Manuel
d'économie politique
maoïste

17.La nation bretonne

La nation bretonne a historiquement été colonisée par la France, dans un processus s'étalant du Moyen-âge jusqu'à aujourd'hui.

Cette colonisation a pris les formes classiques de la colonisation d'une nation plus petite par une nation plus grande :

-la destruction des traditions nationales et de la langue nationale;

-l'affaiblissement de la bourgeoisie nationale et formation d'une couche bureaucratique liée à la nation dominante.

La Bretagne est historiquement liée aux Celtes, sa population étant ainsi d'un brassage de plusieurs peuples formant la nation bretonne.

Les populations de l'Armorique, ou pays des peuples " sur la mer ", étaient composés de cinq tribus principales vers 500 avant J-C :

- Les Vénètes avec Vannes comme capitale.
- Les Namnètes, un mot que l'on retrouve dans la prononciation bretonne de Nantes: " Naoned ".
- Les Redones, dans le bassin de la Vilaine (qui va donner la ville de Redon)
- Les Curiosolites, dans le pays de Dinan (capitale présumée: Corseul).
- Les Osismes, qui avaient pour capitale Vorganium, sur l'emplacement de Carhaix.

Ces tribus gauloises furent par la suite dominées par l'Empire romain, qui a notamment construit un large réseau de routes en Armorique.

Cette domination a amené une romanisation des tribus gauloises; le latin dit vulgaire domine.

Après la conquête romaine suit la conquête bretonne.
Venus de Grande-Bretagne, les Bretons dépossédés de leurs terres par les Angles et les Saxons viennent s'installer en Armorique.

Ce mouvement se situe entre le 4ème et le 6ème siècle de notre ère, et se termine par la victoire des Bretons sur les Vénètes à la fin du 6ème siècle.

Cette invasion apporta avec elle le christianisme; les noms des principaux chefs religieux donnant le nom des principales villes après que ceux-ci aient largement développé l'organisation religieuse.

Cette phase marque le début de la formation de la nation bretonne; elle est particulièrement marquée par le développement de la culture populaire (contes et légendes, etc.).

C'est dans cette phase que l'Armorique devient la Britannia Minor, ou Petite Bretagne.

Cette phase va être particulièrement marquée par la lutte contre les Francs, lutte qui va sceller le parcours politique et économique de la Bretagne.

La Bretagne était divisée politiquement en principautés; la lutte contre les autres peuples va permettre l'unité.

Les Bretons s'opposèrent ainsi dans leur élargissement territorial à Clovis qui dominait la Gaule puis à Charlemagne, qui mena trois grandes expéditions.

A la mort de celui-ci, son fils nomma le chef breton Nominoé à la tête de la Bretagne, mais celui-ci se révolta par la suite à l'avènement de Charles le Chauve.

Il lutta contre les Francs, les écrasa à la bataille de Ballon en 845 et fonda la monarchie bretonne.

Son fils Erispoé fut de nouveau victorieux des Francs et reconnu par eux comme Roi des Bretons, avant d'être renversé et assassiné en 857 par son cousin Salomon (Salaun en breton) qui repris la lutte contre les Francs et donna à la Bretagne sa plus grande forme historique (prenant une partie de l'Anjou, du Maine, et le Cotentin).

Il fut par la suite victime d'une conspiration de son gendre allié au gendre d'Erispoé.

Le pays fut alors désorganisé et il faudra les invasions normandes et la victoire sur eux en 888 pour qu'Alain le Grand soit reconnu roi par toute la Bretagne.

Son petit-fils parti en Grande-Bretagne fut rappelé et fut définitivement victorieux des Normands.

Puis, profitant des rivalités de la féodalité bretonne, les Plantagenêts, qui dominaient l'Angleterre, dominèrent de manière éphémère la Bretagne (1148-1203).

Cette défaite scelle la délimitation historique de la " petite Bretagne " ; elle détermine sa géographie.

Ce moment marque le développement totalement autonome de la féodalité bretonne, le développement de son économie et ainsi sa formation définitive en nation.

Les réactionnaires nient ce moment; ils considèrent que la Bretagne est " celte ", niant ses caractères nationaux propres, montrant que leur concept de Bretagne est un prétexte à une idéologie agressive.

Le développement autonome de la féodalité bretonne s'effectue sous la direction de la maison de Dreux (1212-1342), période où fut rédigée la "Très ancienne coutume de Bretagne", oeuvre anonyme consignant le droit breton de l'époque.

L'histoire de la Bretagne se joue par la suite précisément à ce moment où la féodalité doit se stabiliser afin de permettre un développement continu de l'Etat.

Ce moment est historiquement difficile pour les petites nations, puisque les grandes nations envahissent le pays ou soudoient des éléments féodaux pour s'approprier des territoires.

La Bretagne devient au 14ème siècle l'objet de la convoitise de l'Angleterre et de la France, et son territoire est ravagé par les guerres.

Mais la victoire de la France ne mit pas fin à l'existence de la Bretagne, qui continua la lutte contre la France qui dut reconnaître son existence en tant que duché.

Le maître du duché, Jean IV le Conquéreur (1365-1399), fut rejeté pour son anglophilie mais rappelé lorsque la France voulut s'approprier la Bretagne.

Il revint d'Angleterre le 3 août 1379 à Dinardau au milieu de l'enthousiasme du peuple et des grands de Bretagne, moment retracé dans le chant du Barzaz-Breiz: An Alarc'h(Le Cygne).

Le duché de Bretagne connut alors un développement économique, politiquement plutôt indépendant tout en étant tiraillé par l'Angleterre et la France.

Un siècle plus tard, les manœuvres de la France amenèrent une bataille à Saint-Aubin-du-Cormier où l'armée bretonne fut écrasée le 28 juillet 1488.

Cette défaite décisive aboutit au traité du Vergerpar dans lequel le duc s'engagea à ne pas marier ses filles sans le consentement du roi de France.

Anne de Bretagne dut par la suite se marier au roi de France, mais elle soutint le mouvement pour une large autonomie ; dans le second contrat de mariage avec Louis XII, successeur de Charles VIII, il réussit à obtenir que :
- le droit de ne payer que les impôts consentis par les États de Bretagne;
- le droit d'appliquer les octrois uniquement à la défense du pays ;
- le droit pour les Bretons de n'être jamais jugés hors du pays;
- le droit pour la noblesse bretonne de ne servir hors de Bretagne que dans le cas d'extrême nécessité.

Cette phase historique est caractéristique de celle des petites nations où la féodalité a su se stabiliser et se développer mais où l'Etat n'a pas pu affronter des Etats plus puissants.

Mais la faiblesse de l'Etat ne remet pas en cause l'existence de la nation bretonne.

La nation est une communauté humaine, stable, historiquement constituée, née sur la base d'une communauté de langue, de territoire, de vie économique et de formation psychique qui se traduit par une communauté de culture.
(J. Staline : Le marxisme et la question nationale)

François 1er se mariera à la fille d'Anne de Bretagne et l'édit royal affirme que " les droits et privilèges de Bretagne seraient gardés et observés inviolablement... sans y rien changer et innover. "

Mais la nation bretonne s'étant développée, il était impossible qu'il n'y ait pas conflit avec la nation française tentant de s'approprier celle-ci.

Avec le capitalisme naissant, l'Etat français est au fur et à mesure obligé de détruire les structures bretonnes.

Au dix-septième et dix-huitième siècle la Bretagne est administrée par un gouverneur totalement inféodé au roi de France, tandis que les États de Bretagne se composaient de la noblesse, de représentants du clergé et de bourgeois de quarante villes, se réunissant tous les deux ans et leurs sessions duraient plusieurs mois.

En matière d'impôt, leur autorité était souveraine, mais le Parlement enregistrait les édits du roi.

Les Etats de Bretagne formaient une cour de justice qui disposait aussi de pouvoirs administratifs et politiques, pouvant intervenir en matière de religion, d'enseignement, de santé publique, de police, etc.

Défenseur de la légalité et du droit, le Parlement de Bretagne dut jouer, à plusieurs reprises, le rôle de rempart contre les excès du pouvoir central.

En tant que tel l'initiative revient au peuple et à la bourgeoisie; l'aristocratie n'arrivant de son côté plus qu'à former des intrigues visant au mieux à reformer le duché (ainsi entre autres la conspiration de Pontcallec en 1720).

Eut ainsi lieu la révolte du Papier Timbré ou "des Bonnets Rouges" en 1675.

Provoquée par la prétention de Louis XIV de percevoir des droits sur le tabac, sur la vaisselle d'étain et de vouloir instituer le papier timbré, des émeutes éclatèrent à Rennes, Nantes et Guingamp; les campagnes se soulevèrent.

Les paysans de Cornouaille, en particulier, dressèrent un Code paysan où étaient déjà formulées les revendications de caractère révolutionnaire qui seront reprises dans les cahiers de 1789.

Dix mille hommes de troupe occupèrent la province et commirent des massacres; Mme de Sévigné a parlé dans ses lettres des " vilaines langues " des milliers de paysans qui furent pendus aux branches, le long des routes.

Cette révolte populaire est le signe annonciateur de l'inévitable caractère démocratique de la lutte pour l'existence de la nation bretonne, cela alors que l'aristocratie est devenue une classe du passé.

La révolution française a ainsi largement profité des nombreuses structures contestataires s'étant développées en Bretagne.

Mais justement à cause de cela, la nation bretonne n'a pas profité de la révolution française, car celle-ci est une révolution bourgeoise, même si la bourgeoisie bretonne l'a soutenue.

Après l'aristocratie qui a été incapable de défendre le développement de l'Etat breton, la bourgeoisie a été incapable d'assumer ses tâches.

Elle n'a pas soutenu les masses, elle a vendu son droit d'aînesse pour un plat de lentilles : l'alliance totale avec la bourgeoisie française.

La Bretagne fut ainsi divisée en cinq départements (sans prendre en compte son territoire géographique nationale) et son existence nationale niée.

Le mouvement de reconnaissance de la Bretagne dut alors cesser son soutien à la révolution pour tenter au moins de retrouver les anciennes formes permises par le royaume français.

Le clergé et une partie de la bourgeoisie nationale tentèrent d'infléchir le cours de la révolution française dans un sens favorable à la nation bretonne, ce qui était impossible car la révolution française ne comprenait pas la révolution bretonne en son sein à part pour la bourgeoisie.

Les anciens patriotes de 89, accusés de modérantisme, furent écartés des administrations et parfois incarcérés.
La persécution religieuse s'intensifia et finit par s'étendre au clergé constitutionnel.

Les éléments favorables à une modification de la situation appuyèrent alors la chouannerie.

Ainsi, l'Association Bretonne formée par La Rouerie, héros de l'indépendance américaine, forma les cadres de la future chouannerie et réclama une Constitution bretonne.

Mais les masses paysannes étaient satisfaites de la suppression du mode d'exploitation que l'on appelait " le domaine congéable " et ne soutinrent pas le mouvement, qui devint alors exclusivement un mouvement favorable à l'aristocratie et ainsi totalement réactionnaire.

Le mouvement de libération national breton, pour avoir été ainsi guidé par l'aristocratie, échouera totalement, faisant qu'au 19ème siècle la Bretagne sera largement dominé sans opposition.

La Bretagne souffre d'une grande pauvreté, près de 500.000 bretons ont émigré de 1871 à 1911.

En 1870 au camp de Conlie près du Mans des bataillons entiers de Bretons se font massacrer, aggravant la situation : Keratry avait levé une armée de Bretagne, constituée de quelques dizaines de milliers de " mobiles " (volontaires), après la défaite de la France par la Prusse.

Le gouvernement de Gambetta, par peur du séparatisme, ne leur envoya que très peu d'armes et de matériel.

Des milliers de Bretons meurent de maladie au Camp de Conlie( près du Mans) ou dans des combats inégaux autour de cette ville.

Dans cette période, seules les villes vivent un développement; la Bretagne est une colonie.

La langue bretonne est également sans cesse attaquée par l'Etat français, ce qui fera qu'au recensement de 1911, la Bretagne compte sur 3.271.000 habitants environ 1.200.000 personnes de langue bretonne.

La langue bretonne n'est alors défendue que par des éléments de la bourgeoisie nationale, qui commence lentement à reprendre le flambeau de la cause nationale.

La bourgeoisie développe alors en effet la culture afin qu'elle devienne réellement nationale.

Une oeuvre marquante de l'époque (1838) est " Barzaz-Breiz ", recueil de chants, poésies et danses, contes du breton par Hersart de la Villemarqué, Luzel, Lédan, Penguern.

Cette oeuvre est typique de la culture bourgeoise des nations opprimées, qui replonge dans le passé pour justifier la mise en valeur de la nation (tel le Kalevala en Finlande dans la même période).

Il n'est donc pas étonnant que l'on trouve en 1847 l'édition d'un dictionnaire français-breton, mettant en avant une nouvelle forme écrite du breton, adapté au monde moderne.
Une " Histoire de la Bretagne ", de l'historien breton Arthur de la Borderie, paraît également en trois volumes de 1896 à 1899 et poursuivie par M. Pocquet.

Le mouvement national continue également de puiser dans l'ancienne tradition féodale, et la culture religieuse ne cesse de se développer : essor des congrégations, pèlerinages, construction d'églises, multiplication des " missions ", accroissement considérable du clergé breton.

Il n'est donc pas étonnant que la domination de la culture bourgeoise, influencée par des restes de tradition féodale, fait que le mouvement de libération nationale soit dominée et guidée par la bourgeoisie nationale et la petite-bourgeoisie.

Les caractéristiques de ce mouvement est :

- l'incapacité à développer une culture nationale propre et ainsi l'appui à tout ce qui est délire celtique, mise en avant " régionaliste " où les régions sont mises au même niveau que les nations, incapacité à avoir une ligne de masse;

- refus de rejeter les restes de culture féodale et particulièrement la religion, mise à l'écart des revendications prolétariennes et paysannes.

Les principales organisations sont ainsi l'Union Régionaliste Bretonne formée en 1898, le Bleun-Brug, association bretonne catholique, crée par l'Abbé Perrot en 1905, le Parti Nationaliste Breton de Camille Le Mercier d'Erm (1911).

Mais la jeune population est frappée de plein fouet par la première Guerre Mondiale où près de 170.000 bretons de 18 à 35 ans vont laisser leur vie.

Le mouvement de libération nationale va alors d'autant plus marquer son évolution dans le giron de la bourgeoisie nationale.

Est ainsi fondé un Parti Autonomiste Breton en 1927, qui se disloque dès 1930 à cause des contradictions.

La gauche de la bourgeoisie nationale soutien une gauche fédéraliste, preuve de son incapacité à assumer la reconnaissance réelle de la nation bretonne.

La droite de la bourgeoisie nationale fonde un Parti National Breton, qui prend comme modèle le mouvement national-socialiste en Allemagne et soutiendra de fait la politique nazie et le délire " celtique. "

L'entre-deux guerres est également marquée par des attentats du groupe Gwen ha Du (Gwen Ha Du est le nom du drapeau breton inventé en 1923 avec le drapeau des USA comme modèle).

Lors de la seconde guerre mondiale impérialiste, la droite de la bourgeoisie nationale soutiendra l'Allemagne, son aile gauche la résistance.

Mais l'aile droite aura une image " révolutionnaire " en se revendiquant de l'indépendance, tandis que l'aile gauche ne prônait que l'" autonomie. "

Aucune avant-garde du prolétariat ne se dégagera alors, permettant une offensive idéologique nouvelle de l'Etat français.

Les années suivant la seconde guerre mondiale impérialiste sont ainsi marquées par une criminalisation du mouvement de libération (accusé de fascisme et de " racisme ") et une progression des organisations de la gauche de la bourgeoisie nationale (autonomiste et fédéraliste).

Mais le développement de la lutte des classes dans le pays permet un premier développement d'une nouvelle ligne indépendantiste, comme c'est le cas en Corse.

Ont lieu ainsi en 1966 les premières actions illégales du Front de Libération de la Bretagne, devenu en 1968 le FLB-ARB (Armée Républicaine Bretonne).

Est crée en 1974 le Front Socialiste Autogestionnaire Breton, en 1982 Emgann (" Combat ").

Pourtant aucun groupe ne réussit à avoir une ligne révolutionnaire correcte, toutes les organisations dépendant au mieux de la gauche de la bourgeoisie nationale.

La ligne révolutionnaire s'oppose à une Bretagne " régionale " favorisée par l'Union Européenne ou le fédéralisme etc., elle rejette ces illusions de la gauche de la bourgeoisie nationale, comme elle rejette la droite de la bourgeoisie nationale, qui prône une unité " celtique " et défend une culture fondée sur la période pré-nationale de la Bretagne géographique.

L'existence de la nation bretonne ne peut exister qu'en tant que mouvement de libération nationale, sous la direction de la classe ouvrière, alliée à la paysannerie et la petite-bourgeoisie, et éventuellement une partie de la gauche de la bourgeoisie nationale.

La bourgeoisie nationale est incapable d'assumer la nation : la droite de la bourgeoisie nationale est obligée de chercher dans le passé (les " celtes "), tandis que la gauche de la bourgeoisie nationale est obligé de chercher dans le futur (une " région " reconnue au sein de l'Union Européenne, une fédération européenne, etc.).

Une tâche des communistes de France est de soutenir la lutte de la nation bretonne pour sa reconnaissance et son droit à l'autodétermination.