FATAH


LA REVOLUTION PALESTINIENNE
ET LES JUIFS



I - Position des palestiniens à regard des Juifs

Il y a un an. le Mouvement de libération nationale palestinienne, le Fath, publia officiellement son programme politique, précisant l'objectif final de sa lutte de libération:

" Nous combattons aujourd'hui pour créer la nouvelle Palestine de demain, une Palestine progressiste, démocratique et non confessionnelle dans laquelle chrétiens, musulmans et Juifs bénéficieront de la liberté de culte, travailleront et vivront en paix, jouissant de droits égaux " (1).

Plus loin on pouvait lire: * Notre révolution palestinienne tend la main à tous ceux qui veulent combattre avec elle pour vivre dans une Palestine tolérante et démocratique, sans discrimination de race, de couleur ou de religion ".

Cette déclaration fut répétée, expliquée et complétée par les représentants du Fath chaque fois qu'ils participaient à un rassemblement international. Plusieurs journalistes ont cité cette phrase du porte-parole officiel du Fath, Abou Ammar (Yasser Arafat): " Quand nous aurons battu l'ennemi et libéré la Palestine, nous créerons une patrie pour nous tous ".

Abou lyad, un des leaders du Fath. déclarait, dans une longue interview avec l'éditeur â'Ai-Talfa, que la révolution palestinienne condamnait toute forme de persécutions et de discrimination et que le Fath était prêt à aider les juifs où qu'ils se trouvent s'ils étaient l'objet d'attaques racistes.

Une telle déclaration n'était pas un simple argument de propagande: eue devait se concrétiser quelques semaines plus tard, en joui et 1969, lorsque des étudiants affiliés an Fath protégèrent le professeur juif Elie Lobel, à Francfort, en Allemagne, contre les attaques et la tentative de meurtre perpétrées à son encontre par des sionistes allemands. Le Fath protégea de la même façon, en Allemagne, la vie des juifs membres du Matzpen qui avaient reçu des menaces de mort à la suite de cet incident.

Une idée révolutionnaire

SI tout cela semble difficile à croire, c'est à cause de l'amertume engendrée par la tragédie palestinienne depuis la déclaration Balfour et l'occupation de la Palestine par les sionistes. Cette occupation a entraîné l'expulsion des Palestiniens de leur patrie et leur exode, afin que soit crée " un Etat spécifiquement juif": Israël

L'appel pour une Palestine nouvelle ouverte et tolérante à l'égard des juifs et des non-juifs marque un tournant dans le combat palestinien. Mais cette idée n'est pas nouvelle: les Palestiniens avaient suggéré la création d'un tel Etat à la commission Peel en 1937 et an comte Bernadette en 1948. Quant à l'idée de faire vivre en paix et harmonieusement juifs, musulmans et chrétiens, c'est aussi une très vieille idée.

Le Fath déclarait: " Ce n 'est pas un rêve utopique ou une fausse promesse, car nous avons toujours vécu en paix, musulmans, juifs et chrétiens, sur la Terre sainte. Les Arabes de Palestine ont donné refuge aux juifs fuyant les persécutions en Europe chrétienne et les ont aidés, tout comme ils ont accueilli les Arméniens chrétiens fuyant les persécutions de la Turquie musulmane, les Grecs, les Caucasiens et les Maltais, entre autres "(2).

La nouveauté, c'est que des Arabes non juifs exilés, expulsés de leurs maisons et chassés de leur patrie par des juifs installés en Palestine puissent encore, malgré tout et alors qu'ils brandissent le fusil et hâtent pour leur libération et leur existence même, en appeler à un Etat groupant les ex-victimes et leurs ex-agresseurs et persécuteurs.

Cette idée est révolutionnaire et ses conséquences sont multiples et importantes.
Cette idée est si révolutionnaire en fait que peu de gens, en dehors de ceux qui sont directement concernés, peuvent y croire et la soutenir. Cependant l'idée d'une Palestine démocratique non confessionnelle est à la fois souhaitable et possible. Il suffit d'y croire et de lutter pour sa réalisation, quels que soient les sacrifices, pour établir en Palestine une paix durable.

Les Palestiniens exilés

Trente années de mandat et de domination anglaise avaient permis au peuple palestinien de bien connaître son ennemi. Dans l'esprit du peuple, l'impérialisme britannique et l'impérialisme sioniste étaient intimement liés.

Beaucoup de Palestiniens se doutaient déjà du complot que tramaient ces deux impérialismes, à savoir, la création d'un " foyer national juif" et l'expulsion des Arabes palestiniens.

Six révoltes sanglantes eurent lieu entre 1919 et 1939. Elles étaient, à la base, dirigés contre l'occupant britannique. Mais, quelle que soit la responsabilité des Anglais - et elle est grande -, les Palestiniens furent ensuite expulsés par les terroristes juifs. En quelques mois, ils furent chassés de leur pays par des massacres tel celui de Deir Yassin et rejetés dans la désert proche. Pendant ce temps, les leaders de leurs oppresseurs en appelaient à la création d'un " foyer exclusivement juif ", les considérant, eux, les exilés, comme des citoyens de second ordre, tout juste bons à être chassés de leur patrie.
Dans leur misère, leur humiliation et leur désespoir, les Palestiniens apprirent à haïr les juifs, à haïr tout ce qui était juif, tout ce qui était en rapport avec leur ennemi.

Les juifs et les sionistes

Quelques leaders " intellectuels " prenaient bien la peine de faire la différence entre juifs et sionistes; ils répétaient: "Nous ne sommes pas anti-juifs, nous sommes anti-sionistes. Nous sommes aussi des sémites et les juifs sont nos cousins". Mais cela paraissait un peu irréel de les entendre dire: " Parmi nos meilleurs mais, il y a des juifs. Nous sommes seulement contre l'Etat d'Israël ".

Dans leur misère, les réfugiés, eux, ne faisaient plus la distinction: les Israéliens eux-mêmes leur répétaient que tous les juifs du monde étaient sionistes. La pression "juive" sur les Etats-Unis, l'argent "juif", les immigrants juifs, tout cela donnait l'impression que l'ennemi s'imposait partout et que l'espoir du retour des Palestiniens était bien incertain.

Qu'on ne s'étonne donc pas de la prédominance de l'amertume et de la peur. Le " Protocole des Sages de Sion" devint à la mode et la littérature antisémite, développée par le racisme européen dans un tout autre contexte, à l'époque où les juifs étaient les victimes, se répandit un peu partout Cette vague d'amertume, de haine et de confusion s'étendit aux autres pays arabes, aidant la propagande sioniste qui voulait provoquer le départ des juifs arabes de leur patrie afin qu'ils rejoignent la terre occupée.

En fait, des milliers de ces juifs seraient restés dans leur patrie si les circonstances avaient déjà été antres et auraient continué à vivre, comme ils le faisaient depuis des centaines d'années, en paix et en harmonie avec leurs voisins.

La révolution, une ère nouvelle

Le 1er janvier 1965, le Fath déclencha, après six années de préparation militaire et de travail politique, le processus de la révolution palestinienne. Les deux premières années furent consacrées à établir une présence dans l'" arène " palestinienne. L'expérience traumatisante de 1967 et le second exode qui s'ensuivit installèrent définitivement les Palestiniens dans la voie de la révolution.

Ils pouvaient enfin prendre les armes et rentrer chez eux lutter contre l'occupant. Les masses palestiniennes avaient compris que leur libération ne pouvait pas venir de l'action des armées arabes, sous la forme d'une guerre classique, mais de la guerre populaire de libération. Le peuple reprenait confiance, une nation renaissait. Karamé et les autres victoires, les sacrifices et les combattants morts sur le champ de bataille, l'escalade armée, concrétisaient et renforçaient le sentiment d'appartenir à la Palestine.

En même temps, la révolution apportait la maturité aux combattants. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, ceux qui se battent deviennent plus tolérants. La violence en pensées et en paroles accompagne seulement le découragement, le désespoir.

La façon de considérer l'ennemi commença à changer, et la distinction entre juif et sioniste à prendre un sens. Le désir de vengeance ne suffit pas pour mener une guerre de libération. Les combattants se mirent à réfléchir sur leurs objectifs finaux. Les discussions avec les juifs intellectuels progressistes venus du monde entier pour entamer le dialogue avec la révolution amenèrent à un approfondissement toujours plus poussé.

La nouvelle doctrine

Les leaders de la révolution entreprirent des études et des discussions amenant à de sérieuses remises en question: les juifs ont souffert de la persécution du fait de racistes criminels, les nazis, de la même façon que nous, nous souffrons dn fait des sionistes. On établit alors des parallèles révélateurs. " Comment pouvons-nous haïr les juifs en tant que juifs? ", se demandèrent les révolutionnaires. Comment avons-nous pu tomber dans le piège du racisme?

Une étude de l'histoire et de la pensée juive fut entreprise: la majorité de ceux qui étaient venus en Palestine fuyaient les camps de concentration allemands. On leur disait: " Vous êtes un peuple sans terre pour une terre sans peuple ". On leur assurait que les Palestiniens avaient quitté la Palestine de leur plein gré, observant en cela les ordres des leaders arabes, dans le cadre d'un plan perfide pour perpétrer un massacre général des juifs.

Ensuite, la " machine " sioniste répétait aux nouveaux immigrants juifs, comme aux vieux colons, qu'il n'existait qu'une alternative: soit combattre pour survivre et sauvegarder " Israël ", soit être massacré ou, au mieux, s'enfuir dans une chaloupe hasardeuse sur la mer Méditerranée.

Même les juifs arabes - appelés "juifs orientaux" par les sionistes - qui, à l'intérieur d'Israël, étaient pourtant soumis à la discrimination de la part de l'oligarchie enropéo-sioniste, devaient finir par accepter l'argumentation et combattre pour ce qu'ils considéraient comme leur survie.

Le combat contre le sionisme devait révéler aux Palestiniens les forces et les limites de la personnalité juive. Les juifs n'étaient ni des monstres, ni des surhommes, ni des pygmées. Une image nouvelle, humaine, du juif était en train de se constituer. Martin Buber, Isaac Deutscher, Elmer Berger et Moshé Menuhim, tons ces penseurs humanistes juifs étaient lus et relus.

Une image nouvelle

Le révolutionnaire palestinien s'est affranchi de la plupart de ses anciens stéréotypes. Les visiteurs étrangers sont étonnés lorsqu'ils visitent les bases de commandos, et plus particulièrement les camps des " Ashbal ", les Lionceaux combattants. Le révolutionnaire palestinien est prêt à mourir pour la libération de la Palestine et n'acceptera aucun substitut, quel que soit le prix qu'il devra payer. Mais il a une idée claire de l'ennemi eu du but finaL Lorsque des étudiants juifs sont venus d'Europe pour passer une partie de l'été en Jordanie dans un camp du Fath, ils furent adoptés spontanément.

Le Fath attend avec impatience le jour où des milliers de juifs viendront combattre à ses côtés pour la libération de la Palestine. Vu les récents événements, cela pourrait bien arriver plus tot qu'on ne le pense.

Le premier pas

Le premier pas, les révolutionnaires palestiniens l'ont franchi en demandant la création d'une Palestine démocratique non confessionnelle. Un changement d'attitude s'opère: les Palestiniens exilés et persécutés redéfinissent leurs objectifs et veulent créer une Palestine nouvelle englobant aussi les juifs actuellement en Israël.

Pour que ce but devienne réalisable, il faut commencer par prêter attention à l'interlocuteur quelle est la position actuelle des juifs par rapport à un tel objectif et qu'est-ce qui pourrait changer leur état d'esprit? Ce thème sera traité maintenant. Puis on étudiera la Palestine nouvelle et on examinera comment elle se présente au stade actuel de la révolution. Nous espérons ainsi aider à amorcer un dialogue sur une base sérieuse. Notre révolution est jeune et dynamique. Ses militants continueront à combattre et à apprendre jusqu'à la victoire.