciste , où le profit est le moteur du mode de production. La société US, décadente, est appelée Babylone. Le capitalisme en est au stade du C.M.E. (capitalisme monopoliste d'Etat), selon l'analyse globale des révolutionnaires alors.

Le Pentagone est le symbole même du complexe militaro-industriel, de la liaison industrie-armée. Pour le BPP le racisme n'est pas une forme isolée, issue de la " méchanceté " des blancs, mais provient du capitalisme. Le racisme divise les travailleurs, oppose un groupe à un autre, pervertit la lutte de classe en lutte de race, et ainsi contribue à perpétuer le système.

Si le capitalisme est fondamentalement raciste, il serait pour autant faux de penser que son abolition aurait comme conséquence la disparition du racisme. Ce dernier est trop ancré chez les blancs, même si un autre système faciliterait sa disparition.

Le BPP reprend évidemment dans son analyse la thèse du Black Power, celle de " colonie dans la mère-patrie ", et parla souvent - en raison de la dispersion des ghettos - de " colonie décentralisée ". La police est logiquement comprise comme " armée d'occupation " ayant comme fonction d'assurer l'oppression des noirs, les prisonniers noirs doivent être considérés comme prisonniers politiques .

Le BPP alla même plus loin et parla d'unité de l'Amérique noire, et de nation à l'intérieur de la nation. Ce statut était également reconnu aux autres minorités (portoricaine, indienne...) des USA. Néanmoins la définition est large: les travailleurs blancs sont considérés comme " colonisés " en raison de leur position dans le capitalisme.

Le BPP lutte pour le socialisme, comme utopie à réaliser pour tout le monde, et pas que pour les ghettos. Disparition de l'impérialisme au niveau mondial, abolition de la propriété privée des moyens de production, orientation sur les besoins des gens et non les profits, contrôle des gens de la production et la distribution de la richesse sociale, coparticipation de chacunE au processus social, fin de l'exploitation et du travail aliénant, abolition de l'Etat. Tels sont les grands traits de la société pour laquelle se bat le BPP.

Pour le BPP il n'y a donc pas de capitalisme noir de possible. Bien sûr il pourrait exister (et de fait existera), mais ne profitera qu'à une petite couche de gens qui ont rompu avec la situation de la communauté. Les masses seraient toujours exclus de développements sociaux.

Les noirs ne peuvent de toute façon pas atteindre des positions clefs du système. Et aucune solution ne peut provenir du système. Newton dit par exemple dans une interview que si les noirs avaient des logements décents, un haut niveau de vie, si les peuples n'étaient plus exploités, grâce à Kennedy et Lindsay, alors c'est que Kennedy et Lindsay auraient aboli le système! Ce qui de fait ne s'est pas passé. Un capitalisme noir ne pourrait être qu'une sous-économie gérée par des managers noirs et au profit global des monopoles " blancs ". Et dès lors il y aurait toujours exploitation des masses.

b)l'analyse de classe du BPP

Pour le BPP la société US est divisée en classes économiques et couches ethniques. A la tête de cela il y a la classe dominante, qui possède le capital et les moyens de production. Cette classe contrôle les USA et est quasiment exclusivement blanche.

Cette classe dominante, pour perpétuer sa domination, achète des gens pour diriger la société dans un sens qui leur soit favorable, pour contrôler les institutions sociales, dont les représentants les plus flagrants sont l'armée et la police, sans lesquels cette classe ne pourrait plus exercer sa domination.

La classe antagoniste, les plus exploités, les manipulés et les contrôlés, sont pour le BPP à rechercher dans les groupes ethniques: noirs, mexicains, puerto-ricains, indiens, eskimos... Tous ceux-là font partie de la même couche, ils sont discriminés et exploités ensemble. On compta même des blancs pauvres et des middle-class estudiantines des College, parce qu'ils sont aussi opprimés, en tant qu'individus. Mais il ne s'agit pas d'une classe, ni en soi ni pour soi, elle est divisée dans les conditions objectives.

Il y a ainsi une division: la classe ouvrière de la mère patrie, le lumpenproletariat de la colonie. Les travailleurs blancs, ont au cours du temps pu s'installer relativement confortablement, avec les représentations syndicales, les accords sur les salaires, les lois de protection sociale, la sécurité sociale.

Il se sont faits achetés, et ne forment ainsi qu'un " mouvement disposé de manière extrêmement non-révolutionnaire, réformiste, qui n'est intéressé que par de plus hauts salaires et plus de sûreté de l'emploi ". Ils n'ont plus rien à voir avec la classe ouvrière, le prolétariat dont parlait Marx à son époque. Ils sont donc l'aile droite du prolétariat.
L'aile gauche est formée par le " lumpenproletariat ", qui s'est reconnu dans les Panthers, mais un " lumpenproletariat " défini très précisément.

Il s'agit de ceux qui n'ont pas de lien assuré avec les moyens de production et les dispositions de la société capitaliste, qui sont une armée de réserve de chômeurs mais ce de manière permanente, qui n'a jamais travaillé et ne travaillera jamais, qui ne peut de toute façon pas trouver de travail, n'a pas de formation, qui est remplacé par les machines, la robotique, qui n'est pas recyclé, tous ceux qui vivent de l'aide sociale. Sont ainsi intégrés les " criminels ", les " voleurs ". Ceux qui ne veulent pas de travail, haïssent le travail, qui ne règlent pas leur montre selon les horaires définis pas un porc, mais bien plutôt attaquent les patrons, ceux que Huey P. Newton appelle les " capitalistes illégitimes ".

Si l'opposition travailleurs/lumpen est claire dans la " mère patrie ", dans la colonie il y a beaucoup plus de liens, de rapports, les frontières disparaissent.

Comme on le voit la définition marxiste de " lumpen " est utilisée différemment qu'à son origine au XIXème siècle. Pour le BPP, le lumpen est dans le prolétariat, il est un peu l'équivalent du " prolétaire extra-légal " italien. Ceci alors que pour Marx et Engels (sans tomber dans les détails), il y a opposition fondamentale entre le prolétariat et la classe déclassée qu'est le lumpen, classe se vendant au plus offrant dans les situations révolutionnaires.

Néanmoins, la ligne la plus importante au sein du BPP - celle de Newton et de Seale - est celle de l'unité en une seule classe des travailleurs blancs et de couleur, au sens où il y a identité des intérêts objectifs. Seul Cleaver parlera de deux classes ouvrières, et sans avoir l'importance de Newton et bien sûr de Seale.

 

c)le BPP comme organisation
marxiste-léniniste pensée Mao-Tsé-Toung

Au niveau global, le Black Panther Party se comprend comme élément du front anti-impérialiste des mouvements de libération des trois continents: Afrique, Asie, Amérique latine. Il s'agit d'un concept maoïste, citons pour cela la R.A.F. qui définit cette ligne:

" S'il est juste que l'impérialisme américain est un tigre de papier, c'est-à-dire qu'en dernier recours il peut être vaincu; et si la thèse des communistes chinois est juste, que la victoire sur l'impérialisme américain est devenu possible par le fait que dans tous les coins et bouts du monde la lutte soit menée contre lui, et qu'ainsi les forces de l'impérialisme soient éparpillées et que par cet éparpillement il soit possible de l'abattre - si cela est juste, alors il n'y a aucune raison d'exclure un pays quel qu'il soit ou une région quelle qu'elle soit parce que les forces de la révolution sont particulièrement faibles, les forces de la réaction particulièrement fortes "

Le BPP, suivant la ligne marxiste-léniniste, comprend ainsi l'analyse marxiste de renversement du capitalisme par la violence: " révolution violente par le prolétariat contre l'appareil d'Etat bourgeois d'oppression de classe et de répression. Violence révolutionnaire contre la violence de classe contre-révolutionnaire, effectuée par la pression particulièrement répressive de l'outil armé de l'Etat ". Dictature du prolétariat, donc.

Il y a pour le BPP double oppression, il faut donc mener conjointement une lutte de classe et une lutte de libération . A cause de cela il est nécessaire que les opprimés s'organisent en fractions avant de former " l'alliance de tous les exploités de cette société ".

C'est pourquoi il n'y a que des noirs dans le BPP. Le travail avec des groupes blancs est accepté à condition qu'ils soient radicaux, et donc combattent leur propre racisme et acceptent l'autonomie du BPP.

Le BPP suit le principe de Malcolm X selon lequel il ne peut pas y avoir d'unité des noirs et des blancs avant qu'il y ait une unité des noirs.
Etant donné que le " lumpen-proletariat " noir est le plus pauvre et le plus opprimé, il est considéré, suivant Fanon et son analyse dans " les damnés de la terre ", comme la couche la plus révolutionnaire, la plus en avant dans la lutte.

Qu'importe qu'à la base il s'agisse de noirs ayant cambriolé, trafiquant du haschisch ou encore qu'ils soient homosexuels [le BPP est au départ propriétaire de valeurs homophobes, avant autocritique], la dynamique pratique/théorie/pratique - selon le programme en 10 points - amène les " frères " à s'organiser, à devenir révolutionnaires.

Les membres du BPP sont avant-garde, les cadres du peuple noir par des actions. " Le parti BP est la lumière du phare qui montre aux gens noirs la voie de la libération ". Il s'agit d'apporter la conscience, de faire apprendre la stratégie de la résistance à l'appareil du pouvoir. Reconnaître l'ennemi, l'abattre.

Le BPP suit donc les principes léninistes de l'organisation - avec le principe des cadres. Cette nécessité s'exprime par la force de l'impérialisme. " A un système comme celui-ci on ne peut résister qu'avec une structure organisationnelle encore plus fermement discipliné et structuré " dit Newton. Ce qui est en rupture avec le Black Power de départ qui se comprenait comme mouvement et refusait l'organisation considérée comme " bureaucratisation ".

Dans le BPP, il y a plusieurs divisions:
-Capitaine (coordinateur, chargé de vérifier si les responsabilités sont bien prises)
-Lieutenant (sécurité)
-Sergent (chef de service)
-Caporal (chef des sous-services)
Une panthère régulière n'a pas de formation, un Buck Private (recrue) était en formation, un Privates (privé) était une panthère qui avait fini sa formation - 6 semaines d'école politique du parti.
Les membres travaillent par la suite constamment politiquement, et doivent chaque jour s'informer de la situation politique actuelle. Ce qui montre la force et la capacité d'action, d'intervention du BPP.
Les membres doivent également connaître les juridictions en vigueur, informer quotidiennement des activités et des expériences faites.

Ils doivent également savoir utiliser les armes.
Il y a 8 règles (empruntées au Petit Livre Rouge de Mao, dans les passages sur l'Armée Populaire de Libération):

1 - parle poliment
2 - paie vraiment ce que tu achètes
3 - rend toujours ce que tu empruntes
4 - paie pour tout ce que tu endommages
5 - ne frappe pas les gens, ne les insulte pas
6 - ne casse pas la propriété ni la récolte des masses pauvres, opprimées
7 - ne prend pas de liberté auprès des femmes
8 - si l'on prend des prisonniers, ne les maltraite pas

Et trois règles principales:
1 - obéis aux décisions dans toutes tes actions
2 - ne t'empare pas d'une seule aiguille ni d'un fil des masses pauvres et opprimées
3 - donne à tous ce qui a été pris à l'ennemi attaqué

Les panthères doivent suivre ces principes, régulièrement publiés dans " the panther ". Le comité central, les travailleurs des organes centraux et locaux, font en sorte que ces règles soient suivies, ainsi que tous les différents gradés dont nous avons parlé. Il y a des suspensions et des mesures disciplinaires qui peuvent être prises. Sont exclus les panthères prenant des narcotiques.

Il ne faut pas non plis posséder sur soi des narcotiques ou de la Marihuana, utiliser des armes sans raisons, voler des panthères ou même les masses en général. En cas d'arrestation on donne son nom et son adresse, mais on ne signe rien. Il y a un travail quotidien à faire. Toutes les localités doivent avoir du matériel juridique et médical. Quant à l'organisation, c'est le centralisme démocratique, efficacité et autant de démocratie que possible, qui joue.
Les panthères portent des uniformes: chemise bleue, pantalon et blouson noir, béret basque noir.

Aucun membre ne recevait de salaires, mais en pratique ceux qui travaillaient tout le temps pour le parti étaient aidé. On entrait dans le BPP à partir de 16 ans, les plus jeunes allant dans la Young Panther, où l'on apprenait l'histoire du peuple noir - qui n'est pas apprise à l'école, évidemment - ainsi que les fondements de l'analyse révolutionnaire; mais n'avaient pas à avoir d'armes.

Les femmes du BPP doivent être l'égal des hommes et le chauvinisme masculin doit être combattu. Théoriquement c'est l'égalité absolue qui doit régner, c'est un des buts du socialisme. Les panthères y travaillent dans le parti et la Community. Les femmes panthères utilisaient donc aussi des armes, et une règle interdit aux hommes d'utiliser la violence contre des femmes.

La division du travail est modifié: les femmes n'ont plus à rester chez elles si elles ont des enfants, elles pouvaient les amener à un endroit où ils seraient gardé - par une femme ou un homme. Le ménage doit être fait par l'homme et la femme. Les femmes, dans le parti, n'ont pas à faire que les travaux écrits. Les rôles traditionnels doivent être cassés, le socialisme doit être vécu dans chaque maison des panthères.
C'est une grande rupture avec le reste du mouvement noir, qui était totalement imprégné du sexisme, même théorisé et défendu.

Comme nous le voyons, le BPP est légal, et a même des revendications pas forcément très radicales à premier abord. C'est toujours le primat de la pratique qui compte.
Au niveau stratégique par contre, le BPP a fait une énorme erreur. La dialectique légalité/illégalité n'est absolument pas saisie, et le BPP considère qu'il doit faire du travail légal tant qu'il peut, et par la suite s'il le faut rentrer dans l'illégalité, le peuple connaissant alors suffisamment le BPP pour être au courant.

Ce qui est une erreur grave, qui va coûter la vie au BPP ainsi qu'à la Gauche Prolétarienne en France, et qui trouve son origine dans le plan extrêmement schématique Etat-bourgeoisie/peuple sans utiliser les méthodes du matérialisme historique et dialectique.