Une école pour les masses, par les masses !



L'École publique est une institution, elle fait partie de l'Etat, au même titre que l'armée ou la police, les centre des impôts ou les hôpitaux.

A ce titre, elle a été organisé par l'Etat lui-même, par l'appareil d'Etat: c'est l'Etat qui a décidé de l'organisation de l'école comme de sa fonction. C'est l'Etat qui a décidé dans quelle mesure l'école serait une partie de lui-même.

Le contenu de l'école dépend donc de l'Etat. Il est par exemple évident que les manuels scolaires de 1930 n'ont rien à voir avec ceux de 1969, qui n'ont eux-mêmes rien à voir avec ceux de 1992 ou de 2005.

Pourtant cet aspect est bien souvent « oublié. »

Qui décide?

Qui a décidé du contenu de l'école, de sa forme, des enseignements et de la manière d'enseigner?

Constatons d'abord que l'école est une institution où des adultes accueillent des enfants. Le but affiché par cette institution est le bien-être présent et futur de ces enfants, sous le mot d'ordre d'« éducation. »

Mais qui sont les enfants? Quel est leur rapport aux adultes? Les enfants du Moyen-âge, absents du foyer familial, en apprentissage dès l'âge de sept ans ou vagabondant, n'étaient pas coupés du monde des adultes.

Ce n'est qu'avec le développement du capitalisme que le « maître » est devenu « éducateur », de simple instructeur, le « professeur. »

Cela signifie non plus la soumission à l'enseignement, mais la soumission à l'autorité enseignante. L'enseignement public, c'est le règne de la soumission et de la surveillance, de la délation et de la punition érigées en système.




D'où vient l'école? L'école a sa source dans la domination de type féodale

L'école que nous connaissons vient en droite ligne de l'école féodale. Ses structures ont été lentement modifié pour répondre aux besoins d'élever la qualification de la main d'oeuvre tout en préservant la domination spirituelle de l'autorité sur les masses populaires.

« La contre-réforme se préoccupe d'abord d'améliorer la formation du clergé, en créant des séminaires et des congrégations tournées vers la formation pastorale. Ensuite seulement, de l'instruction des enfants. Bientôt des catéchismes, approuvés par les évêques, leur sont spécialement destinés et l'école paraît le moyen le plus approprié pour lutter contre l'hérésie et moraliser la jeunesse. » (Yves Gaulupeau, La France à l'école, p.14-15, Découvertes Gallimard Histoire, 1992)

L'école essaie différentes formes; ainsi ce sont sur sur les enfants trouvés et les enfants dont les parents sont enfermés qu'est expérimentée dès le début du XVIIème siècle une des formes les plus proches de l'école de Jules Ferry, « l'école de charité. »

Prises en charge par les bureaux des charité, ces écoles avaient pour mission de détruire le vice et d'établir la vertu, et à cet effet de recruter les meilleurs maîtres, les docteurs de Sorbonne.

Il s'était même fondé en 1649 une association de prières afin d'obtenir de Dieu de bons maîtres d'école pour les indigents.

Ceci étant, ces docteurs de Sorbonne n'avaient pas le droit d'enseigner certaines matières ; le latin (la langue du savoir) en particulier était strictement interdit : « je voudrais créer une école dans mon quartier, une école où les enfants pauvres apprissent que ce qu'il faut savoir » déclarera plus tard le duc de Berry. (M. Fosseyeux, Les écoles de charité à Paris sous l'ancien régime et dans la première partie du XIXème siècle)



Nous voyons ici bien l'aspect principal: celui de la domination. La naissance même de l'école publique - décidée pour soutenir le catholicisme dans sa lutte contre le protestantisme - va le montrer.

C'est en effet partir de 1699, l'enseignement effectué par l'Église catholique bénéficie de nouveaux avantages royaux.

« Si jusqu'à présent, le pouvoir royal (représentant la noblesse) abandonne à l'Église, aux villes et aux communautés rurales toute initiative et toute dépense relatives à l'enseignement élémentaire, il faut noter une exception notable : la lutte contre les écoles réformées. À partir de cette époque, Louis XIV met au service de la contre-réforme un arsenal de dispositions répressives.

En 1685, l'édit de Fontainebleau, révoquant l'édit de Nantes (1598) décrète la suppression des écoles protestantes. La résistance des protestants, qui poursuivent au sein des familles l'alphabétisation et la transmission de leur foi, justifie une mesure sans précédent : la Déclaration royale du 13 décembre 1698 pose en effet le principe d'une obligation scolaire sous l'égide de l'État et le contrôle de l'Église catholique.

Le texte prévoit un réseau de surveillance ecclésiastique des maîtres, et des parents qui n'enverraient pas leurs enfants à l'école, et définit le contenu de l'enseignement : les vérités de la foi, le rituel catholique, la messe quotidienne, enfin « apprendre à lire et même à écrire à ceux qui pourraient en avoir besoin ». (Yves Gaulupeau, La France à l'école, p.19-20, Découvertes Gallimard Histoire, 1992)

L'école de charité servait donc essentiellement à contrôler les classes dangereuses et à leur inculquer soumission et obéissance.

Il ne s'agit pas tant d'instruire, que d'éduquer. L'aspect spirituel joue un grand rôle.

Dans sa conduite des écoles chrétiennes, Jean-Baptiste de La salle conseille aux frères des écoles : « il [le frère] leur recommandera de saluer respectueusement les ecclésiastiques et les magistrats. S'il arrive que quelqu'une de ces personnes passe lorsqu'ils sont en rang, tous doivent se découvrir et faire une inclination » (Yves Gaulupeau, La France à l'école, p.19-20, Découvertes Gallimard Histoire, 1992)

Une fois apaisée la lutte contre l'hérésie, la noblesse ne voit plus d'utilité à l'obligation scolaire générale et encore moins à l'instruction d'autre chose que la religion catholique.

Mais les propagandistes des lumières non plus.

La formation des élites retient seule, leur attention. Le caractère bourgeois de ces intellectuels est ici patent.

Voltaire affimera tranquillement: « Je vous remercie de proscrire l'étude chez les laboureurs » tandis que Roussea dira dans La nouvelle Héloïse (1761): « N'instruisez pas l'enfant du villageois car il ne lui convient pas d'être instruit. »



Parmi ceux qui développent à l'opposé une conception plus populaire, on retrouve Diderot et Turgot, ce dernier déclarant qu'« un paysan a les mêmes organes qu'un homme né dans une ville » et que « le travail du corps ne les occupe pas assez, dans le premier âge, pour qu'on ne puisse avoir le temps de les instruire dans beaucoup de choses. »

Mais l'Etat est prêt à admettre un enseignement populaire, à condition que celui-ci diffuse l'idéologie dominante. En 1783, Lamoignon, premier président au parlement de Paris, déclare : « L'éducation doit être sous l'inspection de la puissance publique parce qu'elle doit être toute dirigée pour l'utilité générale et pour le bien de l'État. »

Le renversement de l'aristocratie par la bourgeoisie ne fait que confirmer cette tendance, devenue même une nécessité complète pour finir d'écraser l'aristocratie.

Ou comme le dit Napoléon: « Tant qu'on n'apprendra pas dès l'enfance s'il faut être républicain ou monarchique, catholique ou irréligieux, l'État ne formera point une nation (...) il sera constamment exposé aux désordres et aux changements. »

Naturellement la bourgeoisie ne saurait confier l'enseignement à l'église, alliée de l'aristocratie. Elle doit donc prendre elle-même en charge l'école publique.

Elle met donc en place des écoles supérieures chargées de former des cadres techniques ou militaires, mais sans mettre l'accent sur l'école pour les masses, masses qu'elle méprise.

Ce qui compte pour la bourgeoisie, c'est l'organisation du pouvoir, et donc d'avoir des universités et des grandes écoles fournissant des cadres pour l'appareil d'Etat nouvellement formé après la révolution de 1789.

Ce n'est que lentement, avec le développement industriel, que la bourgeoisie va vouloir élever le niveau de qualification des travailleurs et inculquer aux masses des valeurs opposées au collectivisme.

Le patronat essaiera ainsi dans la première moitié du XIXème siècle d'imposer l'école obligatoire aux enfants travaillant en usine, notamment dans l'Est dela France. (Claude Liscia, Familles hors-la-loi, Maspéro 1978)



Mais l'école publique nouvelle, celle du prolétariat, présuppose une levée en masse des enfants, alors que l'école primaire avait été laissé en friche suite à la révolution de 1789.

La scolarisation s'était jusque-là toujours effectuée par la force ou la ruse, notamment par le recrutement d'enfants « enrôleurs » chargés d'amener les jeunes vagabonds à l'école, la suspension des secours aux parents qui n'envoient pas leurs enfants à l'école, etc.

L'Article 34 de l'arrêté ministériel du 19 juillet 1819 est explicite: « nul indigent ne recevra de secours s'il n'envoie son enfant aux écoles. »

Les lois de la deuxième République s'inscrivent par conséquent dans un projet directement économique : la formation d'une main-d'oeuvre mieux adaptée aux exigences de la production.

Naturellement l'école n'en continue pas moins d'exercer sa fonction idéologique première.

Le changement est que désormais elle s'adresse à tous et que l'action éducative se modifie, redéfinit ses cibles.

Il ne s'agit plus de rattraper les éléments en perdition des « classes dangereuses », chose peu rentable, même si cela aide à renforcer l'idéologie de l'écolier-type.

Il s'agit désormais au contraire d'utiliser à fond les images récurrentes du « bon écolier » et du « mauvais écolier. »

L'idéologie véhiculée à travers l'école va donc s'employer à préciser et affiner l'image du « bon » écolier, toute en la plaçant dans une confrontation permanente avec son négatif, c'est-à-dire avec une certaine représentation de l'enfant « déviant. »

L'existence d'une école normale, « pour tous »,  présuppose la constitution de filières d'exclusion pour les « déviants », « rebelles », etc.

Que ces réseaux se mettent en place au-dedans même de l'institution ou à l'extérieur, qu'ils se superposent au cursus scolaire classique ou qu'ils s'y substituent, ne change rien.

L'école a eu et a toujours un rôle central dans le dépistage et l'orientation vers tel ou tel circuit, dans la désignation de la non-conformité.

A cette mise à l'écart des éléments non conformes s'ajoute l'offensive de l'Etat contre la famille.

Celle-ci est redevable de la situation de l'enfant, et les résultats de l'enfant permettent d'amener les parents à collaborer socialement au modèle ainsi qu'à la répression (signature du carnet de notes, convocations, distribution des prix, etc.).



L'école de la bourgeoisie : un pas en avant, deux pas en arrière

Si la bourgeoisie a prôné la lutte de classes au moment de sa lutte contre l'aristocratie, elle doit une fois la révolution faite tout faire pour nier l'existence de classes antagoniques.

Il s'agit pour la bourgeoisie de désamorcer les oppositions sociales en diffusant des valeurs communes à tous dans lesquelles chacun doit pouvoir se reconnaître.

Imposer la croyance que l'école est au-dessus des classes en la déconnectant d'une idéologie particulièrement marquée politiquement, telle est la fonction essentielle du combat laïc.

Jules Ferry voulant convaincre la bourgeoisie rurale de son département exprime très sincèrement son idée sur la question : « Dans les écoles confessionnelles, les jeunes reçoivent un enseignement dirigé tout entier contre les institutions modernes. On y exalte l'ancien régime et les anciennes structures sociales. Si cet état de choses se perpétue, il est à craindre que d'autres écoles se constituent, ouvertes aux fils d'ouvriers et de paysans, où l'on enseignera des principes diamétralement opposés, inspirés peut-être d'un idéal socialiste ou communiste emprunté à des temps plus récents, par exemple à cette époque violente et sinistre comprise entre le 18 mars et le 24 mai 1871 [commune de Paris]. » (cité in: Jean Foucambert, L'école de Jules Ferryn un mythe qui a la vie dure, p.58, Retz 1987)

En langage clair : éduquées, les masses ouvrières ne seront plus révoltées. Éduquées, elles seront consentantes.

Le projet est substituer à des rapports de force, des rapports contractuels, de remplacer l'oppression par la coopération, le corporatisme.

Afin d'empêcher à tout prix toute organisation des masses par elles-mêmes.

Il ne s'agit pas pour l'Etat de remettre les prolétaires à niveau intellectuellement, il s'agit de les éduquer selon un modèle idéologique.

Ou comme le formule Victor Cousin, « Il ne fait pas de doute que de tous les moyens d'ordre intérieur, le plus puissant ne soit l'instruction générale. C'est une sorte de conscription intellectuelle et morale. » (cité in: Jean Foucambert, L'école de Jules Ferryn un mythe qui a la vie dure, p.42, Retz 1987)

Etudions les réactions des classes sociales par rapport à l'école « pour tous » lancée par Ferry.

La petite bourgeoisie composée des marchands et des artisans est très réceptive aux valeurs véhiculées par les écoles de charité (ordre, obéissance...), elle s'y retrouve tellement que, non contente qu'on impose ce régime aux enfants de pauvres, certains vont même jusqu'à frauder pour y faire entrer leurs propres enfants.

A l'opposé, la bourgeoisie des propriétaires fonciers et des gros négociants a tout à craindre d'une éducation façonnée sur l'idéologie bourgeoise.

Cette droite traditionnelle est très attachée aux valeurs de la noblesse et est proche culturellement des valeurs du clergé sur lesquelles la noblesse s'était appuyée pendant des siècles.

Elle pense qu'il suffit de continuer à diffuser les valeurs religieuses alliées à une ignorance totale pour maintenir soumises les classes exploitées (qui vivent dans la misère) dont elle craint la violence révolutionnaire alors que le marxisme, qui révèle la véritable nature de la société bourgeoise -exploitation du prolétariat par la bourgeoisie- commence à être connu en France.

Pour elle, diffuser un peu de savoir, c'est jeter des tisons dans la paille sèche et prendre le risque de la guerre civile. Cette fraction de la bourgeoisie ne voit pas d'utilité à la création d'une école publique puisque des précepteurs ou des écoles privées confessionnelles s'occupent de ses enfants.

Cette politique à l'égard des masses est naturellement également valable avec les peuples des colonies : « L'instruction est capable de donner aux Nègres ici une ouverture qui peut les conduire à d'autres connaissances, à une espèce de raisonnement. La sûreté des Blancs, moins nombreux, entourés sur leurs habitations par ces gens-là, livrés à eux, exige qu'on les tienne dans la plus forte ignorance. » (Marquis de Fénelon)

En 1908 les colons d'Algérie eux-mêmes protesteront contre l'éducation des autochtones, chose logique vu le caractère féodal de leur domination.

La bourgeoisie industrielle, elle, est directement opposée à la classe ouvrière naissante.

Elle connaît bien la classe ouvrière et sait qu'en 1860, 87% des ouvriers parisiens ont appris à lire en dehors de toute structure scolaire.

Elle comprend qu'il n'est plus possible de priver les masses d'un certain savoir. Elle a également besoin d'élever le niveau de qualification de sa main d'oeuvre.

De plus, les enfants mis à l'école permettent la formation d'un prolétariat féminin. Les femmes peuvent rejoindre l'armée de réserve du Capital, d'autant plus que leur rémunération est moindre à travail égal.

La seule solution est donc selon elle de reprendre en main la diffusion de ce savoir pour en contrôler le contenu. De même, cette école publique-gratuite-obligatoire donnera du savoir sans pour autant donner les moyens de production de ce savoir.

Elle permettra également de gagner à la cause de l'idéologie bourgeoise de nombreux éléments opportunistes.



L'enjeu a été bien compris dès le départ par les partisans de la classe ouvrière :

« L'utopie de la réconciliation des classes sociales par l'école est un de ces vieux clichés de la « démocratie avancée » qui n'a pas grande importance.

Le projet d'incorporer à la bourgeoisie, en leur communiquant l'idéologie bourgeoise, les plus intelligents des enfants du peuple présente une autre gravité : il est dans le sens de l'« évolution démocratique » et il constitue une de ces mesures que l'esprit égalitaire régnant se plaît à approuver.

Si le socialisme doit être l'oeuvre de la classe ouvrière parvenue à sa maturité, capable par conséquent de substituer ses institutions et ses idées propres aux institutions et aux idées traditionnelles, il n'y a de pire danger que celui qui consiste à la retenir dans les institutions et les idées des classes dominantes.

C'est par une séparation totale avec le monde bourgeois, que le monde ouvrier peut arriver à dégager ses conceptions nouvelles de la morale et du droit... On peut dire que c'est là le but suprême de la démocratie : alimenter l'élite décadente des classes bourgeoises par l'élite ouvrière.

Les classes ne sont pas des mondes clos, sans portes, ni fenêtres. Elles ne sont fermées que pour la majorité de leurs membres, mais elles restent ouvertes pour une minorité qui parvient toujours à passer d'une classe à une autre. C'est par ces ouvertures que la bourgeoisie peut attirer à elle les plus vigoureux des fils du prolétariat et se les assimiler.

Elle ne s'infuserait pas seulement un sang nouveau, elle enlèverait encore au prolétariat les meilleurs de ses chefs. C'est un fait d'expérience que les ouvriers parvenus à un certain degré d'éducation acquièrent facilement la mentalité bourgeoise.

Qui ne connaît quelque secrétaire de syndicat, dont l'effort de pensée a été réel mais à qui ce passage dans la « civilisation » bourgeoise a donné le mépris de la « barbarie » ouvrière ?

Ce sont ces ouvriers, gorgés de science indigeste et élevés à l'école de la bourgeoisie, qui deviennent plus ou moins inconsciemment les alliés de la classe ennemie. »
(H. Lagardelle , L'école et le prolétariat publié dans Socialisme ouvrier, Giard et Brière, 1911, p. 73-74)

Au lieu d'imposer un rapport de forces, de type classe contre classe, et de justifier sa domination par son origine, l'école affirme que ce qu'elle représente est universel et que chacun, s'il s'en montre digne, peut le partager.

En se réclamant de valeurs générales et égalitaires qui masquent sa suprématie de fait, elle compte désamorcer les luttes de classe. Elle s'affirme d'autant plus comme une classe qu'elle renonce à être une caste.

En se proclamant ouverte, elle parvient à imposer son idéologie que chacun accepte dans l'espoir de la rejoindre.

Le risque d'une promotion collective des opprimés grâce au savoir est détourné par l'offre de réussite individuelle qui implique l'intégration et l'acceptation des valeurs dominantes (qui ne sont bien entendu que les valeurs de la classe dominante).

Il s'agit d'offrir à chacun une possibilité d'accéder aux échelons les plus élevés de la société inégalitaire et non d'aider les classes dominées à développer des savoirs qui les aideraient à changer la nature inégalitaire du système social.

L'école publique financée grâce aux impôts payés majoritairement par le prolétariat et la petite bourgeoisie et prise en charge par l'État est donc une aubaine pour la bourgeoisie industrielle.

Celle-ci est également satisfaite du nouvel encadrement des masses prolétaires, issues du monde rural.

L'école va exalter la famille mononucléaire, comme cellule de base de la société où s'apprennent et s'exercent les mêmes valeurs : le respect de l'autorité, le devoir, la solidarité...

L'éclatement de la société rurale et la précarité des conditions de vie et de travail dans les faubourgs des grandes villes mettaient en cause les structures traditionnelles et laissaient présager des liens familiaux et des modes de relation entre parents et enfants d'un type nouveau, surtout si les enfants participaient eux-aussi à la production.

La bourgeoisie s'inquiétait que la prise en charge des enfants puisse se faire dans un cadre plus collectif que celui de la famille telle que définie par la bourgeoisie, débouchant alors sur le sentiment d'une autre appartenance qu'à cette cellule de base où se transmettaient, en même temps que le patrimoine matériel, le patrimoine spirituel: le sens de la propriété et des valeurs individualistes.

Là encore l'école joue le rôle d'éducateur au service des valeurs dominantes.

La gratuité est ici indispensable à la mise en place rapide et l'efficacité de l'école laïque.

Cependant, cette gratuité ne s'applique qu'au primaire et Jules Ferry est très clair : «-- Le devoir de l'État, en matière d'enseignement primaire est absolu, il le doit à tous. Pourquoi ?

Parce que ce devoir est mesuré par l'intérêt social lui-même... Mais quand on arrive à l'enseignement secondaire, il n'y a pas la même nécessité et la prétention ne serait plus admissible... Ceux-là seuls y ont droit qui sont capables de recevoir et qui, en le recevant peuvent rendre service à la société. »

Par « rendre service à la société » il faut naturellement comprendre: à la production.

Jules Ferry est donc absolument l'agent de la bourgeoisie industrielle. On peut même noter sa bonne compréhension de la lutte des classes que la bourgeoisie ne nie pas. Au contraire, elle y prend part activement et se donne des armes pour lutter.



Le mouvement ouvrier en France et l'école publique

L'opinion des masses populaires sur l'école a dépendu et dépend historiquement du niveau de conscience qu'elles ont.

Si en Allemagne par exemple les masses sont toujours méfiées du contenu et de la pratique de l'école publique, il n'y a jamais eu en France de tradition solide de lutte contre l'école comme principe séparé de la vie quotidienne des masses.

Une raison pour cela est la prédominance de la gauche parlementaire, qui refuse le conflit avec l'Etat et accepte que l'école soit un lieu de rencontre entre l'Etat et les masses.

De la même manière que la gauche parlementaire considère l'armée comme une armée potentiellement « populaire », l'école est considéré comme potentiellement émancipatrice.

Dans cette perspective, qu'on est en droit de qualifier de réformiste, l'école primaire de 1881 et, plus généralement, l'ensemble de l'appareil primaire-professionnel français représente une conquête importante du mouvement ouvrier et démocratique. S'il y a lutte, c'est pour le défendre.

Le pendant de cette perspective réformiste est la vision inversée du mouvement anarchiste. Il est intéressant de voir que le mouvement anarchiste a posé les bonnes questions dans ses positions contre la gauche parlementaire, mais a agi de la manière inverse à ce qu'il aurait du faire.

Au lieu de partir du point de vue le plus avancé du syndicalisme de lutte de classe et de vouloir une école du peuple par le peuple, organisée en-dehors de l'école et de l'Etat tellement critiqué, les anarchistes ont cédé à l'opportunisme et ont décidé d'accepter l'école, pour la critiquer de l'intérieur.

Cela n'est pas le point de vue communiste. Le point de vue communiste est que les masses s'éduquent elles-mêmes, voilà pourquoi les armées rouges des pays communistes ont depuis Mao Zedong combiné la lutte armée, l'éducation et la production.

Un enseignement de la révolution culturelle chinoise est également que : « parents et enfants s'éduquent mutuellement. »

Les syndicalites de type anarchiste (anarcho-syndicalistes et syndicalistes révolutionnaires) ont donc cédé devant la tâche de construire de nouvelles formes d'organisations populaires, pour une nouvelle école.

De la même manière qu'il n'a jamais rien compris au mouvement des soviets, des conseils, des comités populaires, le mouvement anarchiste, même lorsqu'il a eu une perspective syndicale, a reculé devant les nécessités de construire des organes populaires cassant la séparation bourgeoise entre éducateurs et éduqués.

Il ne s'agit pas seulement que l'éducateur soit sympathique ou non autoritaire. Il doit exister une dynamique, un échange, une dialectique entre les personnes instruisant, éduquant, et les personnes s'instruisant, s'éduquant.

Au lieu de cela le courant anarcho-syndicaliste a accepté les règles de l'Etat, courant culminant jusqu'à aujourd'hui dans le courant « l'école émancipée » unissant trotskystes et anarchistes de l'éducation nationale.

Quant aux autres anarchistes, ils se sont contentés de prôner les robinsonnades, l'école buissonnière.



Le mouvement ouvrier s'est donc retrouvé désarmé devant l'école. Aujourd'hui encore les couches populaires sont obséquieuses devant les personnes diplômées, le professeur a un très haut statut social.

Tout cela en raison du mouvement d'acceptation de l'Etat, selon qui la diffusion de la science et l'élévation continue des connaissances chez les classes exploitées constituerait la garantie d'atteindre le socialisme.

Le service public est idéalisé comme étant « au-dessus des classes. » La laïcité est ainsi au-dessus des classes, les sciences aussi. C'est le point de vue de la franc-maçonnerie, des républicains bourgeois.

C'est une vision mécaniste des choses qui pousse à l'inaction des exploités qui n'ont qu'à attendre la liberté offerte par la bourgeoisie pour lentement s'éduquer et espérer un jour un monde meilleur.

Les révisionnistes et les réformistes comprennent en fait l'école uniquement comme un précieux conservatoire de la science (à la seule condition qu'il s'agisse d'une école rationnelle, laïque) et ne saisissent pas l'école comme un lieu de reproduction de l'idéologie bourgeoise.

Ils ne posent pas la question du pouvoir (qui dirige l'école ? Qui décide des programmes ? Qui les met en oeuvre ? Comment?

Ce point de vue nie l'importance du contrôle bourgeois sur le contenu et les modes d'instruction (ce qui la transforme en une éducation du peuple par la bourgeoisie) et fait de l'école mise en place par la bourgeoisie et son État, une « école du peuple. » Ce qu'elle n'est pas.

L'école où vont les masses ne fait pas une école des masses. Une école des masses ne peut être qu'une école où les masses ont le pouvoir. Ou comme le résume le slogan de la révolution culturelle chinoise : « Que les masses s'éduquent elles-mêmes! »

Les réformistes nient l'existence et l'initiative politique des masses qui seraient réduites à choisir entre les vues de deux fractions de la bourgeoisie : l'école religieuse ou l'école laïque, au lieu d'exiger une instruction des masses par les masses !

La vérité est que l'école publique est née comme produit de l'alliance de la gauche parlementaire avec la bourgeoisie industrielle.

L'école de Jules Ferry est une caserne en modernisation permanente pour éduquer les masses selon les besoins des classes dominantes.

L'instauration de l'instruction de La Marseillaise en 2005 est un exemple magnifique de l'idéologie dominant dans l'école: l'idéologie de la nation et de l'Etat comme soi-disant « au-dessus des classes. »

L'Internationale Communiste de Lénine et Staline a très bien analysé cela.

L'Internationale Communiste a vu que le culte de l'Etat national était la manifestation de l'opportunisme et de la social-démocratie.

Ce culte de l'Etat existant cette « statolâtrie » comme principe et guide pour l'action réformiste, a toujours eu comme corollaire, de fait ou explicitement, une stratégie de conquête des « pouvoirs publics » à partir des échelons inférieurs de l'appareil d'État (municipalités) et d'organisation de réseaux parallèles de production et de distribution (coopératives).

C'est-à-dire le réformisme petit-bourgeois, qui ne veut pas taper haut et fort, renverser l'Etat, mais renforcer dans celui-ci les structures sociales au service de la petite-bourgeoisie.

Le réformisme parlementaire s'appuie donc pour se justifier sur l'interprétation positive de la période bourgeoise des Lumières faite par Blanqui et la IIde internationale en général, qu'il associe au positivisme le plus éhonté!

Un peu d'Auguste Compte, de Durkheim, de socialisme à la prussienne (comme Lassalle l'ami de Bismarck), de franc-maçonnerie...

Bref: Jean Jaurès, et sa vision réformiste de la conquête de l'école, de l'armée, de l'Etat, le socialisme des petits pas.

Tout le point de vue opportuniste quant à l'école est fondé sur ce réformisme bourgeois des sociaux-démocrates, qui s'allient à l'universalisme bourgeois au nom de la »démocratisation » des savoirs qui ne masque en fait que l'esclavage intellectuel des masses, l'asservissement de leur culture par l'Etat bourgeois.

Ou comme le dit le programme de la CGT à son XIVème congrès, en septembre 1919, dans l'écho de la révolution d'octobre 1917:

« 1. Le congrès constate la faillite de la classe bourgeoise en matière d'enseignement.

2. Il déclare périmé le système d'organisation de l'enseignement de la IIIème République, système qui n'a su que substituer au dogme de l'Église, celui de l'État, et qui s'est préoccupé simplement de maintenir la classe ouvrière sous la tutelle de la classe bourgeoise. »

Et la résolution unanime du IVème congrès de l'Internationale des Travailleurs de l'Enseignement de 1926, généré par l'Internationale Communiste :

« Les écoles des Etats bourgeois, religieuses ou laïques, répandent chez les enfants des prolétaires une idéologie et une morale conformes au maintien de la domination politique, économique et morale de la classe capitaliste. »

Le point de vue communiste sur l'école

Karl Marx, dans la Critique du programme de Gotha, est très clair : « Une " éducation du peuple par l'Etat " est chose absolument condamnable. »

Et lorsqu'il parle de la Prusse, il dit: « Il faut proscrire de l'école au même titre toute influence du gouvernement et de l'Eglise. Bien mieux, dans l'Empire prusso-allemand (et qu'on ne recoure pas à cette échappatoire fallacieuse de parler d'un certain " Etat de l'avenir " nous avons vu ce qu'il en est), c'est au contraire l'Etat qui a besoin d'être éduqué d'une rude manière par le peuple. »



Pourquoi cela?

Car l'histoire est l'histoire de la lutte des classes, et le prolétariat a d'autres valeurs théoriques et pratiques que la bourgeoisie.

Une éducation séparant travail manuel et intellectuel, villes et campagnes, éducateurs et éduqués, ne correspond à pas au socialisme, aux désirs et aux exigences des masses populaires.

L'école publique de l'Etat bourgeois ne correspond en rien aux besoins des masses.

La laïcité selon la bourgeoisie, c'est simplement la lutte contre l'aristocratie française, et rien d'autre.

Pour le reste, l'Etat et la bourgeoisie s'accommodent très bien des religions empêchant les masses de se rebeller, tant que la patrie passe avant Dieu.

Y a-t-il des cours critiquant les religions à l'école? Non. Alors qu'une vraie laïcité l'exigerait.

La laïcité bourgeoise est le simple cache-sexe d'une école se prétendant « au-dessus des classes » de la même manière que l'armée le fait.

L'exclusion en France des élèves portant des signes religieux « ostentatoires » ne concerne pas tant les religions que la patrie : l'école c'est l'union de la patrie. Donc tout le monde doit être pareil, dans un uniforme si ce n'est porté, au moins présent dans toutes les esprits.

Pas de Basques, pas de Corses, pas de BretonNEs, pas de membres des couches dominantes et des couches dominées, pas d'hommes ni de femmes, pas d'immigréEs: seulement des Français fusionnant avec leur nation.



L'école demande le même engagement que l'armée. De la même manière que l'armée rouge s'oppose à l'armée bourgeoise, l'école rouge s'oppose à l'école bourgeoise.

Ainsi, l'école de Ferry a été mis en place au moment où les cartes de France, comprenant l'Alsace-Moselle avec des drapeaux tricolores, annonçaient déjà la guerre impérialiste de 1914-1918.

Les « bataillons scolaires » de Jules Ferry étaient d'ailleurs dotés de fusils d'exercice avec lesquels ils s'entraînaient, défilaient et faisaient du maniement des armes de manière à réduire les cinq années d'un service militaire qui soustrait une main-d'oeuvre jeune et forte du marché du travail.

Ce « bourgeois et prolétaires de France, unissez-vous ! » est à l'opposé de la devise des communistes : « Prolétaires, peuples opprimés de tous les pays, unissez-vous ! »

La première devise de la Ligue de l'enseignement a été « Pour la Patrie, par le livre et par l'épée. »

Celle de l'école rouge sera : « Pour le peuple, par le peuple en armes. »



La plus grande exprience communiste concernant l'école : la révolution culturelle en Chine populaire

Le mouvement des masses en Chine populaire lors de la révolution culturelle en Chine populaire a éclairé d'une manière nouvelle la pratique révolutionnaire d'une école populaire.

La révolution culturelle a rejeté les connaissances livresques et académiques, les diplômes fondés sur les examens, la sélection.

L'école est devenue le lieu de passage de tout individu. Chaque individu doit connaître la société dans son ensemble, des villes aux champs, chaque individu doit s'exercer et développer ses facultés manuelles comme intellectuelles.

L'école a été le principal moyen de briser les contradictions entre le travail manuel et le travail intellectuel, entre la ville et la campagne. L'école a été ainsi à la source même de la pratique communiste.

L'école révolutionnaire croit en chaque individu et amène chaque individu à croire en lui-même. Il n'y a plus de sélection à un moment donné, où les individus sont condamnés à faire soit tel travail, soit tel autre travail.

L'école révolutionnaire de la Chine populaire a rejeté la prétendue neutralité des sciences, et bien montrer les voies de garage ou les contributions au capitalisme qu'amènent les sciences bourgeoises, c'est-à-dire les interprétations bourgeoises des sciences. Servir le peuple a été le critère fondamental pour juger de la valeur des choses.



En fait, l'école de la révolution culturelle a lutté contre une école de formation de gestionnaires, et pour que chaque personne connaisse les bases de la révolution, pour pouvoir lui-même se révolutionner et contribuer à la révolution.

Dans ce mouvement, les parents éduquent les enfants, mais les enfants éduquent les parents. Chaque individu apprend à compter sur ses propres forces d'abord, pour mieux participer à la collectivité, à apprendre à celle-ci et apprendre de celle-ci.

Imaginons demain qu'en France les collèges et lycées appartiennent aux collégiens et aux lycéens, qui pourraient l'utiliser en dehors des cours pour leurs propres activités!

Imaginons que ces cours ne s'appuient plus sur les livres, mais sur les échanges entre les professeurs et les élèves. Il n'y aurait plus de cours magistraux, mais des cours fondés sur des exemples, sur des expériences, sur la pratique.

Vaincre la société bourgeoise, qui n'a pas besoin de politique car elle n'a pas besoin de révolution, c'est lutter pour une école de ce type.

L'école, l'armée, l'Etat, sont une seule et même chose : le peuple en armes en mouvement pour son émancipation.

Pour le PCMLM, mai 2005.