Cellules Communistes Combattantes

La flèche et la cible

 

36. Quel bilan critique tirez-vous aujourd’hui de la lutte de votre organisation en 1984/85?

Avez-vous noté une avancée, des progrès concrets dans la conscience des masses en Belgique quant à la nécessité de la lutte armée révolutionnaire? Peut-on dire qu’une base sociale significative a approuvé - ou du moins compris - cette lutte?

Dresser le bilan exact d’une lutte comme celle menée par les Cellules Communistes Combattantes en 1984/85 est extrêmement difficile, principalement en raison du caractère politico-idéologique de la propagande armée et, par conséquent, du caractère non précisément quantifiable du succès de ses manifestations.

Cependant nous ne pouvons pour autant faire l’économie d’une réflexion critique concernant l’expérience des Cellules dans ce cadre.

En indiquer les erreurs, en valoriser les points forts, en combler les lacunes, voilà la bonne façon de construire un avenir de combat plus fort. Le bilan spécifiquement organisationnel et militaire est plus aisé, nous aurons l’occasion d’y revenir plus loin.

La ténuité des liens organiques entre les Cellules Communistes Combattantes et la classe ouvrière nous impose la prudence, mais de très nombreux indices ont révélé que l’effet visé par l’activité politico-militaire de notre organisation fut réellement obtenu.

Avant de rejoindre les Cellules -et leurs structures clandestines - en octobre 1985, Pascale et Didier ont eu l’occasion durant toute une année de travail public d’agit-prop d’entrer en contact avec différents secteurs prolétariens et d’apprécier leurs réactions à l’apparition et au développement de la propagande révolutionnaire.

Les leçons qu’elle et lui ont tirées de cette expérience sur le terrain - et qui ont notamment déterminé leur engagement combattant - ont été systématiquement confirmées par d’autres expériences militantes d’agit-prop en direction du prolétariat (vers les métallurgistes de Liège, de Charleroi et du Centre notamment).

Notre organisation bénéficiait indiscutablement d’une sympathie large et confuse dans de nombreuses couches populaires, mais ce sentiment procédait infiniment plus du rejet du régime et de la politicaillerie bourgeoise, de la revanche, que d’une réelle adhésion au projet communiste, au Marxisme-Léninisme ou à la stratégie de la Guerre Révolutionnaire Prolongée.

A côté de cette sympathie aussi répandue que vague, inévitablement fragile (l’accident du 1er mai 1985 et sa récupération manipulatrice par la propagande bourgeoise la réduisit considérablement), l’activité des Cellules Communistes Combattantes suscitait deux réactions opposées et clarificatrices qui méritent d’être soulignées.

D’abord une haine farouche de la part de toute la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie intellectuelle qui lui sert de porte-voix (politiciens réformistes, personnalités “progressistes’ journalistes, juristes, etc).

Ensuite une adhésion assez remarquable - quoiqu’encore attentiste - de la part des secteurs prolétariens d’avant-garde.

L’expérience des camarades qui ont mené l’agit-prop publique en 1984/85 est là pour confirmer combien les campagnes de propagande armée engendraient des potentialités énormes de développement et de progrès révolutionnaires, combien finalement la valeur stratégique de la propagande armée est fantastique et irremplaçable.

Mais force nous est de reconnaître que ces potentialités ont été bradées: elles n’ont jamais fait l’objet d’une véritable estimation ni exploitation pour les convertir en forces révolutionnaires actives.

C’est naturellement là une erreur dont l’entière responsabilité incombe aux Cellules Communistes Combattantes.

Comment en est-on arrivé précisément à tel gâchis?

Plusieurs explications se recoupent.

Il y a eu d’ouverture une mauvaise perception de ce que doit être la dialectique propagande armée! exploitation politico-organisationnelle des fruits de la propagande armée. Bien qu’à l’époque déjà théoriquement attachées au projet du «Parti Combattant», les Cellules n’ont pas su en traduire correctement les données dans leur situation propre.

L’inexpérience et un défaut d’analyse ont amené notre organisation, sur base de la conception - juste au demeurant, nous en restons persuadés - du développement révolutionnaire par bonds organisationnels (petites cellules initiatrices éparses, convergence politique et unification organisationnelle, Parti combattant), à penser qu’une division tacite des tâches entre forces révolutionnaires légales et illégales pouvait permettre aux dernières, au premier stade du processus, de se concentrer sur les tâches polftico-militaires.

Or, même à ce stade initial une gestion centralisée de tous les aspects politiques et militaires de la lutte est nécessaire: elle seule permet de doser correctement les investissements politiques et militaires et de leur assurer ainsi une interaction dialectique et productive.

Certes l’agit-prop publique en tant que telle est inaccessible aux structures combattantes pour d’évidentes raisons de sécurité, mais même embryonnaires elles doivent déjà assurer elles-mêmes l’exploitation politique de leur travail de propagande armée et non se laisser enfermer dans une division des tâches apparemment naturelle mais en fait aveuglante et paralysante.

Cette erreur de base en a entraîné d’autres, sans doute inévitables, aux effets directement néfastes.

Primo, de la part des forces combattantes une tendance à la surestimation systématique de la qualité des forces légales en place.

Secundo, de la part des forces légales une tendance à leur propre surestimation en même temps qu’à une installation quasi corporative dans la légalité.

Signalons aussi de la part de tous une tendance à négliger le développement structurel et la formation de cadres sûrs et compétents, et l’on aura réuni les principaux éléments qui ont conduit aux difficultés, puis à l’éloignement et finalement à l’errance politique des forces légales.

Les forces combattantes se sont retrouvées pratiquement démunies de tout relais militant de base et public, unifié et capable.

Et, dans l’expérience particulière des Cellules, il faut encore ajouter une déviation de type militariste, déviation certes inexcusable mais qui s’explique par les succès du travail politico-militaire dépassant largement les espérances initiales.

Cette déviation regrettable au sein même de l’activité de notre organisation retarda gravement la prise de conscience (et encore l’application de mesures rectificatrices) du dysfonctionnement de la dialectique vitale propagande armée/exploitation politico-organisationnelle de la propagande armée.

Cette même déviation amena à la multiplication des actions de guérilla alors même qu’il apparaissait qu’elles ne pourraient être exploitées, donc à un investissement militaire toujours plus disproportionné par rapport aux besoins politiques (et conséquemment toujours plus aux dépens de la restructuration organisationnelle nécessaire pour faire face à ces besoins).

Cette déviation militariste explique également dans une large mesure l’échec militaire de 1985. Nous en parlerons dans la réponse suivante.

Pour conclure, nous voulons retourner à la base même de la question par un dernier commentaire. La citation de Mao Tsé-toung est très connue: «Si l’ennemi nous attaque avec violence, nous peignant sous des couleurs les plus sombres et dénigrant tout ce que nous faisons, cela prouve (...) que nous avons remporté des succès remarquables dans notre travail».

Comment comprendre autrement la persistance de la lutte idéologique et politique qui unit toujours activement la bourgeoisie, ses fidèles médias et les gauchistes corrompus contre l’empreinte, la mémoire politique des années 1984/85?