Cellules Communistes Combattantes

La flèche et la cible

 

18. Comment expliquez-vous la faiblesse de la conscience de classe, l’abandon de la pensée marxiste dans le mouvement ouvrier, l’essoufflement des luttes sociales et l’indigence des luttes politiques dans le pays?

Pour pouvoir parler stricto sensu «d’abandon» de la pensée marxiste dans le mouvement ouvrier aujourd’hui en Belgique, il aurait fallu que par le passé cette pensée y ait été réellement répandue.

Or, nous savons que la faiblesse du mouvement communiste - et donc à plus forte raison de la pensée marxiste puisque nous savons aussi que ce dernier en a été au mieux un piètre défenseur - a jusqu’ici été endémique.

Même aux moments où le P.C.B. parvint à développer considérablement son influence (comme au lendemain de la grève des 210.000 mineurs borains en 1932, lorsque le Parti tripla ses effectifs, comme après les grèves de 1936, après celle de 1960/61, ou plus encore après l’épreuve de la Résistance quand le P.C.B. atteint cent mille membres, c’est-à-dire dix fois plus qu’avant-guerre), on ne peut dire - sinon peut-être dans certaines limites à l’occasion de la crise des années 30 - que cette influence correspondit à et servit une réelle implantation de la pensée marxiste dans le monde du Travail.

Le Parti pouvait être reconnu comme le défenseur le plus inflexible des intérêts ouvriers mais dans la majorité des cas cette reconnaissance n’impliquait pas une adhésion aux thèses marxistes-léninistes.

Il est possible de parler d’une «faiblesse» de la conscience de classe pour autant qu’on la distingue soigneusement de la combativité des masses, - car les grandes luttes sociales que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer attestent la combativité élevée du prolétariat belge.

La conscience de classe, ce facteur subjectif qui transforme le prolétariat de classe en soi (telle que définie par l’économie politique) en classe pour soi (consciente de ses intérêts propres et de son rôle historique), a jusqu’à présent connu dans notre pays ces flux et reflux dont Marx a décrit si précisément le mécanisme: de fortes poussées entrecoupées de passages à vide tantôt dus à des conditions de crise extrême qui renforcent la concurrence entre prolétaires sur le marché du travail, tantôt dus à des conditions de croissance économique qui encouragent des revendications et mobilisations sectorielles, corporatistes.

Le problème est que les manifestations de conscience de classe surgies ici à l’occasion des grandes luttes sociales du siècle n’ont jamais été valorisées, systématisées et traduites en une politique de classe par une véritable avant-garde révolutionnaire.

Et la faute en revient non pas au prolétariat mais aux communistes qui n’ont jamais rempli leur rôle d’avant-garde responsable du développement, de la maturation et de la structuration de la conscience de classe, et a fortiori de sa traduction en terme d’engagement révolutionnaire. Voilà à quoi il s’impose de réfléchir!

«L’essoufflement des luttes sociales» au cours des périodes de crise est un phénomène facilement compréhensible: nous avons déjà évoqué en quoi les défaites accumulées par le prolétariat, principalement les grèves qui aboutissent de plus en plus dans des impasses, devaient inévitablement rendre les travailleurs circonspects à l’égard de pareils engagements. Cet «essoufflement» devient alors une réalité, comme l’indique le tableau - déjà ancien, hélas - ci-dessous. Il recense les grèves d’entreprises (et précise leur répartition régionale).

Année
Wallonie
Flandre
Bruxelles
Total

1976
209 (68%)
74 (24%)
24 (8%)
308

1977
175 (66%)
75 (28%)
14 (6%)
264

1978
283 (75%)
80 (21%)
16 (4%)
379

1979
179 (60%)
101 (35%)
12 (4%)
283

1980
176 (56%)
133 (43%)
7 (2%)
316

1981
164 (65%)
74 (29%)
14 (6%)
252

1982
106 (63%)
48 (29%)
13 (8%)
167

1983
99 (76%)
26 (20%)
6 (4,6%)
131

1984
75 (70%)
29 (27%)
3 (2,8%)
107

(source: Le Vif- L’Express, mars 86)

On peut toutefois légitimement supposer qu’avec l’éphémère croissance de la fin des années 80, les conditions étant redevenues plus propices à des luttes revendicatives dans les secteurs les moins touchés, le nombre de grèves ait été un moment à la hausse.

Mais ces luttes ont alors un caractère différent de celles menées aux heures les plus noires de la récession: elles visent à regagner le terrain perdu en terme de salaire, de pouvoir d’achat, etc., plutôt qu’à s’opposer, défensivement, avec autant de détermination que peu de chance de succès, aux divers plans de restructuration, aux licenciements, etc.

L’échec de la grande grève de septembre 1983 marque d’ailleurs à cet égard un tournant. Il est seulement permis de parler «d’essoufflement des luttes sociales” après cette grève, non pas parce que les raisons de lutter auraient disparu (au contraire!), ni parce que la combativité prolétarienne serait en elle-même émoussée, mais parce que les formes classiques de lutte se révélaient stériles, impuissantes à briser le diktat patronal et gouverne­mental.

Et c’est justement pour cette raison que les communistes doivent être extrêmement vigilants à cette donnée que l’on peut qualifier «d’essoufflement des luttes» en période de crise: elle est l’occasion d’induire un saut qualitatif dans la lutte des classes, en poussant les luttes prolétariennes à quitter le terrain délimité par le régime et sa légalité et à gagner le terrain de la lutte contre eux.

Car la lutte contre le régime politique et le système économique, - la lutte révolutionnaire - est la seule alternative à la défaite et à la soumission en période de crise aiguë, lorsque les échecs successifs des luttes menées selon les anciennes méthodes et normes amènent à un apparent «essoufflement des luttes sociales».

De toute façon ce contexte ne peut manquer de réapparaître et il convient donc de s’y préparer, sans mesurer notre soutien aux prolétaires qui luttent pour des objectifs économiques mais en les instruisant des limites de leur action en période de crise du mode de production capitaliste, et de l’entière inaptitude de cette action en période de crise aiguë de surproduction.

L’indigence des luttes politiques dans le pays s’explique précisément par l’absence d’une politique prolétarienne.., et la présence des forces réformistes dans tous les domaines propices à une opposition véritable.

Toute la vie politique du pays est trustée par des forces bourgeoises et petites-bourgeoises aux divergences par nature rares ou superficielles, ce qui lui donne ce caractère consensuel étouffant, d’où est exclu tout affrontement de fond sur tout problème de fond et dont la seule agitation tient dans des pinaillages et des grenouillages de politicailleurs.

Le rejet passif de «la politique» qui se répand petit à petit au sein des masses - et de la même façon dans plusieurs pays voisins - n’est pas négatif en soi dans la mesure où il traduit une perception de la vacuité de la vie politicienne bourgeoise (et notamment parlementaire), sans pour autant que ce rejet signifie une démission devant les problèmes réellement politiques, comme en ont témoigné les luttes populaires contre la guerre, contre l’austérité, etc.

La grande question qui se pose à partir de là est bien sûr d’imposer la voie révolutionnaire comme issue, comme dépassement de ce rejet.