Cellules Communistes Combattantes

La flèche et la cible

 

10. La question principale du marxisme est toujours celle de son application aux caractères et spécificités de chaque situation. Avez-vous fait une analyse systématique et historique du mouvement de classe dans votre pays?

Nous avons bien entendu étudié l’histoire du mouvement de classe en Belgique afin d’en discerner au mieux les caractéristiques.

La situation présente du mouvement de classe a des racines profondes dans le siècle et une analyse juste de l’actualité impose une connaissance exacte du passé.

A ce propos nous reconnaissons - et nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin - que des analyses défendues initialement par notre organisation ont dû faire l’objet de rectifications sur base de l’expérience, de la pratique et de ses leçons. Mais nous pensons que les conclusions de notre étude historique étaient pertinentes et celles-là n’ont pas varié.

Dans son histoire sociale la Belgique a été à la pointe des expériences réformistes. Seuls les pays scandinaves, la Hollande, la Suisse et, d’une façon particulière, la R.F.A. ont développé aussi loin et pleinement cette orientation. La politique réformiste signifie la gestion pacifique des conflits sociaux, leur prévention grâce à une concertation sociale systéma­tique ou leur résolution via la collaboration de classe institutionnalisée.

Dans notre pays cette politique a vraiment émergé au cours de la période précédant la première guerre mondiale.

C’est à cette époque (lors des grèves de 1913) que se rencontrent l’hégémonie totale du Parti Ouvrier Belge (P.O.B.) et de sa Commission syndicale dans le prolétariat et la compréhension par la bourgeoisie de son intérêt à faire l’économie de conflits sociaux incontrôlés (qui s’étaient jusqu’alors déroulés dans une violence extrême) en planifiant une série d’ouvertures sociales et politiques très vite compensées par une production «sans accroc».

La première grande série de mesures politiques et sociales réformistes date de 1919, au lendemain de la première guerre mondiale.

Réformes accordées en confiance, le P.O.B. et son président Emile Vandervelde ayant donné à la bourgeoisie toutes garanties quant à leur nature inoffensive pour le régime et même leur efficacité néfaste en jouant un rôle actif dans la trahison de la 11ème Internationale (Vandervelde en a présidé le Comité exécutif) et en participant au gouvernement d’union nationale (Vandervelde devint ministre d’Etat en août 1914, fut nommé ministre sans portefeuille en janvier 1916 et ensuite ministre de l’intendance civile et militaire en août 1917).

Depuis l’acquisition du suffrage universel alors exclusivement masculin - qui date précisé­ment de la fin de la guerre de 1914-18, la politique de collaboration de classe du P.O.B., puis plus tard du Parti Socialiste Beige (P.S.B.) et maintenant des Parti Socialiste (P.S.) et Socialistische Partij (S.P.) ne s’est jamais démentie, après avoir remporté une deuxième grande série d’acquis sociaux et politiques à l’issue de la seconde guerre mondiale (création de l’Office National de la Sécurité Sociale, etc).

L’influence des syndicats réformistes (social-démocrates d’abord, puis aussi social-chrétiens lorsque ceux-ci furent impulsés par le patronat catholique pour faire pièce aux premiers) au sein du monde du Travail a toujours représenté un atout considérable pour la bourgeoisie et sa recherche de paix sociale.

L’étendue de cette influence peut être illustrée par un chiffre: en 1981, 96,2% des ouvriers étaient syndiqués, ce qui représente un taux quasi inégalé dans le monde capitaliste.

Mais en même temps la puissance syndicale a permis au prolétariat de nombreuses conquêtes sociales, d’améliorer substantiellement ses conditions de vie et de travail.

Cela explique naturellement pourquoi il a accordé pendant longtemps une telle confiance aux forces réformistes ainsi qu’aux formes de lutte qu’elles prônaient et pourquoi il se retrouve aujourd’hui démuni d’autres expériences de lutte et de confiance dans son autonomie.

Nous pensons que du point de vue de l’analyse marxiste les principaux caractères concrets et spéci­fiques du mouvement de classe en Belgique sont au nombre de trois.

En premier lieu il y a l’hégémonie politique et idéologique de la social-démocratie réformiste dans le monde du Travail.

Chiffres révélateurs, signalons par exemple que le Parti Communiste de Belgique (P.C.B.) fit son meilleur résultat électoral en 1946: il enleva 23 sièges.

Ce succès exceptionnel ne représentait pourtant qu’un tiers du score obtenu cette année-là par le P.S.B.: 69 sièges.

Que l’on compare ce rapport de force à celui qui prévalait à la même époque en France ou en Italie!

On trouve ensuite la puissance du trade-unionisme: très haut taux de syndicalisation, place importante des structures syndicales dans la gestion sociale (par exemple, elles ont en charge le paiement des allocations de chômage), reconnaissance et institutionnalisation par l’État de la représentativité des deux grandes organisations et, surtout, inscription de tout le mouvement syndical dans des perspectives économiques et des conceptions idéologiques strictement réformistes, c’est-à-dire dans des revendications bien en deçà des limites du mode de production capitaliste et sans aucune portée réellement anti-capitaliste.

La faiblesse traditionnelle du Marxisme­Léninisme dans la classe constitue le dernier des trois caractères que nous retenons comme principaux.

Certes cette faiblesse a été de tout temps conséquente à l’hégémonie politique et idéologique de la social-démocratie, mais à notre avis il vaut la peine de souligner ses propres origines.

Au siècle passé la section beige de la Ière Internationale était principalement guidée par les thèses de Bakounine.

Dès les années 20 le P.C.B. passa pour ainsi dire sans transition du syndicalisme révolutionnaire qui avait présidé à sa fondation à un enlisement dans les traits les plus négatifs de la IIIème Internationale (autrement dit, il se subordonna rapidement et totalement à la politique extérieure de l’U.R.S.S.), puis il sombra ouvertement dans le révisionnisme pur et simple.