Black Panthers Party

 



8-l'apogée du BPP et sa liquidation physique

a)l'assassinat de Martin Luther King e
t les tentatives de front révolutionnaire

Le 4 avril 1968, Martin Luther King est descendu, à Memphis. Les ghettos explosent. 72 villes sont touchées, il y a 32 morts, 13.876 arrestations, au moins 2.266 blessés selon le journal Guardian pour les quatre premiers jours. Le lendemain le New York Times parle de 125 villes touchées, 2600 blessés et 21.270 arrestations.

Parmi les morts, que 5 blancs et pas un seul policier. 45 millions de $ de dégâts. 55000 soldats sont intervenus avec la police, dont 21.000 soldats des troupes régulières et 34.000 de la garde nationale. Pour la première fois depuis 35 ans il y a des soldats devant le Capitole; la police encercle la maison blanche à un point tel que Newsweek affirme qu'on se croirait dans la capitale d'une république bananière.

Le 6 avril 68, quelques jours après avoir appris que la police les attaquerait, des panthères répliquent à la police dans la ville d'Oakland. Bobby Hutton est tué à bout portant, alors qu'il sortait avec Cleaver les mains en l'air et aveuglés par les gaz. Cleaver fut blessé à la jambe. 7 panthères furent accusées de meurtres.

Un jour après le BPP organisa un pique-nique dans le DeFremery Park d'Oakland. Cela avait été prévu longtemps auparavant pour soutenir les frais de justice de Newton et la campagne électorale. Le BPP se prononça l'abandon des émeutes spontanées mais pour l'organisation des noirs, l'autodéfense.
En 68 il n'y eut pas d'été chaud, " seulement " quelques petites rébellions spontanées. Une raison fondamentale était le renforcement de la répression. Mais il y eut une nouvelle occasion. Du 26 au 29 août se déroula la convention du parti démocrate, où doit être nommé le candidat à la présidence. Il y avait 6000 soldats, 6000 membres de la garde nationale et 12000 policiers.

Et des milliers de manifestants, qui profitaient de cela pour protester contre la guerre du Viêt-nam, appelé à cela par la National Mobilization to End the War in Vietnam, une organisation centrale de groupes anti-guerre.

Il y avait des hippies, des Yippies (hippies politisés), des révolutionnaires, des gangs de motards, des émeutiers, des activistes blacks, des groupes minoritaires du parti démocrate.

La fin de la semaine précédant la convention les manifestants se regroupèrent dans le Lincoln Park. Seale tint un discours, appelant à l'autodéfense armée.

Les bagarres qui s'ensuivirent avec la police furent provoquées par la tentative de dégager les manifestants du parc. Les médias bourgeois parlèrent de " terreur policière " tellement les charges furent violentes. Pendant quatre jours ce fut l'émeute, et la terreur, contre tout ce qui bougeait.

Le procès contre Newton, commencé le 15 juillet 68, finit le 8 septembre. Entre deux et quinze ans ferme, alors qu'il n'y a pas de preuves qu'il ait eu une arme, alors qu'on a trouvé que deux armes: celles des policiers, alors que toutes les balles tirées provenaient de ces pistolets, alors qu'il n'y aucune preuve après les études en laboratoires que Newton eut tiré. De plus on accusait Newton d'avoir tué un policier, mais pas d'avoir blessé le second! Il s'agit bien d'une accusation politique.

Dans la première semaine d'août 68, le comité central du SNCC arrête la liaison avec le BPP, affirmant que l'union n'a été faite que par certains individus et que les modalités de l'union n'ont pas été étudiées. C'est le résultat d'un manque de confiance.

A peine les membres du SNCC arrivés, Cleaver les qualifia de " hippies noirs ", et ce devant un public blanc. Le SNCC - considéré comme une organisation en train de disparaître - ne voulait pas se subordonner au BPP. Rap Brown et James Forman quittèrent le BPP. Le COINTELPRO joua aussi. Le FBI organisa la rumeur que Stokely Carmichael était un agent de la CIA. Le FBI fit un faux " rapport de Carmichael à la CIA " et le déposa dans la voiture d'un de ses amis, téléphona à la mère de Carmichael pour lui dire que des panthères voulaient le tuer, etc.

Le FBI voulait aussi isoler le BPP des autres groupes noirs, comme US. US était là pour United Slaves, il s'agissait d'un groupe nationaliste de Californie du sud, qui était critiqué par le BPP comme " nationalistes culturels ". L'idéologie de US était simpliste: tout ce qui est noir est bien, tout ce qui est blanc est mal. Bobby Seale parla de racisme noir et affirma que ce n'est pas en mettant des habits traditionnels que le peuple aurait le pouvoir.

Le FBI fit faire de faux tracts, caricaturant chaque groupe et signant de l'autre. Cela aboutit au meurtre de Alpentrice " Bunchy " Carter, chef panthère de Los Angeles, et de John Huggins, ministre d'information de Californie du sud, par des membres d'US. Plus tard deux autres panthères furent blessées par derrière et un autre, Sylvester Bell, tué.
De fait le FBI promit à US de ne pas faire de poursuites si des membres du BPP était tués... US agit par simple concurrence, pour reprendre le terrain au BPP.

b)le BPP à son apogée et son éclatement interne et sa destruction militaire par les USA

C'est en 68 que le BPP atteint une signification nationale, profitant du travail du SNCC, dans les ghettos de Cleveland et Chicago par exemple.

Le BPP avait entre 3 et 5.000 membres, dans environ quarante groupes locaux. Rien qu'à New York entre mai et Juin le BPP s'agrandit de 800 nouveaux membres.
Cleaver fut libéré 60 jours après son arrestation. Mais l'Adult Authority porta plainte et Cleaver devait retourner finir ses cinq ans (de sursis à l'origine) à partir du 27 novembre. Il fit des meetings et plongea dans la clandestinité. En fait il rentra avec sa femme dans sa maison, et une autre panthère ressortit avec elle pour répondre à des interviews d'autres panthères, la police et des manifestants derrière. Lui s'enfuit, déguisé en vieil homme, jusqu'à New York puis Montreal, et enfin, caché dans une armoire sur un bateau, jusqu'à Cuba.

En décembre 68 eut lieu une conférence des " Captains " de 45 localités, et Bobby Seale dut faire un séminaire d'études idéologiques.

Début 69 le BPP s'est élargi, n'a plus d'unité ni de cohésion, et est bien plus un rassemblement de groupes locaux. Newton est en prison, Cleaver en exil, les nouveaux membres sont peu formés. Les infiltrés et les provocateurs s'accumulaient (il y en avait au moins 67 en 1969). Et la police attaquait constamment les infrastructures du parti.
C'est pourquoi en janvier 69 le parti fait le ménage . Ce sont plus de 1000 panthères qui voient leur statut remis en question.

Puis il y eut juillet 69. Carmichael, qui vivait depuis 3 mois en Guinée, quitte le parti. Il critiqua l'alliance avec les blancs et la coupure du reste des mouvements noirs. Il critiqua aussi le " dogmatisme " et les méthodes autoritaires de l'organisation.

Quant à Cleaver, en conflit avec le régime cubain, découvert dans son exil par un agent de presse de Reuter, il partit en Algérie, où ouvrit une section internationale du BPP, grâce aux Vietcongs. 30 panthères y travaillaient.

En été, lors du festival culturel panafricain qui se tint du 21.7 au 1.8. à Alger, sous l'égide de l'Organisation pour l'unité africaine, le BPP ouvrit un centre d'information afro-américain. Miriam Akeba et Stokely Carmichael y firent des apparitions.

Du 18 au 21 se tint à Oakland la National Revolutionary Conference, avec 4000 participants, pour former l'United Front Against Fascism. En raison de la répression grandissante - de la mi 1967 à la mi-1969 28 panthères avaient été exécuté, 100 étaient derrière les barreaux, plusieurs centaines attendaient d'être jugé, les bureaux étaient saccagés; alors qu'on ne pouvait pas prouver qu'une seule panthère est blessé ou tué un policier - le BPP considéra que le fascisme menaçait. On parlait déjà de camps. Le conseiller du président, Brezinski, l'avait déjà proposé pour les noirs lors des révoltes urbaines de 67. Et ces camps existaient déjà, créés pour les gens d'origine japonaise pendant la guerre.
L'analyse du BPP part du travail de Georgi Dimitrov sur le fascisme, tel qu'il a été tenu au VII Congrès de l'Internationale communiste en 1935. Le programme: formation de la conscience, aides sociales immédiates, front uni avec les révolutionnaires blancs, autodéfense armée, politique de refus du nationalisme, information et propagande comme stimulation des plans révolutionnaires, autogestion des ghettos et différentes méthodes de luttes anti-impérialistes.

De nombreux problèmes furent soulevés, comme celui de la politisation du mouvement pour la paix, pour une campagne de pétition en faveur de la décentralisation, pour le contrôle des communautés de la police. Ce dernier point fut refusé par le SDS agonisant, car il n'avait pas l'intention de réclamer cela dans des quartiers blancs, la police devenant à ce moment-là encore plus contrôlé par les racistes. Il y eut également le débat avec les weathermen, qui voulaient immédiatement lancer la lutte armée.

 

[Initialement on trouve dans la brochure publiée une photo de la révolte des prisonnierEs d'Attica (prison de "maximum security à New York) en septembre1971. 85% des prisonnierEs étaient noirs, Portoricains, Mexicains. L'Attica Liberation Faction organisée à l'intérieur prônait une politique révolutionnaire et 26 revendications, se révolta après la mort de Georges Jackson et fut écrasée (32 morts).]


Le BPP fut lui de plus en plus confiné dans une lutte pour la survie. En 69 la répression augmenta, presque 20 panthères furent tuées, d'autres arrêtées pour des motifs ridicules. Cela arrivait particulièrement aux 50 membres les plus actifs. il y eut du 1 janvier 68 au 31 décembre 69 739 arrestations, avec 5 millions de $ de cautions. C'était un bon moyen pour l'Etat d'affaiblir financièrement le BPP. En fait dans 90% des cas il y eut non-lieu.

Début 1968 20 bureaux du BPP furent occupés et dévastés par la police, entre autres à Detroit, Boston, NY, LA, Chicago, Denver, New Haven, Indianapolis, San Diego, Sacramento, Seattle, Des Moines, Albany... Les médias et les politiciens préparent l'opinion à une liquidation du BPP.

c)l'apparition de groupes de guérilla et la fin du BPP

Le BPP est lui quand même reconnu comme avant-garde dans la lutte de libération au cœur de la bête . Le SDS se divisa quant à cette question à son congrès de 69. La tendance se reconnaissant dans le Progressive Labor Party maoïste considérait tout nationalisme comme réactionnaire, et diffamait tout ce qui ne soutenait pas la Chine: l'URSS, le Vietnam, Cuba, le BPP, ainsi que les deux autres grandes tendances du SDS.

Celles-ci considéraient au contraire que les luttes de libération nationale étaient à l'avant-garde de la révolution. Donc le BPP. Les jeunes étaient également vu comme la couche sociale la plus opprimée et la plus à la marge, donc à organiser.

Ces deux tendances s'appelaient Revolutionary Youth Movement (I et II). Le RYM 1 forma les weathermen, d'après le titre d'une chanson de Bob Dylan: " pas besoin d'être un weatherman [prophète de la météo] pour savoir où le vent souffle ".

Le terme " men " oubliant les femmes, l'organisation pris les noms successifs pour mener ses actions de guérilla urbaine: Weatherpeople, Weather Underground Organization. Les cellules de cette organisation avaient un type spécifique de collectivité: destruction de la monogamie, de la soumission de la femme vis-à-vis de l'homme, expériences avec des drogues .

Les minorités s'organisèrent également selon le modèle du BPP (structures, programmes, lien avec la communauté):

-le Young Lords Party fut formé chez les Portoricains, à partir de streetsgangs (Chicago, NY...), travaillant dans les centres de production, cœur de la révolution et prônant la lutte armée pour la libération;

-les red guards en 67 dans la communauté chinoise puis I Wor Kuen, ce qui signifie à peu après " le poing levé au nom de la paix et de la justice ", avec beaucoup d'impact dans la population âgée;

-les brown berets chez les mexicains, à partir de streetgangs de l'Est de L.A. avec 60 groupes locaux, ainsi que Los Siete de la Raza, comité de soutien à des gens arrêtés pour avoir attaqué des policiers en civils qui mènera des actions à la BPP;
-l'united native americans chez les indiens est plus une initiative de citoyens (occupation de l'île d'Alcatraz de novembre 69 jusqu'à juin 71 par 200 indiens de différentes tribus, du Mount Rushmore pendant trois mois) tandis que l'AIM (american indian movement) prend le BPP comme modèle et a en deux ans une renommée nationale;

-les blancs s'organisèrent en Young Patriots Organization à partir de streetgangs travaillé depuis 63 par le SDS et d'une bande de motards. Ils adaptèrent le programme du BPP et eurent une candidate pour le Peace and Freedom Party. Un autre groupe naquit à New York; la police écrasa ces deux groupes.

En 69 se forma Rising Up Angry, à partir de prolétaires extra-légaux blancs et de travailleurs, qui mena des aides à la communauté.

Le Black Workers Congress, issus de groupes d'opposition noire dans l'industrie automobile (notamment Chicago, Detroit, NY), organisa de grandes grèves. Il rejoignit la League of Revolutionary Black Workers, dont une partie fonda un Black Workers Congress, considérant comme trop indiscipliné et nationaliste l'autre groupe. Le BWC voulait organiser les luttes de toutes les minorités (asiatiques, noirs, etc.) contre le capital. Il s'agit d'une organisation marxiste-léniniste, avec comme but un parti ouvrier et une perspective internationaliste. En 1971 il y avait des groupes dans 25 localités, le secrétaire général était l'ancien SNCC et BPP James Forman.

Il est clair que tous ces groupes sont en liaison avec une pratique proche de la guérilla. Il n'y avait pas coordinations des activités, mais les actions se faisaient en série. En cinq ans il y aura au moins 1391 actions armées/attentats, dont 423 contre la police et 101 contre l'armée. Toutes définies par la lutte révolutionnaire. Les coûts sont énormes, comme l'incendie des bâtiments d'une commission pour l'atome à Rocky Flats, dans le Colorado (45 millions de $).

Le FBI organise lui la répression. Il y a au moins 100 000 noms de militants radicaux, 323 millions d'informations médicales et 279 millions de surveillance psychiatrique.

La guerre du Vietnam est de plus en plus perdu. Il y a 12000 désertions en une fois en Europe , des mutineries, 56 000 désertions. Il y a en 1970 500 désertions par jour. On attendra bientôt la centaine de mille.

On pratique le " fragging ", c'est-à-dire l'élimination des supérieurs/officiers avec une grenade à fragmentation (plusieurs centaines de cas). Il y a au moins 10 soldats de couleur passant chez les Vietcongs par jour. La plupart du temps ils sont à l'arrière, mais des fois mêmes sur le front, contre les soldats US, comme par exemple ces deux soldats d'élite qu'on retrouve morts en 1970, tués par leurs propres anciens " collègues ".

Les sabotages se multiplient, particulièrement sur les bateaux où de petites pièces endommagées entraînent plusieurs mois de paralysie. Une blague court: " Nixon et son ministre de la défense sont à la maison-blanche. Une grande foule de manifestants se rapprochent toujours plus. Nous devons faire quelque chose dit Nixon. Appelez l'armée. Et le ministre de la défense: désolé, monsieur le président, c'est l'armée. "

En 1969 Bobby Seale se fait arrêter, enchaîné, les fers aux pieds, doubles menottes, alors qu'il n'y avait pas d'accords entre les états pour cela. Il est accusé de " conspiracy ", notamment pour la manif à l'occasion du congrès démocrate de 68. D'autres personnalités sont arrêtées, comme les yippies Jerry Rubin et Abbie Hoffman, Rennie Davis de la National Mobilization to End the War in Vietnam et co-fondateur du SDS, Tom Hayden également co-fondateur et ancien représentant du SDS, David Dellinger de Mobilization, John Froines et Lee Weiner.

Le procès commença le 24 septembre. L'avocat de confiance de Seale étant à l'hôpital, cela commence mal, les autres avocats ne voulant pas de lui et le juge lui refusant de se défendre tout seul, comme il le voulait selon la constitution. Protestant, il fut frappé et enchaîné à une chaise pour le reste du procès.

Le FBI inventa des témoins et fit une provocation en envoyant de fausses menaces à deux membres du jury: " on vous surveille - les black panthers ".

Résultat: quatre ans ferme pour insulte au tribunal, rien pour l'accusation originelle à cause du " manque de preuves ". Les sept accusés furent déclarés innocents, mais cinq furent accusés d'avoir provoqué des émeutes et pour cela avoir dépassé les frontières entre Etats. Cette vieille loi fut néanmoins cassé et le jugement avec.

Seale fut accusé de meurtre, en raison de violence contre des flics infiltrés dans le BPP, violence causé par des provocateurs. Mais le manque de " preuves " fit qu'il sorti de prison.

La répression, elle, continue. Ceux qui organisent les contacts et les initiatives politiques entre les groupes des différentes communautés et le BPP sont arrêtés pour des motifs bidon, puis descendus, comme Fred Hampton. Le BPP était également facilement infiltrable: le FBI n'eut aucun mal à liquider les accords faits et même à les transformer en conflits. De plus, les perquisitions étaient ainsi très " fructueuses ".

Parlons également de Georges Jackson, arrêté à 18 ans, en 1960, pour avoir volé 70 $ dans une pompe à essence et condamné à vie. Il lit Marx, Engels, Lénine, Mao, et écrit un livre qui sera préfacé par Jean Genet: Soledad Brothers: The prison letters of Georges Jackson, puis Blood in my eye. Dans la prison californienne de Soledad (solitude en espagnol) en 70 un gardien avait tué trois prisonniers noirs, et même les prisonniers blancs racistes pensaient qu'il s'agissait d'une exécution pure et simple.

Le gardien fut acquitté. Trois jours plus tard un gardien se fait tuer. 3 personnes furent accusées, dont Jackson, on les appela les Soledad Brothers. Jackson était rentré au BPP en 70 et devenu maréchal Le FBI fit un plan bidon pour tuer des accusés BPP et les soledad brothers.

Il s'agissait d'amener des armes dans la salle du tribunal et de faire intervenir la police, en faisant croire qu'il y une tentative de la part des panthères de prendre des otages et réclamer un avion pour partir en Algérie, pays socialiste, avec les prisonniers. Les infiltrés dans le BPP devaient proposer le plan de " libération " pour que les panthères elles-mêmes prennent l'initiative.

Mais Géronimo Pratt, un des théoriciens de la Black Liberation Army , au courant de cette tentative de prise d'otages, fait bloquer l'action. Mais Jonathan Jackson, frère de Georges et âge de 17 ans, ne fut pas prévenu à temps et mena l'action seul. Il donna des armes aux prisonniers et partirent avec le juge pour prendre un avion. La police était évidemment déjà sur place et tira. Deux prisonniers furent tués, ainsi que Jonathan et le juge, le procureur sera paralysé, le troisième prisonnier et un juré très grièvement blessés. Cela se passa le 7 août 1970.

Mais le BPP - contrairement à ce que voulait le FBI - ne fut pas du tout discrédité. Bien au contraire, l'action fut saluée, et on critiqua le FBI pour qui la vie humaine ne comptait pas.
Le lendemain, Angela Davis, figure de proue du comité de solidarité des Soledad Brothers, eut un mandat d'arrêt contre elle pour meurtre, etc.

Angela Davis était au CPUSA et était devenu prof de fac (à l'UCLA à L.A.). Elle passa dans la clandestinité, mais fut arrêtée en octobre 1970. Newton lui fut libéré en août 70, et le revolutionary people's constitutional convention rassembla 10 000 personnes pour former une nouvelle constitution défendant réellement les libertés et continuer l'United Front against Fascism à Philadelphie en septembre. La deuxième session à Washington en décembre eut un peu moins de succès.

Mais le BPP s'était considérablement effrité. Il était présent dans une centaine de villes, avec un noyau dur d'à peu près 900 militants. Il était populaire chez les noirs mais en proie à une sévère répression. Il perdait son impact; malgré le nombre de militants il arrêta les aides à la communauté en 70, et jusqu'à fin 70 40 panthères furent encore assassinées et 85 blessées.

Ce qui devait alors arriver: la scission, de fait la fin du mouvement, le BPP n'ayant pas trouvé les moyens de dépasser le reflux.

9-fin de l'histoire du BPP, la Black Liberation Army et la situation actuelle

a)la scission dans les restes du BPP et les derniers meurtres de militantEs

La scission s'exprime réellement début 71. 21 panthères arrêtées en 69 pour possession d'armes et d'explosifs sortirent un texte critique " New morning - changing weather " en référence aux weathermen. Le texte appelait à la formation de groupes armés, la nécessité de l'union des groupes ethniques avec les révolutionnaires blancs dans un processus de lutte armée: " Nous du tiers-monde devons nécessairement détruire cette société cybernétique hautement automatisée ou serons détruits par elle - maintenant ".

La direction du BPP est critiquée pour son incapacité contre-révolutionnaire à prendre le camp de la lutte armée.

Le 23.1.71 Pratt est exclu, ainsi que sa femme Sandra et trois autres panthères. le 5.2. deux membres du groupe de 21, libérés sur caution, partent en Algérie. Les deux autres membres libérés sur caution sont remis en prison. Sont publiés dans The Black Panther les noms des expulsés, notamment les deux panthères parties en Algérie et ainsi responsables de la mise en prison de deux autres.

Pratt est exclu notamment pour ses critiques et sa " tentative " d'éliminer physiquement Newton, qui a de fait le contrôle du BPP (ou de ce qu'il en reste). Le 20.2. il prend le titre de Supreme Servant of the People à la place de Supreme Commander. Le 26.2. il a une discussion télévisée avec Cleaver (alors en Algérie), ce dernier critiquant les exclusions faites des 21 panthères ayant émis des critiques.

Newton prend des mesures disciplinaires contre Cleaver. La rupture est consommée. Le part implose.
Tout le monde s'insulte, fait un procès politique à l'autre. Si l'on se réfère à l'expérience des autres partis, on voit qu'il manque une ligne directrice, de la même manière qu'en Italie chez les Brigades Rouges, apogée du mouvement communiste. C'est un reflux en catastrophe pas géré, il n'y aura pas non plus de " retraite stratégique " (comme par exemple en Italie avec le petit noyau dur des dernierEs brigadistes continuant la lutte).

C'est la débandade! La base attaque la direction comme " bureaucratique " et " autoritaire ", proteste contre le centralisme non démocratique.

On critique la ligne de Newton, trop " masse " et pas assez lutte armée. Newton organise le 5.3.71 un intercommunal day of solidarity, pour présenter sa conception, avec entre 2000 et 4000 personnes, c'est-à-dire moins que prévu et avec seulement entre 10 ou 20% de blacks. La plupart des blancs sont là pour la musique, même s'il y a évidemment sympathie.

Le 8.3.71 Robert Webb, pro-Cleaver est tué après une altercation avec des vendeurs de The Black Panther. Le bureau BPP de New York, de fait quartier général de la tendance de Cleaver, accuse Newton. The Black Panther va par la suite paraître avec un copyright, avec des dessins diffamant vulgairement Cleaver. Plus tard de nombreuses personnalités panthères se prononcent pour Newton, ainsi que Bobby Seale. Les symboles militaires disparaissent de The Black Panther, le 17.4. un partisan de Newton, Samuel Napir, est retrouvé tué.

Evidemment le FBI balance autant d'huile sur le feu qu'il le peut. Mais parlons des différentes stratégies que proposent Newton et Cleaver:

-la théorie des ghettos blacks comme colonies est gardée par Cleaver. Newton la considère comme fausse, mais ne propose rien à la place. Il amène la notion d'"Intercommunalism ", mais cela ne fait que rejoindre la position internationaliste qui était celle du BPP depuis le départ. Rien de bien nouveau donc.

-le " lumpenproletariat " est considéré par les deux comme classe la plus exploitée et avec donc un rôle d'avant-garde dans la révolution. Pour les deux cette classe forme la base du BPP. Pour Cleaver il y avait des divergences d'intérêts entre le " lumpenproletariat " et la classe ouvrière, intérêts non antagonistes, mais empêchant pour l'instant une lutte commune. il s'intéressait depuis longtemps à la culture de la jeunesse blanche et voyait en elle un partenaire possible. Pour Newton au contraire il y a identité commune des intérêts du " lumpenproletariat " et de la classe ouvrière, il faut former un parti " prolétarien conséquent " et orienté sur la lutte de classe.

-La guérilla urbaine est une question centrale. Avant la scission le BPP s'y acheminait, avec des textes proches du petit manuel du guérillero urbain de Carlos Marighella. Cleaver considérait qu'il fallait passer dans la clandestinité, parce que la répression est trop forte et qu'il y avait une base noire sympathisante large. Il voulait organiser un front révolutionnaire nord-américain unissant les révolutionnaires de toutes les ethnies, organiser un front politico-militaire.

Il rejetait le légalisme de Newton et Seale, Newton défendant une organisation légale de masse. Les community-programm ne purent ainsi être proposés que par Newton, qui voulait faire de " l'aide sociale " pour les besoins urgents des ghettos, puisque les USA seraient le dernier bastion que la révolution mondiale prendrait. Il s'agit de s'ancrer dans le ghetto, de relier l'aide matérielle au travail politique.

-Cleaver critiqua le manque de démocratie: le comité central a toujours été composé de membres présents à Oakland dès le départ. Ses propositions de personnes d'autres villes furent toujours refusées. Dans le bureau d'un responsable on pouvait lire sur le mur: " The lower level is subordinate to the higher level " . On critiqua le culte de la personnalité: le titre de Newton (supreme...) et le changement de nom des Liberation Schools en Huey P. Newton Youth Institutes.

La tendance de Cleaver disparaissa assez vite. Newton, lui, organisa une série de purges pour chasser les infiltrés et ceux qui étaient en désaccord (dont Bobby Seale). Le parti n'exista quasiment plus, en 73 il n'y avait plus que 150 membres à peu près, et ce dans la zone originelle de la bay area.

Newton ne s'en prononça pas moins pour la nécessité de continuer les Community programm, de reconnaître le mouvement homosexuel et le mouvement féministe comme partenaire politique possible. Il nomma Elaine Brown à la tête du parti lorsqu'il passa dans la clandestinité; le parti étant lui déjà basé sur la non-violence, le parlementarisme, le travail social. Bobby Seale avait déjà affirmé en 1972 que la révolution se basait sur les élections.

Le capitalisme n'était plus fondamentalement critiqué; le capitalisme noir devait dans une période de transition aider à élargir l'antagonisme entre la Community opprimée et la domination monopoliste. Newton dit: " ce que nous devons ainsi faire: renforcer les qualités positives du capitalisme noir jusqu'à ce que les négatives soient dépassées et ainsi bouleversent la situation ". Les capitalistes noirs devaient cofinancer le programme du parti. Mais le parti n'était plus une force politique. Et entre 81 et 83 tout disparaît.

b)la Black Liberation Army (BLA)

Il ne reste alors que la BLA, black liberation army. Elle s'appelait à l'origine, en 1970, l'Afro-american Liberation Army et était issue de l'expérience de la répression massive contre le BPP. Des structures clandestines s'étaient formées pour protéger ceux qui passaient dans la clandestinité d'éventuelles arrestations ou assassinats. Il n'y avait pas de structure centralisée, mais de petites cellules autonomes, nombreuses dans certaines villes.

Le programme minimal était le même que celui décidé le 31 mars 68 à Chicago comme union entre différents courants nationalistes et anti-impérialistes du mouvement noir, à savoir l'organisation Republic of New Afrika. Une république noire devait être formée à partir des Etats de Louisiane, Mississippi, Alabama, Georgia, et Caroline du sud. La ligne est fondamentalement politico-militaire, avec des actions que les blacks peuvent tout de suite comprendre (attaques contre la police...).

En 1973 la plupart des cellules avaient été anéanti, la plupart des combattants tués ou arrêtés. A la mi-70 on consolida les restes du BLA par le BLA-Coordinating-Committee. Une minorité forma sa propre organisation en 78, la Revolutionary Task Force (appelée aussi The Family) avec le soutien d'ancien Weathermen. Il y avait donc des activistes noirs, et blancs, dans le but d'une " modification révolutionnaire et d'un processus croissant d'unification ".

Le KKK est analysé, et comme conclusion on en arrive au fait que " les masses dans les quartiers urbains doivent former des unités d'auto-défense populaire afin de se défendre - maintenant!

On a besoin de programmes afin de poser pour nos jeunes des exemples révolutionnaires positives et qui doivent être développés en théorie et en pratique - maintenant! ".
Est également affirmé que les millions de $ nécessaires doivent être rassemblés sous contrôle des révolutionnaires pour les différents programmes dans les Communities. Au niveau culturel comme pour les médicaments. Est également affirmé la nécessité de ne jamais toucher des civils.

Et comme conclusion:
" Nous devons avoir une nation!
Nous devons avoir une armée!
Il n'y aura pas d'holocauste noir! "

Assata Shakur, une des fondatrices de la BLA, fut libérée de sa prison par un commando de cette organisation et se réfugia à Cuba. Cette action fut extrêmement populaire. Sur de nombreux murs de ghettos on pouvait lire " Assata is welcome here ". Une membre (blanche) du commando la libérant fut arrêtée; Silvia Baraldini est depuis toujours en prison et fait l'objet de tractations pour être amené dans une prison de son pays (l'Italie).

Il y eut de très nombreuses actions (contre des banques...), notamment en soutien à un hôpital et à des centres de soin destinés aux gens du South Bronx (New York). Lorsqu'en 81 une attaque contre un fourgon à West Nyack (New York) amena l'arrestation de membres de la revolutionary armed task force, ce fut le début de la fin, des arrestations s'en suivirent.

De plus l'organisation s'était en partie discréditée à cause du fait que certains des éléments avaient affaire à la drogue alors qu'était affirmé que la drogue était un moyen impérialiste pour empoisonner le peuple noir.
La BLA se trouve quant à elle - après l'écrasement de la mi-80 - " actuellement dans une phase de réorganisation des liaisons politiques du mouvement d'indépendance pour la New Afrika " (position en 1990).

Notons également qu'il y a eu d'autres groupes, très nombreux: la Symbionese Liberation Army (SLA)qui enleva Patricia Hearst pour réclamer 70 $ par pauvre des Usa à son père millionnaire. Patricia Hearst s'engagea après dans le SLA!
Il y eut The Son of Brinks, Armed Resistance Unit, Red Guerilla Resistance , Revolutionnary Fighting Group, United Freedom Front, la Brigade Georges Jackson...

c)La situation actuelle

Il est évident que quand un mouvement se termine les gens se dispersent et s'éloignent de la lutte de classe, et donc de la pratique de la lutte de classe.
Stokely Carmichael a pris le nom africain de Namen Kwamé Turé et participe au All African People's Revolutionary Party fondé par Kwame Nkrumah avec comme but un socialisme panafricain. Il voyagea aux Amériques, en Afrique, dans les Caraïbes et au Proche-Orient.

Eldridge Cleaver, lui, résida à Paris grâce à Giscard après que l'Algérie en ait eu assez de son soutien à des noirs détournant des avions sur Alger. En novembre 75 il retourne aux USA se rendre et fut libéré en 76 sur caution. La justice bourgeoise ne le condamna finalement qu'à 2000 heures de travail dans une bibliothèque. Il était entre-temps devenu anticommuniste, chrétien et partisan du parti républicain.

Angela Davis fut libéré en 1972 grâce à une caution de 102.500 $ . Elle fut acquittée quelques mois plus tard. Elle voyagea dans les pays du " socialisme réel " (RDA, Tchécoslovaquie, Cuba...) et est depuis 77 prof de fac à San Francisco pour les Black Studies et les questions des femmes. Elle fit partie jusqu'en 91 du CPUSA (après un bref passage dans les années 60/70 au BPP), où elle fut exclu pour appartenance à l'aile exigeant des réformes dans le parti. Elle est toujours une réformiste critique reconnue.

Newton arrêta en 1972 d'être politiquement actif, et écrit quatre livres: To die for the people (72), Revolutionary suicide (73) puis ensemble avec le psychologue Erik H. Erikson In search of common ground (73) et avec Ericka Huggins Insights and poems (75). Il étudia la philosophie sociale. Devant les poursuites pénales et les rumeurs qui ne le lâchaient plus, il s'exila à Cuba, et voyagea dans le 1/3 monde. Il retourna à Oakland en 77 mais le FBI ne le lâcha pas pour autant. Perquisitions, accusations de meurtres, etc. Pendant ce temps là il fut actif dans des projets d'éducation alternatives dans les Communities et fit un doctorat de philosophie: War against the panthers: a study in repression in america.
Newton craqua finalement et pris de la drogue, puis tenta de se libérer et fut à nouveau actif, notamment en faveur de Pratt (alors que Pratt avait été arrêté un peu à cause de Newton). Il fut retrouvé mort en août 89, dans des conditions bizarres (drogues? FBI?).

Elmar " Geronimo " Pratt fut arrêté en décembre 1970 à Dallas au Texas. Il fut accusé d'avoir cambriolé et tiré le 18 décembre 1968 avec un autre noir sur le couple Caroline et Kenneth Olson sur un terrain de tennis à Santa Monica en Californie. Depuis Geronimo est en isolement, ne put pas aller à l'enterrement de sa femme assassinée, qui était alors enceinte au huitième mois (en 1971).

Son procès commença en juin 1972, dès le 28 juillet il est considéré coupable. Pourtant Kenneth Olson, qui a survécu à sa femme, affirma que le meurtrier était rasé de près, ce qui n'est pas le cas pour Pratt depuis des années.

Et Olson avait identifié sur un album photo de la police une autre personne. Un troisième témoin parla d'une voiture qui était à peu près celle de Pratt, mais elle était tellement courante que tous les panthères de L.A. l'avait! Pratt avait un alibi: il était à une rencontre nationale du BPP, 400 miles au-dessus d'Oakland, mais la fraction de Newton ne dit rien à cause de la scission. Kathleen Cleaver aurait voulu témoigner mais le FBI veillait et envoya une lettre à son mari comme quoi il serait dangereux pour elle d'apparaître... De plus la rencontre du BPP avait été mis sur écoute par le FBI. Mais lorsqu'en 81 on l'écoute, les parties où il devait y avoir Pratt ont " disparu ".

Pratt avait été arrêté sur dénonciation d'un indic payé par le FBI. Le FBI nia que Pratt fut la liste du COINTELPRO; et deux personnes du team de défense de Pratt au procès étaient des indics du FBI qui informaient de la stratégie de défense! En mai 76 on accusa Pratt d'être le chef de la BLA à partir des prisons californiennes, un " top organizer ". Aujourd'hui, fin 95, Pratt est toujours en prison.

Bobby Seale, la tête du BPP, fut presque maire d'Oakland; et lui et Elaine Brown firent une candidature non pas indépendante comme prévue au départ, mais finalement démocrate. En 1974 il quitte Oakland, et est aujourd'hui actif dans la Temple University Philadelphia, et est l'auteur de livres de cuisine, comme Barbecue with Bobby.

Au niveau des organisations, un état des lieux est plutôt difficile. L'Islam est devenu une valeur refuge pour beaucoup, mais sans pour autant que le communisme soit rejeté. On peut prendre l'exemple de Mike Tyson qui, devenu musulman lors de son passage en prison, s'est fait tatouer le portrait de Mao-Tsé-Toung [ainsi que Guevara, sur le ventre] (les photos de lui sont depuis souvent retouchées…).

Il faut bien comprendre que, pareillement à en Italie, c'est par la prison qu'est diffusée l'idéologie révolutionnaire, les cadres étant en prison! Même si aux USA cela se passe dans une grande proportion (puisqu'il y a un million de prisonniers sociaux dans les geôles amérikkkaines).

On peut citer à ce sujet le MIM (Maoist Internationalist Movement), qui part du point de vue de la triple oppression (racisme, sexisme et capitalisme comme triple oppression) et du maoïsme, et considère le BPP comme l'avant-garde de la nation noire opprimée dans les années 70. Le MIM diffuse de la littérature révolutionnaire dans les prisons, diffuse les lettres des prisonnierEs en lutte, etc.

[Depuis quelques années nombreuses sont les accusations contre le MIM, censé être manipulé par la CIA. Ces affirmations semblent se confirmer.]

Existe aussi le NAPO (New African People's Organisation), dont un représentant est passé donner des conférences en Allemagne il y a quelques années. En lutte pour la Nouvelle Afrique socialiste, le NAPO ne se veut pas "nationaliste noir" mais "néo-africain", car luttant dans le contexte bien précis de la domination de la nation noire dans les régions du Sud des USA.

Les islamistes sont également très puissants, sans faire pour autant l'unanimité. Ainsi en 1995, Qubilah Shabazz, fille de Malcolm X, tenta d'assassiner Louis Farrakhan, leader de la Nation of Islam (ce dernier groupe aurait été à l'origine du meurtre de Malcolm X). La position dominante des islamistes ne doit pas cacher le fait que la culture maoïste est toujours présente dans les mouvements noirs et que les maoïstes sont toujours en lutte.