Sante Notarnicola
Lettre de refus d'expertise psychiatrique
9 juillet 1970, San Vittore (Milan)
Moi, Sante Notarnicola, je refuse l'expertise psychiatrique ordonnée par le tribunal sur requête de
l'accusation.
Les motifs pour lesquels je n'ai pas l'intention de collaborer sont clairs et précis.
Ils ont un caractère politico-social et non pas personnel.
Je suis de fait, et j'en ai conscience, un militant révolutionnaire : c'est en tant que tel que j'ai toujours essayé de me comporter. Les actions illégales auxquelles j'ai participé n'ont jamais été autre chose que des actions de lutte politique contre le système dominant : c'est cela que le système, par ses juges et ses clercs, ne peut pas ou de veut pas admettre, tout en le sachant fort bien.
C'est qu'avant tout je ne peux pas accepter en tant que révolutionnaire, c'est toute connivence
avec la justice de classe.
Or, même les expertises psychiatriques sont effectuées - il ne pourrait en être autrement - par des individus qui cohabitent pratiquement et idéologiquement avec la classe dominante, qui en occupent les degrés inférieurs et qui en absorbent totalement la conscience oppressive et répressive.
Les expertises constituant un acte officiel de l'enquête, ceux qui les effectuent font, dans la mesure où ils doivent donner un jugement, concrètement partie intégrante d'un des principaux appareils répressifs, la magistrature, qu'ils représentent. Le but déclaré de ces expertises est d'enquêter sur mes conditions psychiques au moment des faits et non pas sur les origines sociales de ces faits.
Circonstances et origines qui furent déterminantes et fondamentales, mais que la « science » juridique et psychiatrique bourgeoise ne peut rechercher et reconnaître sans se dévoiler pour ce qu'elle est : science au service d'une classe et d'un système qui sont les vrais artisans de ma situation actuelle et les premiers responsables directs de ce qu'ensuite ils définissent et condamnent comme des délits.
En outre, je ne crois absolument pas que les experts puissent, des années plus tard, établir les rapports réels qui existaient entre mes camarades et moi, ni même le changement qui a eu lieu en moi, si l'on tient compte des effets délétères de la détention et de l'isolement dans un pénitencier tel que celui de Volterra et la perspective certaine de la prison à perpétuité, facteurs qui modifient profondément un individu.
Comme je faisais directement ces remarques aux experts, ces derniers m'ont répondu qu'ils ne prétendaient pas reconstituer la période précédent mon arrestation, mais qu'ils avaient l'intention de me présenter aux juges comme un homme différent, plus mûr peut-être, critique à l'égard de son propre passé, me laissant comprendre en somme que l'expertise était à mon avantage.
Je pense au contraire que, précisément pour les motifs exposés ci-dessus, de telles affirmations ne sont précisément que pure hypocrisie.
Je connais le Code : la structure actuelle de la justice de classe ne peut et ne doit pas tenir compte des aspects essentiels de l'affaire, aspects sociaux, humains, politiques.
La « justice » m'appelle aujourd'hui à répondre d'actions réalisées plusieurs années en arrière et elle n'a au fond que peu d'intérêt pour l'homme d'alors et celui d'aujourd'hui ; ce qui lui importe, c'est seulement que cet homme s'est dressé contre l'ordre bourgeois et elle tient à faire retomber sur lui toutes les fautes et responsabilités, même les délits commis par la police.
J'accepte donc pour ma part les expertises réalisées lors du premier procès : celle qui est en cours est complètement inutile et superflue.
Ce n'est pas moi qui ai besoin d'une expertise, mais ce sont les balles des policiers qui devraient être soumises à une « saine » expertise balistique.
Que l'on ait le courage une fois pour toutes d'enquêter à fond pour savoir d'où sont partis les coups qui ont blessé et tué des passants.
Je ne dis pas ceci, je le répète, pour me disculper.
Mais que la justice bourgeoise cesse d'être toujours prête à démentir et à violer effrontément ses propres normes de procédure : elle l'a déjà fait en concluant l'instruction et en nous faisant passer en jugement huit mois seulement après notre arrestation afin d'empêcher la vérification des lourdes responsabilités des « forces de l'ordre », dont la tâche première devrait être la sauvegarde de la sécurité publique, tâche à laquelle elles se sont montrées inaptes puisqu'elles ont même déterminé de fait et substantiellement la création d'une situation de danger.
Par devoir moral, nous devons dénoncer ces faits, non pas comme une histoire personnelle, mais parce que, dans notre cas comme dans les autres, l'appareil policier et judiciaire a démontré sa vraie nature d'instrument servant à une classe pour en opprimer une autre.
Il est nécessaire de dénoncer ouvertement ces faits, parce que même dans le cadre de ce rapport oppressif, cet appareil cherche hypocritement à apparaître comme juste et impartial.
Or cette impartialité nous pouvons la déduire dans notre cas de la valeur des expertises balistiques !
Je conclu en rappelant une fois encore que ce qui m'intéresse, ce ne sont de toutes manières ni les expertises, ni le jugement que la bourgeoisie peut porter sur moi, ni la condamnation que je recevrai.
Je suis certain d'une victoire pas très lointaine du prolétariat sur la bourgeoisie.
C'est à la classe ouvrière, au mouvement révolutionnaire qu'il appartiendra en définitive de juger mes actions. Ceux qui devront me juger devront être les métallos de la Barriera di Milano, les paysans calabrais, les bergers sardes, les exploités d'aujourd'hui, la classe révolutionnaire.
J'accepterai avec courage et sérénité toute décision de leur part. La sentence des juges de cette société bourgeoise, corrompue jusque dans ses fondements, ne me concerne pas.
Elle ne me concerne pas pour une autre raison encore : en effet, l'expérience concrète de ces derniers temps m'a démontré matériellement combien le milieu judiciaire est pourri et comment ceux qui s'apprêtent en toute sécurité à me juger ne valent pas mieux que moi. Je dirais même que, mise à part toute considération de personne, leur situation de classe les met, moralement et par rapport à l'histoire, bien en dessous de moi.
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