Histoire du Parti Communiste français
La
bolchévisation du parti (1923-1925)
La question de la bolchévisation du PCF ne fut posé
en tant que tel qu'en 1924-1925, mais celle-ci est déjà
sous-jacente en 1923.
Qu'est-ce que la bolchévisation ? " La bolchévisation
des sections de l'Internationale Communiste consiste à
étudier et à appliquer dans l'action les expériences
acquises par le Parti Communiste russe au cours des trois révolutions
et aussi, bien entendu, les expériences de toutes les
autres sections ayant à leur actif des luttes sérieuses.
A la lumière de cette expérience les sections de
l'Internationale Communiste doivent comprendre les tâches
qui leur incombent et généraliser leur propre expérience
".
Et : " La bolchévisation consiste à savoir
expliquer les principes généraux du léninisme
à chaque situation concrète dans chaque pays. La
bolchévisation est en plus l'art de saisir le 'chaînon'
le plus important qui permet de tirer toute la chaîne.
Ce 'chaînon' ne peut être identique dans tous les
pays à cause de la diversité de leurs conditions
sociales et politiques " (Thèses sur la bolchévisation,
Exécutif élargi de l'IC, 1925).
La période 1923-1925 est décisive pour le communisme
en France ; le reflux révolutionnaire a commencé
plus tôt en France que dans les autres pays.
Année Nombre de grèves
Nombre de grévistes
1919 2.026 1.151.000
1920 1.832 1.317.000
1921 475 405.000
1922 665 290.000
1923 1.068 331.000
1924 1.034 256.000
1925 895 241.000
1926 723 338.000
1927 436 122.000
A partir de 1921 en France c'est
la période de stabilisation du capitalisme, et l'Etat
bourgeois relance une offensive contre le prolétariat.
Les communistes de France se développent donc dans une
période relativement pacifique, ponctuée de répressions,
calme prétexte à nombre d'opportunismes.
Qui plus est, la situation idéologique dans le PCF est
mauvaise. A la fin 1924, le PCF (selon Zinoviev) c'est "
20% de jauressisme, 10% de marxisme, 20% de léninisme,
20% de trotskysme, 30% de confusionnisme ".
La première grande épreuve est l'occupation de
la Ruhr par l'armée française, combattue de manière
assez correcte par le PCF, malgré quelques illusions sur
les volontés du Bloc des gauches de s'y opposer, sans
parler de la politique légaliste.
La campagne est surtout portée par les jeunesses communistes,
et est menée en liaison avec les communistes d'Allemagne
et de Belgique. Elle touche la plupart des unités militaires
d'occupation, et développe une ligne anti-militariste
dure, appelant à la fraternisation : " Les ouvriers
allemands sont vos frères : fraternisez ! ".
Des cellules communistes de l'armée
aident même financièrement les communistes d'Allemagne.
Le 14 juillet 1923 dans plusieurs endroits les soldats passent
la journée avec des ouvriers allemands au lieu de participer
aux fêtes officielles ; à Duisbourg et Dortmund
on chante l'Internationale.
La campagne contre l'occupation est donc un succès, le
premier. De plus, il révèle au grand jour la faiblesse
qu'est la structure social-démocrate : le PCF regroupe
90 fédérations départementales sans cohésion,
possédant des rapports lâches entre elles et sans
liaisons permanentes avec la direction.
Cela joue dans la manière d'appréhender les manières
de lutter, ainsi la direction du PCF considère souvent
de manière social-démocrate les situations, critiquant
par exemple comme " blanquisme " les manifestations
illégales de 2 à 3.000 membres du Parti à
Paris contre l'occupation de la Ruhr.
Cet état de fait amène l'opposition droite/gauche
à jouer de plus en plus, avec comme fond la question de
la bolchévisation.
C'est dans cette atmosphère de crise latente que se déroule
du 20 au 24 janvier 1924 le troisième congrès du
PCF, à Lyon. Quatre grands événements sont
à l'ordre du jour : l'occupation de la Ruhr, l'échec
des révolutions en Allemagne et en Bulgarie, l'accession
du gouvernement MacDonald en Angleterre, et enfin la lutte contre
le trotskysme.
En pratique, le Parti travaille avec une meilleure méthode,
même s'il manque d'expérience. La nécessité
de s'appuyer sur des cellules d'entreprise commence à
se montrer mais les éléments rétifs à
la discipline luttent encore ; il y a donc deux groupes antagonistes
existant dans le parti : celui autour de Souvarine, opposé
à la bolchévisation commençant et philo-trotskyste
;
celui autour de Treint, opposé au trotskysme et favorable
à la bolchévisation.
Concernant l'élection du social-démocrate MacDonald
en Angleterre, le comité directeur du parti affirme qu'il
s'agit de l'événement le plus important depuis
Octobre 1917 ( !), avant de faire son autocritique (que refuseront
de faire les partisans de Souvarine).
Il y a bien une crise larvée ; de surcroît le Parti
a perdu beaucoup de membres, passant en un an de 60.000 à
45.000 membres.
Année Encartés [4/5
sont réellement adhérents/militants]
1919 [parti socialiste] 133.077
1920 [parti socialiste] 179.287
1921 118.260
1922 78.808
1923 55.598
1924 74.278
Début 1925 66.293
Fin 1925 ~50.000
Le Parti n'arrive pas non plus à
amener les socialistes à travailler dans un bloc ouvrier
et paysan. Son activité est également localisée
: en 1924 le Parti obtient 877.000 voix, dont 300.000 en région
parisienne.
L'année 1924 va alors être décisive. Souvarine
et son groupe commence une activité fractionnelle : ajout
de tracts de son groupe avec les journaux, diffusion d'une brochure
de Trotsky (" Cours nouveau ")
En juillet le
5ème Congrès mondial de l'I.C. décide de
son expulsion temporaire, qui s'avérera définitive.
Quelques semaines auparavant, le parti rejetait totalement les
motions de Monatte et Rosmer, pro-trotskyste, par 2.370 voix
contre 3 (et 10 abstentions).
L'I.C. donne au PCF les consignes suivantes : formation d'un
véritable appareil du Parti, travail dans les centres
industriels de province, organisation à partir des cellules
d'entreprises, renforcement des éléments prolétariens,
recrutement d'ouvriers, agitation pour la création de
comités dans les usines, lutte contre le déviationnisme
de droite, intégration des meilleurs éléments
de la CGT-U.
Le PCF réussit à alors à modifier ses structures.
Un appareil central est formé, avec des sections de travail
composées de militantEs spécialiséEs, ainsi
qu'une série de directions régionales et locale
liée au Comité Central. Le Parti se fonde désormais
sur les cellules d'entreprises.
De plus, la pratique anti-militariste du PCF continue avec succès.
L'opposition à la guerre du Maroc et de Syrie est forte,
le Parti rassemble jusqu'à 60.000 ouvriers au Mur des
Fédérés, fait de nombreux meetings et de
nombreuses manifestations d'usines.
La ligne est anti-impérialiste et internationaliste, en
soutien aux luttes pour l'indépendance nationale, comme
le montre un télégramme de septembre 1924 : "
Groupe parlementaire, Comité directeur du PC et Comité
national des J.C. saluent la brillante victoire du peuple marocain
sur les impérialistes espagnols. Ils félicitent
son vaillant chef Abd-El-Krim.
Espèrent qu'après
la victoire définitive sur l'impérialisme espagnol
il continuera, en liaison avec le prolétariat français
et européen, la lutte contre tous les impérialistes,
français compris, jusqu'à la libération
complète du sol marocain. Vive l'indépendance du
Maroc ! Vive la lutte internationale des peuples coloniaux et
du prolétariat mondial ".
La grève lancée par le PCF, avec comme mots d'ordre
la lutte contre la guerre du Maroc et de Syrie, les impôts
Caillaux et pour l'augmentation générale des salaires
arrive à regrouper 900.000 ouvriers dans le pays. La grève
est marquée par des incidents violents ; l'enterrement
d'un militant du PCF sera suivi par 100.000 personnes.
Elle est une démonstration
de force, et le succès définitif sur les tendances
anarcho-syndicalistes refusant la politisation des syndicats
; reste le problème de la question de l'unification de
la CGT et de la CGT-U et du rapport avec le Bloc des gauches.
Cette question va jouer dans les années suivant la période
de la bolchévisation.
Citons, eu égard à
l'importance de cela pour l'histoire du PCF, l'I.C. dans sa critique
de la position du PCF quant au Bloc des gauches, position qui
va devenir plus aiguë par la suite : " Le paragraphe
de vos thèses concernant le Bloc antifasciste doit aussi
être complétement modifié.
Dans sa forme actuelle, ce paragraphe contient, non seulement
de la confusion, mais des idées très dangereuses
sur le rôle du Parti.
Certes, le Parti doit chercher à
créer contre le fascisme un vaste front unique de tous
les ouvriers, des paysans et des couches accessibles des classes
moyennes, mais il ne doit pas former avec ces éléments
un bloc politique dans lequel il se confondrait avec des éléments
petits-bourgeois sur un programme d'opposition au fascisme.
Il faut bien indiquer dans ce large
mouvement anti-fasciste le rôle prédominant du prolétariat
et le rôle de guide du Parti Communiste, qui doit devenir
le centre de la lutte de classe antifasciste, et non le composant
d'extrême-gauche d'une opposition antifasciste comprenant
des éléments de la bourgeoisie.
Le prolétariat doit s'allier aux paysans, qui sont ses
alliés naturels dans la lutte révolutionnaire et
parmi lesquels le Parti doit travailler intensément pour
pouvoir vaincre le fascisme. Il doit, par contre, chercher non
à s'allier à la petite-bourgeoisie, mais à
la neutraliser ou à entraîner ses couches les plus
prolétarisées et les plus accessibles à
la propagande.
Il doit, à cet effet, avoir
une base idéologique pour mener ses campagnes afin d'arracher
les ouvriers, les paysans et certaines couches de la petite-bourgeoisie
à l'influence des partis soi-disant de gauche en voie
de fascisation. Il doit abandonner complètement la notion
de classe travailleuse, qui, outre la classe ouvrière
et les paysans, englobe les intellectuels et les petits-bourgeois.
On ne peut parler que des classes travailleuses (parmi lesquelles
prolétariat et paysannerie doivent être intimement
unis pour la lutte).
La notion qui est et qui doit demeurer au centre de toute notre
action, et particulièrement de notre action antifasciste,
est celle de la classe ouvrière, du prolétariat,
qui doit avoir l'hégémonie sur toutes les autres
classes travailleuses ".
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