Manuel
d'économie politique
maoïste
3.Le mode de production
féodal
L'avènement
de la féodalité
Le régime
féodal a existé, avec des particularités
différentes, dans presque tous les pays.
Dans le régime
féodal, la femme est subordonnée à l'homme
; elle n'existe pas en tant que personnalité.
La féodalité
s'étend sur une longue période.
En Chine, le régime
féodal a existé plus de deux mille ans.
En Europe occidentale,
il a duré plusieurs siècles depuis la chute de
l'Empire romain (cinquième siècle) jusqu'aux révolutions
bourgeoises d'Angleterre (dix-septième siècle)
et de France (dix-huitième siècle) ; en Russie,
du neuvième siècle à la réforme paysanne
de 1861 ; en Transcaucasie, du quatrième siècle
jusque vers 1870 ; chez les peuples de l'Asie centrale, des septième
et huitième siècles à la victoire de la
révolution prolétarienne en Russie.
En Europe occidentale,
la féodalité s'est constituée sur les ruines
de la société romaine esclavagiste, d'une part,
et sur celles de la gens, chez les tribus conquérantes,
d'autre part ; elle résulta de l'action réciproque
de ces deux processus.
Des éléments
de féodalisme existaient, nous l'avons déjà
dit, au sein de la société esclavagiste sous la
forme du colonat.
Les colons étaient
tenus de cultiver la terre de leur maître, grand propriétaire
foncier, de lui verser une somme d'argent ou de lui remettre
une importante partie de la récolte; ils étaient
en outre astreints à certaines redevances.
Néanmoins,
les colons avaient plus d'intérêt à leur
travail que les esclaves, puisqu'ils possédaient leur
propre exploitation.
Ainsi se formèrent
de nouveaux rapports de production, qui reçurent leur
plein développement à l'époque féodale.
L'Empire romain
fut détruit par les tribus germaniques, gauloises, slaves
et autres, qui habitaient différentes parties de l'Europe.
Le pouvoir des propriétaires
d'esclaves fut renversé, l'esclavage disparut. Les latifundia
et les grands ateliers artisanaux reposant sur le travail servile
se disloquèrent.
Après la
chute de l'Empire romain, la population se composait de grands
propriétaires fonciers (anciens propriétaires d'esclaves
qui avaient adopté le système du colonat), d'esclaves
affranchis, de colons, de petits paysans et d'artisans.
A l'époque
où elles soumirent Rome, les tribus conquérantes
se trouvaient au stade de la communauté primitive en voie
de désagrégation.
La communauté
rurale jouait un rôle important dans la vie sociale de
ces peuplades.
La terre, à
l'exception des grands domaines de l'aristocratie de la gens,
était bien communal.
Les forêts,
les friches, les pacages, les étangs restaient indivis
pour l'usage collectif.
Au bout de quelques
années, on procédait à un nouveau partage
des champs et des prairies entre les membres de la communauté.
Mais, peu à
peu, le terrain attenant à l'habitation, puis toute la
terre arable, passèrent aux familles, en jouissance héréditaire.
La répartition
des terres, l'examen des affaires concernant la communauté,
le règlement des litiges qui s'élevaient entre
ses membres, étaient du ressort de l'assemblée
de la communauté, des anciens et des juges qu'elle élisait.
A la tête
des tribus conquérantes se trouvaient des chefs militaires
qui, ainsi que leurs suites, possédaient de vastes étendues
de terre.
Les tribus qui soumirent
l'Empire romain s'emparèrent de la plus grande partie
des terres publiques et d'une partie des terres appartenant aux
gros propriétaires fonciers.
Les forêts,
les prairies et les pacages restèrent en jouissance commune,
alors que la terre arable était divisée entre les
exploitations.
Les terres ainsi
partagées devinrent par la suite la propriété
privée des paysans. Ainsi se constitua une couche nombreuse
de petits paysans indépendants.
Mais les paysans
ne pouvaient garder longtemps leur indépendance.
L'inégalité
des fortunes entre les membres de la communauté rurale
devait nécessairement s'accentuer du fait de l'existence
de la propriété privée de la terre et des
autres moyens de production. Il y eut, parmi la paysannerie,
des familles pauvres et des familles aisées.
A mesure que grandissait
l'inégalité des fortunes, les membres enrichis
de la communauté acquéraient sur celle-ci un pouvoir
toujours croissant.
La terre se concentrait
entre les mains des familles riches, de l'aristocratie de la
gens et des chefs militaires.
Les paysans perdaient petit à petit leur liberté
personnelle au profit des grands propriétaires fonciers.
La conquête
de l'Empire romain hâta la décomposition du régime
de la gens chez les tribus conquérantes.
Pour maintenir et
consolider leur pouvoir sur les paysans dépendants, les
grands propriétaires fonciers devaient renforcer le pouvoir
d'Etat.
Les chefs militaires,
s'appuyant sur l'aristocratie de Ia " gens " et les
guerriers de leurs suites, concentrèrent le pouvoir en
leurs mains et se transformèrent en rois, en monarques.
Sur les ruines de l'Empire romain se constituèrent un
certain nombre d'Etats nouveaux ayant des rois à leur
tête.
Ces rois distribuaient
généreusement à leurs proches, à
titre viager, puis héréditaire, les terres qu'ils
avaient conquises; ceux-ci leur devaient en échange le
service militaire.
L'Eglise, appui
important du pouvoir royal, reçut elle aussi de nombreuses
terres.
Le sol était
cultivé par les paysans désormais tenus de s'acquitter
de certaines obligations au bénéfice de leurs nouveaux
maîtres.
D'immenses propriétés
foncières passèrent aux mains des guerriers et
des serviteurs du roi, du haut clergé et des monastères.
Les terres ainsi concédées étaient désignées
sous le nom de fiefs (en bas latin : feodum).
D'où le nom de féodalité donné au
nouveau régime social.
En Europe, la transformation
graduelle des terres des paysans en propriété féodale
et l'asservissement des masses paysannes (féodalisation)
se poursuivit pendant des siècles (des cinquième
et sixième siècles aux neuvième et dixième
siècles).
Le service militaire
ininterrompu, les pillages et les impôts ruinaient la paysannerie
libre.
Réduit à
demander assistance au grand propriétaire foncier, le
paysan devenait dépendant de ce dernier.
Il était
souvent contraint de se placer sous la " protection "
du seigneur féodal; un homme isolé, sans défense,
n'aurait pu subsister en raison des guerres continuelles, des
incursions de brigandage.
La propriété
de sa parcelle passait au seigneur et le paysan ne pouvait la
cultiver qu'en échange de diverses redevances qu'il devait
au seigneur.
Parfois aussi, les
représentants et les fonctionnaires du roi accaparaient,
par la fraude et la violence, les terres des paysans libres,
les obligeant à reconnaître leur pouvoir.
La féodalisation
s'accomplit différemment dans les divers pays, mais elle
aboutit partout aux mêmes résultats : les paysans
autrefois libres devenaient personnellement dépendants
des féodaux qui s'étaient emparés de leur
terre.
Cette dépendance
était plus ou moins dure.
Avec le temps, les
différences qui avaient d'abord existé entre anciens
esclaves, colons et paysans libres, finirent par s'effacer, et
tous se fondirent dans la masse de la paysannerie serve.
Peu à peu se constitua un état de choses caractérisé
par l'adage du Moyen âge : " Pas de terre sans seigneur
".
Les rois étaient
les propriétaires suprêmes de la terre.
La féodalité
a été un stade nécessaire dans l'histoire
de la société. L'esclavage avait épuisé
toutes ses possibilités.
Un nouveau développement
des forces productives n'était désormais possible
que grâce au travail de la masse des paysans dépendants
possédant leur propre exploitation, leurs instruments
de production et ayant quelque intérêt au travail.
Pourtant l'histoire
atteste qu'il n'est nullement obligatoire que chaque peuple parcourre
successivement toutes les étapes de l'évolution
sociale.
Beaucoup de peuples se trouvent placés dans des conditions
qui leur permettent d'éviter telle ou telle phase du développement
et de passer d'emblée à un stade supérieur.
Ainsi, la Russie
passa historiquement directement de la désagrégation
de la communauté à la féodalisation.
Durant la première
phase de la féodalité prédominait un système
de culture à jachère complète, ou à
brûlis dans les régions boisées.
On pratiquait la
même culture sur une terre plusieurs années de suite
jusqu'à ce que le sol fût épuisé.
Après quoi on mettait en culture une autre terre.
Ce système
fut ensuite remplacé par l'assolement triennal : la terre
arable était divisée en trois soles dont chacune
était alternativement cultivée en céréale
d'hiver, en céréale de printemps et laissée
en friche.
L'assolement triennal
se répandit en Europe occidentale et en Russie à
partir des onzième et douzième siècles.
Il resta en usage
pendant des centaines d'années, jusqu'au dix-neuvième
siècle, et est encore appliqué aujourd'hui dans
beaucoup de pays.
Au début
de la féodalité, l'outillage agricole restait médiocre.
Les instruments de travail étaient l'araire à soc
de fer, la faucille, la faux, la bêche. Puis on se mit
à employer la charrue de fer et la herse.
La mouture du grain
s'effectua longtemps à la main, jusqu'au moment où
se répandit l'usage des moulins à vent et à
eau.
Les rapports
de production de la société féodale. L'exploitation
du paysan par le seigneur.
La base des rapports
de production de la société féodale était
la propriété du seigneur sur la terre et sa propriété
limitée sur le serf.
Ce dernier n'était
pas un esclave. Il avait sa propre exploitation. Le seigneur
ne pouvait plus le tuer, mais il pouvait le vendre.
La propriété
féodale coexistait avec la propriété individuelle
du paysan et de l'artisan sur les instruments de production et
sur leur exploitation privée; cette propriété
individuelle était fondée sur le travail personnel.
La grande propriété
foncière féodale était à la base
de l'exploitation du paysan par le seigneur.
Le domaine proprement
dit du féodal s'étendait sur une partie de sa terre.
L'autre partie,
le seigneur la donnait en jouissance aux paysans à des
conditions qui les asservissaient.
Le féodal
" lotissait " le paysan et s'assurait ainsi une main-d'uvre.
En échange
de la jouissance héréditaire de son lot, le paysan
devait travailler pour le propriétaire, cultiver la terre
de celui-ci avec ses propres instruments et son bétail,
ou bien lui remettre son surproduit, en nature ou en argent.
Ce système
d'économie supposait qu'un lien de dépendance personnelle
attachait le paysan au propriétaire foncier, il supposait
une contrainte extra-économique :
Si le seigneur n'avait
été expressément le maître de la personne
du paysan, il n'aurait pu obliger à travailler pour lui
un homme possédant son lopin de terre et l'exploitant
lui-même.
(V. Lénine : Le développement du capitalisme en
Russie)
Le temps de travail
du serf se divisait en deux parties : le temps nécessaire
et le temps supplémentaire. Pendant le temps nécessaire,
le paysan créait le produit nécessaire à
sa subsistance et à celle de sa famille.
Pendant le temps supplémentaire, il créait le produit
supplémentaire, le surproduit, que le seigneur s'appropriait.
Le fruit du surtravail
du paysan travaillant dans le domaine seigneurial, ou le surproduit
créé par le paysan dans sa propre exploitation
et que s'appropriait le seigneur, constituaient la rente foncière
féodale.
Souvent la rente
féodale absorbait non seulement le surproduit du paysan,
mais encore une partie de son produit nécessaire.
Cette rente avait
sa base dans la propriété féodale de la
terre, à laquelle se rattachait la domination directe
du propriétaire féodal sur les paysans placés
sous sa dépendance.
Il a existé sous la féodalité trois formes
de rente foncière : la rente-travail, la rente en nature
et la rente en argent; elles sont toutes trois la manifestation
non déguisée de l'exploitation des paysans par
leurs propriétaires.
La rente-travail
ou corvée a prédominé aux premiers stades
de la féodalité : le paysan travaillait une partie
de la semaine - trois jours ou davantage - avec ses instruments
de production (araire, bêtes de somme, etc.) dans le domaine
du seigneur, et les autres jours de la semaine dans son exploitation.
De la sorte, le
travail nécessaire et le surtravail du paysan étaient
nettement délimités dans le temps et dans l'espace.
Les travaux à
exécuter pendant la corvée étaient très
nombreux : le paysan labourait, semait et rentrait la récolte,
paissait le bétail, charpentait, coupait du bois, transportait
à l'aide de son cheval des denrées agricoles et
des matériaux de construction.
Le serf astreint
à la corvée n'avait intérêt à
accroître le rendement de son travail que sur son exploitation.
Il en allait autrement
sur la terre du seigneur.
Aussi celui-ci avait-il
des surveillants pour obliger les paysans à travailler.
Par la suite, la rente-travail fit place à la rente en
nature, à la redevance en nature.
Le paysan était
tenu de livrer régulièrement au seigneur une certaine
quantité de blé, de bétail, de volailles
et d'autres produits agricoles; le plus souvent la redevance
s'ajoutait à certaines survivances de la corvée,
c'est-à-dire à des travaux à exécuter
par le paysan dans le domaine seigneurial.
La rente en nature
permettait au paysan de disposer à son gré de son
travail nécessaire comme de son surtravail.
Le travail nécessaire
et le surtravail ne se distinguaient plus de façon aussi
tangible que dans la rente-travail.
Le paysan acquérait
une indépendance relative, ce qui l'encourageait jusqu'à
un certain point à accroître la productivité
de son travail.
A un stade ultérieur
de la féodalité, quand l'échange eut pris
une assez large extension, apparut la rente en argent sous la
forme d'une redevance en argent.
La rente en argent
est caractéristique de la période où la
féodalité se désagrège et où
les rapports capitalistes font leur apparition.
Les différentes
formes de la rente féodale ont souvent coexisté.
Dans toutes les
formes étudiées, nous avons admis que celui qui
payait la rente possédait et travaillait réellement
la terre, et que son surtravail non rétribué revenait
directement au propriétaire foncier.
Dans la rente en argent, transformation de la rente en nature,
c'est non seulement possible, c'est la réalité
!
(K. Marx : Le Capital, Livre III)
Pour accroître
leurs revenus, les seigneurs levaient une foule de taxes sur
les paysans.
Souvent, ils monopolisaient
les moulins, les forges et autres entreprises auxquelles le paysan
était obligé de recourir moyennant un paiement
exorbitant en nature ou en argent.
Outre la redevance en nature ou en argent qu'il versait au seigneur,
le paysan devait acquitter une série d'impôts d'Etat,
de taxes locales et, dans certains pays, payer la dîme,
c'est-à-dire remettre à l'Eglise le dixième
de sa récolte.
Le travail des serfs était donc à la base de l'existence
de la société féodale.
Les paysans non
seulement produisaient les denrées agricoles, mais encore
travaillaient dans les domaines seigneuriaux en qualité
d'artisans, construisaient châteaux et monastères,
faisaient les routes; ce sont eux qui ont bâti les villes.
L'économie
seigneuriale, surtout au début, était essentiellement
une économie naturelle.
Chaque domaine féodal,
qui se composait de la résidence du seigneur et des villages
lui appartenant, vivait en économie fermée et avait
rarement recours aux échanges.
Les besoins du seigneur,
de sa famille et de sa nombreuse valetaille étaient couverts
au début par les produits provenant du domaine seigneurial
et par les redevances des paysans.
Les domaines plus
ou moins importants disposaient d'un nombre suffisant d'artisans,
pour la plupart des serfs attachés à la demeure
seigneuriale.
Ces artisans confectionnaient
des vêtements et des chaussures, fabriquaient et réparaient
les armes, les engins de chasse et le matériel agricole,
construisaient les bâtiments.
L'exploitation du
paysan était elle aussi une économie naturelle.
Les paysans se livraient
non seulement aux travaux agricoles, mais aussi à des
travaux d'artisanat, notamment au traitement des matières
premières provenant de leur exploitation : ils filaient,
tissaient, fabriquaient des chaussures et des outils pour leur
exploitation.
La féodalité
fut longtemps caractérisée par l'association de
l'agriculture, principale branche d'activité, et du métier
à domicile, qui ne jouait qu'un rôle auxiliaire.
Les quelques produits
importés dont on ne pouvait se passer, comme le sel, les
articles en fer, étaient d'abord fournis par des marchands
ambulants.
Par la suite, avec
le développement des villes et de la production artisanale,
la division du travail et le développement des échanges
entre la ville et la campagne réalisèrent d'importants
progrès.
L'exploitation des
paysans dépendants par les seigneurs constitue le principal
trait de la féodalité chez tous les peuples.
Mais dans certains
pays le régime féodal a présenté
des particularités.
En Orient, les rapports
féodaux se sont longtemps combinés avec l'esclavage,
comme ce fut le cas en Chine, dans l'Inde, au Japon et dans quelques
autres pays. La propriété d'Etat féodale
sur la terre y a joué un rôle important.
Ainsi, à
l'époque du califat de Bagdad, sous la domination arabe
(notamment aux huitième et neuvième siècles
de notre ère), une partie considérable des membres
des communautés rurales vivait sur les terres du calife
et payait la rente féodale directement à l'Etat.
En Orient, la féodalité
était également caractérisée par
la survivance des rapports patriarcaux inter-masculins que les
seigneurs mettaient à profit pour intensifier l'exploitation
des paysans.
Dans les pays d'Orient,
où l'agriculture irriguée joue un rôle déterminant,
les paysans se trouvaient sous la coupe des féodaux du
fait que non seulement la terre, mais aussi l'eau et les systèmes
d'irrigation étaient la propriété de l'Etat
féodal ou des seigneurs.
Chez les peuples
nomades, la terre était utilisée comme pâturage.
L'étendue des terres possédées par les féodaux
était déterminée par l'importance de leurs
troupeaux. Les grands seigneurs propriétaires de bétail
étaient aussi en fait de grands propriétaires de
pâturages.
Ils asservissaient
et exploitaient la paysannerie.
La loi économique
fondamentale de la féodalité réside dans
la production d'un surproduit pour la satisfaction des besoins
des seigneurs féodaux en exploitant les paysans dépendants
sur la base de la propriété du féodal sur
la terre et de sa propriété limitée sur
les producteurs : les paysans serfs.
La ville médiévale.
Les corporations.
Les guildes des marchands.
Les villes sont
apparues dès l'époque de l'esclavage : ainsi Rome,
Florence, Venise, Gênes en Italie; Constantinople, Alexandrie
dans le Proche-Orient; Paris, Lyon et Marseille en France; Londres
en Angleterre, Samarkand en Asie centrale et bien d'autres encore
sont un héritage qu'a reçu le Moyen âge de
l'époque de l'esclavage.
Le régime
fondé sur l'esclavage s'écroula, mais les villes
restèrent. Les grands ateliers d'esclaves se morcelèrent,
mais les métiers continuèrent d'exister.
Dans le haut Moyen
âge, les villes et les métiers ne connurent qu'un
faible développement.
Les artisans des
villes produisaient des articles pour la vente, mais c'est par
leur travail personnel qu'ils tiraient la plupart des biens de
consommation dont ils avaient besoin. Beaucoup possédaient
une parcelle de terre, un jardin, du bétail.
Les femmes utilisaient le lin et la laine pour les vêtements.
Ce qui témoignait du caractère limité des
marchés et de l'échange.
A la campagne, le
traitement des matières premières agricoles ne
fut d'abord pour le cultivateur qu'une activité auxiliaire.
Puis des artisans,
desservant leur village, commencèrent à se détacher
de la masse paysanne. La productivité de leur travail
s'accrut.
On put fabriquer
plus d'articles qu'il n'était nécessaire au seigneur
ou aux paysans d'un seul village.
Les artisans commencèrent à se grouper autour des
châteaux forts et des monastères, dans les gros
bourgs et autres centres commerciaux.
C'est ainsi que
petit à petit on vit apparaître de nouvelles cités,
la plupart du temps sur des cours d'eau.
Avec le temps, les
métiers devinrent de plus en plus lucratifs. L'habileté
des artisans augmenta.
Le seigneur féodal
prit l'habitude d'acheter des articles artisanaux chez les citadins,
ceux de ses propres serfs ayant cessé de le satisfaire.
Le métier,
en se développant, se détacha définitivement
de l'agriculture.
Les villes, qui
se trouvaient sur les terres des féodaux laïques
et ecclésiastiques, relevaient de leur juridiction.
Les citadins étaient
tenus à certaines obligations envers le seigneur, ils
lui versaient des redevances en nature ou en argent, ils étaient
justiciables de son administration et de ses tribunaux.
De bonne heure,
la population des villes engagea la lutte pour s'affranchir de
cette dépendance féodale. De force ou en se rachetant,
les villes obtinrent le droit de s'administrer, d'avoir leurs
tribunaux, de battre monnaie et de lever des impôts.
La population urbaine
se composait surtout d'artisans et de marchands. Beaucoup de
villes donnaient asile aux serfs fugitifs.
La ville représentait
la production marchande, par opposition à la campagne,
où dominait l'économie naturelle.
La concurrence croissante des serfs fugitifs affluant dans les
villes, la lutte contre l'exploitation et les exactions des seigneurs
obligèrent les artisans à se grouper en corporations.
Le régime
corporatif a, sous la féodalité, existé
dans presque tous les pays.
Les corporations
sont apparues à Byzance et en Italie aux neuvième
et dixième siècles et, par la suite, dans toute
l'Europe occidentale et en Russie.
En Orient (Egypte,
Chine, califat arabe), les corporations sont nées plus
tôt encore.
Elles groupaient
les artisans urbains exerçant la même profession
ou des professions connexes.
Seuls les maîtres
de métier en étaient membres de plein droit.
Le maître
de métier avait sous ses ordres un petit nombre de compagnons
et d'apprentis.
La corporation protégeait
jalousement le droit exclusif de ses membres d'exercer leur métier
et réglementait strictement la production : elle fixait
la durée de la journée de travail, le nombre des
compagnons et des apprentis que chaque maître pouvait avoir,
la qualité des matières premières et des
articles finis, ainsi que les prix; elle organisait souvent l'achat
en commun des matières premières.
Les procédés
de travail, consacrés par une longue tradition, étaient
obligatoires pour tous.
Une réglementation
sévère visait à empêcher qu'un maître
de métier s'élevât au-dessus des autres.
Les corporations
étaient en outre des organisations de secours mutuel.
Les corporations
étaient la forme féodale de l'organisation du métier.
Elles jouèrent au début un rôle bienfaisant
en contribuant à affermir et à développer
les métiers dans les villes.
Mais avec la croissance
de la production marchande et l'extension du marché, elles
devinrent de plus en plus un frein au progrès des forces
productives.
La réglementation
stricte du travail par les corporations paralysait l'initiative
des artisans et entravait le développement de la technique.
Pour limiter la
concurrence les corporations firent dépendre l'acquisition
de la maîtrise de conditions de plus en plus restrictives.
Les apprentis et
les compagnons, dont le nombre avait fortement augmenté,
étaient pratiquement dans l'impossibilité d'accéder
à la maîtrise.
Ils étaient
condamnés à rester toute leur vie des salariés.
Aussi les rapports entre le maître et ses subordonnés
perdirent-ils leur caractère plus ou moins patriarcal
inter-masculin.
Les maîtres
intensifiaient l'exploitation de leurs subordonnés, les
faisant travailler quatorze ou seize heures par jour pour un
salaire misérable.
Les compagnons commencèrent
à se grouper, pour défendre leurs intérêts,
en associations secrètes, ou compagnonnages, que les corporations
et les autorités de la ville persécutaient violemment.
Les marchands formaient
la partie la plus riche de la population urbaine.
Le commerce se développait
dans les villes, nées à l'époque de l'esclavage
ou apparues sous la féodalité.
Aux corporations
dans l'artisanat correspondaient les guiIdes dans le commerce.
Les guildes des
marchands ont existé un peu partout à l'époque
de la féodalité.
On constate leur
existence en Orient à partir du neuvième siècle,
en Europe occidentale à partir des neuvième et
dixième siècles, en Russie à partir du douzième
siècle.
Elles se proposaient
surtout de lutter contre la concurrence des autres marchands,
d'assurer l'unification des poids et mesures, de protéger
les droits des marchands contre les entreprises des seigneurs.
Aux neuvième
et dixième siècles, il existait déjà
un commerce important entre l'Orient et l'Europe occidentale,
commerce auquel la Russie de Kiev prenait une part active.
Les croisades (du
onzième au douzième siècle) contribuèrent
à son extension en ouvrant aux marchands d'Europe occidentale
les marchés du Proche-Orient.
L'or et l'argent
d'Orient affluèrent en Europe. La monnaie fit son apparition
là où on l'ignorait encore.
Les villes italiennes,
notamment Gênes et Venise, dont les navires assuraient
le transport et le ravitaillement des croisés, participèrent
directement à la conquête des marchés orientaux.
Les ports de la
Méditerranée furent longtemps les principaux intermédiaires
entre l'Europe occidentale et l'Orient.
Mais le commerce
se développa également, dans les villes de l'Allemagne
du Nord et des Pays-Bas situées sur les voies commerciales
de la mer du Nord et de la Baltique.
Au quatorzième
siècle il s'y constitua une confédération
commerciale, la Ligue hanséatique, qui groupa au cours
des deux siècles qui suivirent près de 80 villes
de différents pays d'Europe.
La Ligue faisait
le commerce avec l'Angleterre, la Scandinavie, la Pologne et
la Russie.
Les produits industriels
d'Europe occidentale : draps de Flandre et d'Angleterre, toiles,
articles métalliques d'Allemagne, vins de France, étaient
échangés contre les fourrures, les peaux, le lard,
le miel, le blé, le bois, la poix, les tissus de lin et
autres articles artisanaux du nord-est de l'Europe.
Les marchands rapportaient
d'Orient les épices (poivre, clous de girofle, muscade),
des parfums, des teintures, des cotonnades et des soieries, des
tapis, et bien d'autres produits.
Aux treizième
et quatorzième siècles les villes russes de Novgorod,
Pskov et Moscou étaient en relations très suivies
avec l'Asie et l'Europe occidentale.
Les marchands de
Novgorod entretenaient des relations commerciales régulières
avec les peuples du Nord (littoral de l'Océan Arctique
et pays au-delà de l'Oural), d'une part, avec la Scandinavie
et l'Allemagne d'autre part.
Le développement
des villes et les progrès du commerce exercèrent
une influence considérable sur la campagne féodale.
L'économie seigneuriale était peu à peu
entraînée dans la circulation marchande.
Les seigneurs avaient
besoin d'argent pour se procurer les objets de luxe et les articles
de la ville.
Aussi préféraient-ils
remplacer la corvée et la redevance en nature par une
redevance en argent. L'exploitation féodale se fit dès
lors plus lourde. L'opposition entre la ville et la campagne,
apparue avec l'esclavage, s'accentuait.
Les classes et
les castes de la société féodale. La hiérarchie
féodale.
La société
féodale se composait de deux classes principales : les
féodaux et les paysans. Elle présentait une division
en classes où l'énorme majorité - la paysannerie
serve - se trouvait sous l'entière dépendance d'une
infime minorité : les propriétaires fonciers.
(V. Lénine : " De l'Etat ", L'Etat et la révolution)
La classe féodale
n'était pas homogène. Les petits féodaux
payaient tribut aux grands, les aidaient dans la guerre, mais
bénéficiaient en revanche de leur protection.
Le protecteur s'appelait
suzerain, le protégé vassal. Les suzerains étaient
à leur tour les vassaux de seigneurs plus puissants. C'est
ainsi que se forma la hiérarchie féodale.
Classe dominante,
les propriétaires fonciers féodaux étaient
à la tête de l'Etat. Ils formaient une couche sociale
: la noblesse. Au sommet de l'échelle sociale, les nobles
jouissaient de privilèges politiques et économiques
étendus.
Le clergé
(séculier et régulier) était, lui aussi,
un gros propriétaire foncier. Il possédait de vastes
territoires sur lesquels vivait une nombreuse population dépendante
et serve, et formait, comme la noblesse, une couche sociale dominante.
La hiérarchie
féodale reposait sur la large base que constituait la
paysannerie.
Les paysans devaient
obéissance au seigneur et se trouvaient placés
sous la juridiction suprême du premier féodal :
le roi. La paysannerie était une couche sociale dépourvue
de tout droit politique.
Les seigneurs pouvaient
vendre leurs serfs, et ils usaient largement de ce droit.
Ils infligeaient
aux paysans des châtiments corporels.
Lénine a appelé le servage l'" esclavage de
l'homme attaché à la glèbe. "
Le serf était
presque aussi férocement exploité que l'esclave
de l'Antiquité. Il pouvait toutefois travailler une partie
de son temps sur son lopin de terre, il pouvait jusqu'à
un certain point être son propre maître.
La contradiction
de classe entre féodaux et paysans serfs domine l'histoire
de la société féodale.
La lutte de la paysannerie exploitée contre les seigneurs
s'est poursuivie durant toute la féodalité; elle
devint particulièrement aiguë à la fin de
cette époque, quand l'exploitation des serfs se fut aggravée
à l'extrême.
Dans les villes
qui s'étaient affranchies de la dépendance féodale,
le pouvoir appartenait aux riches citadins : marchands, usuriers,
propriétaires de terrains et d'immeubles.
Les artisans des corporations, qui formaient la grande masse
de la population des villes, étaient souvent en lutte
contre l'aristocratie urbaine pour obtenir le droit de participer
conjointement avec elle à l'administration de la cité.
Les petits artisans et les compagnons luttaient contre l'exploitation
que leur faisaient subir les maîtres de métier et
les marchands.
A la fin de l'époque
féodale, une différenciation déjà
très poussée s'était opérée
parmi la population des villes. Il y avait, d'un côté,
les riches marchands et les maîtres de métier, de
l'autre, la masse des compagnons et des apprentis, des pauvres
gens.
Les couches inférieures
de la population luttaient contre l'aristocratie urbaine et les
seigneurs coalisés. Leur lutte rejoignait celle des paysans
serfs contre l'exploitation féodale.
Le pouvoir suprême
était censé appartenir aux rois (en Russie, aux
grands princes, puis aux tsars).
Mais hors de leurs
domaines, le pouvoir des rois était infime au début
de l'époque féodale, souvent même purement
nominal.
Toute l'Europe était
divisée en une foule d'Etats grands et petits.
Les grands chefs
féodaux étaient maîtres absolus sur leurs
terres.
Ils édictaient
les lois, en assuraient l'exécution, rendaient la justice,
possédaient une armée, se livraient à des
incursions contre leurs voisins; ils ne se faisaient pas faute
non plus de piller sur les grands chemins. Beaucoup d'entre eux
battaient monnaie.
Les féodaux
moins puissants jouissaient aussi de droits très étendus
sur leurs sujets et cherchaient à s'aligner en tout sur
les grands seigneurs.
Avec le temps, les rapports féodaux finirent par constituer
un écheveau extrêmement embrouillé de droits
et de devoirs. Les désaccords et les conflits étaient
continuels entre seigneurs. Ils étaient d'ordinaire tranchés
par la force, au cours de guerres intestines.
Le développement
des forces productives de la société féodale.
Les forces productives
atteignirent à l'époque féodale un niveau
plus élevé qu'à l'époque de l'esclavage.
La technique agricole
se perfectionna.
L'emploi de la charrue
en fer et d'autres instruments en fer se généralisa.
De nouvelles cultures
furent introduites, la viticulture, l'industrie vinicole, les
cultures maraîchères connurent un essor remarquable.
L'élevage
progressa, surtout celui du cheval, en raison des besoins militaires
des féodaux; la fabrication du beurre se développa.
Dans certaines régions,
l'élevage du mouton prit une grande extension. On agrandit
et on améliora les prairies et les pâturages.
Les outils des artisans
et le traitement des matières premières se perfectionnèrent.
Les anciens métiers commencèrent à se spécialiser.
C'est ainsi que
du métier du forgeron, qui produisait d'abord tous les
articles de métal, se détachèrent l'armurerie,
la clouterie, la coutellerie, la serrurerie; de la tannerie,
la cordonnerie et la bourrellerie.
Aux seizième
et dix-septième siècles, le rouet se répandit
en Europe. Le métier à étirer fut inventé
en 1600.
L'amélioration
des procédés de la fonte et du traitement du fer
joua un rôle décisif dans le perfectionnement des
instruments de travail.
Au début,
on produisait le fer par des méthodes tout à fait
primitives.
Au seizième
siècle, on commença à utiliser la roue hydraulique,
pour actionner les soufflets de forge et les gros marteaux destinés
à concasser le minerai.
Un meilleur tirage
dans les fours permit d'obtenir, au lieu d'une masse malléable,
une masse en fusion : la fonte.
Avec l'emploi de la poudre à des fins militaires et l'apparition
de l'artillerie (quatorzième siècle), il fallut
de grosses quantités de métal pour fabriquer les
boulets; à partir du début du quinzième
siècle, on prit l'habitude de les couler en fonte.
La confection des
outils agricoles et d'autres instruments demandait aussi toujours
plus de métal.
Les premiers hauts
fourneaux firent leur apparition dans la première moitié
du quinzième siècle.
L'invention de la
boussole contribua aux progrès de la navigation.
L'invention et la diffusion de l'imprimerie eurent une importance
considérable.
La Chine, où
les forces productives et la civilisation connurent déjà
du sixième au onzième siècle un développement
remarquable, devança l'Europe sur bien des points.
C'est aux Chinois
que l'on doit l'invention de la boussole, de la poudre, du papier
et de l'imprimerie sous sa forme la plus élémentaire.
Le développement
des forces productives de la société se heurtait
de plus en plus au cadre trop étroit des rapports de production
féodaux.
La paysannerie,
courbée sous le joug de l'exploitation féodale,
était incapable de produire davantage de denrées
agricoles.
Le rendement du
travail du paysan asservi était extrêmement bas.
Dans les villes,
l'augmentation de la productivité du travail artisanal
se heurtait aux statuts et aux règlements corporatifs.
La lenteur des progrès
de la production, la routine, l'empire de la tradition, caractérisaient
le régime féodal.
Les forces productives
qui s'étaient développées dans la société
féodale réclamaient de nouveaux rapports de production.
La naissance
de la production capitaliste au sein du régime féodal.
Le rôle du capital marchand.
On assiste, à
l'époque féodale, au développement graduel
de la production marchande et à l'extension de l'artisanat
urbain; les produits de l'économie paysanne sont de plus
en plus entraînés dans le mouvement des échanges.
La production des
petits artisans et des paysans, fondée sur la propriété
privée et le travail personnel, et créant des produits
pour l'échange, est ce qu'on appelle la production marchande
simple.
Le produit fabriqué
en vue de l'échange est, nous l'avons déjà
dit, une marchandise.
Les différents
producteurs de marchandises dépensent pour produire des
marchandises identiques une quantité différente
de travail, qui dépend des conditions dans lesquelles
ils se trouvent placés.
Ceux qui disposent
d'instruments plus perfectionnés dépensent moins
de travail que les autres pour produire une même marchandise.
Les travailleurs diffèrent également par la force,
l'adresse, l'habileté, etc.
Mais peu importe
au marché dans quelles conditions et à l'aide de
quels instruments a été produite telle ou telle
marchandise.
On paye sur le marché
la même somme d'argent pour des marchandises identiques,
quelles que soient les conditions individuelles de travail dans
lesquelles elles ont été fabriquées.
Aussi les producteurs
de marchandises, chez qui les dépenses individuelles du
travail sont supérieures à la moyenne du fait qu'ils
se trouvent placés dans de plus mauvaises conditions,
ne couvrent-ils qu'une partie de ces dépenses en vendant
leurs marchandises et ils finissent par se ruiner.
Par contre, ceux
chez qui les dépenses individuelles de travail sont inférieures
à la moyenne, grâce à de meilleures conditions,
sont en excellente posture pour vendre, et s'enrichissent.
D'où une
aggravation de la concurrence.
Une différenciation
s'opère parmi les petits producteurs de marchandises :
la majorité s'appauvrit de plus en plus, alors qu'une
infime minorité s'enrichit.
Le morcellement
politique fut, sous le régime féodal, un gros obstacle
au développement de la production marchande.
Les féodaux
établissaient à leur guise des droits sur les marchandises
amenées du dehors, percevaient des péages et créaient
ainsi de graves obstacles au commerce.
Les besoins de celui-ci, et plus généralement du
développement économique de la société,
exigeaient la suppression du morcellement féodal.
Les progrès
de la production artisanale et agricole, de la division sociale
du travail entre la ville et la campagne eurent pour conséquence
l'établissement de relations économiques plus actives
entre les différentes régions d'un même pays,
la formation d'un marché national.
Celui-ci créa
à son tour les conditions économiques d'une centralisation
du pouvoir politique.
La bourgeoisie naissante
des villes avait intérêt à la destruction
des barrières féodales; aussi était-elle
favorable à la constitution d'un Etat centralisé.
S'appuyant sur la
couche plus large de la petite noblesse, sur les " vassaux
de leurs vassaux ", ainsi que sur les villes dont l'ascension
se poursuit, les rois portent à l'aristocratie féodale
des coups décisifs et affermissent leur domination.
Ils deviennent les
maîtres de l'Etat non plus seulement de nom, mais aussi
en fait.
De grands Etats
nationaux se constituent sous forme de monarchies absolues.
La fin du morcellement
féodal et l'établissement d'un pouvoir politique
centralisé contribuent à l'apparition et au développement
de rapports capitalistes.
La formation d'un
marché mondial joua également un rôle considérable
dans l'avènement du régime capitaliste.
Dans la seconde
moitié du quinzième siècle, les Turcs s'emparèrent
de Constantinople et de toute la partie orientale de la Méditerranée.
La grande route
commerciale était coupée, qui mettait l'Europe
occidentale en communication avec l'Orient.
Christophe Colomb jeta l'ancre en 1492 l'Amérique, alors
qu'il cherchait la voie maritime des Indes, que Vasco de Gama
trouva en 1498, après avoir fait le tour de l'Afrique.
A la suite de ces
découvertes, la Méditerranée perdit sa primauté
commerciale au profit de l'Atlantique, et la première
place dans le commerce échut aux Pays-Bas, à l'Angleterre
et à la France.
Avec la naissance
du commerce mondial et d'un marché mondial, l'artisanat
n'était plus en mesure de satisfaire la demande accrue
de marchandises.
Cette circonstance
hâta le passage de la petite production artisanale à
la grande production capitaliste fondée sur l'exploitation
d'ouvriers salariés.
Le passage du mode
de production féodal au mode de production capitaliste
s'accomplit de deux façons : d'une part, la différenciation
des petits producteurs de marchandises fit apparaître des
entrepreneurs capitalistes; d'autre part, le capital commercial,
en la personne des marchands, plaça directement la production
sous sa dépendance.
Les corporations
pouvaient limiter la concurrence et la différenciation
parmi les artisans tant que la production marchande restait peu
développée.
Avec les progrès
de l'échange, la concurrence se fit de plus en plus âpre.
Les maîtres
de métier travaillant pour un marché plus étendu
cherchaient à obtenir l'abolition des restrictions corporatives,
ou bien les détournaient purement et simplement.
Ils allongeaient
la journée de travail des compagnons et des apprentis,
en augmentaient le nombre, appliquaient des méthodes de
travail plus productives.
Les plus riches
d'entre eux devenaient peu à peu des capitalistes; les
plus pauvres, les compagnons et les apprentis, devenaient des
ouvriers salariés.
En désagrégeant
l'économie naturelle, le capital commercial contribua
à l'avènement de la production capitaliste.
Il ne fut d'abord
qu'un intermédiaire dans l'échange des marchandises
des petits producteurs - artisans et paysans - et lors de la
réalisation par les féodaux d'une partie du surproduit
que ceux-ci s'appropriaient.
Puis le marchand
se mit à acheter régulièrement aux petits
producteurs les marchandises qu'ils fabriquaient, pour les revendre
sur un marché plus large.
Il devenait de la
sorte un accapareur (Le mot est pris ici dans son sens propre,
sans la nuance péjorative qu'il a prise aujourd'hui).
Avec les progrès
de la concurrence et l'apparition de l'accapareur, la situation
de la masse des artisans se modifia sensiblement.
Les maîtres
de métier appauvris imploraient l'aide du marchand accapareur
qui leur avançait de l'argent, des matières premières
et des matériaux, à la condition qu'ils lui vendent
le produit fini à un prix très bas, convenu d'avance.
Les petits producteurs
tombaient de la sorte sous la dépendance économique
du capital commercial.
Peu à peu
un grand nombre de maîtres de métier appauvris se
trouvèrent dépendre d'un riche accapareur.
Celui-ci leur distribuait
des matières premières, par exemple des filés
dont ils faisaient des tissus, contre le payement d'une certaine
somme, et devenait ainsi un distributeur.
La ruine de l'artisan
fit que l'accapareur dut lui fournir non seulement la matière
première, mais encore les instruments de travail.
De la sorte, l'artisan
perdit son dernier semblant d'autonomie et devint définitivement
un ouvrier salarié, tandis que l'accapareur se transformait
en capitaliste industriel.
Groupés dans
l'atelier du capitaliste, les artisans d'autrefois exécutaient
un même travail.
Mais il apparut
bientôt que certaines opérations réussissaient
mieux aux uns, et d'autres opérations aux autres.
Il était donc plus avantageux de confier à chacun
la partie du travail où il était le plus habile.
C'est ainsi que
la division du travail s'introduisit peu à peu dans les
ateliers employant une main-d'uvre plus ou moins nombreuse.
Les entreprises
capitalistes où des ouvriers salariés accomplissent
un travail manuel sur la base de la division du travail, sont
appelées manufactures (" Manufacture " signifie
littéralement travail fait à la main).
Les premières
sont apparues dès les quatorzième et quinzième
siècles à Florence et dans certaines républiques
italiennes du Moyen âge.
Du seizième
au dix-huitième siècle, les manufactures produisant
du drap, des tissus de lin et de soie, de l'horlogerie, des armes,
de la verrerie, se multiplièrent dans tous les pays d'Europe.
La désagrégation
des rapports féodaux se poursuivait également à
la campagne.
A mesure que se
développait la production marchande, le pouvoir de l'argent
augmentait.
Les seigneurs remplaçaient
les obligations en nature des paysans par des obligations en
argent.
Les paysans durent
vendre les produits de leur travail et remettre aux féodaux
l'argent qu'ils en avaient retiré.
D'où, chez
les paysans, un perpétuel besoin d'argent. Les accapareurs
et les usuriers mettaient à profit cette situation pour
les asservir.
L'oppression féodale
devenait plus lourde, la situation des serfs s'aggravait.
Le développement
des relations monétaires donna une forte impulsion à
la différenciation de la paysannerie, autrement dit à
sa division en différents groupes sociaux.
L'immense majorité
de la paysannerie était dans la misère, s'épuisait
au travail et se ruinait.
Parallèlement
apparurent des paysans riches qui exploitaient leurs voisins
par des prêts à taux usuraires, en achetant à
vil prix leurs produits agricoles, leur cheptel, leurs instruments
de travail.
C'est ainsi que
la production capitaliste naquit au sein du régime féodal.
L'accumulation
primitive du capital. L'expropriation violente des paysans. L'accumulation
des richesses.
La production capitaliste
suppose réalisées deux conditions principales:
1) l'existence d'une
masse de non-possédants personnellement libres mais dépourvus
de moyens de production et d'existence, obligés par suite
de se louer aux capitalistes et de travailler pour eux
et
2) l'accumulation
des richesses monétaires indispensables pour créer
de grandes entreprises capitalistes.
Nous avons vu que
le capitalisme a pour milieu nourricier la petite production
marchande fondée sur la propriété privée,
où la concurrence enrichit quelques-uns et ruine la plupart
des autres.
Mais la lenteur
de ce processus ne correspondait pas aux besoins du nouveau marché
mondial créé par les grandes découvertes
de la fin du quinzième siècle.
L'avènement
du mode de production capitaliste fut accéléré
par l'emploi des méthodes de contrainte les plus brutales
de la part des grands propriétaires fonciers, de la bourgeoisie
et du pouvoir d'Etat qui se trouvait aux mains des classes exploiteuses.
La violence, selon
l'expression de Marx, a été l'accoucheuse qui a
hâté la venue au monde du nouveau mode de production
capitaliste.
La formation d'une
masse de non-possédants - les prolétaires - et
l'accumulation de richesses aux mains de quelques-uns résultèrent
du fait que les petits producteurs furent privés par la
violence de leurs moyens de production.
Le processus de
séparation des producteurs de leurs moyens de production
(terre, instruments de production, etc.) s'accompagna de spoliations
et de cruautés sans nombre.
Il a reçu
le nom d'accumulation primitive du capital, car il a précédé
l'apparition de la grande production capitaliste.
C'est d'abord en
Angleterre que la production capitaliste prit un développement
considérable.
A la fin du quinzième
siècle, un douloureux processus d'expropriation violente
de la paysannerie s'amorça dans ce pays.
L'impulsion directe
fut donnée par la demande accrue de laine de la part des
grandes manufactures de drap apparues d'abord en Flandre, puis
en Angleterre même.
Les seigneurs se
mirent à élever de grands troupeaux de moutons.
Ils avaient besoin
pour cela de pâturages.
Ils chassaient en
masse les paysans de leurs demeures, s'emparaient de la terre
dont ceux-ci avaient toujours eu la jouissance, et transformaient
les champs cultivés en pâturages.
L'expropriation
des paysans s'accomplit de différentes façons,
mais principalement par une mainmise éhontée sur
les terres communales.
Les seigneurs entouraient
ces terres de clôtures, démolissaient les maisons
des paysans, expulsaient ces derniers.
Si ceux-ci tentaient
de recouvrer la terre dont ils avaient été illégalement
dépossédés, la force armée de l'Etat
volait au secours du seigneur.
Une série
de lois sur les " enclosures " consacrèrent
au dix-huitième siècle cette spoliation du paysan.
La foule des paysans
ruinés et dépouillés encombrait les villes,
les bourgs et les routes d'Angleterre. Privés de moyens
d'existence, ils étaient réduits à la mendicité.
Les autorités édictèrent contre les expropriés
des lois sanguinaires, d'une cruauté exceptionnelle.
Ainsi, sous le règne
d'Henri VIII (seizième siècle), 72.000 personnes
furent exécutées pour " vagabondage. "
Au dix-huitième
siècle, la peine de mort fut remplacée pour les
" vagabonds " et les sans-logis par l'incarcération
dans des " maisons de travail ", qui méritèrent
le nom de " maisons d'horreur. "
La bourgeoisie entendait
ainsi plier la population rurale, chassée de ses terres
et réduite au vagabondage, à la discipline du travail
salarié.
L'expropriation
des paysans eut un double résultat.
D'une part, la terre devint la propriété privée
d'un nombre relativement restreint de grands propriétaires
fonciers.
La propriété
féodale de la terre, la propriété d'une
couche sociale, se transforma en propriété bourgeoise.
D'autre part, l'industrie
bénéficia d'un afflux considérable d'ouvriers
libres, prêts à se louer aux capitalistes.
Pour que la production
capitaliste pût apparaître, il fallait non seulement
une main-d'uvre à bon marché, mais encore
une accumulation de richesses considérables entre les
mains de quelques-uns sous forme de sommes d'argent pouvant être
transformées en moyens de production et servir à
embaucher des ouvriers.
Au Moyen âge,
marchands et usuriers avaient édifié de grandes
fortunes qui permirent par la suite de créer de nombreuses
entreprises capitalistes.
La conquête
de l'Amérique, qui s'accompagna du pillage massif et de
l'extermination de la population indigène, procura aux
conquérants des richesses incalculables qu'accrut plus
rapidement encore l'exploitation des mines de métaux précieux
d'une richesse extraordinaire.
Pour exploiter ces
mines, il fallait de la main-d'uvre.
Les Indiens périssaient en masse par suite des conditions
inhumaines dans lesquelles ils travaillaient.
Les marchands européens
organisèrent en Afrique la chasse aux nègres comme
s'il s'était agi de bêtes sauvages.
Le commerce de la
population d'Afrique réduite en esclavage était
des plus lucratifs. Les négriers réalisaient des
profits fabuleux.
Le travail des esclaves
reçut une grande extension dans les plantations de coton
américaines.
Le commerce colonial
fut, lui aussi, à l'origine de grosses fortunes. Les marchands
de Hollande, d'Angleterre et de France fondèrent les compagnies
des Indes orientales pour faire le commerce avec l'Inde.
Ces compagnies bénéficiaient
de l'appui de leurs gouvernements. Elles monopolisaient le commerce
des produits coloniaux et avaient reçu le droit d'exploiter
sans aucune restriction les colonies en usant des pires méthodes
de violence.
Leurs bénéfices
annuels dépassaient de plusieurs fois le capital engagé.
Le capital commercial
et le capital usuraire concentrèrent de la sorte de prodigieuses
richesses monétaires.
C'est ainsi que
par le pillage et la ruine de la masse des petits producteurs
s'accumulèrent les ressources monétaires indispensables
à la création de grandes entreprises capitalistes.
Analysant ce processus, Marx a écrit que le capital arrive
au monde " suant le sang et la boue par tous les pores.
"
(K.Marx : Le Capital, Livre I, t. III)
Les révoltes
des serfs. Les révolutions bourgeoises. La chute du régime
féodal.
La lutte de la paysannerie
contre les seigneurs féodaux s'est poursuivie durant toute
l'époque féodale, mais c'est à la fin de
celle-ci qu'elle a atteint sa plus grande acuité.
Au quatorzième
siècle, la France fut le théâtre d'une guerre
des paysans connue dans l'histoire sous le nom de Jacquerie.
La bourgeoisie naissante des villes, qui avait d'abord appuyé
le mouvement, s'en détourna an moment décisif.
A la fin du quatorzième
siècle, une révolte paysanne éclata dans
une grande partie de l'Angleterre.
Les paysans armés,
ayant à leur tête Wat Tyler, se répandirent
à travers le pays, détruisant les demeures seigneuriales
et les monastères, et s'emparèrent de Londres.
Les seigneurs étouffèrent le soulèvement
par la violence et la ruse. Tyler fut tué par trahison.
Confiants dans les
promesses du roi et des seigneurs, les révoltés
rentrèrent chez eux, après quoi des expéditions
punitives passèrent dans les villages; la répression
fut féroce.
Au début
du seizième siècle, une guerre des paysans soutenus
par les petites gens des villes et conduits par Thomas Münzer
se déroula en Allemagne.
Les paysans réclamaient
la cessation de l'arbitraire et des violences des nobles.
En Russie, Il y
eut de grandes guerres paysannes dirigées par Stépan
Razine au dix-septième siècle et Emélian
Pougatchev au dix-huitième.
Les révoltés
demandaient l'abolition du servage, la remise aux paysans des
terres de la noblesse et de l'Etat, la fin de la domination féodale.
Des guerres et des
révoltes paysannes d'une ampleur exceptionnelle se sont
déroulées en Chine pendant des siècles.
L'insurrection des
Taïpings, sous la dynastie des Tsing (milieu du dix-neuvième
siècle), mit en mouvement des millions de paysans.
Les révoltés
occupèrent Nankin, ancienne capitale de la Chine.
La loi agraire des
Taïpings proclamait l'égalité dans le droit,
la jouissance de la terre et des autres biens.
Leur organisation
politique combinait de façon originale la monarchie avec
la démocratie paysanne, trait que l'on retrouve aussi
dans les mouvements paysans d'autres pays.
Les révoltes
paysannes ont une importance révolutionnaire, car elles
ont ébranlé les bases mêmes de la féodalité
et conduit en définitive à l'abolition du servage.
Le passage du régime
féodal au capitalisme en Europe occidentale s'est accompli
grâce aux révolutions bourgeoises.
La bourgeoisie montante
profita de la lutte des paysans contre les seigneurs pour hâter
la chute du régime féodal, remplacer l'exploitation
féodale par l'exploitation capitaliste, et s'emparer du
pouvoir.
Lors des révolutions
bourgeoises, les paysans fournirent le gros des forces qui renversèrent
le régime féodal.
Il en fut ainsi
au cours de la première révolution bourgeoise dans
les Pays-Bas, au seizième siècle, pendant la révolution
anglaise du dix-septième siècle, pendant la révolution
bourgeoise en France à la fin du dix-huitième siècle.
La bourgeoisie s'appropria
les fruits de la lutte révolutionnaire de la paysannerie
et se hissa au pouvoir sur les épaules de celle-ci.
La force des paysans
résidait dans leur haine des oppresseurs. Mais leurs révoltes
étaient spontanées.
La paysannerie,
en tant que classe de petits propriétaires privés,
était morcelée; elle ne pouvait formuler un programme
clair ni mettre sur pied une organisation solide et cohérente
pour mener la lutte.
Pour triompher,
les révoltes paysannes doivent se combiner avec le mouvement
ouvrier et être dirigées par les ouvriers. Mais
lors des révolutions bourgeoises des dix-septième
et dix-huitième siècles la classe ouvrière
était encore faible, peu nombreuse et inorganisée.
C'est au sein même
de la société féodale qu'avaient mûri
les formes plus ou moins achevées du régime capitaliste;
une nouvelle classe exploiteuse, celle des capitalistes, avait
grandi en même temps qu'étaient apparues des masses
d'hommes dépourvus de moyens de production : les prolétaires.
A l'époque
des révolutions bourgeoises, la bourgeoisie a utilisé
contre la féodalité la loi économique de
correspondance nécessaire entre les rapports de production
et le caractère des forces productives; elle a renversé
les rapports de production féodaux, créé
des rapports de production nouveaux, des rapports bourgeois,
et fait concorder les rapports de production avec le caractère
des forces productives développées au sein du régime
féodal.
Les révolutions bourgeoises mirent fin au régime
féodal et instaurèrent la domination du capitalisme.
Les conceptions
économiques de l'époque féodale.
Les conceptions
économiques de l'époque féodale reflètent
les rapports sociaux qui règnent alors.
Toute la vie intellectuelle
se trouve sous le contrôle du clergé et revêt
de préférence pour cette raison une forme religieuse
et scolastique.
Aussi les considérations
sur la vie économique forment-elles des chapitres particuliers
des traités de théologie.
En Chine, les conceptions
économiques furent pendant des siècles influencées
par la doctrine de Confucius.
Idéologie
religieuse, le confucianisme naquit au cinquième siècle
avant notre ère.
Il exige le maintien
strict de la hiérarchie féodale des castes dans
l'ordre politique aussi bien que dans la famille.
" Les ignorants,
dit Confucius, doivent obéir aux nobles et aux sages.
L'insubordination des petites gens à l'autorité
supérieure est principe de désordre. "
Cependant Confucius
demandait aux " hommes bien nés " de faire preuve
d'" humanité " et de ne pas être trop
durs envers les pauvres.
Confucius prônait
la nécessité de l'union de la Chine, alors morcelée,
sous le pouvoir d'un monarque.
Confucius et ses
disciples idéalisent les formes d'économie arriérées.
Ils exaltent "
l'âge d'or " que représente pour eux le passé
patriarcal inter-masculin.
La paysannerie,
écrasée par l'aristocratie féodale et les
marchands, mettait dans le confucianisme ses espérances
d'une amélioration de sa situation, bien que cette doctrine
n'exprimât pas les intérêts de classe de la
paysannerie.
Au cours de son
évolution, le confucianisme devint l'idéologie
officielle de l'aristocratie féodale. Il fut exploité
par les classes dirigeantes pour élever le peuple dans
l'esprit d'une soumission servile aux seigneurs féodaux,
pour perpétuer le régime féodal.
Saint Thomas d'Aquin
(treizième siècle), un des idéologues du
féodalisme de l'Europe médiévale, a tenté
de justifier par la théologie la nécessité
de la société féodale.
Tout en proclamant
que la propriété féodale est nécessaire
et raisonnable, et en déclarant que les serfs sont des
esclaves, iI affirme, contrairement aux esclavagistes de l'antiquité,
que "l'esclave est libre en esprit " et que par conséquent
son maître n'a pas le droit de le tuer.
Il ne considère
plus le travail comme indigne d'un homme libre.
Le travail manuel
est à ses yeux une activité d'ordre inférieur,
et le travail intellectuel une occupation noble; il voit dans
cette distinction la base de la division de la société
en différents ordres.
Ses idées
sur la richesse s'inspirent du même point de vue de caste.
L'homme doit disposer
de la richesse à laquelle lui donne droit la situation
qu'il occupe dans la hiérarchie féodale.
Très caractéristique
à cet égard est la théorie des théologiens
du Moyen âge sur le " juste " prix.
Le " juste
" prix doit correspondre à la quantité de
travail dépensée pour produire un objet et à
la situation sociale du producteur.
Les défenseurs
du " juste " prix ne protestaient nullement contre
le profit du marchand. Ce qu'ils voulaient, c'était lui
fixer des bornes pour qu'il ne compromît pas l'existence
économique des autres ordres.
Ils condamnaient
l'usure comme déshonorante et immorale.
Mais avec le développement
de la production marchande et de l'échange, le clergé
lui-même se livra à l'usure pour laquelle l'Eglise
se montra de plus en plus indulgente.
La question de l'usure est importante, car l'Eglise a permis
la naissance et le développement de l'antisémitisme.
Les communautés
juives ghettoisées se virent en effet attribuées
le rôle d'usuriers, interdit aux chrétiens.
L'image antisémite
du Juif capitaliste provient de là. Historiquement cette
image s'est mélangée avec celle du " peuple
responsable de la mort du Christ " diffusée par l'Eglise.
Par la suite vint l'image du " Juif communiste ", qui
se rajoutera au cliché antisémite.
En revendiquant
une nationalité et une culture par-delà les frontières
des pays et des classes, c'est-à-dire en définissant
une communauté humaine en dehors des Etats nationaux,
les communautés juives ont été une cible
principale des idéologies bourgeoises nationales.
Cela a été
particulièrement fort là où les Etats nationaux
n'avaient pas encore atteint leur unité.
Dans la conception
nazie de l'Etat capitaliste centralisé, les communautés
" transnationales " juives, roms et sintis ("tziganes
") apparaissaient comme internationalistes et proches du
communisme dans leurs principes communautaires.
Ce phénomène
de liquidation de populations apparaissant comme des obstacles
à l'unification nationale selon les principes capitalistes
parce qu'elles ont conservé des traits communautaires
antérieurs au capitalisme n'est pas un phénomène
exceptionnel.
Il est lié
aux contradictions du rapport entre féodalité et
capitalisme ; il est ainsi encore d'actualité pour la
majorité des peuples du monde, encore prisonniers des
rapports féodaux.
Il a pris et prend
souvent un caractère génocidaire (liquidation des
Juifs d'Espagne ; liquidation des communautés samis ("
lapones ") en Europe du Nord ; liquidation des natives americans
en Amérique du Nord ; liquidation des communautés
indiennes en Amérique centrale et du Sud, etc.).
La lutte de classe
des masses opprimées contre les classes dominantes de
la société féodale prit pendant des siècles
une forme religieuse. Les paysans et les compagnons exploités
citaient souvent la Bible à l'appui de leurs revendications.
D'innombrables sectes
prirent une grande extension. L'Eglise catholique et l'Inquisition
persécutaient férocement les "hérétiques
", les envoyaient au bûcher.
La résistance
des femmes fut combattue et leurs connaissances criminalisées.
Toute la culture
issue du communisme primitif fut anéantie ; l'Eglise devait
être la seule détentrice de tous les savoirs, comme
la médecine.
Des centaines de
milliers de femmes - les estimations vont de un à neuf
millions - ont été assassinées lors de l'apogée
de la chasse aux " sorcières " entre 1480 et
1780.
Avec le développement
de la lutte de classe, le mouvement des masses opprimées
se dégagea de plus en plus de son enveloppe religieuse,
et son caractère révolutionnaire s'affirma avec
une netteté croissante.
Les paysans réclamaient
l'abolition du servage et des privilèges féodaux,
l'égalité des droits, la suppression des ordres,
etc.
Au cours des guerres
paysannes en Angleterre, en Bohême et en Allemagne, les
mots d'ordre des révoltés prirent un caractère
toujours plus radical.
L'aspiration à
l'égalité des masses exploitées de la campagne
et de la ville se traduisit par la revendication de la communauté
des biens, c'est-à-dire de l'égalité en
matière de consommation.
Revendication impossible
à réaliser, mais qui avait à l'époque
une portée révolutionnaire, car elle soulevait
les masses pour la lutte contre l'oppression féodale.
C'est au déclin
de l'époque féodale qu'apparurent les deux premiers
grands socialistes utopistes : l'Anglais Thomas More, auteur
de l'Utopie (seizième siècle), et l'Italien Tommaso
Campanella qui écrivit La Cité du soleil (dix-septième
siècle).
Constatant dans la société de leur temps une inégalité
et des contradictions croissantes, ces penseurs ont exposé
sous une forme originale leurs idées sur la cause des
maux dont elle souffre; ils ont donné la description d'un
régime qu'ils considèrent comme idéal et
où ces maux auront été supprimés.
Le régime
social qu'ils préconisent ignore la propriété
privée et les vices qu'elle entraîne. Chacun est
à la fois artisan et agriculteur.
La journée
de travail est de six, voire de quatre heures par jour, ce qui
suffit parfaitement à couvrir tous les besoins. Les produits
sont répartis selon les besoins. L'éducation des
enfants est confiée à la société.
Les ouvrages de
More et de Campanella jouèrent un rôle progressiste
dans l'histoire de la pensée sociale. Ils renfermaient
des idées très en avance sur leur temps. Mais faute
de tenir compte des lois du développement social, ces
idées étaient irréalisables, utopiques.
On ne pouvait alors
supprimer l'inégalité sociale : le niveau des forces
productives exigeait que l'exploitation féodale fît
place à l'exploitation capitaliste.
L'apparition du
capitalisme remonte au seizième siècle.
C'est aussi à
cette époque que furent faites les premières tentatives
pour interpréter et pour expliquer certains phénomènes
propres au capitalisme.
Ainsi prit naissance
et se développa, du seizième au dix-huitième
siècle, le courant de la pensée et de la politique
économiques, qui a reçu le nom de mercantilisme.
Né en Angleterre,
le mercantilisme se répandit ensuite en France, en Italie
et dans les autres pays. Il posait le problème de la richesse
nationale, de ses formes et des moyens de l'accroître.
C'était à
l'époque où le capital, sous sa forme commerciale
et usuraire, dominait le commerce et le crédit. Il ne
faisait encore que ses premiers pas dans la production où
il fondait des manufactures.
Après la
découverte et la conquête de l'Amérique les
métaux précieux affluèrent en Europe.
Les guerres et le
commerce opéraient une redistribution permanente de l'or
et de l'argent entre les Etats européens.
Dans leur conception
de la nature de la richesse, les mercantilistes partaient de
l'analyse des phénomènes superficiels de la circulation.
Leur attention se
portait non sur la production, mais sur le commerce et la circulation
monétaire, en particulier sur les mouvements de l'or et
de l'argent.
Pour les mercantilistes,
la seule richesse véritable est constituée non
par la production sociale, mais par la monnaie: l'or et l'argent.
Ils demandent que
l'Etat intervienne énergiquement dans la vie économique
pour faire en sorte que la monnaie afflue le plus possible dans
le pays et s'en aille le moins possible à l'étranger.
Les mercantilistes
pensèrent d'abord y parvenir en interdisant par de simples
mesures administratives la sortie de la monnaie.
Ils estimèrent
par la suite qu'il était nécessaire pour cela de
développer le commerce extérieur.
Ainsi, l'Anglais
Thomas Man (1571-1641), gros marchand et directeur de la Compagnie
des Indes orientales, écrivait : " Le moyen ordinaire
d'augmenter notre richesse et nos trésors est le commerce
avec l'étranger où nous devons toujours avoir pour
règle de vendre chaque année aux étrangers
nos marchandises pour une somme supérieure à celle
que nous dépensons pour nous procurer les leurs. "
Les mercantilistes
exprimaient les intérêts de la bourgeoisie, qui
naissait au sein du régime féodal, et qui était
impatiente d'accumuler des richesses sous forme d'or et d'argent
en développant le commerce extérieur, en pillant
les colonies et en engageant des guerres commerciales, en asservissant
les peuples les moins évolués.
Avec le progrès
du capitalisme, ils exigèrent que l'Etat protégeât
le développement des entreprises industrielles, des manufactures.
Des primes à
l'exportation furent accordées aux marchands qui vendaient
des marchandises à l'étranger. Les droits d'entrée
acquirent bientôt une importance plus grande encore.
A mesure que se
développaient les manufactures, puis les fabriques, l'imposition
de droits de douane sur les produits importés devint la
mesure la plus fréquemment appliquée pour protéger
l'industrie nationale contre la concurrence étrangère.
C'est ce qu'on appelle
le protectionnisme, politique qui a subsisté dans de nombreux
pays bien après l'abandon des théories mercantilistes.
En Angleterre, les
tarifs protecteurs jouèrent un rôle important aux
seizième et dix-septième siècles, alors
qu'il s'agissait d'écarter la concurrence des manufactures
plus développées des Pays-Bas.
A partir du dix-huitième
siècle, l'Angleterre s'assura de façon durable
la primauté industrielle.
Les autres pays,
moins évolués, ne pouvaient rivaliser avec elle.
Aussi l'idée
du libre-échange commença-t-elle à se faire
jour en Angleterre.
Il en allait autrement
dans les pays qui s'étaient engagés dans la voie
du capitalisme après l'Angleterre.
En France, le ministre
de Louis XIV, Colbert, encouragea les manufactures par tout un
ensemble de mesures protectionnistes : droits de douane élevés,
interdiction d'exporter les matières premières,
implantation d'industries nouvelles et création de compagnies
pour le commerce extérieur, etc.
Le mercantilisme
joua à l'époque un rôle progressiste.
La politique protectionniste
qu'il inspira contribua dans une mesure appréciable à
l'extension des manufactures.
Mais la théorie
mercantiliste de la richesse traduisait le faible développement
de la production capitaliste.
Les progrès
du capitalisme firent de mieux en mieux apparaître la faiblesse
de cette théorie.
C'est avec la désagrégation
du régime féodal et la naissance du capitalisme
que s'élabora l'idéologie de la bourgeoisie marchant
à la conquête du pouvoir.
Cette idéologie
était dirigée contre le régime féodal
et contre la religion, arme spirituelle de la féodalité.
Aussi la conception du monde de la bourgeoisie en lutte pour
le pouvoir revêt-elle dans une série de pays un
caractère progressiste.
Ses représentants
les plus en vue, économistes et philosophes, soumirent
à une critique impitoyable tous les fondements - économiques,
politiques, religieux, philosophiques et moraux - de la société
féodale.
Ils jouèrent
un rôle important dans la préparation idéologique
de la révolution bourgeoise et exercèrent une influence
féconde sur les sciences et les arts.
La culture dans
la féodalité
La culture dans
la féodalité est marquée par le développement
de la culture nationale dans le mélange des peuples parallèlement
à la formation d'un marché national, et par les
influences des autres cultures.
Le Moyen-âge
est en effet marqué par le déplacement de nombreuses
populations, qui soit fondent un nouveau pays (Islande, Bretagne,
etc.), soit s'intègrent dans un pays existant (Normands
en France, Celtes en Grande-Bretagne, Ostrogoths en Italie, Visigoths
en Espagne, etc.).
Par le développement
de l'Eglise comme référence intellectuelle absolue,
les arts sont subordonnés à celle-ci ; c'est l'avènement
de l'art roman (10ème - 12ème siècle).
Cet art s'exprime
dans la période de paix suivant les invasions hongroises,
normandes et musulmanes ; il représente la domination
absolue de la domination féodale sur les esprits, et ainsi
l'apogée de la féodalité.
L'art roman utilise
la symbolique afin de représenter le monde divin, et appelle
à la foi pour faire comprendre le sens des représentations.
La naissance du
capitalisme, de classes marchandes et de la bourgeoisie, va modifier
l'hégémonie idéologique de la féodalité.
L'art gothique est le premier moment de cette modification culturelle.
Il est marqué
par la présence d'éléments anecdotiques
ou naturalistes et profite de l'utilisation rationnelle des nouvelles
connaissances techniques.
Il marque la fin
de la domination puritaine absolue du haut-clergé.
En cette phase historique,
la culture et l'idéologie restent néanmoins essentiellement
religieux.
La musique est spirituelle
; l'architecture reste consacrée aux églises.
L'allégorie
reste le principe central ; Thomas d'Aquin et Giovanni Fidanza
Bonaventura en sont les défenseurs théoriques principaux
européens.
C'est ainsi au sein
de l'idéologie religieuse que se développent les
prémisses de la culture bourgeoise, principalement en
Italie au treizième siècle.
Le passage sous
la tutelle française de la papauté permettra également
une plus grande marge de critique, dont l'expression la plus
grande arrivera au quinzième siècle, avec l'apogée
de la ville de Florence.
Des uvres
marquantes sont à ce titre celles de Dante (1265-1321)
: la " Natura umana " (la Nature humaine), et surtout
" De vulgari eloquentia ", qui est une défense
de la poésie humaine, langage qui n'est ni celui des bêtes
ni celui des anges, et qui illumine. Les lumières se diront
ainsi "Illuminismo " en italien.
Avec les années
de la Renaissance, les valeurs sont puisées dans l'antiquité
grecque et latine ; l'Homme libre, l'individu, est un concept
nouveau de plus en plus mis en avant.
Sur le plan artistique,
cela se concrétise principalement avec l'intégration
de thèmes mythologiques aux classiques représentations
religieuses ou de membres des classes dominantes.
De la même
manière, le philosophe Spinoza combinera discours théologique
et politique afin de pouvoir affirmer les revendications politiques
de la bourgeoisie. C'est également le cas d'Erasme.
Historiquement l'utilisation
des thèmes mythologiques est la brèche principale
utilisée pour affronter l'idéologie féodale
absolue.
Ce premier développement
sera suivi du maniérisme, qui dans la continuité
de la Renaissance amène au seizième siècle
une exigence d'attention aux mouvements et aux expressions.
Le peintre allemand
Hans Holbein (le jeune) en est le plus grand représentant
; ses peintures de marchands allemands sont marquantes pour cette
période.
Au niveau architectural
le maniérisme met en avant la liaison des bâtiments
avec la nature (lumière ; jardins
) ; la bourgeoisie
développe sa conscience et s'approprie le monde, dans
le domaine des arts, alors qu'au niveau politique c'est encore
l'aristocratie qui domine, qui plus est de manière absolue.
Ce n'est que lentement
que cette classe dominante parvient à réagir pour
reconquérir le terrain culturel perdu ; un exemple éloquent
reste l'établissement de l'Inquisition en Espagne, dont
l'influence culturelle est fondamentale et joue jusqu'à
aujourd'hui.
Le style baroque
est l'expression de cette réaction culturelle, principalement
en Italie et en Espagne.
L'Angleterre, pays
où la bourgeoisie progresse le plus vite vers sa révolution
et où le protestantisme est dominant, est le pays où
l'art baroque s'implante par conséquent le moins.
Le style baroque
prend directement comme prétexte et comme ennemis la culture
religieuse protestante et la déviation mythologique, utilisée
par la bourgeoisie pour s'affirmer en tant que classe (dominante),
pour réaffirmer les valeurs du classicisme.
Les nus disparaissent
; la modestie et la spiritualité sont mises en avant.
Mais il est un classicisme
décadent.
Il emprunte tout
au classicisme mais y ajoute le maniérisme, le culte de
l'ornement au service d'une classe sociale parasitaire.
Cela est particulièrement
vrai dans la musique (ainsi les opéras de Lully) et dans
la littérature.
Le baroque est un
classicisme boursouflé d'ornements, toute l'activité
culturelle sert la splendeur royale, le caractère grandiose
de la religion catholique.
L'art baroque est
la théâtralisation générale de la
vie spirituelle et l'apogée du " retour " de
la classe aristocratique.
Le style rococo, qui se veut clair, élégant, raffiné,
est le prolongement de l'art baroque, qui sera lui-même
suivi du néo-classicisme.
Ces styles marquent
l'ultime tentative de la féodalité de conserver
sa position idéologique, le plus haut point de l'expression
de la contre-révolution préventive aristocratique,
preuve qu'il s'agit bien de la phase décisive de la révolution
bourgeoise.
Le chant du cygne
pour les féodaux.
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