Cellules Communistes Combattantes

La flèche et la cible

 

25. Quelle est votre analyse concernant la lutte contre le patriarcat?

Quel rôle attribuez-vous à la lutte des femmes et, selon vous, quel doit être son rapport à la lutte politique de classe?

A l’automne 1991 nous avons eu l’occasion de répondre publiquement à une question quasi identique qui nous était posée par des camarades allemandes de la structure des lnfoläden.

Nous nous contenterons donc de reprendre ici l’essentiel du document d’alors «Aux militant (e)s des Internationalen lnfoläden (réponse à la lettre ouverte de l’été 1990) - A tou(te)s les camarades -Octobre 1991”, (pages 13 à 16).

Avant d’en venir à notre opinion proprement dite, il nous paraît utile de réfléchir à l’emploi du terme «patriarcat» pour désigner le caractère d’inégalité entre les sexes propre à la formation sociale de nos pays aujourd’hui.

Nous pensons que s’il est encore permis de parler (à des degrés divers) de «patriarcat» à l’égard de certains pays en voie de développement ou périphériques, cela est inapproprié à l’adresse des pays développés des centres impérialistes.

Tout simplement parce que, nonobstant la persistance de formes particulières d’exploitation économique, d’oppression sociale, idéologique et culturelle, l’égalité des droits entre hommes et femmes est acquise.

Le patriarcat repose sur la famille dont l’homme est le propriétaire des biens et dans laquelle la transmission des biens suit la filiation en ligne paternelle. T

ous les autres aspects du patriarcat, et notamment ses corollaires idéologiques s’attachant à justifier d’une manière ou l’autre l’oppression de la femme, découlent de la question de la propriété des biens familiaux, de leur extension et de leur transmission.

Voilà pourquoi, selon nous, l’égalité des droits entre les sexes dans la famille contemporaine (et tout spécialement l’égalité juridique en matière de propriété et d’héritage) ne permet plus d’appeler «patriarcale» la société capitaliste moderne, et cela, nous le répétons expressément, malgré l’indéniable persistance de manifestations spécifiques d’exploitation économique, d’oppression sociale, idéologique, culturelle, etc., des femmes.

Nous pensons qu’il est plus correct de désigner nos sociétés actuelles de capitalisme avancé et de démocratie bourgeoise, comme étant «sexistes»

Plus important encore, il nous paraît nécessaire de replacer la notion de patriarcat dans son contexte historique exact.

Car beaucoup d’idées absurdes et erronées circulent à ce sujet.

Ainsi, par exemple, dans la lettre que nous adressaient à l’été 1990 les camarades allemandes, l’idée était défendue que le patriarcat est la matrice du capitalisme, ou, pour être très précis: «une forme d’oppression qui cause le capitalisme»

D’une façon générale, pareille conception relève de l’idéalisme philosophique: elle prétend que la superstructure crée la structure, elle affirme en finalité que l’Homme crée la société et l’Histoire, au contraire d’être un produit historique et social.

Pareille conception rejette de façon absolue tout le matérialisme dialectique et historique.

Elle est fausse.

Plus précisément, le patriarcat est issu du développement des forces productives qui, dépassant le stade inférieur de la barbarie, rompit le communisme primitif (tribal, clanique) où régnait la filiation en ligne maternelle.

C’est l’accroissement de la productivité du travail (grâce à l’élevage, l’agriculture, la fabrication d’outils) qui fit surgir des richesses nouvelles, permit l’accumulation, attribua une nouvelle dimension à la propriété privée, et en fit la clé du renversement des rapports traditionnels issus de l’économie domestique de communisme primitif.

Engels:

«Donc, au fur et à mesure que les richesses s‘accroissaient, d’une part elles donnaient dans la famille une situation plus importante à l’homme qu’à la femme, et, d’autre part, elles engendraient la tendance à utiliser cette situation affermie pour renforcer au profit des enfants l’ordre de succession traditionnel.

Mais cela n’était pas possible, tant que restait en vigueur la filiation selon le droit maternel. C’est donc celle-ci qu'il fallait renverser tout d’abord, et elle fut renversée. (...) Ainsi la filiation en ligne féminine, et le droit d’héritage maternel étaient abolis, la ligne de filiation masculine et le droit d’héritage paternel étaient instaurés. (...)

Le pouvoir exclusif des hommes une fois établi, son premier effet se fait sentir dans la forme intermédiaire de la famille patriarcale qui apparaît alors.» («L’Origine de la famille, de la propriété privée et de l’État» K. Marx et F. Engels, OEuvres Choisies en trois volumes, Ed. du Progrès, Moscou 1976, Tome III page 241).

Le capitalisme naît aussi du développement des forces productives, mais bon nombre de millénaires plus tard.

Et si le cadre économico-social dans lequel (et duquel) il émerge, à savoir le mode de production féodal, est indiscutablement patriarcal, on ne peut pour autant commettre le syllogisme qui ferait du patriarcat une origine du capitalisme.

L’important, c’est la propriété privée des moyens de production, et peu importe - du point de vue historique de l’émergence des rapports capitalistes de production -qu’au sein de la famille elle soit monopolisée par l’un ou l’autre sexe, elle se transmette par une filiation ou l’autre.

Cela est attesté par le simple fait qu’aujourd’hui les rapports capitalistes de production se perpétuent alors que l’égalité des droits entre les sexes est consacrée en ce qui concerne la propriété, sa valorisation et sa transmission.

Dans le «Manifeste du Parti Communiste», Marx et Engels n’écrivaient-ils d’ailleurs pas «Partout où la bourgeoisie a conquis le pouvoir, elle a foulé aux pieds les relations féodales, patriarcales...» ?

Plus encore, il serait bienvenu de souligner que c’est au développement capitaliste lui-même (et notamment à travers la révolution industrielle qui sort la femme du cercle domestique et la plonge dans la production salariée) que l’on doit la base sociale ayant permis au mouvement de «libération de la femme» de naître et d’aboutir.

Avoir dépassé le patriarcat est un des mérites révolutionnaires historiques du capitalisme.

Tout cela pour expliquer que nous ne nions en rien l’oppression spécifique de la femme dans la société impérialiste (ainsi son exploitation dans la famille conjugale en tant qu’unité économique, sa plus grande précarité sociale de fait, sa réification, etc.), et encore moins l’oppression plus brutale et douloureuse qu’elle endure dans de nombreux pays périphériques ou du tiers-monde, mais que nous n’entendons ni minimiser ce problème ni lui accorder une place qu’il n’a pas dans l’évolution historique de l’humanité.

La lutte pour l’égalité des sexes rejoint la lutte pour la libération de tou(te)s les opprimé(e)s et exploité(e)s du monde, mais elle n’en est pas le levier essentiel.

Ce levier essentiel, c’est la contradiction entre le Capital et le Travail, entre les classes, c’est la contradiction universelle entre le prolétariat international et la bourgeoisie impérialiste, la contradiction dont la résolution révolutionnaire permettra seule un véritable progrès social, économi­que, politique et idéologique de l’humanité: la marche vers la société communiste.

En ce qui concerne le rôle de la lutte des femmes et son rapport à la lutte politique de classe, nous pensons qu’il s’impose en premier de souligner la différence fondamentale de point de vue existant entre la grande majorité des mouvements luttant pour «la libération de la femme» d’une part, et d’autre part les communistes révolutionnaires dont nous faisons partie.

Cette différence réside dans la position et repose sur l’analyse de classe. Selon nous, il ne peut exister, dans une société divisée en classes sociales antagoniques, de «droits» ou de «libertés» qui transcendent la lutte des classes.

Il est parfaitement exact que, par le passé, la bourgeoisie et le prolétariat ont parfois uni (de façon contradictoire, en tant qu’eux-mêmes produits du mode de production dominant) leurs forces pour liquider définitivement la féodalité et que, dans ce cadre très général, la lutte contre le patriarcat et pour l’égalité juridique des sexes a pu unir (jusqu’à un passé plus récent, il est vrai) les mouvements de femmes bourgeoises, petites-bourgeoises et prolétaires.

Mais il s’impose maintenant de comprendre que ces temps-là sont révolus dans les démocraties bourgeoises des centres impérialistes.

Il y a à présent infiniment plus d’intérêts contradictoires que d’intérêts communs entre une bourgeoise et une prolétaire, l’intensité des premiers efface totalement les seconds.

En fait, tout dépend des buts réels que l’on veut atteindre. Soit un changement radical et complet des rapports sociaux vers la société égalitaire, l’abolition de l’exploitation et de l’oppression de l’Homme par l’Homme, l’élimination du sexisme, de la phallocratie, etc.; soit des réformes anti-sexistes, anti-phallocrates, nécessairement insatisfaisantes, dans le cadre de rapports sociaux globalement inchangés, où subsistent la division en classes et l’oppression de l’Homme par l’Homme.

Le premier objectif est celui des révolutionnaires communistes. Le second celui des féministes réformistes, bourgeoises et petites-bourgeoises.

Quelle doit être l’attitude de l’avant-garde communiste vis-à-vis des mouvements de lutte des femmes prolétaires (contre la surexploitation, contre le sexisme, etc.)?

Bien entendu un soutien sans faille mais inscrit dans un travail politique visant à rendre ces mouvements conscients de leur cadre naturel -la lutte des classes - et, donc, à les qualifier vers la lutte révolutionnaire.

Et quelle doit être l’attitude de l’avant-garde communiste vis-à-vis du féminisme bourgeois et petit-bourgeois? Une critique sans concession de son caractère réformiste et anti-prolétarien.

En conclusion, nous pensons que s’il est juste de combattre le sexisme et la phallocratie à l’endroit et de la manière dont ils se manifestent (même dans le prolétariat, et tout particulièrement parmi les communistes qui doivent être exemplaires alors qu’ils ne sont jamais que les difficiles brouillons de l’humanité nouvelle et de son harmonie sociale), seule la Révolution permettra de résoudre tous les problèmes sociaux, économiques, politiques et aussi idéologiques inhérents au (ou maintenus par) le capitalisme, et d’en finir pleinement avec l’exploitation de l’Homme par l’Homme et l’oppression de l’Homme par l’Homme.

Et pour les prolétaires féminines du monde entier, l’enjeu vaut doublement la peine