Cellules Communistes
Combattantes
La
flèche et la cible
5. Nous
voudrions connaître de façon plus précise
votre critique de la thèse du «passage naturel»
au socialisme (à savoir: la dynamique propre du capitalisme
créerait les conditions de son dépassement et ce
dépassement se fera en temps voulu soit au travers dune
révolte violente spontanée, soit comme aboutissement
du processus réformiste).
La juste thèse
dialectique historique selon laquelle le mode de production capitaliste
engendre les conditions de son propre dépassement a en
effet souvent été dénaturée par des
conceptions erronées rejetant la nécessité
de la lutte révolutionnaire et même, à lextrême,
de la révolution.
Mais avant den
venir à ces conceptions erronées, nous voulons
insister sur la validité de la thèse selon laquelle
le capitalisme engendre et développe les germes du socialisme.
Il sagit là dune importante découverte
de lanalyse marxiste, qui repose sur plusieurs tendances
traversant le mode de production capitaliste.
Ces tendances peuvent
être divisées en deux grandes catégories.
Il y a dune
part celles qui voient les rapports capitalistes de production
entrer en crise et entraver le développement des forces
productives, et dautre part celles qui voient croître
dans le cadre même du capitalisme les forces et figures
de base du socialisme.
Dans la catégorie
des tendances inhérentes au capitalisme qui conduisent
à un dysfonctionnement de plus en plus aigu de celui-ci,
nous pouvons ranger la contradiction entre laugmentation
de la production et la baisse relative de la demande solvable,
contradiction résultant de lappropriation de la
plus-value (et de sa conversion en capital additionnel) par les
capitalistes et qui génère des crises de surproduction.
Dans la catégorie
des tendances inhérentes au capitalisme qui conduisent
à lapparition des bases du socialisme, nous pouvons
ranger la concentration croissante des entreprises (car la concurrence
permettant aux plus forts déliminer les plus faibles
aboutit à son contraire: le monopolisme) ou la bipolarisation
de la société entre une majorité toujours
plus grande de prolétaires et une minorité toujours
plus petite de bourgeois.
La nature du capitalisme
tout comme ses mécanismes intrinsèques conduisent
inexorablement à une crise générale du mode
de production, le développement même du capitalisme
engendre la nécessité et les conditions requises
de son dépassement par le socialisme.
La thèse
du «passage naturel», en douceur, du capitalisme
au socialisme témoigne dune façon générale
de lignorance - sinon du rejet - de la réalité
et du rôle historique de la lutte des classes.
Et ce nest
pas un hasard si elle est défendue par des forces sociales
diversement liées à la bourgeoisie (petite-bourgeoisie
intellectuelle, partis ralliés au parlementarisme et/ou
intégrés au fonctionnement de lÉtat
bourgeois, réformistes et révisionnistes de tout
poil, etc).
Il faut aujourdhui
soit souffrir dune cécité totale, soit faire
preuve dune entière mauvaise foi pour oser encore
prétendre à une évolution historique linéaire
vers le socialisme.
Tout dabord
deux siècles de réalité économique
capitaliste démontrent quau-delà de réformes
rela­tives et localisées, au contraire de réduire
lexploitation et les inégalités, ce système
ne peut que les renforcer.
Le fossé
entre la richesse des grands groupes capitalistes et la richesse
sociale (particulière et publique) ne cesse de se creuser
(lexemple offert par les Etats-Unis est éloquent:
en 1989 un pourcent des ménages possédaient 37%
du patrimoine contre 31% pour les nonante pourcent.
Or, en 1983 ce pourcent
de ménages les plus riches possédaient seulement
31% du patrimoine. Cf. Le Monde Diplomatique , juin 1992) et
il en va exactement de même avec le fossé entre
pays impérialistes et pays dominés (selon les statistiques
de lONU, lécart moyen entre «pays pauvres»
et «pays riches» est à présent de 1
pour 150... Il était de i pour 30 en 1960 et a été
estimé de 1 pour 2 en ce qui concerne le XVllème
siècle!).
Ensuite lhistoire
révèle que jamais une classe dominante na
abandonné volontairement sa position et, au contraire,
quil a toujours fallu len chasser tandis quelle
sy accrochait par tous les moyens.
Si la bourgeoisie
est arrivée au pouvoir, elle le doit bien entendu pour
une part essentielle au fait que le mode de production quelle
anime sétait développé dans les rouages
du mode de production féodal jusquau point de le
supplanter, mais elle le doit aussi pour une part inévitable
à la vigoureuse lutte révolutionnaire quelle
a mené des siècles durant (par exemple, rien quà
Liège du Xlllème au XVème siècle
lopposition au régime féodal déboucha
sur des soulèvements en 1256, 1269, 1285, 1313, 1328,
1347, 1355, 1465, 1466, 1467, 1468...), lutte incessante depuis
les premières Chartes communales arrachées aux
seigneurs jusquà la prise de la Bastille, lutte
implacable contre les classes dominantes de la société
féodale, à commencer bien sûr par la noblesse.
Ainsi il ne suffit
donc pas que la situation historique soit matériellement
mûre pour que se réalise le passage du capitalisme
au socialisme.
Encore faut-il que
la classe révolutionnaire (la classe qui est appelée
à animer le nouveau mode de production et qui vit la contradiction
la plus forte avec lancien toujours en place, cest-à-dire
ici le prolétariat) mène une lutte acharnée
et victorieuse contre la classe réactionnaire (la classe
qui anime lancien mode de production dominant en même
temps quelle en tire le plus de profit, cest-à-dire
ici la bourgeoisie).
Cette juste conception
historique qui affirme la nécessité de la révolution
connaît cependant une variante dogmatico-opportuniste erronée.
Il sagit de
la thèse selon laquelle les conditions subjectives de
la révolution (conscience de classe, influence des communistes)
se développent naturellement, spontanément, de
pair avec le développement des conditions matérielles
objectives et, en conséquence, selon laquelle la révolution
seffectuera inexorablement à son heure grâce
à une révolte violente et spontanée.
Si cette thèse
présente le mérite de ne pas faire abstraction
de la lutte des classes et de la nécessité dune
révolution violente, elle souffre néanmoins de
deux défauts majeurs: dune façon générale
elle surestime le rôle de la spontanéité
dans lhistoire et dune façon plus particulière
elle est totalement inadaptée aux conditions historiques
actuelles.
Seules des conditions
historiques exceptionnelles, lorsque le régime est déliquescent
et le pouvoir entièrement déstabilisé par
des contradictions exacerbées, permettent quune
insurrection spontanée en vienne à bout.
En fait, on peut
dire quune stratégie insurrectionnelle présuppose
des conditions exceptionnelles, comme en a bénéficié
la révolution russe triomphant dun ennemi divisé
(entre féodaux et bourgeois, absolutistes et parlementaristes,
etc.), affaibli par la crise et une guerre qui tournait à
la débâcle, etc.
Et quand le Mouvement
Communiste International a cru posséder dans la tactique
insurrectionnelle bolchévique un modèle stratégique
applicable à toutes les luttes révolutionnaires
dans le monde (de Berlin en 1919 à Canton en 1927), il
a subi défaite sur défaite ...Ce qui rend ô
combien inexcusables les sempiternels prêcheurs de la «théologie
de linsurrection».
Parlons justement
de ceux-là et de leur credo. Il faut remarquer que la
thèse insurrectionnelle a de tout temps attiré
- et aujourdhui plus que jamais -des rangs fournis dopportunistes
honteux.
Car si, formellement,
la thèse insurrectionnelle reconnaît la lutte des
classes et la nécessité de la violence révolutionnaire,
pratiquement elle dissocie la phase de préparation (quelle
ramène à un simple exercice politique pacifique,
légal ou para-légal) de la phase insurrectionnelle
proprement dite (pour laquelle elle réserve la violence
et lillégalité), et ainsi elle ouvre grand
la porte à toutes les dérives opportunistes.
Le plus souvent
la première phase cesse dêtre considérée
comme une phase préparatoire nexistant que dans
le but, ne sorientant quen fonction de linsurrection
et elle est élevée au rang de finalité révolutionnaire
en elle-même.
On peut alors voir
cohabiter des pétitions de principe très radicales,
très révolutionnaires, comme «Le pouvoir
est au bout du fusil» et «Tout le pouvoir aux ouvriers»
, avec une pratique parfaitement opportuniste, pacifiste, légaliste,
prétendant préparer linsurrection mais la
repoussant en réalité dans un avenir lointain.
Lénine, en
étudiant la faillite de la llème Internationale,
avait pourtant relevé cette filiation entre le légalisme
et lopportunisme: «Tout le monde est daccord
pour dire que lopportunisme nest pas un effet du
hasard, ni un péché, ni une bévue, ni la
trahison dindividus isolés, mais le produit social
de toute une époque historique. Cependant, tout le monde
ne médite pas suffisamment sur la signification de cette
vérité.
Lopportunisme
est le fruit de la légalité. (...)
Pour un socialiste
il ne saurait y avoir quune seule conclusion: le pur légalisme,
le légalisme sans plus des partis européens
a fait son temps et est devenu, de par le développement
du capitalisme du stade préimpériallste, le fondement
de la politique ouvrière bourgeoise.
Il est nécessaire
de le compléter par la création dune base
illégale, d'une organisation illégale, dun
travail social-démocrate illégal, sans abandonner
pour autant une seule position légale.» (Oeuvres
complètes, tome 21, pp 253-254 & 262)
Malgré cette
importante mise en garde, les partis du Komintern - P.C.B. compris
- et plus tard des partis issus du mouvement «mao»
reproduisirent largement cette erreur, sy enfoncèrent
de plus en plus, sombrant de fait dans lopportunisme.
Mais que lon
nous comprenne bien: nous ne contestons surtout pas le principe
de linsurrection ni lexploitation - tant que faire
se peut - des moyens légaux pour la préparer, nous
critiquons simplement la thèse qui prétend restreindre
la nécessité de la praxis violente et illégale
au seul moment de linsurrection et qui, ipso facto, sy
oppose jusque-là.
Nous lavons
dit, cette thèse engendre ou justifie lopportunisme
et ne mène en rien à linsurrection dans la
mesure où, politiquement et idéologiquement, une
préparation légale et pacifique à linsurrection
est un mythe néfaste: le rôle des communistes n'est
pas dentretenir le fonctionnement démocrati­que
bourgeois, il est dapporter la preuve de viabilité
de la voie révolutionnaire, et cela jusquau niveau
militaire où ils doivent démontrer la possibilité
daffronter victorieusement (même à une échelle
réduite), les armes à la main, la bourgeoisie et
ses forces de défense.
De surcroît,
au point de vue strictement opérationnel, la thèse
insurrectionnelle est rendue chaque jour plus aléatoire
par les progrès techniques mis à la disposition
de la contre-révolution: on ne paralyse plus les forces
de la bourgeoisie en construisant quelques barricades et en occupant
quelques gares, ponts, centraux téléphoniques,
etc.; les mouvements de masse sont terriblement vulnérables
aux forces dintervention rapide, aux hélicoptères,
aux blindés, etc., etc.
Linsurrection
doit être considérée à sa juste place
dans la stratégie révolutionnaire, tout comme la
stratégie doit être appropriée aux objectifs
historiques et aux conditions générales. Concevoir
les choses différemment relève du dogmatisme.
En ce qui nous concerne,
nous pensons que linsurrection correspond à deux
données.
Dune part
elle est un moment grandement imprévisible parce que tributaire
déléments objectifs indépendants de
laction des communistes (par exemple: crise, aggravation
de la situation du peuple), au cours duquel de larges masses
posent ouvertement la question du pouvoir, «descendent
dans la rue» avec le but avoué de renverser le régime.
Dautre part
elle est le moment au cours duquel le mouvement révolutionnaire
peut enfin traduire de manière réellement offensive
les acquis politiques et militaires de la Guerre Révolutionnaire
Prolongée, non seulement en sappuyant sur les masses
ralliées aux mots dordre révolutionnaires
mais aussi en offrant à ces masses une situation stratégiquement
favorable et des forces politico-militaires aguerries.
Mais restons-en
là pour cette fois, nous développons précisément
le concept stratégique de la Guerre Révolutionnaire
Prolongée à loccasion de la question n°29.
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