Communisme ou communisme libertaire? Avant-Garde ou syndicat?
Les communistes et les communistes libertaires ont le même objectif : une société sans classes et sans Etat. De la même manière, communistes et communistes libertaires considèrent que l'objectif de toute activité révolutionnaire est la mise en avant intransigeante de la nécessité de révolution.
Cela les différencie des opportunistes.
« Le mouvement prolétarien a, en raison des particularités fondamentales de cette classe sous le capitalisme, une tendance inflexible à se transformer en lutte âpre pour le tout, pour la victoire complète sur toutes les force ténébreuses d'exploitation et d'asservissement.
Par contre, le mouvement de la bourgeoisie libérale tend pour les mêmes raisons (c'est-à-dire par suite des particularités essentielles de la situation de la bourgeoisie) aux tractations et non à la lutte, à l'opportunisme et non au radicalisme, à l'inventaire modeste des acquisitions les plus réalisables, les plus probables et les plus immédiates, et non à la revendication hardie, résolue et « dépourvue de tact » d'une victoire totale.
Quiconque combat vraiment revendique évidemment tout; quiconque préfère les tractations à la lutte désigne naturellement, à l'avance, les « petites concessions » dont il est disposé à se contenter dans le meilleur des cas (dans le pire des cas, il se contentera même de ne pas lutter, c'est-à-dire d'une longue paix avec les maîtres de l'ancien régime). » (Lénine, Sophismes politiques)
L'objectif des communistes et des communistes libertaires est donc le même.
Les communistes libertaires fondent leurs activités sur la lutte des classes, à l'opposé des anarchistes qui le plus souvent la rejettent et fondent leurs luttes sur la défense d'« idées. »
Ils sont partisans d'un travail de fond, pour que les masses luttent et fassent la révolution. Communistes libertaires et communistes sont d'accord sur le principe : il faut que les masses s'unissent pour lutter non pas simplement contre un seul patron, mais contre la classe des patrons.
Les communistes libertaires rejettent très clairement l'opportunisme syndical typique sur cette question.
Il faut que la classe opprimée s'unisse, prenne conscience de sa force, et renverse la classe dominante. Ou comme le dit Lénine :
« Tous conviennent que nous devons organiser la lutte de classe du prolétariat. Mais qu'est-ce que la lutte de classe?
Lorsque les ouvriers d'une fabrique, ou d'une profession, affrontent leur ou leurs patrons, est-ce là la lutte de classe?
Non, ce n'est en encore qu'un faible embryon.
La lutte des ouvriers ne devient lutte de classe que lorsque tous les représentants d'avant-garde de l'ensemble de la classe ouvrière de tout le pays ont conscience de former une seule classe ouvrière et commencent à agir non pas contre tel ou tel patron, mais contre la classe des capitalistes. » (Lénine, Notre tâche immédiate)
Seulement il y a un hic. Le fond de la lutte de classe est la lutte de la bourgeoisie contre le prolétariat. Soit.
En ce sens communistes et communistes libertaires sont d'accord.
Seulement, une analyse communiste de la société montre que la bourgeoisie n'est pas unifiée. Il y a de grandes différences par exemple entre la petite-bourgeoisie, celle qui veut commercer tranquillement dans les épiceries, et la bourgeoisie impérialiste qui vend des canons et aimerait bien qu'il y ait plus de guerres.
De la même manière, il y a une grande différence entre la classe ouvrière et, par exemple, les employés de la fonction publique.
Le principe d'un syndicat révolutionnaire fait-il la différence entre ces couches sociales?
Non, il ne le fait pas. Aussi, si l'on veut faire une hiérarchie entre ces couches sociales, il faut la faire EN-DEHORS du syndicat.
C'est pourquoi les communistes considèrent que la forme de pouvoir n'est pas le syndicat mais le comité populaire.
Le comité populaire, la commune, rassemble différentes couches sociales, mais la direction du comité repose sur les membres du Parti Communiste et sur les représentants du comité.
Car le Parti Communiste défend la classe ouvrière comme classe principalement révolutionnaire.
Par contre, le principe du syndicat dans sa forme anarcho-syndicaliste ou syndicaliste-révolutionnaire nie que la classe ouvrière est la classe la plus révolutionnaire de la société.
Il met sur le même plan l'ensemble des masses populaires. Il pense que TOUTES les masses, indistinctement, ont la même capacité révolutionnaire.
Non seulement cela est faux, mais en plus cela revient dans la pratique à NIER l'existence de différentes couches sociales. Un syndicat comme la CNT peut refuser qu'il y ait des sections de policiers, mais quelle est sa position par rapport aux classes moyennes?
Une réponse avancée parfois est la mise en avant des intercos, les syndicats dépassant le caractère corporatif.
Une telle chose est naturellement positive. Mais elle ne dit toujours pas QUI doit diriger la lutte. Quel intérêt de faire se rencontrer les professeurs d'un lycée et les préposés au nettoyage si l'on ne dit pas : telle couche sociale a plus de valeur révolutionnaire qu'une autre?
Alors qu'une commune lycéenne rassemblerait les mêmes couches sociales mais aurait comme élément de la direction le Parti Communiste défendant les intérêts des couches les plus pauvres, à partir des intérêts de la classe ouvrière.
Cette négation des intérêts principaux de la classe ouvrière montre le caractère POPULISTE de la position anarcho-syndicaliste ou syndicaliste-révolutionnaire. C'est un point de vue petit-bourgeois dans la mesure où il interprète le peuple exactement comme la bourgeoisie le faisait en 1789.
De plus, si la position anarcho-syndicaliste ou syndicaliste-révolutionnaire ne connaît pas de différences entre les différentes couches sociales des classe dominée et dominante, comment savoir si tel ou tel phénomène social est progressiste ou non?
Qui décidera, par exemple, s'il faut soutenir le mouvement des personnes homosexuelles à pouvoir adopter des enfants?
Dans ce genre de cas, parfois le syndicat ne prendra pas position, ce qui est incorrect.
Mais dans le cas où le syndicat décide de soutenir une cause progressiste, qui a pensé que c'était correct?
Les syndiqués eux-mêmes, dira-t-on. Soit.
Mais où ont-ils débattu? Dans leurs syndicats dira-t-on. Soit.
Mais où les idées se sont-elles confrontées?
Qui a enquêté et fait des rapports pour que toutes les personnes du syndicat sache de quoi il en retourne?
Cela montre que pour la position anarcho-syndicaliste ou syndicaliste-révolutionnaire le débat est censé se dérouler spontanément.
Mais c'est une hypocrisie complète, les partisans de cette position le savent et c'est pour cela que pour les cas les plus « difficiles » ou « urgents » ils font le tour de passe-passe de former une « commission. »
Mais quelle est la méthode employée par la commission? Est-il juste que seules les personnes intéressées adhèrent à telle ou telle commission?
La position anarcho-syndicaliste ou syndicaliste-révolutionnaire se veut démocratique, mais en fait ce sont les communistes qui le sont, car les communistes vont chercher les gens. Les faire avancer sur des thèmes qu'ils ne connaissent pas forcément.
Et c'est d'autant plus nécessaire que la bourgeoisie fait tout pour ne pas élever justement le niveau de conscience des masses.
A quoi sert de reconnaître les luttes de classe si c'est pour considérer qu'elles commencent et terminent avec la naissance du syndicat moderne?
Comment briser l'hégémonie idéologique de la bourgeoisie si l'on ne comprend pas les rouages du système capitaliste? Comment savoir ce qui est juste de ce qui est faux sans analyses de fond?
L'anarcho-syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire contournent la question, et disent : le mouvement des masses lui-même suffit, car la forme syndicale est démocratique, et est la seule démocratique.
C'est là que réside la grande différence entre les communistes et les anarchistes. Pour les communistes le mouvement de masses doit avoir conscience de lui-même, il doit savoir qu'il est dans la continuité des luttes pour la libération depuis la naissance des classes.
Sinon les masses ne saisiront pas la dimension de la révolution qu'elles ont à faire, elles suivraient des idées, des idéologies de la bourgeoisie qui les empêchaient de se libérer.
L'anarcho-syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire dit que la forme syndicale suffit à barrer la route à la bourgeoisie en pratique et en théorie.
Cela signifie donc que l'organisation syndicale est imperméable à l'idéologie bourgeoise.
Pourtant les personnes syndiquées vivent dans le capitalisme, et pas dans le syndicat préfigurant le communisme (libertaire). Elles sont donc influencées. Si demain toutes ces personnes décidaient d'abandonner l'idée de révolution, que deviendrait le syndicat?
Les anarcho-syndicalistes disent : c'est pour cela qu'il faut une coloration anarchiste au syndicat, qu'il faut que les... éléments avancés s'unissent, comme en Espagne dans les années 1930 avec la Fédération Anarchiste Ibérique dans la CNT.
Mais cela c'est reconnaître la nécessité d'une avant-garde !
Les syndicalistes-révolutionnaires affirment eux que la forme syndicale est automatiquement révolutionnaire car elle unit la classe.
Mais comment la classe opprimée peut-elle être unie dans le capitalisme? Les individus n'ont pas le même niveau de conscience, il est évident pour chaque révolutionnaire qu'il y a de grandes différences de niveau dans les masses, et même chez les éléments avancés.
La vérité c'est que pour les partisans du syndicalisme révolutionnaire, la véritable révolution c'est que tout le monde rejoigne le syndicat.
La révolution?
Un simple tour de passe-passe, la grève générale, et puis voilà !
Les appels à la grève générale ne sont pas un appel pratique, il s'agit d'un mythe qui doit permettre à tout le monde de voir ce que le syndicat POURRAIT faire.
Les communistes ne considèrent pas qu'une « révolution » puisse se faire avant la révolution prise dans son ensemble. La révolution est un saut qualitatif.
« Les révolutions sont les locomotives de l'histoire. » (Karl Marx, Les luttes de classe en France)
Cela signifie que la révolution, point culminant de la lutte des classes du prolétariat, amènera un saut qualitatif des consciences et des pratiques des masses.
« La révolution est la fête des opprimés et des exploités. » (Lénine, Deux tactiques de la social-démocratie russe dans la révolution démocratique)
Les communistes ont le même objectif que les communistes libertaires.
Mais les communistes ne pensent pas que les organisations de masse ne vont se créer d'elles-mêmes.
Les communistes veulent des communes populaires et des comités populaires partout, comme les communistes libertaires veulent tout le monde dans le syndicat.
Mais les communistes ne pensent pas que les gens vont spontanément former ou rejoindre les organisations de masses. Une expérience est nécessaire, une expérience POLITIQUE.
Une expérience politique qui passe par le travail de l'avant-garde.
Les communistes libertaires se reposent juste sur l'économique pour croire que le syndicat révolutionnaire unifiera les masses, c'est une très grave erreur. Seule le parti communiste, le parti de la classe ouvrière, peut unifier les masses par la politique révolutionnaire.
La politique des communes populaires, et non pas l'économique du syndicat !
Car seule la politique peut faire que les masses soient prises comme un grand tout.
C'est cette politique qui amène les expériences de communes populaires et de comités populaires, expériences qui avanceront, reculeront, jusqu'à la révolution où les masses s'affirmeront en adoptant ces nouvelles formes sociales, communistes.
La logique du syndicat révolutionnaire, elle nie le développement inégal de la révolution qui veut que le développement de la conscience et de l'organisation révolutionnaires ne soit pas le même partout.
Incapable d'unifier les masses dans le syndicat car cela est impossible avant la révolution, le communisme libertaire décade forcément, met tout sur un même plan, et arrive à considérer une autogestion syndicale d'une entreprise pour du « socialisme » voire du communisme !
Repoussant au « grand soir » la collectivisation générale, qui elle seule a un sens, le communisme libertaire en est réduit à collectiviser des parties de la société capitaliste.
Les communistes sont pour les collectivisations mais celles-ci s'affrontent au système: elles s'appuient sur la violence et affrontent donc l'Etat.
Mais chez les communistes libertaires les collectivisations, quand elles ont lieu, sont des parties intégrantes de la société capitaliste.
C'est l'autogestion : une autre forme, mais pas un autre cadre !
C'est la société LIP gérée dans les années 1970 en France par ses travailleurs, ce sont ces entreprises gérées par les salariés argentins pour faire face à la crise.
Pendant la guerre antifasciste en Espagne ce sont les bus gérés par les conducteurs de bus, les trains par les cheminots, les groupes de soldats par les soldats, le tout sans plan d'ensemble, sans analyse de l'intérêt général.
Seul le Parti Communiste peut défendre les intérêts des masses dans leur ENSEMBLE.
C'est pourquoi la planification est nécessairement communiste et que le caractère éparpillé de la logique syndicale ne peut pas répondre aux besoins des masses.
Une fois le capitalisme renversé, on hérite d'une situation de développement inégal des régions, il y a des industries concentrées en des endroits précis, et absentes ou presque dans d'autres.
On hérite donc aussi d'une situation
historiquement marquée par le centralisme jacobin et la domination des grandes villes.
Dans ces conditions issues du capitalisme, régler de façon harmonieuse la production ne peut se faire immédiatement par l'autogestion au niveau local comme le souhaiteraient les anarcho-syndicalistes, mais seulement au niveau national.
Une coordination centrale de l'économie doit diriger cette reconstruction économique.
C'est la planification. Elle seule peut égaliser dans la géographie les
capacités productives, disséminer l'industrie et l'agriculture de façon
à venir à bout de l'inégalité entre régions et de la contradiction
villes/campagnes.
C'est donc seulement dans un troisième temps que les communes - grandes unités démocratiques polyvalentes de production et de consommation- sont viables.
Le communisme signifie la solidarité de l'ensemble des masses, et la démocratie des communes populaires ne signifie pas le libéralisme de groupes d'individus.
« La planification socialiste exige qu'une lutte intransigeante soit menée contre les tendances, contraires aux intérêts de l'Etat, qui se traduisent par les tentatives faites pour opposer les intérêts d'une entreprise, d'une région ou d'un service à ceux d'un pays tout entier. » (Manuel d'économie politique MLM)
Le communisme libertaire est un bel idéal, mais il est une vue de l'esprit. Pour atteindre le communisme, il faut écraser le vieux monde, et seule une pratique révolutionnaire s'appuyant sur une théorie révolutionnaire peut y arriver.
Pour
le PCMLM, juillet 2005.
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