Sante Notarnicola

Déclaration au procès




Je tiens à expliquer clairement, non seulement mon combat d'avant mon arrestation, mais aussi celui que je mène maintenant, en prison et dans cette salle.

Avant toute chose, je tiens à déclarer que je ne peux être touché ni par la prison, ni par la condamnation que vous allez m'infliger, ni par la description qui a été faite de moi dans cette enceinte et ailleurs. Tout cela reflète un mode de penser et de juger qui est propre à la mentalité de la classe dominante.

Or cette classe reconnaît en moi l'un de ses ennemis et ne peut m'apporter ni la justice ni la compréhension que, d'ailleurs, je ne demande pas.

Elle me frappe en m'attribuant la criminalité, la violence, la cupidité qui sont ses propres attributs.

On me montre comme un exemple du mal alors que les faits que vous jugez aujourd'hui, l'homme que j'étais, ne sont rien d'autre que le produit de cette société bourgeoise corrompue et mauvaise, de cette société qui ne laisse aux pauvres que le choix entre l'exploitation et la prison, et encore, quand elle leur laisse le choix !

Si je suis un criminel, ce que je nie ouvertement, je suis exactement tel que vous m'avez fait.

La criminalité est votre affaire.

Elle est produite et reproduite continuellement, inévitablement par la société de classe dans l'intérêt de la classe dominante.

La criminalité consiste dans une recherche égoïste du profit et du succès à tout prix, en une oppression du faible, en une exploitation légalisée, et tout cela c'est votre affaire.

Elle consiste pour celui qui entre en prison à accepter cette prison en se faisant délateur, opportuniste, vendu, afin d'obtenir des privilèges, des concessions, des libérations anticipées en marchant sur la tête des camarades de cellule, en mystifiant l'opinion publique par de faux repentirs, en trahissant tout et tous, à commencer par lui-même.

Moi je refuse tout cela et je vous avertis que, malgré la « bonne volonté » des institutions carcérales, aucun modèle de rééducation ne parviendra à faire de moi ce qu'il se propose de faire de chaque détenu : détruire en lui toute qualité, toute conscience, toute dignité, jusqu'à la régression psychologique totale qui est le lot du criminel bourgeois.

Je serai toujours, et maintenant encore mieux qu'avant, de manière plus juste et plus difficile, un communiste, un révolutionnaire.

Et cette décision je devrai la payer jusqu'au dernier centime, inévitablement, non pas à cause des morts que je n'ai pas tués, ni pour les autres délits en eux-mêmes, mais à cause de la logique répressive, parce que moi je suis votre ennemi, votre prisonnier, parce que vous, vous représentez un système, qui est le système capitaliste, ennemi mortel du genre humain, et parce qu'on ne demande pas pitié à un ennemi vainqueur, mais que l'on continue à le combattre, même du fond des prisons.

Je ne suis pas ici pour réclamer des circonstances atténuantes.

Je suis certes devant vous, mais pas poussé par les raisons habituelles du détenu qui vient à un procès pour se défendre sur le plan juridique afin d'atténuer la condamnation.

Si je suis venu, c'est pour critiquer mon passé, là où il doit être critiqué, de manière révolutionnaire, d'un point de vue révolutionnaire.

Je m'adresse à tous les hommes exploités comme je l'ai été, comme je le suis : c'est uniquement par rapport aux valeurs qu'ils représentent que mon passé peut être critiqué et condamné.

Si j'ai attaqué des banques, si des hommes sont morts - ni de ma main, ni par ma volonté - ce n'est certes pas devant une société qui est fondée sur le vol, sur la fraude, sur la violence, que je dois me justifier.

J'ai devant moi une police dévouée au système et une loi fasciste.

Je me suis trompé, c'est indéniable.

Comme il est indéniable que je regrette les morts, victimes ignorantes d'une lutte continue et incessante dont on ne peut nous accuser nous, petits hommes exploités, de l'avoir voulue.

C'est au prolétariat, à la masse des exploités, à ma clase qu'il appartient de me juger.

C'est à eux que je demande de comprendre que ce que nous voulions, c'était une riposte (alors que ce ne fut au contraire qu'une réaction) à une condition intolérable pour la dignité humaine. C'est à eux que je demande de comprendre que le responsable, c'est le système bourgeois, provocateur du crime, cause de toute violence et de toute injustice.

Pour ma part je me suis rebellé contre cet état de choses dès l'âge de 14 ans.

A un certain moment de mon existence, quand j'ai accepté de faire le bandit, j'ai donné à cette rébellion une forme erronée, j'ai confondu lutte révolutionnaire et révolte individuelle en faisant ainsi le jeu de la classe dominante à qui appartient la logique de la violence et de l'oppression, son but étant :

1. d'empêcher la formation de la conscience de classe des opprimés

2. de réduire les forces du mouvement révolutionnaire

3. de dresser les exploités les uns contre les autres.

Les uns exploités parce que travaillant dans certaines conditions, les autres exploités parce que contraints de se révolter individuellement.

Les uns contre les autres parce qu'en devenant bandit, on s'éloigne de sa propre classe, on se place hors de la lutte politique de masse.

Au contact du monde des prisons, de toutes ses erreurs et de ses violences, en revoyant d'un oeil critique les fautes commises, en suivant de près la lutte héroÏque des détenus politiques, j'ai pu développer, mûrir, enrichir ma conscience révolutionnaire.

Cela me rend serein, même si je conserve le regret de ne pas avoir fait tout ce que j'aurai dû faire, le regret d'avoir gaspillé quelques occasions au cours de ma vie.

D'autres viendront, meilleurs que moi, forts de nos erreurs, pour recueillir ce qu'il y a de positif dans notre expérience.

Contre vous, la lutte continue, à l'intérieur comme à l'extérieur des prisons.

Vous continuerez à emprisonner tous ceux qui vous créent des ennuis et qui constituent un danger pour votre ordre établi.

Vous, vous mettrez en prison les pacifistes et nous, nous les aideront à dépasser les difficultés de cette vie et de ce milieu.

Les détenus de droit commun, les paumés, les sans-espoir, nous vous les renverrons avec une conscience révolutionnaire.

Cela a été et cela sera notre tâche : en tant qu'avant-garde interne dans les prisons, nous les transformerons en école de communisme et nous remplacerons l'opportunisme par un esprit de fraternité et de solidarité toujours plus grand.

Ceci est mon engagement et c'est votre erreur. Vous pensez avoir vaincu alors qu'au contraire, même avec moi, vous avez déjà perdu la bataille.