Manuel
d'économie politique
maoïste

11.Le système colonial et son effondrement,
le système néo-colonial

Le rôle des colonies dans la période d'expansion de l'impérialisme

Les annexions coloniales, la tendance à former de vastes empires par la conquête de pays et de peuples plus faibles, existaient aussi avant l'époque de l'impérialisme et même avant la naissance du capitalisme.

Mais, comme l'a montré Lénine, dans la période de l'impérialisme le rôle et la portée des colonies changent de façon fondamentale, non seulement par rapport aux époques précapitalistes, mais aussi par rapport à la période du capitalisme prémonopoliste.

Dans la période de l'impérialisme s'achève la constitution du système capitaliste d'économie mondiale, système qui repose sur des rapports de dépendance, de domination et de soumission.

Les traits principaux et les exigences de la loi économique fondamentale du capitalisme actuel pourraient être formulés à peu près ainsi : assurer le profit capitaliste maximum par l'exploitation, la ruine et l'appauvrissement de la majorité de la population d'un pays donné, par l'asservissement et le pillage systématique des peuples des autres pays, [...] et enfin par les guerres et la militarisation de l'économie nationale utilisées pour assurer les profits les plus élevés.
(Staline, Les problèmes économiques du socialisme en URSS)

Les pays impérialistes, grâce à l'exportation accrue des capitaux, à l'extension des " zones d'influence " et aux annexions coloniales, ont soumis à leur domination les peuples des colonies et des pays dépendants.

Aux " vieilles " méthodes de la politique coloniale s'ajoute la lutte des monopolistes pour les sources de matières premières, pour l'exportation des capitaux, pour les zones d'influence, pour les territoires économiques et stratégiques.

Cette politique coloniale de l'impérialisme s'est heurtée à la résistance des masses, des peuples et nations opprimés; elle a dû s'adapter et former un néo-colonialisme.

L'impérialisme a dû donner une " indépendance " formelle afin de prendre de court les revendications des masses et manipuler cette indépendance, la modeler selon ses intérêts.

Les pays du Maghreb restent ainsi dépendants de la France, les pays d'Afrique noire subissent régulièrement des interventions militaires françaises lorsque la situation risque de troubler le rapport de dépendance.

Comme on l'a déjà montré, l'asservissement et le pillage systématique par les Etats impérialistes des peuples des autres pays, notamment des pays retardataires, la transformation d'une série de pays indépendants en pays dépendants, a constitué un des traits principaux de la loi économique fondamentale du capitalisme dans la première partie du siècle.

Le capitalisme, en s'étendant au monde entier, a provoqué la tendance au rapprochement économique des divers pays, à la suppression de l'isolement national et à l'union progressive de vastes territoires en un tout cohérent.

La " mondialisation " n'est pas un phénomène nouveau, mais intrinsèque à l'impérialisme.

Le moyen par lequel le capitalisme monopoliste réalise l'union économique progressive de vastes territoires, est l'asservissement des colonies et des pays dépendants par les puissances impérialistes.

Cette union se fait en créant des empires coloniaux et néo-coloniaux, fondés sur l'oppression et l'exploitation implacables des pays coloniaux et dépendants par les métropoles.

Cette forme de domination, où la colonie est " officiellement " nationalement indépendante et où en fait les couches sociales dominantes que sont la bourgeoisie bureaucratique et les grands propriétaires terriens collaborent avec l'impérialisme, ne change rien à la domination générale de l'impérialisme.

L'impérialisme n'a pas changé de nature en adaptant son colonialisme en néo-colonialisme. La dépendance est le caractère principal de la majorité des pays du monde.

Le capitalisme s'est transformé en un système universel d'oppression colonialiste et d'étranglement financier de l'immense majorité de la population du globe, par une poignée de pays " avancés. "
(V. Lénine : L'impérialisme, stade suprême du capitalisme)

Ainsi, les différentes économies nationales sont devenues les anneaux d'une chaîne unique, appelée économie mondiale.

Et, d'autre part, la population du globe s'est scindée en deux camps - le petit groupe de pays impérialistes qui exploite et opprime les pays coloniaux et semi-coloniaux, et une énorme majorité de pays coloniaux et semi-coloniaux, dont les peuples sont en lutte pour se libérer du joug de l'impérialisme.

Durant la phase monopoliste du capitalisme, s'est formé le système colonial de l'impérialisme.

C'est dans le développement de l'impérialisme, notamment dans les deux guerres impérialistes ouvertes, que s'est formé le système néo-colonial.

D'une manière ou d'une autre ces deux systèmes embrassent la totalité des colonies et des semi-colonies opprimées et asservies par les Etats impérialistes.

Le pillage et la conquête, l'arbitraire et la violence impérialistes, l'esclavage, l'oppression nationale et la servitude, enfin la lutte des puissances impérialistes entre elles pour la domination des peuples des pays opprimés : telles sont les formes sous lesquelles s'est poursuivi le processus de création du système colonial et néo-colonial de l'impérialisme.

Les Etats impérialistes, en s'emparant des colonies et en les pillant, en instaurant des régimes fascistes prétendument démocratiques, en accordant une prétendue " indépendance", s'efforcent de surmonter leurs contradictions internes grandissantes.

Les profits élevés extorqués aux pays opprimés permettent à la bourgeoisie de corrompre dans les pays impérialistes certaines couches d'ouvriers qualifiés à l'aide desquels la bourgeoisie cherche à désorganiser le mouvement ouvrier.

En même temps, l'exploitation des colonies et néo-colonies conduit à l'accentuation des contradictions du système capitaliste dans son ensemble.


Les colonies et néo-colonies, réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles.

Au sens strict, les néo-colonies sont des semi-colonies.

A l'époque de l'impérialisme, les semi-colonies constituent avant tout le champ d'application le plus sûr et le plus avantageux pour le capital.

L'oligarchie financière des pays impérialistes, disposant dans les semi-colonies du monopole sans partage de l'investissement des capitaux, touche des profits particulièrement élevés.

En pénétrant dans les pays retardataires, le capital financier désagrège les formes d'économie précapitalistes - petit artisanat, économie semi-naturelle des petits paysans - et provoque le développement des rapports capitalistes.

Mais ces rapports capitalistes sont bureaucratiques, ils sont simplement au service de l'impérialisme.

Afin d'exploiter ces pays, les impérialistes y construisent des voies ferrées, des entreprises industrielles pour la production des matières premières.

Mais en même temps l'exploitation impérialiste dans les pays opprimés retarde le progrès des forces productives et prive ces pays des conditions nécessaires à leur développement économique indépendant.

Les impérialistes sont intéressés au retard économique des colonies et semi-colonies, qui leur permet de maintenir leur pouvoir et d'intensifier leur exploitation.

Même là où l'industrie est relativement plus développée, par exemple dans certains pays de l'Asie, la production reste industrielle au sens large.

Les produits à haute valeur ajoutée et le savoir-faire sont l'apanage exclusif des pays impérialistes.

De même, l'industrie lourde en tant que telle, base de l'indépendance économique d'un pays, est extrêmement faible dans les semi-colonies; les constructions mécaniques font à peu près défaut.

Les monopoles dominants prennent des mesures spéciales pour empêcher de créer la production d'instruments de production : ils refusent aux colonies et aux pays dépendants les crédits à cette fin, ne vendent ni l'outillage ni les brevets nécessaires.

Le développement de l'industrie existe progressivement, suivant les besoins de l'impérialisme, mais sert exclusivement l'impérialisme. Le retard technologique est constant et les structures féodales dans les campagnes restent également inchangées.

En Inde, la production d'acier par habitant, à la veille de la deuxième guerre mondiale (1938), était de 2,7 kilogrammes par an contre 222 kilogrammes en Grande-Bretagne.
Avec le développement du système néo-colonial, l'Inde produit en 1990 14 millions de tonnes d'acier et l'Angleterre 19, puis trois années après 26,9 contre 15,2 millions de tonnes.

C'est-à-dire que l'Inde produit toujours insuffisamment d'acier et que celui-ci ne fait que servir l'économie marquée par la dépendance. En 2003, 60% de la population indienne travaille ainsi encore directement dans l'agriculture et seulement 17% dans l'industrie.

L'économie des semi-colonies a pris un caractère unilatéral très prononcé qui ne fait que s'accentuer avec le développement de l'impérialisme.

L'impérialisme a transformé les pays asservis en réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles.

L'économie de nombreuses semi-colonies est spécialisée dans la production d'un ou deux produits consacrés entièrement à l'exportation.

Ainsi, après la deuxième guerre mondiale, le pétrole représentait 97 % des exportations du Venezuela, aujourd'hui ce chiffre est encore de 80%.

En Bolivie, où plus des 2/3 des gens travaillent toujours dans l'agriculture, 70% des exportations d'après-guerre consistaient en de l'étain.

Aujourd'hui le cour de l'étain s'est effondré, ruinant les masses travaillant dans ce secteur et les poussant vers la production de coca.

Et le statut de dépendance de la Bolivie n'a pas changé, le gaz formant maintenant la majorité des exportations.
Le Brésil, où 1% des exploitations agricoles possèdent la moitié des terres disponibles, reste depuis 50 ans le grand exportateur de café.

La Malaisie, qui, il y a 50 ans, exportait quasi uniquement du caoutchouc et de l'étain, exporte toujours majoritairement des produits pour la production des pays impérialistes (circuits intégrés, matériel informatique, etc.).

De même pour l'Egypte, qui continue d'exporter du coton aux pays impérialistes et y ajoute désormais du pétrole, tout en important des produits finis comme les moteurs, les produits pharmaceutiques, etc.

Le développement unilatéral de l'agriculture (ce qu'on appelle la monoculture) réduit des pays entiers à la merci des monopoles, accapareurs de matières premières.

Avec la transformation des colonies en réserves de produits agricoles et de matières premières pour les métropoles, le rôle des semi-colonies s'accroît considérablement en tant que sources de matières premières à bon marché pour les Etats impérialistes.

Plus le capitalisme est développé, et plus la concurrence et la chasse aux sources de matières premières est âpre dans le monde entier, plus la lutte est acharnée pour la conquête des semi-colonies, plus les concurrences inter-impérialistes sont vives.

Aucun monopole ne peut s'estimer pourvu s'il ne possède pas des sources sûres de matières premières, et le rôle des Etats au service des monopoles est de s'approprier la direction des semi-colonies, au moyen de coups d'Etat, de rébellions, etc.

Les sources de diverses matières premières stratégiques de différentes sortes - pétrole, minerais de fer, métaux non ferreux et rares, caoutchouc, coton, etc., - font l'objet d'une lutte à outrance.

L'histoire du Moyen-Orient est ainsi depuis cinquante ans l'histoire de la lutte pour le contrôle exclusif des sources du pétrole.

Les peuples libanais et palestinien sont des victimes du soutien impérialiste au sionisme ; la Turquie kémaliste - fasciste a également un rôle vital dans cette politique impérialiste régionale.

Des colonies et des pays dépendants, les monopoles tirent à vil prix les quantités énormes de matières premières dont ils ont besoin.

La mainmise sur les sources de matières premières à bon marché permet aux monopoles industriels d'imposer des prix de monopole sur le marché mondial, de vendre leurs articles à des prix exorbitants.

De plus, à l'époque de l'impérialisme, le rôle des colonies et semi-colonies, en tant que débouchés pour les métropoles, grandit.

A l'aide d'une politique douanière appropriée ou bien en contrôlant directement la direction du pays par le contrôle de la bourgeoisie bureaucratique, les impérialistes préservent les débouchés semi-coloniaux de la concurrence étrangère.

C'est ainsi que les monopoles ont la possibilité d'écouler dans les semi-colonies, à des prix exorbitants, leur production, y compris les marchandises de qualité inférieure qui ne trouvent pas de débouché sur les autres marchés.

En Turquie pour ce faire la bourgeoisie bureaucratique a formé des sociétés directement possédées par l'armée, sociétés vivant de la pénétration et de la domination impérialiste, comme avec la société française Renault.

La disparité des échanges, entre les puissances impérialistes et les pays dépendants, augmente par conséquent sans cesse.

Les monopoles qui font du commerce avec les semi-colonies (accaparement des matières premières et vente des marchandises industrielles), font des bénéfices énormes.
Ils sont les vrais maîtres de pays entiers, disposant de la vie et des biens de milliards d'êtres humains.

L'exploitation monstrueuse des masses ouvrières rapporte des revenus particulièrement élevés pour les capitaux placés dans les semi-colonies.

La dette du " tiers-monde " consiste également majoritairement en une dette contractée lors de prêts visant à rembourser les intérêts sur les précédents emprunts.

Le service de la dette est perpétuellement supérieur aux prêts nouveaux et amène chaque année à l'effondrement financier de nouveaux pays.

Des pays se retrouvent ruinés en quelques jours, comme l'Argentine en 2000.

En outre, les métropoles importent de ces pays des centaines de milliers d'ouvriers qui exécutent des travaux particulièrement pénibles pour un salaire de famine.

Ainsi, les monopoles aux Etats-Unis, notamment dans le sud du pays, soumettent à une exploitation inhumaine les ouvriers du Mexique et de Porto Rico, les monopoles de France en font autant pour les ouvriers nord-africains, etc.

Pendant la première guerre mondiale, ont combattu du côté français un million et demi de soldats noirs des colonies africaines, phénomène qui s'est reproduit par la suite.

Alors que le monde est déjà partagé et que se poursuivent les préparatifs d'une lutte armée pour un nouveau partage, les puissances impérialistes mettent la main sur tous les territoires ayant ou pouvant avoir une valeur quelconque comme point d'appui, base militaire navale ou aérienne.

L'impérialisme américain a des bases américaines dans toutes les régions du monde et est organisé pour intervenir militairement là où la bourgeoisie impérialiste américaine l'exige.

Les méthodes d'exploitation néo-coloniale des masses laborieuses.

La combinaison du pillage impérialiste et des formes féodales d'exploitation des travailleurs est un trait caractéristique des méthodes d'exploitation coloniale qui assure des bénéfices monopolistes au capital financier des métropoles.

Les progrès de la production marchande et l'extension des rapports monétaires, l'expropriation de terres appartenant à la population autochtone, la destruction de la petite production artisanale vont de pair avec le maintien factice de survivances féodales et l'implantation de méthodes de travail forcé.

Avec le développement des rapports capitalistes, la rente en nature est remplacée par la rente en argent, les impôts en nature par des impôts en espèces, ce qui a pour effet de hâter la ruine des masses paysannes.

Les classes dominantes des semi-colonies sont les propriétaires féodaux et les capitalistes des villes et des campagnes (les paysans riches). La classe des capitalistes se divise en bourgeoisie de compradores (la bourgeoisie bureaucratique) et la bourgeoisie nationale.

Les compradores sont les intermédiaires indigènes entre les monopoles étrangers et le marché colonial de produits importés et de matières premières exportées.

Les propriétaires féodaux et la bourgeoisie des compradores sont les vassaux du capital financier étranger; ils constituent une agence vénale pure et simple de l'impérialisme international, qui asservit les colonies et les semi-colonies.

Avec le développement d'une industrie propre dans les semi-colonies grandit une bourgeoisie nationale qui se trouve placée dans une situation ambiguë : d'une part, l'oppression de l'impérialisme étranger et des survivances féodales lui barre le chemin vers la domination économique et politique; d'autre part, elle participe avec les monopoles étrangers à l'exploitation de la classe ouvrière et de la paysannerie.

Cette ambiguïté a donné naissance à des idéologies fascistes où la bourgeoisie nationale tente de développer un mouvement de masse pour renforcer son poids dans ses relations avec l'impérialisme.

C'est la principale nature des mouvements s'étant développés en Amérique latine depuis les années 1960 (le péronisme en Argentine, l'APRA au Pérou, Chavez au Venezuela, etc.) puis à la fin du vingtième siècle dans les pays à majorité musulmane (Khomeiny en Iran, Bin Laden en Arabie Saoudite, etc.).

La principale caractéristique d'un véritable Mouvement de Libération Nationale repose précisément dans la capacité de rejeter cette ligne de la bourgeoisie nationale et d'avoir une direction prolétarienne.

Les principaux théoriciens ayant réussi ce saut politique sont Charum Mazumdar, fondateur du Parti Communiste d'Inde (Marxiste-Léniniste), Ibrahim Kaypakkaya, fondateur du Parti Communiste de Turquie (Marxiste-Léniniste) et Gonzalo, qui a reconstitué le Parti Communiste du Pérou.

Il faut noter que, étant donné que la lutte de libération nationale tend à renverser la domination de l'impérialisme, à conquérir l'indépendance nationale du pays et à liquider les survivances féodales qui entravent le développement du capitalisme, la (gauche de la) bourgeoisie nationale peut participer, à une certaine étape, à cette lutte et peut jouer un rôle progressiste.

La classe ouvrière grandit dans les semi-colonies dépendantes, au fur et à mesure du développement de l'industrie et de l'extension des rapports capitalistes.

Son avant-garde est constituée par le prolétariat industriel.

Font également partie du prolétariat les masses des ouvriers agricoles, des ouvriers des manufactures capitalistes et des petites entreprises, ainsi que les manœuvres des villes, qui exécutent toutes sortes de travaux manuels.

La paysannerie forme encore la masse essentielle, au point de vue numérique, de la population des semi-colonies.

Dans la plupart de ces pays, la population des campagnes est composée, dans son immense majorité, de paysans sans terre ou n'en possédant que peu - paysans pauvres et moyens.
La nombreuse petite bourgeoisie des villes est formée de petits commerçants et d'artisans.

Dans ces pays la concentration de la propriété foncière va de pair avec le régime de la petite exploitation terrienne.
Les grands propriétaires fonciers mettent en location la terre par petites parcelles, à des conditions asservissantes.

La sous-location parasitaire à plusieurs degrés est pratiquée en grand : entre le propriétaire terrien et le paysan travaillant la terre s'interposent plusieurs intermédiaires qui enlèvent au cultivateur une grande partie de sa récolte.
Le métayage est prédominant.

D'ordinaire le paysan se trouve entièrement sous le pouvoir du propriétaire foncier, dont il reste pour toujours débiteur.
Dans certains pays subsistent pratiquement la corvée et les prestations en travail : les paysans sans terre sont tenus, à titre de loyer ou pour acquitter leurs dettes, de travailler plusieurs jours par semaine au profit du propriétaire.

L'extrême misère force le paysan à s'endetter, à se laisser asservir et parfois à devenir l'esclave de l'usurier.

Dans les pays de l'Amérique latine, le paysan appauvri se voit obligé de demander au propriétaire des avances qui doivent être remboursées en travail; avec ce système (appelé " péonage "), les obligations passent d'une génération à l'autre, et toute la famille du paysan devient en fait la propriété du maître.

Marx qualifiait le péonage d'esclavage déguisé.

Une grande partie du maigre produit du travail exténuant du paysan et de sa famille est accaparée par les exploiteurs, le propriétaire foncier, l'usurier, le revendeur, la bourgeoisie rurale, les capitalistes étrangers, etc.

Ceux-ci prennent possession non seulement du produit du surtravail mais aussi d'une part importante du travail nécessaire du cultivateur.

Le revenu restant au paysan est dans bien des cas insuffisant, même pour subvenir à une existence misérable.
Nombreuses sont les exploitations paysannes qui se ruinent; leurs anciens possesseurs viennent grossir l'armée des salariés agricoles.

La surpopulation agraire atteint de vastes proportions.
Elle amène un déplacement vers les villes, renforçant l'armée industrielle de réserve.

Ecrasée par le propriétaire et l'usurier, l'exploitation paysanne ne peut employer que l'outillage le plus primitif, qui demeure sans changement notable pendant des centaines et parfois des milliers d'années.

La technique primitive du travail de la terre aboutit à un épuisement extrême du sol.

Aussi beaucoup de semi-colonies, tout en restant des pays agricoles, sont-elles incapables de faire vivre leur population et obligées d'importer des produits alimentaires, comme la Bolivie.

L'agriculture des pays asservis par l'impérialisme est vouée à la décadence et à la dégradation.

Dans ces pays, malgré l'immense surpopulation agraire et la pénurie de terre, une partie seulement des terres cultivables est utilisée de façon productive.

Dans les pays du Proche-Orient, les anciens systèmes d'irrigation sont abandonnés ou détruits.

Sur les terres autrefois réputées les plus fertiles du monde, le rendement est extrêmement bas et décroît sans cesse.

Les mauvaises récoltes fréquentes provoquent la mort de millions d'hommes.

L'oppression semi-coloniale signifie pour la classe ouvrière la servitude politique et une exploitation féroce.

Pour se maintenir en place la bourgeoisie bureaucratique et les propriétaires terriens sont obligés de développer la terreur.

La torture, les " disparitions ", les exécutions sommaires sont monnaie courante dans les pays du tiers-monde.

Cette brutalité sans limite a même été marquée par la naissance d'une auto-défense armée populaire de type réformiste, comme en Amérique latine ou en Asie du Sud Est.

Ce réformisme sans véritable idéologie n'existe que par la violence aveugle de l'Etat et des milices.

Dans les villes règne le chaos et la violence.

L'urbanisme n'est pas organisé et les bidonvilles prédominent.
En règle générale, dans les entreprises industrielles et dans les transports, la protection de la population laborieuse fait complètement défaut.

La grande usure de l'outillage, le refus des entrepreneurs de faire les dépenses nécessitées par les réparations et la sécurité du travail provoquent de fréquents accidents qui causent la mort ou la mutilation de centaines de milliers d'individus.

L'absence de toute législation sociale prive l'ouvrier de tout moyen d'existence en période de chômage, en cas de mutilation ou de maladie professionnelle.

Le salaire des ouvriers semi-coloniaux n'est même pas suffisant pour satisfaire les besoins les plus immédiats.

Les ouvriers sont obligés de payer une part déterminée de leur salaire dérisoire à des intermédiaires de toutes sortes - courtiers, contremaîtres, surveillants, ou personnes préposées à l'embauchage.

La plupart des ouvriers sont criblés de dettes.

Très souvent, notamment en Amérique du Sud, les ouvriers sont logés dans des baraquements spéciaux ou dans des camps, comme des prisonniers privés du droit de se déplacer librement.

Le travail forcé est appliqué sur une vaste échelle tant dans l'agriculture que dans l'industrie.

Le retard économique extrême joint à un degré élevé d'exploitation condamne les peuples semi-coloniaux à la famine et à la misère.

Une part immense des biens matériels créés dans les semi-colonies est accaparée sans compensation par les grands monopoles des Etats impérialistes.

Le niveau de vie de la majeure partie de la population est très bas.

La mortalité y est très élevée : la famine et les épidémies dépeuplent des régions entières.

La situation de la femme est catastrophique.

La prostitution est organisée à haut niveau dans l'appareil d'Etat lui-même.

L'organisation de ce nouvel esclavagisme passe par plusieurs Etats, notamment d'Europe de l'Est mais ne pourraient exister sans la complicité des structures étatiques et sociales des pays impérialistes.

Le maintien des structures féodales et le soutien aux cultures fascistes effectué par la bourgeoisie bureaucratique amène également une prédominance des religions et une domination absolue et brutale du patriarcat.

La lutte des peuples semi-coloniaux pour la libération nationale.

Avant l'époque de l'impérialisme, la lutte des peuples pour la libération nationale touchait essentiellement des pays européens (Irlandais, Hongrois, Polonais, Finlandais, Tchèques et autres) et ne dépassait pas le cadre des Etats multinationaux.

A l'époque de l'impérialisme, le capital financier des métropoles ayant asservi les peuples des semi-coloniaux, le cadre de la question nationale s'est élargi, et par le cours même des choses elle s'est fondue avec la question générale des semi-colonies.

Par là même, la question nationale, de question particulière, de question intérieure d'Etat, est devenue une question générale et internationale, la question universelle de la libération des peuples opprimés des pays dépendants et des colonies, du joug de l'impérialisme.
(J. Staline : Les questions du léninisme)

Le seul moyen qu'ont ces peuples de se libérer du joug de l'exploitation est la lutte révolutionnaire contre l'impérialisme.

Durant toute l'époque capitaliste, les peuples des pays semi-coloniaux ont lutté contre les oppresseurs étrangers, déclenché souvent des insurrections férocement réprimées par les colonisateurs.

Dans la période de l'impérialisme, la lutte des peuples des pays semi-coloniaux pour leur libération prend une ampleur sans précédent.

Dès le début du vingtième siècle, notamment après la première révolution russe de 1905, les masses laborieuses des pays coloniaux et dépendants s'éveillent à la vie politique.

Des mouvements révolutionnaires éclatent en Chine, en Corée, en Perse, en Turquie, dans l'Inde.

Les pays du monde semi-colonial se distinguent entre eux par le niveau du développement économique et par le degré de formation du prolétariat.

Il faut distinguer au moins trois catégories de pays semi-coloniaux et dépendants :

1° les pays qui ne sont absolument pas développés au point de vue industriel et qui n'ont pas ou presque pas de prolétariat;

2° les pays sous-développés au point de vue industriel et dont le prolétariat est relativement peu nombreux,

et

3° les pays assez développés au point de vue capitaliste et dont le prolétariat est assez nombreux.

Cela détermine les particularités du mouvement de libération nationale dans les pays coloniaux et dépendants.

Etant donné que la paysannerie prédomine dans la population des pays semi-coloniaux, la question semi-coloniale et nationale est, quant au fond, une question paysanne.

Le but général du mouvement de libération nationale dans les semi-colonies est la libération du joug de l'impérialisme et la suppression de toutes les survivances féodales.

De ce fait, tout mouvement de libération nationale dans les semi-colonies, dirigé contre l'impérialisme et l'oppression féodale, si même le prolétariat y est relativement faible, revêt un caractère progressiste.

Mao Zedong a analysé ainsi les classes sociales pour mener la révolution chinoise :

Tous les seigneurs de la guerre, les bureaucrates, les compradores et les gros propriétaires fonciers qui sont de mèche avec les impérialistes, de même que cette fraction réactionnaire des intellectuels qui en dépend, sont nos ennemis.

Le prolétariat industriel est la force dirigeante de notre révolution.

Nos plus proches amis sont l'ensemble du semi-prolétariat et de la petite-bourgeoisie.

De la moyenne bourgeoisie toujours oscillante, l'aile droite peut être notre ennemie et l'aile gauche notre amie; mais nous devons constamment prendre garde que cette dernière ne vienne désorganiser notre front.
(Mao Zedong : Analyse des classes de la société chinoise)

Le mouvement de libération nationale dans les colonies et les pays dépendants, dans lequel le prolétariat joue un rôle de plus en plus grand en tant que dirigeant reconnu des larges masses de la paysannerie et de tous les travailleurs, entraîne dans la lutte contre l'impérialisme l'immense majorité de la population du globe, opprimée par l'oligarchie financière de quelques grandes puissances capitalistes.

Les intérêts du mouvement prolétarien dans les pays développés au point de vue capitaliste et du mouvement de libération nationale dans les colonies, imposent l'union de ces deux formes de mouvement révolutionnaire en un front unique de lutte contre l'ennemi commun, contre l'impérialisme.

L'internationalisme prolétarien part du point de vue qu'un peuple qui en opprime d'autres ne saurait être un peuple libre.

Et, comme l'enseigne le léninisme, le soutien, la défense et la réalisation du mot d'ordre proclamant le droit des nations à se séparer et à se constituer en Etats indépendants, représente de la part du prolétariat des nations dominantes une aide efficace au mouvement de libération des peuples opprimés.

L'essor de la lutte pour la libération nationale des peuples opprimés des semi-colonies sape les assises de l'impérialisme et en prépare l'effondrement.

Ainsi, considérés dans leur essence, du point de vue de l'avenir et sous l'angle stratégique, l'impérialisme et tous les réactionnaires doivent être tenus pour ce qu'ils sont : des tigres en papier.

C'est là dessus que se fonde notre pensée stratégique.

D'autre part, ils sont aussi des tigres vivants, des tigres de fer, de vrais tigres ; ils mangent les Hommes.

C'est là-dessus que se fonde notre pensée tactique.
(Mao Zedong, Intervention à la réunion du bureau politique du 1er décembre 1958)