Cellules Communistes Combattantes

La flèche et la cible

 

7. N’y a-t-il pas une confusion possible dans l’emploi du terme de «démocratie» lorsque vous dénoncez la démocratie bourgeoise, - par exemple par rapport au concept de démocratie énoncé par Mao Tsé-toung ou au concept de lutte pour la «nouvelle démocratie» existant dans les pays dominés?

Il s’impose en effet de faire soigneusement la part des choses.

Mais nous imaginons difficilement qu’une confusion soit possible, puisque le concept de «démocratie nouvelle» énoncé par Mao Tsé-toung repose entre autres, justement, sur l’analyse - et la dénonciation - des «démocraties de l’ancienne catégorie» , à savoir les systèmes politiques en place dans les pays dominants, qui représentent historiquement et exclusivement les intérêts de la bourgeoisie et de l’impérialisme.

Ajoutons de surcroît que les communistes chinois définissaient la «démocratie nouvelle» comme une étape révolutionnaire propre aux pays dominés (semi-féodaux et/ou semicoloniaux), pleinement conçue comme transitoire vers le socialisme et pratiquement liée à l’existence d’un front révolutionnaire mondial puissant (à l’époque appuyé sur I’U.R.S.S.).

Qu’est-ce que la démocratie de «l’ancienne catégorie», «périmée» ?

C’est la démocratie bourgeoise, autrement dit le régime d’Etat de Droit sous lequel nous vivons dans les métropoles impérialistes, c’est la forme donnée ici à l’entière domination de la bourgeoisie sur le prolétariat.

Et si cette forme est évidemment préférable en soi aux autres formes de domination (dictatoriale, censitaire, autocratique, etc.), elle n’en reste pas moins le gant de velours dans lequel se glisse la main de fer de l’exploitation et de l’oppression bourgeoises.

Une évidence apparaît dès que l’on se penche sur cette démocratie: la bourgeoisie peut y mettre f in à tout moment, dès lors qu’elle estime ses intérêts en danger. D’ailleurs cela est même prévu au programme, à travers des mécanismes légaux et «démocratiques» comme par exemple le transfert de pouvoirs du législatif à l’exécutif grâce aux lois organisant les «pouvoirs spéciaux» .

Quand les trusts impérialistes et la bourgeoisie chilienne ont jugé que leurs intérêts étaient menacés par la politique d’Allende, ils ont chargé la C.I.A., Pinochet et son armée de faire place nette; quand les bourgeoisies turque et internationale ont vu que les mécanismes démocratiques étaient incapables de contenir la pression du peuple et de la classe ouvrière en Turquie, le putsch de l’OTAN a réglé le problème.

Ainsi, élaborer une politique se voulant réellement fonction des intérêts populaires et prolétariens (et donc allant à l’encontre des intérêts bourgeois) qui s’en remet aux mécanismes de la démocratie bourgeoise reste le moyen le plus sûr de rejoindre à terme l’important contingent des cocus de l’Histoire.

Et les réformistes ou révisionnistes qui contestent encore cela offrent une détestable illustration du dicton qu’il n’y a pire sourd que celui qui ne veut pas entendre…

Mais faire remarquer que la démocratie bourgeoise cède le pas à la dictature ouverte de la bourgeoisie dès que cette dernière s’inquiète des poussées populaires ou prolétariennes revient à aborder le problème par sa brutale conclusion.

Plus fondamentalement, il faut souligner le fait que les rapports sociaux (dont, à la base, les rapports de production) gérés par ce régime sont entièrement bourgeois, donc par essence anti-prolétariens.

La démocratie bourgeoise en tant que telle correspond à l’exploitation capitaliste et ne permet aucunement de rompre avec elle: elle permet tout au plus de l’aménager partiellement.

Le régime démocratique bourgeois offre un grand avantage aux capitalistes: il légitime idéologiquement l’exploitation et l’oppression, il trompe les masses avec l’illusion que la réalité correspond à ce qu’elles ont voulu d’élections en élections.

Selon les propagandistes de la démocratie bourgeoise, les libertés formelles qui la composent (liberté d’expression, d’association, etc.) rendent ce régime inégalable, l’élèvent au rang du meilleur possible, et la périodicité des mascarades électorales ou quelques défilés entre la Gare du Nord et la Gare du Midi sont censés compenser des “fatalités” comme le chômage, la dette publique et l’austérité, les superprofits de l’oligarchie financière, le pillage du tiers-monde, la misère et les famines, le militarisme et la guerre, les désastres écologiques, etc.

En outre, la forme démocrate du pouvoir bourgeois garantit aux capitalistes la complicité active des cliques réformistes et révisionnistes qui y trouvent le domaine fangeux où elles peuvent prospérer, de même que celle de la petite-bourgeoisie intellectuelle qui y voit non seulement un idéal mais de plus en dépend (journalistes, juristes, etc).

Il n’en faut pas pour autant charger la démocra­tie de tous les péchés du monde: elle n’est finalement qu’une forme parmi d’autres de la domination de la bourgeoisie.

Plus particulièrement, en tant que forme déterminée du pouvoir bourgeois, elle constitue une étape dans le processus historique d’émancipation du prolétariat et de marche vers le socialisme.

Car des acquis démocratiques comme la liberté d’expression ou d’association, aussi fragiles qu’ils soient, constituent un avantage certain pour le travail d’éducation et d’organisation de la classe.

Rappelons ici - à l’heure où les états capitalistes occidentaux se posent en archanges (musclés) de la démocratisation tous azimuts - l’énergie avec laquelle la bourgeoisie s’opposa initialement au mouvement de démocratisation de la société: un état modèle comme la Belgique chargeait à son heure la troupe de fusiller les manifestants pour le suffrage universel.

La lutte pour les droits démocratiques à la fin du siècle passé et au début de celui-ci était aussi légitime et nécessaire que, par exemple, la lutte pour des revendications sociales comme la journée des huit heures.

Notons à ce propos que le prolétariat fut à l’avant-garde de la lutte pour la démocratisation du régime, cristallisée chez nous autour de l’objectif du suffrage universel.

Cet objectif mobilisa la classe pendant des décennies, de la grande manifestation du P.O.B. de 1886 (70 à 80.000 personnes) jusqu’à l’aboutissement en 1919, en passant par les grèves générales de 1893, 1902 et 1913, et les manifestations de masse de 1890 et 1911.

Cette lutte était à la base très largement comprise comme une étape à gagner sur le chemin de la révolution socialiste, et cela explique le recours massif à la violence révolutionnaire de la part des grévistes et des manifestants.

Il faudra tout le poids des directions réformistes du P.O.B., de Louis Bertrand à Émile Vandervelde, pour que cette juste conception des réformes comme moyens au service de la révolution socialiste cède le pas à un attachement aux réformes comme fin en soi.

Un recul politique qui sera d’ailleurs favorisé par la défaite des luttes insurrectionnelles de 1886 et 1887/88, défaites dont la direction du P.O.B. n’était pas totalement innocente, puisqu’elle avait torpillé plus d’un mouvement de grève trop révolutionnaire à son goût.

L’influence croissante des réformistes à l’époque peut aussi se mesurer à l’usage décroissant de la violence révolutionnaire dans les mouvements de masse.

Sans même citer les innombrables attentats des années 1886-88, on peut comparer la grève de 1893 (seulement reconnue par le P.O.B.) et celle de 1913 (organisée soigneusement par lui).

La première fut émaillée de multiples affrontements souvent armés (dynamitages dans toute la Wallonie -dont un pont à Ougrée; attaques contre des militaires à Liège et à Couillet; manifestation insurrectionnelle à Bruxelles - débouchant sur le passage à tabac de Charles BuIs, bourgmestre ayant interdit les rassem­blements et l’accès à la Maison du Peuple, et de Charles Woeste, leader ultra-réactionnaire du Parti Catholique, etc.), la seconde fut absolument pacifique.

L’orientation nouvelle donnée par les réformistes du P.O.B. au mouvement de lutte pour la démocratisation changea naturellement du tout au tout la position de la bourgeoisie envers cette démocratisation.

Elle qui s’était opposée avec la plus grande énergie - c’est-à-dire par une répression féroce et sanglante - au suffrage universel tant qu’il était compris par tous comme une étape transitoire dans la lutte révolutionnaire, allait à présent accueillir avec bienveillance les revendications de la direction du P .O.B., revendications rigoureusement épurées de toute implication révolutionnaire.

La collaboration de classe du P.O.B. (comme de l’ensemble de la IIème Internationale) à l’occasion de la première guerre mondiale devait sceller cette complicité aux dépens du prolétariat et du combat socialiste.

Les importantes concessions faites par la bour­geoisie au P.O.B. en 1919 s’expliquent également par la crainte de voir la tourmente révolutionnaire qui balayait l’Europe depuis 1917 s’étendre à la Belgique.

L’inquiétude du roi Albert 1er était d’ailleurs telle qu’il manifesta le souhait de voir l’armée belge renforcée par quelques divisions américaines fraîchement débarquées sur le continent et donc ni éprouvées par quatre ans de massacre impérialiste ni éclairées par la propagande communiste.

Mais plus fondamentalement le roi avait surtout compris que pour assurer la continuité du système capitaliste et du régime bourgeois, il convenait de renforcer l’hégémonie du P.O.B. dans le prolétariat et que cela passait par d’importantes concessions aux réformistes.

Rappelons qu’à la même époque Lénine écrivait, dans sa célèbre critique au leader de la IIème Internationale Kautsky:

«... Il faut être un réactionnaire, un ennemi de la classe ouvrière, un valet de la bourgeoisie pour exalter maintenant les beautés de la démocratie bourgeoise et bavarder sur la démocratie pure, la face tournée vers le passé révolu.

La démocratie bourgeoise a été un progrès par rapport au Moyen-Age, et il fallait la mettre à profit. Mais aujourd’hui, elle est insuffisante pour la classe ouvrière. Maintenant, il ne s’agit pas de regarder en arrière, mais en avant, afin que la démocratie bourgeoise soit remplacée par la démocratie prolétarienne.

Et si le travail préparatoire à la révolution prolétarienne (...) a été possible (et nécessaire> dans le cadre de l’État démocratique bourgeois, enfermer le prolétariat dans ce cadre, dès l’instant où nous en sommes venus aux “batailles décisives”, c’est trahir la cause prolétarienne, c’est agir en rénégat».

Ce qui était vrai alors l’est encore plus aujourd’hui. Mobiliser les masses autour de la démocratie bourgeoise, c’est les mobiliser autour d’un objectif désormais réactionnaire.

A présent, seule est révolutionnaire la lutte pour la démocratie prolétarienne, c’est-à-dire non pas l’une ou l’autre variante meilleure (“moins mauvaise”!) du pouvoir de la bourgeoisie sur le prolétariat, mais une forme d’organisation sociale du prolétariat arrivé à son tour au pouvoir.

Démocratie prolétarienne et dictature du prolétariat sont des concepts qui se recouvrent mutuellement.

La dictature du prolétariat s’exerce sur l’ancienne classe dominante et débouche à terme sur son élimination: la suppression des rapports capitalistes de production, de l’exploitation capitaliste, entraîne la suppression de la fonction sociale des capitalistes et donc directement la disparition non pas forcément des personnes qui constituaient cette classe, mais de cette classe en tant que telle.

La dictature du prolétariat ayant pour raison d’instaurer de manière irréversible des rapports sociaux de type socialiste, des rapports qui bannissent l’exploitation de l’homme par l’homme, elle ouvre la porte à la société voulue par les travailleurs et pour les travailleurs, à une société dans laquelle tous les hommes et toutes les femmes ont des intérêts communs et non plus contradictoires (comme c’est le cas sous le capitalisme), elle permet l’avènement d’un véritable pouvoir de tous et toutes: la démocratie prolétarienne.

Pour revenir plus précisément à la question, rappelons donc qu’il n’y a pas de rapport entre l’étape historique de la révolution démocratique bourgeoise (atteinte dans les pays dominants) et l’objectif de «démocratie nouvelle» comme étape stratégique dans le processus révolutionnaire des pays dominés de la chaîne impérialiste (pays généralement semi-féodaux et/ou semi-coloniaux).

Il s’agit de deux données porteuses de caractères historiques fondamentalement différents.

Ainsi il est des situations historiques où la lutte des communistes ne peut déboucher immédiatement sur la dictature du prolétariat; c’est le cas dans les luttes de libération nationale anti-impérialistes menées par des peuples dominés dont la classe ouvrière est très réduite, voire inexistante.

La révolution chinoise et l’œuvre de Mao Tsé-toung nous ont enseigné que dans pareille situation et en fonction de l’objectif premier de la libération nationale anti-impérialiste et anti-oligarchique comme étape du processus révolutionnaire vers le socialisme, les communistes sont amenés à s’inscrire dans des alliances de classe avec la paysannerie et/ou la petite-bourgeoisie, (voire même, dans des cas qui ne se présenteront sans doute plus, avec la bourgeoisie nationale).

Quand ces luttes triomphent, elles donnent naissance à un régime politique qui transpose au niveau institutionnel les contradictions internes de l’alliance imposée par les conditions historiques: c’est le régime de démocratie populaire.

Mais ce régime ne peut qu’être instable en raison de la disparition de l’élément qui fondait l’unité populaire, à savoir la lutte de libération nationale anti-impérialiste.

Sous l’effet des contradictions de classe, la démocratie populaire tend alors rapidement à passer à une étape révolutionnaire supérieure de la marche vers le socialisme (étape de la dictature du prolétariat, imposée par la classe ouvrière et son Parti lorsqu’elle en a la force, comme ce fut le cas en Chine), ou évolue inévitablement vers un régime bourgeois (démocrate ou non selon la résistance révolutionnaire qu’il rencontre, comme ce fut le cas en Algérie).