Cellules Communistes
Combattantes
La
flèche et la cible
23. Comment
analysez-vous la montée de l’extrême-droite
(particulièrement en France)?
Pensez-vous
que ce courant représente un danger véritable?
Diffère-t-il
des mouvements fascistes historiques que le siècle a déjà
connus?
Quelle place
accorder à la lutte anti-fasciste dans la stratégie
révolutionnaire?
«Un danger véritable...», quel «danger»?
Vis-à-vis
de quoi et pour qui? Toute analyse politique s’établit
à partir d’un positionnement de classe et ainsi,
pour nous communistes, la question doit être reformulée
de cette façon: le Front National constitue-t-il un grand
danger pour le prolétariat français et le processus
révolutionnaire en France?
Constitue-t-il un
danger ou un obstacle plus important pour la classe laborieuse
et la révolution prolétarienne que la social-démocratie
mitterrandienne?
Représente-t-il
une alternative politique intéressante et crédible
pour la bourgeoisie impérialiste en France?
Voilà les
interrogations précises qui surgissent dès que
l’on adopte une claire position de classe.
C’est seulement
de cette manière que nous pouvons éviter de tomber
sous la coupe de la logique récupératrice de la
démocratie bourgeoise qui dénature l’anti-fascisme
en défense du système.
Nous ne pensons
pas que le développement de l’extrême-droite
représente aujourd’hui une alternative politique
intéressante et crédible pour la bourgeoisie impérialiste,
à la différence des années 20 et 30 qui
virent fascisme, national-socialisme et franquisme accéder
au pouvoir.
Il ne faut pas se
laisser abuser par le fait que le parti de Le Pen se revendique
idéologiquement à des degrés divers de principes
et valeurs propres à ses aînés, ni par le
fait qu’il se construit sur la même base sociale (lumpen-prolétariat,
petite-bourgeoisie déstabilisée par l’évolution
générale du système impérialiste
et par la crise, prolétaires écœurés
par le parlementarisme bourgeois, par les social-démocrates
et les révisionnistes, etc).
Les partis de Mussolini,
Hitler ou Franco se sont jadis développés comme
choix et nécessité du grand capital pour passer
la bride aux luttes sociales, écraser les mouvements révolutionnaires
déclenchés dans la foulée de la Révolution
d’Octobre, liquider définitivement les institutions
(ainsi la République de Weimar) ayant démontré
leur inaptitude à maintenir l’ordre impérialiste,
et comme expression des contradictions inter-impérialistes
et de la tendance à la guerre.
L’actuel Front
National, comme ses homologues, n’incarne plus qu’une
idéologie ultra-réactionnaire passéiste
ne correspondant en rien aux besoins de la bourgeoisie impérialiste.
Étrangers
à toute nécessité historique, les partis
d’extrême-droite ne bénéficient plus
à présent de l’appui des appareils d’État,
de la convergence avec des polices et armées engagées
dans une lutte à mort avec de très puissants mouvements
communistes révolutionnaires, de la manne financière
des maîtres de forge, des banquiers, des marchands de canons
et du Vatican.
Ils ne disposent
plus de tous les éléments qui ont permis l’émergence
des forces fascistes dans les années 20 et 30 et leur
accession au pouvoir d’État (où elles se sont
déchaînées d’une façon dépassant
largement ce qu’escomptaient leurs géniteurs et protecteurs
bourgeois).
La convergence entre
fascistes et bourgeoisie impérialiste n’existe plus
en Europe occidentale.
Si l’on excepte
quelques petits clubs de comploteurs et quelques attardés
héritiers de grandes familles, la bourgeoisie impérialiste
(qui vit avec son temps et tire des leçons de l’histoire)
se range dans son ensemble derrière des partis on ne peut
plus conformes aux institutions de la démocratie bourgeoise.
Cette dernière
neutralise la lutte des classes d’une manière nettement
plus moderne et efficace que ne le permettait le corporatisme
fasciste.
Si autrefois l’oligarchie
espagnole se rangeait derrière la Phalange (jusqu’à
imprimer au franquisme ses caractères arriérés
de propriétaires fonciers), si à la même
époque les cartels allemands se cachaient derrière
le parti nazi (en donnant au national-socialisme ses formes futuristes
d’impérialisme achevé et moderne) et si toujours
au même moment la bourgeoisie italienne et l’Église
spéculaient sur le fascisme mussolinien (dont la faiblesse
n’avait d’égale que celle de la bourgeoisie
italienne), aujourd’hui Suez, Paribas, Thompson ou Peugeot
n’ont aucun intérêt à voir le parti
de Le Pen effectuer une percée significative (autrement
qu’à la façon d’un épouvantail
médiatique pouvant, en réaction, créditer
d’un semblant de contenu et d’avantage la démocratie
et le parlementarisme bourgeois qui historiquement, pour les
masses, n’en présentent plus aucun).
De la même
manière le grand capital espagnol, la C.E.E. et I’OTAN
misent désormais sur un P.S.O.E. qui leur apporte la meilleure
satisfaction et non plus sur un quelconque crétin anachronique
du style Tejero.
On peut d’ailleurs
mesurer à cet endroit la différence d’ordre
superstructurel entre métropoles impérialistes
et pays dominés qui, périodiquement ou en permanence,
se retrouvent sous la coupe de dictatures ouvertes (soutenues
par ces mêmes C.E.E., OTAN, et bourgeoisie impérialiste).
Toutefois, s’il
est indiscutable qu’ils sont historiquement peu dangereux
en eux-mêmes, les mouvements fascistes n’en restent
pas moins capables de succès partiels, sont toujours aussi
nuisibles et haïssables quand ils détournent de la
conscience de classe et de la lutte prolétarienne des
secteurs populaires excédés par la crise, le chômage
et le parlementarisme croupion, quand ils sévissent en
tant que forces d’appoint (milices patronales, casseurs,
terroristes, etc.) des services de police, quand ils propagent
avec acharnement les idéologies bour­geoises les plus
réactionnaires (à un point tel que la bourgeoisie
elle-même peut s’en dispenser!) comme le racisme,
le chauvinisme, le patriotisme, etc., au sein des masses.
Dans cette mesure,
mais dans cette mesure seulement, il est juste que les communistes
prennent les mouvements fascistes pour cible et les mettent hors
d’état de nuire.
L’anti-fascisme
doit absolument s’inscrire dans le cadre de la confrontation
qui oppose le prolétariat à toutes les formes de
domination que revêt le pouvoir de la bourgeoisie et en
particulier à celle qui est en vigueur ici et aujourd’hui:
la démocratie parlementaire.
La priorité
stratégique de la lutte est naturellement accordée
à la façon dont s’exerce historiquement le
pouvoir de la bourgeoisie, la question des alternatives accessibles
à la bourgeoisie en cas de développement du processus
révolutionnaire rendant les formes de domination pacifiques
obsolètes, - c’est-à-dire des alternatives
dictatoriales ne se posant que de façon complémentaire.
Démocratie
et dictature ne s’excluent totalement, abstraitement, que
dans le chef des idéologues bourgeois, car dans le cadre
général de la société capitaliste
il s’agit de deux produits complémentaires du système,
qui se relaient pour répondre à des conjonctures
données, pour garantir sa continuité.
Et même lorsque
le pouvoir bourgeois s’exercera de manière dictatoriale
et que la lutte contre cette forme de domination aura succédé
à la lutte contre les formes démocratiques / parlementaristes,
les partis fascistes comme celui de Le Pen ne constitueront toujours
pas la priorité stratégique de l’attaque révolutionnaire.
La bourgeoisie impérialiste
ne s’en remettra pas à pareils mouvements anachroniques
pour assurer sa dictature ouverte: celle-ci sortira des institutions
actuelles, de I’U.E.O. et de I’OTAN, des parlements
cédant les pleins-pouvoirs aux exécutifs (comme
cela est constitutionnellement prévu dans tous les pays
d’Europe de l’Ouest), etc.
La dictature ouverte
ne sera pas le fait de nouvelles chemises brunes ou noires mais
bien de technocrates, politiciens, idéologues et stratèges
qui sont actuellement les piliers des institutions démocratiques.
En résumé,
il convient donc de définir avec précision et nuance
la dimension anti-fasciste de notre stratégie.
Notre objectif est
l’instauration de la dictature du prolétariat et
la construction socialiste et, à cette fin, nous nous
opposons à toutes les formes de pouvoir bourgeois.
Naturellement, nous
nous opposons en priorité à celles qui sont aujourd’hui
opérantes.
Puisqu’à
présent des partis tels que le Front National ne pourront
plus, au pire, que jouer les supplétifs dans les aventures
ouvertement réactionnaires de la bourgeoisie impérialiste,
il convient de ne leur accorder qu’une attention secondaire.
Si cette intelligence
révolutionnaire nous échappe, notre lutte anti-fasciste
sera inévitablement détournée et récupérée
par la démocratie bourgeoise.
Elle s’apparentera,
dans le domaine de la lutte contre le fascisme, à ce qu’est
le pacifisme (petit-)bourgeois dans le domaine de la lutte contre
la guerre: une adhésion objective au statu quo social
et politique (pas de guerre mais la paix impérialiste
et son cortège d’exploitation et de misère;
pas de fascisme mais la démocratie bourgeoise foncièrement
étrangère aux intérêts populaires).
Si nous tombons
dans le marais d’un tel anti-fascisme (petit-bourgeois),
les masses en lutte contre le régime finiront par nous
rejeter légitimement avec lui.
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