Cellules Communistes
Combattantes
La
flèche et la cible
17. Leffritement
de la classe ouvrière, lisolement dunités
de production de plus en plus spécialisées et la
parcellisation des luttes, nest-ce pas là toute
une série de facteurs concrets allant à lencontre
dun projet unificateur de lutte?
Cette question peut
être comprise de deux façons.
La première
remettrait en cause le bien-fondé dune politique
de classe centralisatrice et totalisante en fonction des facteurs
énumérés.
La seconde ne remettrait
pas en cause le bien-fondé de telle politique mais soulignerait
la multiplication et la transformation des problèmes tactiques
quelle doit résoudre.
Nous pensons que les caractéristiques de lévolution
de lorganisation socio-productive, au contraire même
dinfirmer la possibilité et la nécessité
dune politique de classe centralisatrice et totalisante,
les renforcent toujours plus.
Cependant nous ne
nions pas quelle doit faire face à de nouvelles
données.
En répondant
à la question précédente nous avons traité
de l«effritement» de la classe, nous avons
démontré lambiguïté de cette
conception et avons conclu en précisant que les mutations
survenues dans la composition du prolétariat (augmentation
de la part des travailleurs non productifs, etc.) induisent précisément
lexigence dune nouvelle qualité de centralisme.
Inutile donc de
revenir ici sur cet aspect des choses.
Quant à lisolement
dunités de production sans cesse plus spécialisées,
cela nous semble un facteur très largement surestimé,
du moins si on le comprend au niveau géographique.
Bien sûr la
bourgeoisie sait tirer des leçons des attaques quelle
subit (elle ne finance pas pour rien des instituts de sociologie!),
elle a compris tout le danger des grandes concentrations industrielles
«à la Poutilov» et est tentée de démanteler
ce qui a trop vite tendance à devenir des bastions de
la classe ouvrière.
Toutefois, ici comme
ailleurs, limportant nest pas tant ce que souhaitent
les bourgeois mais ce que leur impose le mode de production capitaliste.
Les velléités
disolement et de dispersion des unités de production
ne résistent pas devant la rationalité économique
du regroupement des différents postes et secteurs de fabrication,
devant la supériorité de la grande production sur
la petite.
Le seul «isolement»
des unités de production qui connaisse un réel
développement nest pas géographique mais
se situe dans le domaine de la gestion: chaque maillon de la
chaîne de fabrication fait désormais lobjet
dune approche spécifique, dune gestion différenciée,
ce qui permet de discerner les «centres de profit»
des postes où les capitalistes perdent de largent
(ou en gagnent moins) et dintervenir de façon modulée
à chaque endroit.
Auparavant, une
vision globale et unique de la gestion mélangeait indistinctement
maillons faibles et maillons forts du processus dexploitation.
Il est indiscutable
que les choses ont changé aujourdhui.
Mais les nouvelles
techniques de gestion nimpliquent pas un démantèlement
physique des concentrations ouvrières.
On pourrait dire
que ce genre dinnovations, venues en droite ligne du Japon,
induisent de nouvelles fractures non pas objectives mais subjectives
parmi les travailleurs dune entreprise.
Précédemment
les travailleurs apparaissaient soit comme une constellation
de travailleurs individuels soit comme une figure collective,
à présent ils apparaissent de plus en plus souvent
comme petits groupes définis selon les postes de travail,
les ateliers, etc., face aux capitalistes. Ils sen retrouvent,
en tant quanneaux isolés dans le processus de production,
voués à une exploitation accrue.
Mais telle différenciation
en vigueur aujourdhui nest certainement pas pire
que celle qui voit chaque travailleur faire individuellement
lobjet dune pression!
Or, cette différenciation
«personnalisée» existe depuis que la classe
existe, les ouvriers ayant toujours eu dans le dos un garde-chiourme
appelé contremaître, porion, etc., chargé
de les discipliner sous peine de sanctions individuelles.., et
cette différenciation na jamais empêché
la conscience de classe de se forger.
Dailleurs,
pour être complet, il faut encore souligner un aspect du
problème.
Certes les nouvelles
techniques de gestion, de «management» stimulées
par la concurrence et incontournables pour les capitalistes vont
toutes dans le sens dun renforcement de lexploitation,
mais elles nen désarment pas pour autant la classe
ouvrière.
Que du contraire!
Pour exemple, la technique de production à ligne tendue,
«just in time», qui exclut tout stockage à
quelque niveau du processus de fabrication et repose sur les
principes de «qualité totale» et flexibilité
permettant de fournir dans des délais très brefs
le volume exact de marchandise demandé par la clientèle..,
et qui est particulièrement vulnérable à
la traditionnelle «grève bouchon».
Rappelons-nous comment
il y a quelques années la grève à latelier
de carrosserie chez Peugeot S.A. en France a paralysé
lensemble de la production (et mis en difficulté
le P.D.G. Calvet, fervent adepte de tout ce qui vient du Japon).
Plus récemment,
sur une plus grande échelle, on peut mentionner les grosses
difficultés du projet «Saturn» par lequel
General Motors comptait sortir du taylorisme et du fordisme pour
adopter de nouvelles techniques de gestion et de production.
La grève
dans une usine de lOhio démunie de stock a provoqué
durant des semaines la fermeture pour manque de pièces
détachées de quinze autres usines en août
1992...
Lévolution
de lorganisation socio-productive ne handicape donc pas
systématiquement le prolétariat en ce qui concerne
lorganisation de la lutte de classe, même si elle
va toujours dans le sens dun renforcement de lexploitation.
Et finalement la
bourgeoisie, qui na plus la moindre confiance dans ses
chimères «post-industrielles» , sen
tient toujours aux méthodes éprouvées de
contrôle social, à commencer par la domestication
des syndicats.
Voyons maintenant
le problème de la parcellisation des luttes.
Telle quelle
est évoquée dans la question, cette parcellisation
apparaît seulement comme un obstacle sur le chemin dune
politique de classe centralisatrice et totalisante.
Elle est cet obstacle,
cest indiscutable, mais elle nest pas que cela et
il importe denvisager le problème dans son intégralité.
La parcellisation
des luttes est autant un obstacle sur le chemin dune politique
de classe que lexpression de labsence de telle politique,
que le fruit de lhégémonie des politiques
et structures corporatistes. Dans ce sens, lactuelle parcellisation
des luttes na aucune qualité nouvelle qui la différencierait
véritablement du passé, des époques où
elle correspondait à la faiblesse du mouvement prolétarien.
Certes des développements
de lorganisation socio-productive favorisent aujourdhui
la parcellisation (ainsi lisolement en petits groupes,
par postes ou ateliers des travailleurs dune même
entreprise face aux capitalistes), mais il ny a là
rien de fondamentalement déterminant car ce facteur nest
quun élément parmi beaucoup dautres,
dont lensemble constitue la trame complexe des rapports
entre les classes dans le cadre du capitalisme.
Par exemple, lisolement
grandissant que nous venons dévoquer est contrebalancé
par la tendance générale à la concentration
(dont chaque jour apporte confirmation, citons seulement la fermeture
de la petite fabrique de cigarettes BAT à Bruxelles: appartenant
au groupe Reynolds, elle a vu sa production transférée
dans une nouvelle usine géante du groupe, à Trêves
en R.F.A.).
Dun autre
côté - et ceci modifie cela à léchelle
des pays ouest-européens - on trouve le fait que les nouvelles
grandes concentrations industrielles sont le plus souvent implantées
dans des pays dominés (où les salaires sont très
bas) où sont transférés des pans entiers
de la production industrielle des puissances impérialistes
(sidérurgie, chantiers navals, textile, chimie lourde,
verre, etc).
En bref, au contraire
dêtre propice à une «parcellisation
des luttes», la réalité de lorganisation
socio-productive confirme chaque jour la tendance révélée
par Marx, selon laquelle la grande production chasse la petite,
le grand capital le petit.
Mais à léchelle
des centres impérialistes cette tendance est déformée
par des facteurs qui, dans une bien moindre mesure quil
peut y paraître au premier abord, expliquent la parcellisation
des luttes.
La conjoncture économique
générale est un facteur qui détermine fortement
la parcellisation des luttes. Nous avons déjà parlé
de léchec de la grande grève de 1983 et du
fait quil sonna le glas des grands mouvements grévistes
intersectoriels.
Au cours des années
suivantes les luttes furent de plus en plus rares et ardues,
elles ne mobilisaient que de petites fractions de la classe,
des travailleurs mobilisés par entreprise et directement
menacés dans leur emploi.
Ensuite une amélioration
de la conjoncture a permis à plusieurs secteurs de se
retrouver provisoirement bénéficiaires et aux finances
pu­bliques de réduire leur déficit (qui, rappelons-le,
avait atteint 13% du P.N.B. en 1982, soit 556 milliards!).
Ces améliorations
ont conduit des travailleurs à revendiquer la récupération
dune part du terrain cédé aux pires heures
de la crise de 1980-82 et des luttes partielles sont apparues
à cette fin.
Citons entre autres
les mouvements de lutte à Cockerill-Sambre peu avant la
dernière réactivation de la crise de la sidérurgie
ou, dans la fonction publique, les mouvements des conducteurs
à la S.N.C.B., celui des enseignants, etc.
Cette fois la parcellisation
des luttes sexplique, outre par la volonté des syndicats
corporatistes, par la fragilité de la reprise (elle nest
déjà plus quun souvenir) et par le fait que
ni tous les secteurs ni toutes les entreprises nen ont
bénéficié aussi nettement que, par exemple,
la sidérurgie en 1990 quand Cockerill-Sambre engrangeait
un bénéfice net de 12,6 milliards.
La volonté
et lemprise des syndicats corporatistes jouent évidemment
un grand rôle dans la parcellisation des luttes.
Toute pétrie
de réformisme et de trade-unionisme, linfluence
des syndicats corporatistes opère en se combinant aux
divisions en place (entre entreprises, entre «bassins»
, entre nationalités, sexes et âges des travailleurs,
entre professions, entre ouvriers, employés et chômeurs,
etc).
Mais à ce
niveau non plus il ny a rien qui différencie qualitativement
la situation présente des situations passées, qui
établirait quune politique de classe totalisante
et centralisatrice soit devenue impossible aujourdhui:
le trade-unioriisme et le réformisme ont de tout temps
exercé leur activité dissolvante dans la classe
et cette dernière a toujours été traversée
par des divisions particulières.
Le problème
ne se pose cependant pas quen terme de possibilité,
mais aussi de nécessité.
La question principale
est de savoir si lorganisation et le succès du processus
révolutionnaire prolétarien imposent une politique
de classe centralisatrice et totalisante - et donc à terme
un Parti de classe - ou sils peuvent se passer de lune
comme de lautre.
Pour nous marxistes-léninistes
la réponse est indiscutable: politique centralisatrice/totalisante
et Parti de classe sont essentiels, obligatoires. Nous allons
en dire quelques mots.
On peut à
la rigueur faire léconomie dune démarche
centralisatrice et totalisante quand il sagit seulement
dexprimer tel rejet partiel du régime, telle lutte
particulière à tel moment et dans tel secteur,
cest le propre de toutes les luttes spontanées,
réformistes, corporatistes, dont certaines peuvent même
à loccasion adopter des formes violentes, radicales.
Mais pour les communistes
et les prolétaires conscients lobjectif est autre:
la révolution signifie la résolution historique
de la contradiction entre les classes par un changement de mode
de production et de rapports sociaux et elle requiert laction
dune organisation unique, de lorganisation de classe.
Le Parti est lexpression
organisationnelle du degré le plus haut de la conscience
de classe. Sa praxis politique est la plus puissante parce que
la plus cohérente et totalisante de la classe.
Mais le Parti nacquiert
pas ces caractères en compilant, même de façon
soignée et exhaustive, les spécificités
et aspirations propres à toutes les fractions de la classe.
Au contraire, il
y parvient en permettant à ces fractions de se dépasser
en son sein, de se sublimer en une qualité nouvelle: la
politique de classe, unique et centralisée.
Le Parti est linstrument
dont se dote lavant-garde du prolétariat pour synthétiser
sa conscience de classe à la lumière du Marxisme-Léninisme,
pour la traduire dans la réalité en éduquant
et organisant toujours plus de prolétaires dans la lutte
pour les intérêts historiques de lensemble
de la classe - à commencer par la prise du pouvoir (dictature
du prolétariat) et la collectivisation des moyens de production.
Le prolétariat
ne dispose donc que dune seule ligne politique comme guide
juste: la ligne de Parti.
Ligne dont lélaboration
et lapplication exigent la démocratie, le centralisme
et la discipline.
Après lévocation
de la qualité politique propre au Parti de classe (ou
à lOrganisation pour la construction de celui-ci...
ou, plus embryonnairement encore, aux Cellules pour la construction
de cette organisation), on peut facilement en exposer toute limportance.
La lutte pour la
révolution nous im­posera un combat de longue haleine
contre la bourgeoisie et son État, confrontation au cours
de laquelle ces ennemis engageront graduellement toutes leurs
forces (des démocratiques aux terroristes) contre le prolétariat
et en retour de quoi, à son tour, le prolétariat
développera toujours plus ses forces communistes révolutionnaires...
Qui pourrait jamais
croire que face à un ennemi unifié, centralisé,
hiérarchisé, puissamment armé, le prolétariat
puisse vaincre sil monte à lassaut dans le
désordre le plus complet, à travers mille et une
attaques anarchiques, sans la moindre liaison stratégique,
sans nulle direction densemble, sans aucune concertation
politico-militaire?
Qui pourrait jamais
croire que face à lÉtat bourgeois qui concentre
tradition répressive, expérience du pouvoir, moyens
logistiques et militaires énormes, etc., le prolétariat
puisse un jour défendre durablement la plus petite position
conquise sans disposer de forces militantes capables de capitaliser
ses forces naturelles, de les valoriser au mieux, de les armer
de lexpérience de la lutte, etc.?
Celui qui défendrait
pareilles inepties serait soit un sot soit un traître et,
dans les deux cas, un danger public.
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