Cellules Communistes
Combattantes
La
flèche et la cible
37. Pouvez-vous
expliquer linterruption persistante de laction armée
des Cellules Communistes Combattantes depuis vos arrestations?
Nest-ce pas lindice dun certain échec?
Disons-le franchement,
cest lindice dun échec certain et même
celui de la liquidation objective de lorganisation dans
laquelle nous avons milité en 1984/85.
Et reconnaissons
aussi que nous ne lavons pas compris, puis navons
pas voulu laccepter pendant trop longtemps. Dans notre
première déclaration depuis la prison (janvier
1986), nous sous-estimions pleinement leffet de démantèlement
de lattaque ennemie.
Certes nous savions
limportance du coup porté par les arrestations et
la chute dune demi-douzaine de bases clandestines qui constituaient
lessentiel de la structure militaire de lorganisation,
mais nous en mesurions mal le handicap pour la continuation.
(Profitons de loccasion
pour préciser que les initiatives prises au cours du premier
semestre 1986 et qui ont conduit à dautres arrestations
et succès policiers étaient totalement étrangères
à notre organisation, en fait elles étaient luvre
très critiquable de quelques éléments dune
nébuleuse sympathisante usant et abusant tous azimuts
du prestige des Cellules).
Dans la seconde
interview au journal Le Peuple (septembre 1988), nous affirmions
encore notre confiance dans la relance de lactivité
de lorganisation.
Nous surestimions
cette fois des signes illusoires de reconstitution et nous avons
peut-être même ainsi contribué à la
profondeur de la désillusion.
Quoi quil
en soit, il faut reconnaître lévidence: les
Cellules Communistes Combattantes ne se sont pas relevées
de loffensive policière de lhiver 1985/ 86,
et les causes de cette défaite sont à chercher
parmi des erreurs politiques, stratégiques et simplement
militantes commises par lorganisation. Des erreurs dautant
plus détestables quelles navaient rien dinévitable
(dailleurs des camarades dautres pays ne cessaient
de nous mettre en garde contre elles).
Nous pensons quau-delà
de la faiblesse initiale propre à toute organisation de
guérilla nouvellement constituée et inexpérimentée,
lorigine de la défaite organisationnelle de 1986
se situe dans la déviation militariste dont nous avons
déjà parlé précédemment.
Il faut souligner
à nouveau que beaucoup trop dénergie a été
consacrée à lactivité militaire par
rapport à celle consacrée aux autres tâches
dune organisation révolutionnaire, en insistant
sur le fait que le travail structurel a donc été
négligé, travail qui rend précisément
une organisation moins vulnérable aux coups de lennemi.
Techniquement parlant
et sans le savoir, les Cellules Communistes Combattantes sont
tombées dans un travers pourtant déjà étudié
par la stratégie militaire classique.
Clausewitz a décrit
le phénomène dialectique par lequel une offensive
porte en elle un «germe fatal» qui se manifeste quand
se franchit «larête de partage» entre
linfluence des facteurs de renforcement et celle des facteurs
dusure.
Clausewitz ajoute
«[qu]il peut même arriver que soutenu par les
forces morales inhérentes à loffensive, [on]
trouve malgré lépuisement de ses forces quil
est plus facile de continuer à avancer que de sarrêter,
à la manière de ces chevaux qui tirent un fardeau
en montant».
Notre organisation
en a fait lexpérience à sa petite échelle.
Les facteurs dusure
envisagés par la stratégie classique sont propres
au type de guerre quelle étudie (éloignement
des ressources, exposition des flancs, etc.), et il en va de
même pour les facteurs de renforcement (destruction de
forces ennemies, prise de leurs ressources, etc).
Cependant cette
problématique sapplique aussi au cadre de la Guerre
Révolutionnaire Prolongée.
Rares sont les facteurs
de renforcement direct dans le cadre des campagnes de propagande
armée: les résultats matériels (recrutement
de nouveaux militants, construction de nouveaux réseaux,
etc.) napparaissent que suite à lobtention
de résultats politiques (progrès de la conscience
de classe, stimulation des rangs davant-garde, etc).
Lorsquelle
est correctement menée et exploitée, une campagne
de propagande armée entraîne lapparition de
forces nouvelles mais elle nen bénéficie
pas directement: elle doit être menée du début
jusquà la fin avec les forces rassemblées
initialement dans son but.
Ajoutons encore
quau niveau de ces campagnes, la destruction des forces
ennemies est à ce point marginale quelle ne peut
réellement renforcer la position des révolutionnaires.
Donc, aux premiers
stades du processus révolutionnaire, loffensive
ne développe pas immédiatement des forces nouvelles
dont elle pourrait bénéficier.
Par contre, les
facteurs dusure jouent à plein: les pertes subies
pendant loffensive ne peuvent être comblées
que si des réserves existaient préalablement et
les coups subis peuvent en amener dautres parfois encore
plus sévères (par exemple une arrestation peut
conduire la police à une base et à dautres
arrestations).
Au fil de loffensive,
leffet de surprise disparaît peu à peu et
les risques daffrontement (et donc de pertes) augmentent.
Autre important
facteur dusure généralement sous-estimé,
les bases et réseaux de communication sont excessivement
sollicités tout au long de loffensive (multiplication
des déplacements, de va-et-vient dans les bases, des regroupements
de militants, etc).
De ce fait, militants
et structures se retrouvent bien plus exposés car jouissant
de bien moins de protection et de discrétion. En général
la multiplication des mouvements et actions clandestins multiplient
les occasions dimprudence et les risques daccident.
En comparant le
caractère négligeable des facteurs de renforcement
à brève échéance au caractère
pleinement opérant des facteurs dusure, on pourrait
être tenté de conclure que loffensive est
hasardeuse par nature.
Ce serait ignorer
le principe dont nous empruntons encore la formulation à
Clausewitz: «Tout ce qui est nécessaire nest
jamais hasardeux».
Ne pas entreprendre
de campagnes de propagande armée au premier stade du processus
révolutionnaire, en raison des risques quelles entraînent,
reviendrait simplement à rallier la conception insurrectionnelle
de la stratégie révolutionnaire. Ce serait confondre
le niveau tactique et le niveau stratégique.
Les campagnes de
propagande armée sont stratégiquement nécessaires,
et le fait que tactique-ment elles exposent à la répression
les forces qui sen chargent ny change rien.
Il convient seulement
de réduire au maximum ce risque tactique en accroissant
les mesures de sécurité et, surtout, en sabstenant
de mener des actions armées qui ne sont pas nécessaires
du point de vue stratégique.
Une action de guérilla
politiquement superflue devient un facteur de défaite
(risque inutile de perte de forces révolutionnaires) même
si elle constitue à loccasion une réussite
tactique (si la cible a été atteinte et les combattants
sont revenus indemnes).
Plus lapidairement
dit par un autre stratège classique, cette fois le Maréchal
de Saxe: «Les batailles sans raison sont le triomphe des
imbéciles»...
Avec le recul,
nous pensons que les Cellules Communistes Combattantes ont fait
preuve de cette imbécillité-là: un examen
méthodique des actions menées en 1984/85 révèle
de nombreux doubles emplois, des répétitions gratuites,
bref une grande part dactions stratégiquement inutiles
quoique tactiquement brillantes.
Cette tendance na
cessé de croître au long des deux années
de lutte, mais elle était déjà bien présente
dans la «Première campagne anti-impérialiste
dOctobre».
Toutes entières
tendues vers laccumulation parfois stérile - donc
nuisible - dactions de guérilla, les structures
et les militants de notre organisation ont sans cesse été
plus exposés et vulnérables à la réaction
de lennemi. Et cela dautant plus que le développement
et le renforcement structurels/organisationnels étaient
gravement négligés, donc que ces actions ne pouvaient
être correctement exploitées.
Ce terrible défaut
nétait pas directement évident à lépoque
(aucun revers na été subi jusquà
décembre 1985), ou sans doute était-il considéré
avec une coupable insouciance reposant sur tant de succès
tactiques...
Mais la leçon
a été très dure lorsquen décembre
1985 et dans les mois qui suivirent les Cellules Communistes
Combattantes ont été incapables de surmonter les
effets de lattaque policière.
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