Histoire du Parti Communiste français
L'impact
de la guerre impérialiste de 1914/1918
et de la révolution d'Octobre
En l'absence de ligne révolutionnaire, de théorie
et de Parti, la conséquence directe de l'annonce de la
guerre impérialiste a été le triomphe du
social-patriotisme.
La seule tentative de refus fut en juillet 1914, à la
veille de la guerre et alors que celle-ci se faisait de plus
en plus sentir, quelques groupes syndicaux (autour de journaux
ouvriers comme la Guerre sociale ou encore la Bataille syndicaliste)
ainsi que le Comité d'entente des jeunesses socialistes
appelant à une manifestation pour le 27 juillet. Celle-ci
interdite, personne ne continua la lutte.
Dans la classe ouvrière le désarroi est complet
; les éléments les plus avancés cherchant
vainement des initiatives au siège des syndicats et des
sections socialistes.
La ligne socialiste est alors présentée à
la Salle Wagram à Paris : " Vous vous battrez pour
défendre la culture française, pour défendre
la liberté des peuples " (Marcel Sembat), et : "
si demain la France est envahie, comment les socialistes ne seraient-ils
pas les premiers à défendre la France de la Révolution
et de la démocratie, la France de l'Encyclopédie,
de 1789, de juin 1848, la France de Pressenssé, la France
de Jaurès " (Longuet).
La CGT et le Parti Socialiste écrivent un manifeste, où
il est dit que l'Autriche porte " une lourde responsabilité
devant l'histoire " et qu'on pouvait penser que les gouvernants
français " travaillent sincèrement pour la
paix".
Les socialistes utilisent l'assassinat de Jaurès (le 31
juillet 1914, la mobilisation étant décrétée
le 1er août) pour dévier la lutte vers le nationalisme.
A l'enterrement, Jouhaux dit : " Au nom de ceux qui vont
partir et dont je suis ", tandis que l'ancien internationaliste
Edouard Vaillant écrit : " Jurons de faire notre
devoir jusqu'au bout pour la patrie, pour la République,
pour la révolution ".
Les leaders anarchistes suivent
tous l'Union Sacrée ; Sébastien Faure prône
au départ une conférence des belligérants,
puis une trêve de 24 heures le premier dimanche du mois
d'août, mais se plie aux exigences du ministère
de l'Intérieur de cesser la propagande.
Le mouvement révolutionnaire consiste alors en de simples
groupes épars, sans ligne de conduite définie.
La résistance à la guerre ne se développe
que lentement, et principalement autour de quelques journaux
ouvriers localisés (Paris, Limoges, Oyonnax, Lyon, Grenoble).
En 1915 il n'y ainsi qu'une seule personne, Louise Saumoneau,
qui participe à la conférence internationale de
Berne, à laquelle les Bolchéviks ont envoyé
des délégués. Il n'y aura de l'écho
en France que lors de l'arrestation de celle-ci.
Au niveau international la résistance à la guerre
s'organise à partir de la conférence de Zimmerwald
en Suisse, du 5 au 8 septembre 1915. Si les convocations et le
travail pratique sont assurés par le socialiste suisse
Grimm et l'aile gauche des socialistes d'Italie, ce sont les
Bolchéviks qui donnent le ton.
Ecoutons l'opinion du bolchévik Zinoviev quant à
l'impression faite par la délégation française
: " La France n'était représentée que
par deux délégués : le syndicaliste Merrheim
et le socialiste Bourderon. Cette petite délégation
reflétait comme une goutte d'eau la situation transitoire
du mouvement ouvrier français.
La classe ouvrière est en
France mieux jugulée que nulle part ailleurs. L'ennemi
occupe un sixième du territoire français ; ce fait
opprime la conscience des masses. Le syndicalisme et l'anarchisme
ont fait banqueroute, tout comme le socialisme officiel.
Les ouvriers ne croient plus à
personne. Toutes les redondantes promesses révolutionnaires,
toutes les grandes phrases sur l'insurrection en cas de guerre,
tous les boniments sur l'action directe, tout cela s'est révélé
creux. Guesde est ministre ; Hervé est devenu crieur chauvin
sur la place publique ; Jouhaux est, de fait, un agent de la
bourgeoisie française.
L'opposition ne fait que commencer dans la classe ouvrière
française. La fermentation est partout. Les meilleurs
éléments du mouvement ouvrier français sont
au carrefour ".
La conférence de Zimmerwald ne marque pas la victoire
des positions bolchéviques (repoussées par 19 voix
contre 12).
A leur retour, Merrheim et Bourderon animeront le " Comité
pour la reprise des relations internationales " (CRRI),
qui sera un point de départ pour la fondation du futur
Parti Communiste.
Mais le CRRI ne soutient pas les
positions bolchéviques ; il est influencé par Kautsky,
Trotsky, les Menchéviks de Russie ainsi que par les centristes
italiens. Sa ligne est celle qui a dominé à la
conférence de Zimmerwald, et qui refuse le mot d'ordre
de transformation de la guerre impérialiste en guerre
civile.
En pratique, le CRRI fait de plus face à une scission.
Un comité de défense syndicaliste (CDS) se forme
pour travailler dans la CGT, le CRRI ne devant plus que s'occuper
du Parti Socialiste. Les activités de ces deux groupes
se limitent à la propagande, il n'y a ni actions de masse,
ni travail organisationnel, ni travail illégal.
La faiblesse de ces activités se montre au congrès
du Parti Socialiste de Noël 1915. La motion des " Zimmerwaldiens
" obtient 76 voix sur 2.736, et les socialistes majoritaires
menacent de faire évacuer les tribunes lorsque fut entonné
l'Internationale. Mais, en avril 1916, ce sont 960 voix (contre
1900) que la motion reçoit, grâce à l'alliance
avec les partisans de Longuet, qui prône un pacifisme semi
social-chauvin.
Lors de la conférence de Kienthal du 24 au 30 mai 1916
(également appelé deuxième conférence
de Zimmerwald), les délégués du CRRI n'obtiennent
pas de passeports, et restent légalistes. Ce sont donc
des parlementaires socialistes de province qui vont à
la conférence (ils seront surnommés les "
trois pèlerins de Kienthal ").
Zinoviev racontera que " de France, d'une façon assez
inattendue pour les membres de la conférence, il est arrivé
trois membres de la Chambre des députés (
).
Les trois députés que l'on vient de nommer appartenaient
jusqu'à présent à la timide " opposition
de Sa Majesté ".
Tous trois appartenaient au groupe Longuet - Pressemane - au
groupe des kautskystes français du plus mauvais genre.
Tous trois répètent encore jusqu'à présent
des phrases kautskystes, prétendant que les Français
comme les Allemands ont eu raison de voter pour les crédits
de guerre.
Car les uns étaient, paraît-il,
menacé d'une invasion prussienne, les autres d'une invasion
cosaque. Aucun des trois ne veut apercevoir les causes profondes
de la crise, et tous trois prêchent l'amnistie mutuelle
des partis socials-patriotes qui ont fait banqueroute. Tous trois
répètent des phrases à demi social-chauvines
sur " la noble France " qui, soi-disant, défend
en cette guerre les traditions de la révolution, etc.
Quand on écoute leurs discours, on pourrait quelque fois
penser que ces gens-là viennent directement d'un camp
de social-chauvins qui ne se connaissent pas comme tels, mais
leur conduite après la conférence, leurs manifestations
en France contre les messieurs qui sont à la tête
du Parti " socialiste " français ont montré
autre chose : ces hommes - bien que maladroitement, sans aucun
esprit de suite, et avec de grandes hésitations - reflètent
l'état d'esprit de cercles importants de la démocratie
et d'ouvriers dupés par la guerre, qui maintenant s'efforcent
d'agir contre la guerre, contre l'imposture social-chauvine.
Ils font du confusionnisme au-delà
de toute permission. Ils ont une multitude de préjugés
contre l'internationalisme conséquent. Mais le mouvement
de masse les pousse du côté de Zimmerwald.
Même en France, où la situation du socialisme est
en ce moment particulièrement difficile, la protestation
de masse s'affermit, le mouvement se réveille.
A Paris et en Province se sont formés
de premiers groupes d'ouvriers français qui tiennent fermement
pour le véritable internationalisme et se rapprochent
de la gauche de Zimmerwald. Leur tâche sera de mettre à
profit la décomposition qui commence parmi les social-chauvins
français ".
La ligne des socialistes opposés à la guerre est
donc au mieux pacifiste, et c'est pourquoi la mouvance du CRRI
qui commence à dominer le mouvement socialiste se veut
partisane des appels pacifistes du président des USA Wilson.
Or, l'écho de cet appel en
Europe n'est permis par la bourgeoisie que pour gagner du temps.
En réaction à cette dérive pacifiste, un
minorité commence à suive l'agitation bolchevique.
Loriot part en Suisse discuter avec Lénine ; un journal
francophone édité en Suisse (" Demain ")
répand les idées bolcheviques jusqu'en France,
et la brochure illégale " Les socialistes zimmerwaldiens
et la guerre " est diffusée.
1917 est l'année de la rébellion générale
en France. De 314 grèves en 1916 (pour 41.000 grévistes)
on passe à 696 grèves (pour 294.000 grévistes).
Sur le front la dynamique nationaliste est épuisée.
Qui plus est, les révolutions
russes - février et octobre - font vivre l'idée
des conseils de soldats et des conseils ouvriers.
Les mouvements de masse se développent, prenant des formes
dures. Ainsi, à Lyon se déclenche le 19 janvier
1918 une grève générale de trois jours,
avec manifestation dans le centre-ville ; dans la région
de la Loire les grèves sont endémiques (une grève
générale durant jusqu'à une semaine). "
La première année de la paix nous a coûté
plus cher qu'une année de la guerre " dit Le Matin.
L'Etat français réagit vivement. Le 23 décembre
1917, les Etats français et anglais, en accord avec les
socialistes, décident d'une intervention militaire contre
les Bolchéviks. Sur le plan intérieur, Clemenceau
prend les commandes du gouvernement et mène une vaste
répression.
Mais le communisme se développe en France de manière
solide. Dès décembre 1917 l'agitation gagne l'armée
; le mouvement de fraternisation se développe au cours
des premiers mois de 1919, et le 16 avril commence la révolte
de l'escadre de la mer Noire.
André Marty, officier mécanicien
sur le torpilleur Protet, en sera l'un des leaders, tentant même
de passer dans les rangs de l'armée rouge avec son navire.
Condamné à 20 ans de prison, il est libéré
en 1923 grâce à la pression ouvrière.
Le 1er mai 1919 se déroule contre la volonté des
socialistes et de la CGT, qui refusèrent la manifestation
puis tentèrent de la canaliser dans un défilé
pour l'application de la loi des 8 heures. Mais Paris fut en
état de siège : un demi-million de manifestantEs,
rupture des barrages de police, fraternisation avec les soldats,
430 blesséEs et un mort (300.000 seront présentEs
à son enterrement).
En juin 1919 c'est l'explosion de la grève : 500.000 à
Paris, une centaine de milliers partout ailleurs. On compte en
1919 2.026 grèves avec 1.151.000 grévistes, en
1920 il y aura 1.832 grèves avec 1.317.000 grévistes.
Le 24 juin 1919 sous la pression l'Humanité est obligé
d'exiger le retrait des troupes de Russie.
Le 14 juillet 1919, malgré le battage chauvin, d'anciens
combattants devenus révolutionnaires organisent une contre-manifestation.
Mais l'appel de l'Internationale Communiste, qui vient de se
créer, à une grève générale
le 21 juillet 1919 en soutien à la révolution hongroise
et contre l'intervention en Russie échoue, n'a pas d'écho
pratique à cause de l'opposition socialiste.
Car dans le mouvement socialiste, les réactions à
Octobre sont " partagées ". D'un côté
les masses saluent l'événement, obligeant les opportunistes
à suivre le mouvement, sans pour autant manquer d'attaquer
le bolchévisme.
Le correspondant de l'Humanité à Saint-Pétersbourg,
Boris Kritchevski, écrit ainsi : " ce fut un complot
dans toute la force du terme, bien qu'organisé à
ciel ouvert, au nez et à la barbe d'un gouvernement lamentablement
impuissant. Ce ne fut même pas un complot d'ouvriers armés.
Ce fut un complot militaire exécuté par les prétoriens
bolchevistes de la garnison désuvrée, débauchée
et pourrie de Petrograd, avec l'aide des marins et de quelques
unités de la flotte de la Baltique dévouée
aux bolcheviki ".
Charles Rappoport, l'un des théoriciens de la SFIO, dira
de Lénine que " c'est le Louis XIV de la révolution
: la Révolution c'est moi, c'est mon parti ", et
également que " La Constituante est dissoute comme
une simple Douma, Lénine a agi comme le Tsar. En chassant
la Constituante, Lénine crée un vide horrible autour
de lui. Il provoque une terrible guerre civile sans issue et
prépare des lendemains terribles ".
Le futur traître Souvarine écrit déjà
: " Il est à craindre que, pour Lénine et
ses amis, la 'dictature du prolétariat' doive être
la dictature des bolcheviki et de leur chef. Ce pourrait être
un malheur pour la classe ouvrière russe et, par la suite,
pour le prolétariat mondial.
La dictature de Lénine ne
pourrait être maintenue que par une énergie farouche
et constante, elle exigerait la permanence d'une armée
révolutionnaire, et rien ne permet de préférer
le militarisme révolutionnaire au militarisme actuel.
Ce que nous voulons souhaiter, c'est l'entente entre socialistes
pour l'organisation d'un pouvoir stable, qui soit vraiment le
pouvoir du peuple et non celui d'un homme, si intelligent et
probe soit-il ".
Le petit groupe autour du CRRI - qui devient par la suite le
" Comité pour l'adhésion à la IIIème
Internationale ", épaulé d'une " Société
des Amis des peuples de Russie " - est alors dépassé
par l'ampleur des événements, d'autant plus que
sa pratique n'est pas militante, mais seulement vaguement propagandiste.
Le leader révolutionnaire, Loriot, s'oppose de manière
correcte aux opportunistes socialistes, mais est incapable de
défendre sa ligne au sein des masses, ce qui l'amène
parfois à relâcher la pression et à céder
sur quelques points essentiels. De fait, au conseil national
socialiste du 28-29 juillet 1918, le groupe Loriot a 152 voix
(1544 voix pour le groupe social-opportuniste Longuet, 1172 pour
le groupe droitier de Renaudot, 96 abstentions, 31 absents).
C'est peu, d'autant plus qu'au congrès du 7-8 octobre
1918 le groupe Loriot se disloque, une importante partie de ses
membres votant pour un message de félicitations au président
Wilson. Cela au moment le plus crucial pour le communisme en
France, puisque la question principale devient l'adhésion
ou non à l'Internationale Communiste, dans une période
où grèves spontanées, mutineries militaires,
entrées dans le Parti Socialiste (qui passe de 1918 à
1920 de 34.000 à 150.000 membres) et la CGT (2.500.000
cotisantEs fin 1920) sur des bases révolutionnaires.
Il faudra tout le prestige du bolchévisme pour que lors
du congrès extraordinaire de la SFIO du 23 et 24 avril
1919, la motion de Loriot en faveur de l'I.C. obtint 270 voix,
contre 757 pour l'adhésion à la seconde internationale,
et 894 voix pour une entente avec les deux Internationales.
Notons également l'existence d'autres groupes sympathisant
avec le bolchévisme. Il y a tout d'abord un courant anarchiste-communiste,
qui fonde un " Parti Communiste " tenant son premier
congrès national du 25 au 28 décembre 1919, avec
65 délégués.
Ce groupe considère que Lénine a fait la synthèse
de Marx et Bakounine ; il s'agit surtout d'éléments
anarchisants, et d'ailleurs ce " parti communiste "
se transformera en " fédération communiste
des soviets " puis disparaîtra très vite.
Il y a également le courant syndicaliste-révolutionnaire.
Organisé autour de l'hebdomadaire " La Vie ouvrière
", dont la reparution date du 30 avril 1919 (1200 abonnés
en Juillet), ce courant défend la révolution russe
et combat le parlementarisme dominant la SFIO. Lors du congrès
de la CGT (15-21 Septembre 1919), leur leader, Pierre Monatte,
apparaît comme le meneur de la minorité révolutionnaire,
organisée en " Comités des syndicats révolutionnaires
" et obtenant 588 voix contre 1393 à la direction.
Un quatrième courant enfin, plus diffus, tourne autour
du groupe pacifiste et internationaliste " Clarté
" organisé par Barbusse, et autour de l'ARAC [association
républicaine des anciens combattants].
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