Manuel
d'économie politique
maoïste
1.La communauté
primitive
L'être humain
est apparu au début de la période actuelle de l'histoire
de la Terre, dite période quaternaire, qui compte selon
les savants un peu moins d'un million d'années.
Dans différentes
régions d'Europe, d'Asie et d'Afrique au climat chaud
et humide vivait une espèce très évoluée
de singes anthropomorphes dont l'être humain est descendu
à la suite d'une longue évolution qui passe par
toute une série de stades intermédiaires.
L'apparition de
l'être humain a marqué un tournant décisif
dans le développement de la nature.
Ce tournant s'est
opéré lorsque les ancêtres de l'être
humain se sont mis à confectionner des instruments de
travail.
L'être humain
commence à se distinguer foncièrement de l'animal
au moment où il se met à fabriquer des instruments,
aussi simples soient-ils.
On sait que les
singes se servent souvent d'un bâton ou d'une pierre pour
abattre les fruits de l'arbre ou se défendre quand ils
sont attaqués.
Mais jamais aucun
animal n'a confectionné même l'outil le plus primitif.
L'être humain a profité pour cette évolution
de ses pouces. La simple existence de ce doigt a permis à
son évolution de continuer, par la fabrication et l'utilisation
d'outils modifiant ses conditions de vie.
De fait, les conditions d'existence incitaient les ancêtres
de l'être humain à fabriquer des instruments.
L'expérience
leur suggéra qu'ils pouvaient utiliser des pierres aiguisées
pour se défendre en cas d'attaque ou pour chasser.
Ils se mirent à
confectionner des outils de pierre en frappant une pierre contre
une autre. Ceci marque le début de la fabrication des
outils.
Et c'est par la
fabrication des outils que le travail a commencé.
Grâce au travail,
les extrémités des membres antérieurs du
singe anthropomorphe sont devenues les mains humaines, ainsi
qu'en témoignent les restes du pithécanthrope (être
intermédiaire entre le singe et l'être humain) trouvés
par les archéologues.
Le cerveau du pithécanthrope
était beaucoup moins développé que celui
de l'être humain, mais déjà sa main se distinguait
relativement peu de la main humaine. La main est donc l'organe,
mais aussi le produit du travail.
A mesure que les
mains se déchargeaient de tout emploi autre que le travail,
les ancêtres de l'être humain s'habituaient de plus
en plus à la station verticale. C'est quand les mains
furent prises par le travail que s'accomplit le passage définitif
à la station verticale, ce qui joua un rôle très
important dans la formation de l'être humain.
Tant que l'humanité
ne s'était pas entièrement détachée
du règne animal, les êtres humains vivaient en troupeaux,
en hordes, comme leurs ancêtres immédiats.
Par la suite, quand
une économie primitive se fut constituée et que
la population eut augmenté peu à peu, la société
s'organisa en " gentes. "
Ce terme latin désigne
la communauté réunissant des membres unis par les
liens du sang.
Seuls des êtres humains unis par les liens du sang pouvaient,
à cette époque, se grouper pour travailler ensemble.
Le caractère primitif des instruments de production ne
permettait au travail collectif de s'exercer que dans le cadre
restreint d'un groupe d'individus liés entre eux par la
consanguinité et la vie en commun.
Ces regroupements
ne proviennent pas d'un instinct grégaire, mais de la
nécessité d'agir en communauté pour maintenir
son existence, face à la faim, aux bêtes féroces,
aux caprices de la nature. Il n'était pas possible de
vivre isolément.
En fait, à
la différence des animaux vivant en collectivité
en raison de leurs instincts, comme les abeilles, il n'existe
pas de mode spécifique d'organisation de la communauté
humaine.
Les institutions sociales n'existent que pour maintenir la survie
du groupe.
Ainsi, le lien entre
les premiers êtres humains a été le travail
organisé collectivement, condition première de
leur survie.
C'est en commun
que les êtres humains fabriquaient des outils, en commun
qu'ils les mettaient en uvre.
Les êtres
humains vivaient en groupes comptant au plus quelques dizaines
de membres : un nombre plus élevé d'individus n'aurait
pu trouver à se nourrir ensemble.
Le travail, dans
la société primitive, reposait sur la coopération
simple. La coopération simple, c'est l'emploi simultané
d'une quantité plus ou moins grande de force de travail
pour exécuter des travaux du même genre.
La coopération simple permettait déjà aux
êtres humains primitifs de s'acquitter de tâches
qu'il aurait été impossible à un être
humain seul d'accomplir (par exemple, la chasse aux grands fauves).
Le niveau extrêmement
bas des forces productives imposait la division d'une maigre
nourriture en parts égales.
Toute autre méthode
de partage était impossible, les produits du travail suffisant
à peine à satisfaire les besoins les plus pressants
: si un membre de la communauté avait reçu une
part supérieure à celle de chacun, un autre aurait
été condamné à mourir de faim.
Ainsi la répartition
égalitaire des produits du travail commun était
une nécessité.
Autrement dit le
travail de l'être humain primitif ne créait aucun
excédent par rapport au strict nécessaire, autrement
dit aucun produit supplémentaire ou surproduit. Il ne
pouvait donc exister ni classes ni exploitation.
La propriété
sociale ne s'étendait néanmoins qu'à de
petites communautés plus ou moins isolées les unes
des autres.
La gens s'est d'abord
composée de quelques dizaines d'individus unis par les
liens du sang.
Chacune de ces gentes
vivait repliée sur elle-même.
L'être humain
primitif considérait d'ordinaire comme un ennemi quiconque
n'était pas lié à lui par la parenté
consanguine et la vie en commun au sein de la gens.
Ainsi que l'a fait
observer Lénine, le caractère social de la production
n'englobait que les membres d'une même communauté.
Dans les groupes
des sociétés primitives, tout était ainsi
partagé. La cueillette et la chasse étaient effectuées
collectivement, à l'aide des instruments les plus simples.
Les fruits du travail
étaient consommés en commun. Les individus ne vivaient
pas séparés de leur groupe.
Les plus anciennes
habitations connues sont toutes caractérisées par
des habitations collectives, où les chambres, la cuisine,
les entrepôts sont collectifs.
Ni la monogamie
ni la polygamie n'existaient, car les individualités n'existaient
pas en tant que tel. La sexualité était libre.
Les ossements des individus décédés étaient
jetés dans des mausolées communs aux décédés
de tout le groupe.
Ainsi, dans la communauté
primitive, la propriété commune des moyens de production
constitue la base des rapports de production.
La propriété
commune correspond alors au caractère des forces productives,
les instruments de travail étant trop primitifs pour permettre
aux êtres humains de lutter isolément contre les
forces de la nature et les bêtes féroces.
Ce type primitif
de la production collective ou coopérative, écrit Marx, fut, bien entendu, le résultat
de la faiblesse de l'individu isolé, et non de la socialisation
des moyens de production.
(Brouillon d'une lettre de Marx à Véra Zassoulitch)
Avec le temps, l'effectif
du groupe augmenta et atteignit plusieurs centaines d'individus;
l'habitude de la vie en commun se développa; les avantages
du travail collectif incitèrent de plus en plus les êtres
humains à rester ensemble.
Morgan qui a étudié
la vie des primitifs, décrit le régime gentilice
encore en vigueur chez les Indiens Iroquois au milieu du siècle
dernier.
Les principales
occupations des Iroquois étaient la chasse, la pêche,
la cueillette des fruits et la culture.
Le travail était
divisé entre les hommes et les femmes.
La chasse et la
pêche, la fabrication des armes et des outils, le défrichement,
la construction des cases et les travaux de fortification étaient
le lot des hommes.
Les femmes s'acquittaient
des principaux travaux des champs, levaient et rentraient la
récolte, cuisaient la nourriture, confectionnaient les
vêtements et les ustensiles d'argile, cueillaient les fruits
sauvages, les baies et les noisettes, récoltaient les
tubercules.
La terre était
la propriété de la gens.
Les gros travaux
: coupe du bois, essouchage, grandes chasses, étaient
exécutés en commun.
Les Iroquois vivaient
dans ce qu'ils appelaient de " grandes maisons " pouvant
abriter vingt familles et plus.
Le groupe était
au cur de l'organisation sociale.
Lors d'affrontements
entre groupes, les prisonniers étaient souvent victimes
du cannibalisme, en raison de la difficulté de se procurer
de la nourriture.
Parfois des prisonniers
étaient intégrés dans le groupe, pouvaient
se marier tout en étant destinés à être
dévorés plus tard.
Cette politique
de destruction des autres groupes en raison de la nécessité
de survivre a été un des moteurs du développement
du patriarcat.
Cette organisation
de la destruction totale et de l'utilisation systématique
de la force s'est par la suite maintenue en tant qu'expérience
historique et culture patriarcale.
Le chauvinisme national et racial est une survivance des murs
misanthropiques propres à la période du cannibalisme.
L'antisémitisme, comme forme extrême du chauvinisme
racial, est la survivance la plus dangereuse du cannibalisme.
(Staline : réponse à une question de l'Agence télégraphique
juive d'Amérique sur l'antisémitisme, 12 janvier
1931)
Le patriarcat n'est
pas prédominant dans les premières sociétés
primitives, il ne le devient qu'après un certain développement
social.
Au premier stade
du régime gentilice, la femme occupait une situation prépondérante,
ce qui découlait des conditions de la vie matérielle
d'alors.
Les communautés
primitives sont caractérisées par le matriarcat.
La chasse à
l'aide d'instruments des plus primitifs, qui était alors
l'affaire des hommes, ne pouvait assurer entièrement l'existence
de la communauté, ses résultats étant plus
ou moins aléatoires.
Dans ces conditions,
les formes même embryonnaires de la culture du sol et de
l'élevage (domestication des animaux) acquéraient
une grande importance économique. Elles étaient
une source de subsistance plus sûre et plus régulière
que la chasse.
Or, la culture et
l'élevage primitifs étaient surtout le lot des
femmes restées au foyer pendant que les hommes allaient
à la chasse.
De plus, alors que
les sociétés primitives ne produisaient que de
quoi survivre, la femme était capable d'engendrer. Elle
seule était capable de produire.
La femme était
par conséquent au centre de l'organisation sociale.
C'est par la mère
que s'établissait la filiation. C'était la gens
matriarcale, la prédominance du droit maternel.
Les représentations religieuses, dont le plus ancien témoignage
est la " Vénus de Willendorf ", sont des expressions
de cultes de déesses-mères.
Dans l'Inde d'énormes
monuments représentant des sexes féminins et masculins
seront construits ; le Kama-Sutra est culturellement directement
en liaison avec le communisme primitif.
Toute la culture
féminine du matriarcat sera sévèrement combattue
au moment du passage au patriarcat. L'Islam a été
le principal vecteur idéologique de ce passage dans les
régions orientales.
L' être humain primitif dépendait dans une très
large mesure de la nature environnante; il était complètement
écrasé par les difficultés de l'existence,
de la lutte contre la nature.
Ce n'est qu'avec
une extrême lenteur qu'il est parvenu à dompter
les forces de la nature, par suite du caractère rudimentaire
de ses instruments de travail.
Une pierre grossièrement
taillée et un bâton ont été ses premiers
outils. Ils continuaient en quelque sorte artificiellement les
organes de son corps, la pierre prolongeant le poing et le bâton
le bras tendu.
Au cours des millénaires,
les êtres humains ont appris en quelque sorte à
tâtons, par une expérience très lentement
accumulée, à fabriquer les instruments les plus
simples, propres à frapper, à couper, à
creuser et à exécuter les autres actions peu compliquées
auxquelles se réduisait alors presque toute la production.
La découverte
du feu a été une grande conquête de l'être
humain primitif en lutte contre la nature. Il a d'abord appris
à se servir du feu allumé fortuitement : il voyait
la foudre enflammer un arbre, il observait les incendies de forêt
et les éruptions des volcans.
Le feu obtenu par
hasard était longuement et soigneusement entretenu. Ce
n'est qu'après des millénaires que l'être
humain perça le secret de la production du feu.
A un stade plus avancé de la fabrication des instruments,
il nota que le feu s'obtenait par le frottement, et il apprit
à le produire.
La découverte et l'usage du feu permirent à l'humanité
de dominer certaines forces de la nature. L'être humain
primitif se détacha définitivement du règne
animal.
La découverte
du feu modifia profondément les conditions de sa vie matérielle.
D'abord, le feu
lui servit à préparer les aliments et à
en augmenter ainsi le nombre : il put désormais se nourrir
de poisson, de viande, de racines et de tubercules féculents,
etc., en les faisant cuire.
Ensuite, le feu
commença à jouer un rôle important dans la
fabrication des instruments de production; d'autre part il protégeait
du froid, ce qui permit à l'humanité de se répandre
sur une partie plus étendue du globe. Enfin, il permettait
de mieux se défendre contre les bêtes féroces.
Longtemps la chasse
resta la principale source de moyens d'existence.
Elle procurait les
peaux dont ils se vêtaient, les os dont ils faisaient des
outils, une nourriture carnée qui influa sur le développement
ultérieur de l'organisme humain, et surtout du cerveau.
A mesure qu'il se
développait physiquement et intellectuellement, l'être
humain devenait capable de produire des instruments de plus en
plus perfectionnés.
Il se servait pour
chasser d'un bâton à bout aiguisé.
Puis il fixa à
ce bâton une pointe de pierre.
Il eut ensuite des
lances à pointe de pierre, des haches, des racloirs, des
couteaux, des harpons et des crochets de pierre, instruments
qui permirent de chasser le gros gibier et de développer
la pêche.
Cette première forme sociale de l'humanité permet
le développement des échanges entre individus.
C'est à ce
moment qu'apparaît et se développe le langage articulé.
Le langage est un moyen, un instrument à l'aide duquel
les êtres humains communiquent entre eux, échangent
leurs idées et parviennent à se faire comprendre.
L'échange
des idées est une nécessité constante et
vitale; sans elle les êtres humains ne pourraient se concerter
pour lutter ensemble contre les forces de la nature, la production
sociale elle-même ne pourrait exister.
Le travail et le
langage articulé ont exercé une influence déterminante
sur le perfectionnement de l'organisme de l'être humain,
sur le développement de son cerveau.
L'utilisation de
protéines animales dans l'alimentation, permise par la
découverte du feu, fut une condition nécessaire
à ce développement.
Les progrès
du langage sont étroitement solidaires des progrès
de la pensée.
Dans le processus
du travail, l'être humain étendait le champ de ses
perceptions et de ses représentations, il perfectionnait
ses organes des sens.
Il développait
sa conscience.
Ainsi, le travail
est
la condition fondamentale
première de toute vie humaine, et il l'est à un
point tel que, dans un certain sens, il nous faut dire : le travail
a créé l'être humainlui-même.
(F. Engels : Le rôle du travail dans la transformation
du singe en être humain)
La pierre est restée
très longtemps la principale matière dont on faisait
les outils.
On a donné
le nom d'âge de la pierre à l'époque où
prédominent les instruments de pierre, et qui s'étend
sur des centaines de milliers d'années.
Plus tard l'être
humain apprit à fabriquer des outils en métal,
d'abord en cuivre (mais le cuivre, métal mou, ne pouvait
être largement utilisé pour la fabrication d'outils),
puis en bronze (alliage de cuivre et d'étain) et ensuite
en fer.
A l'âge de
la pierre succède l'âge du bronze, puis l'âge
du fer.
Les traces les plus anciennes de la fonte du cuivre remontent,
dans l'Asie antérieure, aux cinquième et quatrième
millénaires avant notre ère; dans l'Europe méridionale
et centrale, aux troisième et deuxième millénaires.
Les premiers vestiges
du bronze datent en Mésopotamie du quatrième millénaire
avant notre ère.
Les traces les plus
anciennes de la fonte du fer ont été découvertes
en Egypte et en Mésopotamie et se situent 2.000 ans avant
notre ère. En Europe occidentale, l'âge du fer commence
environ 1.000 ans avant notre ère.
L'invention de l'arc
et des flèches marqua une importante étape dans
l'histoire du perfectionnement des instruments de travail. La
chasse put fournir en quantités accrues les moyens d'existence
indispensables.
Les progrès
de la chasse donnèrent naissance à l'élevage
primitif. Les chasseurs se mirent à domestiquer les animaux
: le chien d'abord, puis la chèvre, les bovidés,
le porc et le cheval.
L'agriculture primitive
constitua un nouveau progrès considérable dans
le développement des forces productives de la société.
En récoltant
les fruits et les racines, les êtres humains primitifs
avaient remarqué des milliers de fois, sans comprendre
pourquoi, que les graines tombées à terre se mettaient
à germer.
Mais un jour arriva
où leur esprit établit un rapport entre ces faits,
et ils commencèrent à cultiver les plantes. Ce
fut le début de l'agriculture.
Longtemps les procédés
de culture restèrent des plus primitifs.
On ameublissait
le sol au moyen d'un simple bâton, et plus tard, d'un bâton
à bout recourbé : la houe. Dans les vallées
des cours d'eau, on jetait les semences sur le limon déposé
par les crues.
La domestication
des animaux permit d'utiliser le bétail comme force de
trait.
Par la suite, quand
les êtres humains apprirent à fondre les métaux,
l'emploi d'outils en métal rendit le travail agricole
plus productif. L'agriculture reçut une base plus solide.
Les tribus primitives devinrent progressivement sédentaires.
Cela est particulièrement dans les régions de l'humanité
profitant de larges fleuves (Mésopotamie, région
de l'Indus).
La loi économique
fondamentale du régime de la communauté primitive
consiste à assurer aux êtres humains les moyens
d'existence nécessaires à l'aide d'instruments
de production primitifs, sur la base de la propriété
communautaire des moyens de production, par le travail collectif
et par la répartition égalitaire des produits.
Le développement
des instruments de production entraîne la division du travail
dont la forme la plus simple est la division naturelle du travail
d'après le sexe et l'âge : entre les hommes et les
femmes, entre les adultes, les enfants et les vieillards.
L'explorateur russe
Mikloukho-Maklaï, qui a étudié la vie des
Papous de la Nouvelle-Guinée dans la seconde moitié
du dix-neuvième siècle, décrit ainsi le
travail collectif dans l'agriculture.
Quelques hommes
alignés enfoncent profondément des bâtons
pointus dans le sol, puis d'un seul coup soulèvent un
bloc de terre. Derrière eux, des femmes s'avancent à
genoux et émiettent à l'aide de bâtons la
terre retournée par les hommes. Viennent ensuite les enfants
de tout âge qui triturent la terre avec leurs mains.
Quand le sol a été
ameubli, les femmes pratiquent des trous à l'aide de bâtonnets
et y enfouissent les graines ou les racines des plantes. Le travail
a donc un caractère collectif et est divisé d'après
le sexe et l'âge.
Le communisme primitif
atteste que les activités humaines ne proviennent pas
d'instincts ou de caractères innés mais de l'expérience.
L'humanité
subit une évolution.
Il ne peut y avoir
de tendance innée à conduire une locomotive ou
à se servir d'une mitrailleuse, pour la seule raison que
dans les conditions naturelles dans lesquelles l'espèce
a effectué sa formation biologique aucune anticipation
ne pouvait exister quant à l'usage possible de ces outils.
(Malinowski, La sexualité et sa répression dans
les sociétés primitives)
Avec le développement
des forces productives, la division naturelle du travail s'affermit
et se stabilise.
La chasse est devenue
la spécialité des hommes, la récolte des
aliments végétaux et le ménage celle des
femmes, d'où un certain accroissement de la productivité
du travail.
Quand l'élevage
nomade (pâturage) et l'agriculture plus évoluée
(culture des céréales), qui étaient l'affaire
des hommes, commencèrent à jouer un rôle
déterminant dans la vie de la communauté primitive,
la gens matriarcale fut remplacée par la gens patriarcale.
Le triomphe du patriarcat
sur le matriarcat fut une nécessité historique
du développement des forces productives et des affrontements
inter-gentes, guidés par les hommes.
La prépondérance
passa à l'homme qui prit la tête de la communauté.
C'est par le père
que s'établit désormais la filiation.
Le mariage s'instaura
comme lien social nécessaire afin d'obliger les hommes
à assumer socialement leur progéniture, tâche
auparavant organisée collectivement.
La gens patriarcale a existé au dernier stade de la communauté
primitive.
La gens patriarcale ne marque pas encore l'avènement de
l'Etat. Le mode de production ne permet pas encore la formation
des classes sociales.
Dans la société
primitive, ...on ne trouve pas encore de traces de l'existence
de l'Etat.
Nous y voyons la
domination des usages, l'autorité, le respect, le pouvoir
dont jouissaient les chefs du clan ; nous voyons que ce pouvoir
était reconnu parfois aux femmes - la situation de la
femme ne ressemblait pas alors à celle qu'elle occupe
aujourd'hui, privée de tous droits et opprimée
- mais à cette époque nous ne voyons nulle part
d'hommes élevés à un rang spécial
et se distinguant des autres pour les gouverner et qui systématiquement,
continuellement dans les intérêts et les buts du
gouvernement, possédaient un appareil de contrainte, un
appareil de violence.
(V. Lénine : " De l'Etat ", L'Etat et la révolution)
Mais le passage
à la gens patriarcale marqua un premier pas dans la direction
de la formation des classes.
Avec le passage
à l'élevage et à la culture du sol apparut
la division sociale du travail : diverses communautés,
puis les différents membres d'une même communauté
commencèrent à exercer des activités productrices
distinctes.
La formation de
tribus de pasteurs a marqué la première grande
division sociale du travail.
En se livrant à
l'élevage, les tribus de pasteurs réalisèrent
d'importants progrès.
Elles apprirent
à soigner le bétail de manière à
obtenir plus de viande, de laine, de lait.
Cette première
grande division sociale du travail entraîna à elle
seule une élévation sensible pour l'époque
de la productivité du travail.
En fait toute base
d'échange fit longtemps défaut entre les membres
de la communauté primitive : le produit était tout
entier créé et consommé en commun.
L'échange
naquit et se développa d'abord entre les gentes et garda
durant une longue période un caractère accidentel.
La première
grande division sociale du travail modifia cette situation.
Les tribus de pasteurs
disposaient de certains excédents de bétail, de
produits laitiers, de viande, de peaux, de laine.
Mais elles avaient aussi besoin de produits agricoles.
A leur tour, les
tribus qui cultivaient le sol réalisèrent avec
le temps des progrès dans la production des denrées
agricoles.
Agriculteurs et
pasteurs avaient besoin d'objets qu'ils ne pouvaient produire
dans leur propre exploitation.
D'où le développement des échanges.
A côté
de l'agriculture et de l'élevage, d'autres activités
productrices prenaient leur essor.
Les êtres
humains avaient appris à fabriquer des récipients
en argile dès l'âge de la pierre.
Puis apparut le
tissage à la main.
Enfin, avec la fonte
du fer, il fut possible de fabriquer en métal des instruments
de travail (araire à soc de fer, hache de fer) et des
armes (épées de fer).
Il s'avérait
de plus en plus difficile de cumuler ces formes de travail avec
la culture ou l'élevage.
Peu à peu
se constitua au sein de la communauté une catégorie
d'hommes exerçant des métiers.
Les articles produits
par les artisans : forgerons, armuriers, potiers, etc., devenaient
de plus en plus des objets d'échange.
Les échanges
prirent de l'extension.
Ainsi le régime de la communauté primitive atteignit
son apogée à l'époque du droit maternel;
la gens patriarcale renfermait déjà les germes
de la désagrégation de la communauté primitive.
Les rapports de
production, dans la communauté primitive, correspondirent
jusqu'à une certaine époque au niveau de développement
des forces productives.
Il n'en fut plus de même au dernier stade de la gens patriarcale,
après l'apparition d'outils plus perfectionnés
(âge du fer).
Le cadre trop étroit
de la propriété commune, la répartition
égalitaire des produits du travail commencèrent
à freiner le développement des nouvelles forces
productives.
Jusque là,
l'effort collectif de quelques dizaines d'individus permettait
seul de cultiver un champ.
Dans ces conditions,
le travail en commun était une nécessité.
Avec le perfectionnement
des instruments de production et l'élévation de
la productivité du travail, une famille à elle
seule était déjà capable de cultiver un
terrain et de s'assurer les moyens d'existence dont elle avait
besoin.
L'amélioration
de l'outillage permit donc de passer à l'exploitation
individuelle, plus productive dans les nouvelles conditions historiques.
La nécessité
du travail en commun, de l'économie communautaire se faisait
de moins en moins sentir.
Si le travail en
commun entraînait nécessairement la propriété
commune des moyens de production, le travail individuel requérait
la propriété privée.
L'apparition de
la propriété privée est inséparable
de la division sociale du travail et du progrès des échanges.
Ceux-ci se firent au début par l'entremise des chefs des
communautés gentilices (anciens, patriarches) au nom de
la communauté qu'ils représentaient.
Ce qu'ils échangeaient
appartenait à la communauté.
Mais avec le développement
de la division sociale du travail et l'extension des échanges,
les chefs des gentes en vinrent peu à peu à considérer
le bien de la communauté comme leur propriété.
Le principal article
d'échange fut d'abord le bétail. Les communautés
de pasteurs possédaient de grands troupeaux de moutons,
de chèvres, de bovins.
Les anciens et les
patriarches, qui jouissaient déjà d'un pouvoir
étendu dans la société, s'habituèrent
à disposer de ces troupeaux comme s'ils étaient
à eux.
Leur droit effectif
de disposer des troupeaux était reconnu par les autres
membres de la communauté.
De la sorte le bétail,
puis peu à peu tous les instruments de production devinrent
propriété privée.
C'est la propriété commune du sol qui se maintint
le plus longtemps.
Le développement
des forces productives et la naissance de la propriété
privée entraîna la désagrégation de
la gens.
Celle-ci se décomposa
en un certain nombre de grandes familles patriarcales.
Du sein de ces dernières
se dégagèrent par la suite certaines cellules familiales
qui firent des instruments de production, des ustensiles de ménage
et du bétail leur propriété privée.
Avec les progrès
de la propriété privée les liens de la gens
se relâchaient. La communauté rurale, ou territoriale,
se substitua à la gens.
A la différence
de celle-ci, elle se composait d'individus qui n'étaient
pas forcément liés par la consanguinité.
L'habitation, l'exploitation
domestique, le bétail étaient la propriété
privée de chaque famille.
Les forêts,
les prairies, les eaux et d'autres biens restèrent propriété
commune, de même que, pendant une certaine période,
les terres arables.
Celles-ci, d'abord
périodiquement redistribuées entre les membres
de la communauté, devinrent à leur tour propriété
privée.
L'apparition de
la propriété privée et de l'échange
marqua le début d'un bouleversement profond de toute la
structure de la société primitive.
Les progrès
de la propriété privée et de l'inégalité
des biens déterminèrent chez les divers groupes
de la communauté des intérêts différents.
Les individus qui
exerçaient les fonctions d'anciens, de chefs militaires,
de prêtres mirent leur situation à profit pour s'enrichir.
Ils s'approprièrent une partie considérable de
la propriété commune.
Les hommes qui avaient
été investis de ces fonctions sociales se détachaient
de plus en plus de la grande masse des membres et formaient une
aristocratie dont le pouvoir se transmettait de plus en plus
par hérédité.
Les familles aristocratiques
devenaient aussi les plus riches, et la grande masse des membres
de la communauté tombait peu à peu, d'une manière
ou d'une autre, sous leur dépendance économique.
Grâce à
l'essor des forces productives, le travail de l'être humain,
dans l'élevage et l'agriculture, lui procura plus de moyens
d'existence qu'il n'en fallait pour son entretien.
Il devint possible de s'approprier le surtravail ou travail supplémentaire
et le surproduit ou produit supplémentaire, c'est-à-dire
la partie du travail et du produit qui excédait les besoins
du producteur.
Il était
donc profitable de ne pas mettre à mort les prisonniers
de guerre, comme auparavant, mais de les faire travailler, d'en
faire des esclaves.
Les esclaves étaient
accaparés par les familles les plus puissantes et les
plus riches.
A son tour, le travail
des esclaves aggrava l'inégalité existante, car
les exploitations utilisant des esclaves s'enrichissaient rapidement.
Avec les progrès
de l'inégalité des fortunes, les riches se mirent
à réduire en esclavage non seulement les prisonniers
de guerre, mais aussi les membres de leur propre tribu appauvris
et endettés.
Ainsi naquit la
première division de la société en classes
: la division en maîtres et en esclaves.
Ce fut le début
de l'exploitation de l'Homme par l'Homme, c'est-à-dire
de l'appropriation sans contre-partie par certains individus
des produits du travail d'autres individus.
Peu à peu
les rapports de production propres au régime de la communauté
primitive se désagrégeaient et étaient remplacés
par des rapports nouveaux, qui correspondaient au caractère
des nouvelles forces productives.
Le travail en commun
fit place au travail individuel, la propriété sociale
à la propriété privée, la société
gentilice à la société de classes.
Désormais
l'histoire de l'humanité sera, jusqu'à l'édification
de la société socialiste, l'histoire de la lutte
des classes.
Les idéologues
de la bourgeoisie prétendent que la propriété
privée a toujours existé.
L'histoire dément
cette assertion; elle atteste que tous les peuples sont passés
par le stade de la communauté primitive, qui est fondée
sur la propriété commune et ignore la propriété
privée.
De la même
manière, les idéologues de la bourgeoisie prétendent
que les conceptions religieuses sont inhérentes de toute
éternité à la conscience humaine.
C'est inexact. A
l'origine, l'être humain primitif, accablé par le
besoin et les difficultés de la lutte pour l'existence,
ne s'était pas encore entièrement détaché
de la nature environnante.
Il n'eut pendant
longtemps aucune notion cohérente ni de lui-même,
ni de ses conditions naturelles de son existence.
Ce n'est que peu
à peu qu'apparaissaient chez lui des représentations
très limitées et primitives sur lui-même
et sur les conditions de sa vie.
Il ne pouvait encore
être question de conceptions religieuses.
C'est seulement
par la suite que l'être humain primitif, incapable de comprendre
et d'expliquer les phénomènes de la nature et de
la vie sociale, se mit à peupler le monde d'êtres
surnaturels, d'esprits, de forces magiques. Il animait les forces
de la nature.
C'est ce qu'on a
appelé l'animisme (du latin animus : âme).
De ces notions confuses
sur l'être humain et la nature naquirent les mythes primitifs
et la religion primitive où l'on retrouvait l'égalitarisme
du régime social.
L'être humain,
qui ignorait la division en classes et l'inégalité
des fortunes dans la vie réelle, ne hiérarchisait
pas non plus le monde imaginaire des esprits. Il divisait ceux-ci
en esprits familiers et étrangers, favorables et hostiles.
La hiérarchisation
des esprits date de l'époque de la désagrégation
de la communauté primitive.
Ainsi, l'épopée
sumérienne de Gilgamesh retrace la défaite d'Ishtar,
déesse de la fécondité auparavant prédominante.
L'être humain
se sentait intimement lié à la gens; il ne se concevait
pas en dehors de celle-ci.
La gens exerçait
sur chacun de ses membres un pouvoir extraordinairement étendu.
Le culte des ancêtres communs était le reflet idéologique
de cet état de choses.
Il est significatif
que les mots " moi " et " mon " n'apparaissent
qu'assez tard dans la langue. Cette perspective s'est conservée
dans certaines communauté ayant préservé
des traits du communisme primitif. Dans les communautés
zazas du Kurdistan les individus parleront de leur langue comme
" notre langue ", de leur maison comme " notre
maison ".
La désagrégation
de la communauté primitive s'accompagna de la naissance
et de la diffusion de notions centrées sur la propriété
privée, ce dont témoignent éloquemment les
mythes et les idées religieuses.
A l'époque
où s'établirent les rapports de propriété
privée et où l'inégalité des fortunes
commença à s'affirmer, on prit l'habitude dans
de nombreuses tribus, de conférer un caractère
sacré (" tabou ") aux biens que s'étaient
attribués les chefs des familles riches (dans les îles
du Pacifique le mot " tabou " s'applique à tout
ce qui est frappé d'interdiction, soustrait à l'usage
général).
Avec la désagrégation
de la communauté primitive et l'apparition de la propriété
privée, l'interdit religieux consacra les nouveaux rapports
économiques et l'inégalité des fortunes.
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